Étiquette : L’Arrière-Pays


  • Corse_3 Yves Bonnefoy | [De Caraco à l’île de Capraia]





    Capraia carte






    [DE CARACO À L’ÎLE DE CAPRAIA]*



    Voilà ce que je rêve, à ces carrefours, ou un peu après — et il s’ensuit que je suis troublé par tout ce qui peut favoriser l’impression qu’un lieu autre, et qui le demeure, se propose pourtant, avec même quelque insistance. Quand une route s’élève, me découvrant au loin d’autres chemins dans les pierres, avec des villages visibles ; quand le train se glisse dans une vallée resserrée, au crépuscule, passant devant des maisons où il arrive qu’une fenêtre s’éclaire ; quand le bateau suit d’assez près un rivage, où le soleil se prend à une vitre lointaine (et une fois c’était Caraco**, où l’on me dit que les chemins n’arrivaient plus, mangés depuis longtemps par les ronces), c’est vite en moi la très spécifique émotion, je crois approcher, je me sens requis à la vigilance. Comment se nomment ces villages, là-bas ? Pourquoi un feu sur cette terrasse, qui salue-t-on ainsi à notre bord, qui appelle-t-on ? Bien sûr, que j’arrive en un de ces lieux et l’impression d’avoir « brûlé » se dissipe. Non sans pourtant s’accroître parfois toute une heure à cause d’un bruit de pas ou de voix qui est monté jusqu’à ma chambre d’hôtel, à travers les persiennes closes.

    Et Capraia***, si longtemps l’objet de mes vœux ! Sa forme — une longue modulation de cimes et de plateaux — me semblait parfaite, et je ne pouvais en détacher mes yeux pour des minutes entières, surtout le soir, depuis qu’elle avait surgi de la brume le second jour du premier été, et tellement plus haut que je n’avais cru que se trouvait l’horizon. Or, Capraia appartenait à l’Italie, rien ne la reliait à l’île où j’étais moi-même, on disait aussi qu’elle était presque déserte : tout se prêtait donc à ce que ce nom, qui la réduisait à quelques bergers, à leur errance à jamais sur des tables rocheuses au ras du ciel dans le jasmin, l’asphodèle (quelques oliviers et caroubiers dans les creux), lui conférât une qualité d’archétype et en fît, pour ma pensée désirante, le vrai lieu. Ainsi pour quelques saisons, puis ma vie changea, je ne vis plus Capraia, je l’oubliais presque, et d’autres années passèrent. Après quoi il advint que je pris un bateau un matin à Gênes, allant en Grèce, et vers le soir, brusquement, je me sentis pousser à monter sur le pont et à regarder vers l’ouest, où paraissaient déjà, où allaient passer à droite de nous, et tout près, quelques rochers, un rivage. Un regard, un ébranlement intérieur : une mémoire en moi, plus profonde que la conscience, ou plus aux aguets, avait compris avant que je sache. Est-ce possible, mais oui, c’est Capraia par son autre bord, celui que je n’avais jamais vu, l’inimaginable ! Dans sa forme changée, ou plutôt annulée par notre proximité (car vraiment nous passions à cent mètres à peine du rivage), l’île avançait, s’ouvrait, se révélait — brève côte, terre de rien, on n’y voyait qu’un petit débarcadère, un chemin qui s’en éloignait, quelques maisons çà et là, une sorte de forteresse sur un à-pic — allait bientôt disparaître.

    Et je fus alors pris de compassion. Capraia, tu appartiens à l’ici du monde, comme nous. Tu souffres de finitude, tu es dessaisie du secret, recule donc, efface-toi dans la nuit qui tombe. Et veille là, ayant établi avec moi d’autres liens, dont je ne veux rien savoir encore, car je reste requis par l’espérance, ou le leurre. Demain je verrai Zante, Céphalonie, beaux noms aussi et plus grandes terres, préservées par leur profondeur.



    Yves Bonnefoy, L’Arrière-Pays [éditions Albert Skira, 1972], I, Éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 1998-2003-2005, pp. 14-15-16-17.



    _________________
    NOTES d’AP :
    * choix d’extrait que je dédie à Odile Bombarde, maître de conférences au Collège de France, éditrice (avec Patrick Labarthe) du tome 1 de la Correspondance d’Yves Bonnefoy (Les Belles Lettres, 2018).
    ** Caraco ou Caracu, hameau abandonné (vers 1925) du village de Meria (Cap Corse).
    *** troisième île de l’archipel toscan en mer Tyrrhénienne (province de Livourne), entre l’Italie et le Cap Corse. Une île qu’Yves Bonnefoy a souvent observée depuis le Cap Corse, durant ses nombreux séjours à Porticciolo (marine de Cagnano), dans la demeure familiale de sa première épouse, Éliane Catoni, de l’été 1945 à l’été 1956. En 1767, l’île de Capraia fut conquise par Pasquale Paoli, mais demeura génoise lorsque la Corse fut cédée à la France par la république de Gênes (1768).






    Yves Bonnefoy  L'Arrière-Pays





    YVES BONNEFOY


    Bonnefoy
    Image, G.AdC




    ■ Yves Bonnefoy
    sur Terres de femmes

    → 25 juin 1981|
    Élection d’Yves Bonnefoy au Collège de France
    À la voix de Kathleen Ferrier
    L’Arrière-pays (lecture d’AP)
    « Le dialogue d’angoisse et de désir »
    Donner des noms
    Le myrte
    Les Raisins de Zeuxis
    Vrai nom
    Les Planches courbes : feuilleton pédagogique en 26 épisodes à l’usage des lycéens




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site Université de tous les savoirs)
    écouter/voir la vidéo d’une conférence d’Yves Bonnefoy (La parole poétique) du 17 novembre 2000
    → (sur le site du Collège de France)
    une bio-bibliographie d’Yves Bonnefoy





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  • Jean Marc Sourdillon | [Deux fois l’an, pendant l’été]




    [DEUX FOIS L’AN, PENDANT L’ÉTÉ]



    Deux fois l’an, pendant l’été, ces mêmes montagnes sont traversées par le passage des transhumances sur la pierraille dure des drailles.

    Il faut imaginer cela intensément dans ce paysage sans rivière,

    un flot qui s’écoule et circule dans la poussière, les bêlements — flot de sang blanc irriguant cet organisme de pierres sèches et de sel, de terres déclives où même la lumière penche.

    Quelque chose d’immatériel et de puissamment vivant passe par un cœur fossile.

    Les bergers suivent de loin. On les entend. On ne peut pas vraiment dire qu’ils gardent.

    Ils accompagnent le mouvement, regardent plutôt qu’ils n’interviennent.

    Postés sur la pente raide ou marchant dans l’ombre de chaque côté de la vallée, ils s’appellent mutuellement par leurs prénoms, ils crient, s’interpellent comme pour se garder vivants ou bien seulement éveillés.

    Ce paysage, ces montagnes, ce qu’elles offrent, c’est un peu à chaque fois comme si un berger ouvrait les yeux. La vie vue à travers le regard de l’un d’eux. Il suffit qu’il les referme pour que tout s’efface ou se retire — retour à Paris.

    Et à quoi peut bien servir alors d’être berger ou de voir comme eux ?

    Peut-être à cela, à rester fidèle à cette image aujourd’hui qui perdure, grossie par la mémoire : entre la pente et la lune énorme, à l’heure du soir, cette silhouette fermant la marche, d’une adolescente, blonde, d’un blond solaire, qui allait en dansant dans la clarté et poussait d’une pique les brebis retardataires.

    Je l’ai aimée à seize ans. C’est elle, toutes ces années, qui m’a guidé vers toi à travers ce désert.



    Jean Marc Sourdillon, En vue de naître, L’Arrière-Pays, 2017, pp. 24-25.





    JEAN MARC SOURDILLON


    Jean-Marc Sourdillon 2
    Source




    ■ Jean Marc Sourdillon
    sur Terres de femmes


    Comme des frères
    Au commencement (poème extrait des Miens de Personne)
    [Cet imperceptible oiseau très loin] (poème extrait de Dix secondes tigre)
    Les Tourterelles (lecture d’AP)
    Le milan (extrait de L’Unique Réponse)
    On naît (autre poème extrait de L’Unique Réponse)





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  • Jean-Baptiste Pedini | [D’ici]




    [D’ICI]





    D’ici, on aperçoit à peine la lame rouillée du soleil. Ça vient et ça s’éloigne et ça n’arrête pas de brunir. La lumière est friable, l’obscurité la réconforte. On en aime le dépouillement et l’au revoir discret. Sans larmes. Sans effusion. Sans fumée ni tambour. Sans même un bref salut.


    Il se fait tard. Une déchirure s’opère entre la plage et l’océan. Un cargo met le cap à l’ouest. Pleins gaz. Tout s’apaise à présent. Tout est enfin léger. La sirène du cargo, la falaise, les ressacs. Leur laisser-aller.


    C’est cette distance qui saute le plus aux yeux. Une ombre flâne dans les blés. On entend un bruissement. Les pierres claquent. L’humeur décline. La luminosité s’écrase tout au fond de sa niche, déjà prête à ronger le jour.



    Jean-Baptiste Pedini, Le Ciel déposé là, L’Arrière-Pays, 33260 Jégun, 2016, pp. 30-31-32.






    Pedini, Le Ciel déposé là




    JEAN-BAPTISTE PEDINI


    Pedini 2
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Ce Qui Reste)
    une page sur Jean-Baptiste Pedini
    Prendre part, le site de Jean-Baptiste Pedini
    une lecture du Ciel déposé là de Jean-Baptiste Pedini, par Marie-Josée Desvignes







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  • Felip Costaglioli | Ne pas jouer avec



    Fuoco
    Ph., G.AdC






    NE PAS JOUER AVEC




    Ce que j’aime chez les autres
    c’est l’âtre



    pas forcément
    pour la bête jaune     rouge
    et bleue de la flamme

    — il y a bien d’autres façons de brûler —

    mais aussi pour la braise
    pont défait



    qui pourtant
    est cet instant parfait entre
    l’avant et l’après




    un peu comme une cousine
    germaine de l’attente




    puis pour la cendre

    tapis de pensées grises
    et de questions tremblantes



    un joli texte de frissons



    Ce que j’aime chez les autres
    et qui émerveille
    quand on s’y lave les doigts


    c’est l’esprit profond et minutieux
    du feu.




    Felip Costaglioli, Loin de chez soi ?, L’Arrière-Pays*, 32360 Jégun, 2015, pp. 43-44-45-46.





    _____________________
    * NOTE d’AP : les éditions L’Arrière-Pays ont aussi publié en 2002 un autre recueil de Felip Costaglioli : Un bout d’os sous la langue.




    FELIP COSTAGLIOLI


    FelipCostaglioli
    Source




    ■ Felip Costaglioli
    sur Terres de femmes


    Ce que c’est (poème extrait de Ce qu’on vaut de poussière)
    Redécorer la grotte (poème extrait de NU)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de St. Cloud State University)
    une notice bio-bibliographique sur Felip Costaglioli






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  • Thierry Metz | [Je m’en remets aux feuillages]




    Comme la lumière haute en ténèbre
    Ph., G.AdC






    [JE M’EN REMETS AUX FEUILLAGES]




    Je m’en remets aux feuillages
    à l’eau       à la mère
    que je tiens par la main
    salée comme la lumière
    haute en ténèbre
    qui seule a fait son terrier
    dans ce que je suis
    né par elle
    sans chemin.



    Thierry Metz, Tel que c’est écrit, L’Arrière-Pays, 2012, page 32.






    Thierry Metz, Tel que c'est écrit






    THIERRY METZ


    Thierry Metz 2
    Source




    ■ Thierry Metz
    sur Terres de femmes

    [Braise matinale]
    [De jour en jour][Giorno dopo giorno] (extrait de L’homme qui penche | L’uomo che pende)
    [Je suis tombé] (extrait du recueil Terre)
    Le Drap déplié (extraits)
    [Vers la bien-aimée]
    4 juillet | Thierry Metz, Le Journal d’un manœuvre
    28 août 1993 | Thierry Metz, Sur un poème de Paul Celan



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur remue.net)
    un dossier Thierry Metz





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Jean Pichet | Le bouquet




    LE BOUQUET



    Dans un vase parfait,
    Qu’elle seule voit,
    Elle dispose des fleurs
    Qu’elle seule connaît.

    Le ciel, à sa fenêtre, est un cristal
    Enrobé de velours. Au jardin, le vent
    Promène des feuilles mortes
    Sur l’herbe mouillée…
    Un beau nuage est loin, déjà.

    Le soir vient.

    Elle entend des enfants jouer
    Dans la pénombre, avec des cris
    D’oiseaux marins. Elle brise le vase
    D’un battement de cils. Regarde
    Se faner ces fleurs
    Qu’elle ne connaît plus…

    Et saute par la fenêtre.



    Jean Pichet, Une poignée de feuilles, L’Arrière-Pays, 32360 Jégun, 2015, page 33.






    Jean Pichet





    JEAN PICHET



    ■ Jean Pichet
    sur Terres de femmes


    Froid Peur (extrait du Vent reste incompris)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Recours au poème)
    plusieurs poèmes de Jean Pichet (extraits d’Un calme orage)



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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Jean-Claude Pirotte, À Saint-Léger | suis réfugié

    par Bernadette Engel-Roux

    Jean-Claude Pirotte, À Saint-Léger | suis réfugié,
    L’Arrière-Pays éd., juin 2014.



    Lecture de Bernadette Engel-Roux



    Le retour Pastel de Jean-Claude Pirotte 2008
    Source







    [« SI LES BUSARDS ET LES AUTOURS  |  N’ANNONÇAIENT PAS LA FIN DU JOUR »]



    Jean-Claude Pirotte, qui avait écrit dans Lire quelques chroniques sur des recueils édités par L’Arrière-Pays, leur a un jour proposé un petit livre, après les recueils de son ami Bertrand Degott, que L’Arrière-Pays avait aussi édités. Il a eu le temps d’en revoir les épreuves à l’hôpital mais n’aura pas vu le livre paru en juin. Il est mort quelques jours avant.

    À Saint-Léger | suis réfugié est donc son dernier recueil, accompagné, pour le tirage de tête, de quinze encres du poète, épuisé par la maladie.

    Sur la couverture, la disposition du titre en deux vers venus de l’un des poèmes, donne délicatement à entendre le rythme triste, sensible et léger que Pirotte reprend, souvent avec leur vocabulaire, aux poètes qu’il aime et auxquels il ressemble de loin : Rutebœuf et Villon, Rimbaud et Laforgue, frères en errance et en infortune, voués à la complainte et au testament, aux dits des ribauds et vagabonds, aux dits des plaies du monde et quelquefois des leurs, quand le corps geint trop. « Réfugié » à Saint-Léger où il se sait attendre la fin :


    je ne vivrai plus longtemps

    j’aimerais passer le temps

    à ne me prendre au sérieux

    jamais plus qu’un jour ou deux


    le poète regarde ce corps souffrant en choisissant cette relative distance qui évite l’apitoiement :


    Je me tiens à la fenêtre

    en attendant qu’un bel être

    fabuleux me fasse signe

    et d’un doigt clair me désigne

    pour le suivre pas à pas

    sur la terre et au-delà


    et en essayant de dire encore les instants de beauté, de grâce ou de répit que lui offre le monde,


    un poème d’après-midi…

    on dirait presque un paradis

    si le temps n’était pas mobile

    et ne traversait le jardin

    comme le merle à cet instant…

    si le temps n’était pas le temps…

    si le jour n’était pas à jour

    et pouvait faire demi-tour

    si les busards et les autours

    n’annonçaient pas la fin du jour


    Ainsi se pose la voix des mélancoliques subtils lorsqu’ils sont poètes, comme Henri Thomas (cité en exergue) ou Jacques Réda que Pirotte compte, avec Jammes, Follain ou Dhôtel et tant d’autres, dans sa grande famille poétique. Une voix aussi belle et juste, dont les nombreux recueils et livres ont été très bien édités, participant ainsi d’une reconnaissance publique, ponctuée de plusieurs prix et d’un colloque. On est heureux que L’Arrière-Pays ait recueilli les dernières pages du poète (né et mort à Namur, avec pourtant toute une vie de cavale), invitant ainsi de nouveaux lecteurs à découvrir l’œuvre de Cette âme perdue, familier du Promenoir magique et buveur d’imaginaire.



    Bernadette Engel-Roux
    D.R. Bernadette Engel-Roux
    pour Terres de femmes,
    juillet 2014







    Jean-Claude-Pirotte-A-Saint-Leger-suis-refugie




    JEAN-CLAUDE PIROTTE


    Pirotte portrait 2
    Ph. © Belga/AFP/Archives/
    Source





    ■ Jean-Claude Pirotte
    sur Terres de femmes


    [je me suis dégagé d’une ombre] (extrait de Je me transporte partout)
    la mère (poème extrait de Revermont)
    [le ciel au crépuscule] (extrait d’Une île ici)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur marincazaou – le jardin marin)
    une page consacrée à Jean-Claude Pirotte
    → (sur Esprits Nomades)
    une page consacrée à Jean-Claude Pirotte
    → (sur le site du Point)
    Jean-Claude Pirotte, enfant terrible des lettres belges




    ■ Autres notes de lecture de Bernadette Engel-Roux
    sur Terres de femmes


    Olivier Rolin, Extérieur monde
    José-Flore Tappy, Tombeau
    Jean-Loup Trassard, Causement





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Bertrand Degott | [La neige]



    La neige
    Ph. angèlepaoli







    [LA NEIGE]



    La neige — évidemment tu n’as rien à redire
    à tout ce blanc du ciel qui tombe et se répand
    et qui demeure un temps, tu voudrais répartir
    ainsi la paix durablement et le sourire
    peut-être est-ce en effet de toi que ça dépend

    et toujours cette image un flocon sur la laine
    un cristal blanc qui s’éternise — il fait si froid !
    leise rieselt der Schnee par ce verbe rieseln
    tu voudrais faire en signe aux noëls d’autrefois
    du poème une étoffe où la neige est réelle.



    Bertrand Degott, Plus que les ronces, L’Arrière-Pays, 32360 Jégun, 2013, page 36.







    Bertrand Degott, Plus que les ronces







    BERTRAND DEGOTT


    Vignette Bertrand-DEGOTT
    Ph. © éditions de la Table Ronde
    Source





    ■ Bertrand Degott
    sur Terres de femmes

    [Des paroles sans doute]




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Place de la Sorbonne)
    une recension de More à Venise et de Plus que les ronces, par Laurent Fourcaut
    → (sur le site de France Culture)
    Bertrand Degott dans l’émission Ça rime à quoi de Sophie Nauleau (21 avril 2013)
    → (sur Mot à mot)
    une notice bio-bibliographique sur Bertrand Degott et plusieurs poèmes





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  • Béatrice Bonhomme, Variations du visage & de la rose

    par France Burghelle Rey

    Béatrice Bonhomme, Variations du visage & de la rose,
    L’Arrière-Pays, 2013.



    Lecture de France Burghelle Rey



    Twombly Roses bleues.2
    Cy Twombly, Untitled [roses bleues], 2008
    Munich, Collection Brandhorst
    Source








    [« UNE ROSE ROUGE EST DEMEURÉE »]




    Dès le début du recueil, à la lecture des versets qui évoquent la nature, la chatte puis la statue d’un visage — celui du peintre qui a vécu dans la maison, comme le dit l’exergue en italiques —, le lecteur est sensible au thème sous-jacent du temps.

    De ce fait, dans la 4e page, sonnent, tout comme les quatre notes du premier mouvement de la 5e Symphonie de Beethoven, les quatre syllabes d’un « Tu te souviens ». Le choc est d’autant plus grand que Béatrice Bonhomme ne craint pas d’écrire la beauté et n’hésite pas à choisir la rose comme métaphore de la beauté. Réelle ou imaginaire, la rose est l’ambassadrice d’une émotion qui gagne librement son texte. On retrouve là les accents que la poésie de Lydie Dattas (dont l’œuvre revendique la « beauté ») a offert en son temps dans Le Livre des Anges, II : « Les roses respiraient le parfum de ton âme / ces roses mouraient en même temps que toi. » À une différence près toutefois : chez Béatrice Bonhomme, une rose « brûle » encore.

    C’est à propos de cette rose, de son cœur et de sang, qu’au texte 4, le symbolisme implicite des couleurs, allié aux triples répétitions de la neige et du cœur et au rythme des versets, honore le souvenir du père disparu. S’y rencontre aussi, dès la décision du titre, un parti-pris de musique composée de variations et de leitmotive qui définissent les litanies.

    Le royaume de l’enfance est une autre offrande au lecteur qui, avec la « maison abandonnée aux graffiti », pense à Lullaby de Le Clézio, comme il avait déjà pensé au Petit Prince et à sa rose. Il peut paraître naïf d’évoquer ces références, mais Baudelaire n’a-t-il pas dit lui-même que le poète est un enfant ? Le lecteur du recueil le redevient d’autant plus qu’il est surpris par cette nouvelle interprétation de topoï sans doute rebattus. La poète établit du reste une similitude entre les deux thèmes du visage et de la rose quand elle écrit : « Il (le visage) parlait d’enfance ». Ou encore : « La demeure s’est blottie autour d’une rose rouge qui demeure le cœur de l’enfance ».

    La fresque elle-même devient, de façon magique, le terrain de jeu des enfants. Véritables actants de la création et de la transmission, les enfants « s’engluent » dans les couleurs et y laissent des « taches ». Devenus « mots », les enfants « ont écrit le mot visage dans la lumière ». Ainsi onirisme et magie fusionnent-ils dans la beauté. Le sang de la rose a servi de fard et le visage a repris vie avec les papillons-enfants « épinglés dans la fresque ».

    À l’origine envahi par l’autoportrait du peintre « aux yeux vivants » — véritable présence-absence qui « ne commande plus qu’aux ombres » —, l’espace de la demeure est aux prises avec ombre et clarté. Vie et mort imposent leur dialectique au recueil.

    Dans la troisième et dernière partie du recueil se confirme la tentation du narratif. Avec l’entrée des loups dans la maison :

    « Les loups entrent dans la maison et dévorent jusqu’au visage peint entre les murs de salpêtre pour servir de proie au temps. »

    Symboles de mort, les loups font renaître à la vie une petite fille qui « surgit du passé » pour lancer vers le public « quelques roses », comme lors des processions de la Fête-Dieu. Et, au milieu de cette métamorphose, « Sur la neige de la scène, sur la neige de la mort, une rose rouge est demeurée ». Symbole de vie et de lumière.

    Le recueil se clôt magnifiquement par une adresse à l’héritier. Stello, héritier « de l’empreinte du visage ». « Accoucheur de la vie », Stello, « le Chevalier à la rose » a « porté le monde à la lumière ».




    France Burghelle Rey
    D.R. Texte de France Burghelle Rey
    pour Terres de femmes





    BÉATRICE  BONHOMME


    Béatrice Bonhomme Bourdelas 2
    D.R. Ph. Laurent Bourdelas




    ■ Béatrice Bonhomme
    sur Terres de femmes

    Tharros (extrait des Boxeurs de l’absurde)
    Mutilation d’arbre (lecture d’AP)
    Le pacte des mots
    [Les petits chevaux de Tarquinia] (extrait de Variations du visage & de la rose)
    Passage du passereau
    Poumon d’oiseau éphémère
    Sauvages
    T’écrire adolescent
    La terre rouge
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Un lacis de sang et d’ombre
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Béatrice Bonhomme-Villani par Guidu Antonietti di Cinarca, un poème extrait de Poumon d’oiseau éphémère et l’excipit de Mutilation d’arbre



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    Kaléidoscope d’Enfances
    → (sur Wikipedia)
    une belle bio-bibliographie de Béatrice Bonhomme
    → (sur Terres de femmes)
    La rencontre Hölderlin-Jouve-Klossowski par Béatrice Bonhomme et Jean-Paul Louis-Lambert
    → (sur le site de la Revue d’art et de littérature, musique)
    un entretien de Rodica Draghincescu avec Béatrice Bonhomme (Numéro 45 – décembre 2008)



    ■ France Burghelle Rey
    sur Terres de femmes

    Trop (extrait du Bûcher du phénix)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Lumière du poème





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  • Béatrice Bonhomme | [Les petits chevaux de Tarquinia]



    Tarquinia, Tomba del barone
    Source







    II, 10



    [LES PETITS CHEVAUX DE TARQUINIA]



    Les petits chevaux de Tarquinia ont emmêlé leurs pattes au filet et sont restés incrustés dans le sable.

    Il n’est demeuré que ce plongeur de Paestum pour cueillir ce qu’il restait de rires et des joies du voyage.

    Le plongeur a pénétré dans la fresque, il est entré en eaux profondes pour retrouver les eaux libres de l’amour.

    Le portrait est posé directement sur le visage du mort.

    Le visage est peint avec une expression de vie saisissante.

    Le visage a été peint pour ne pas tomber dans l’oubli.

    Mais pourquoi le nageur est-il figé sur la toile devant des enfants qui passent et repassent en riant ?

    Les enfants ont quitté le musée et ils sont devenus des mots. Ils ont écrit le mot visage dans la lumière. Tout près de ce mot a poussé une rose.



    Béatrice Bonhomme, Variations du visage & de la rose, L’Arrière-Pays, 2013, page 30.






    BÉATRICE BONHOMME


    Béatrice Bonhomme
    D.R. Ph. Laurent Bourdelas



    ■ Béatrice Bonhomme
    sur Terres de femmes

    Mutilation d’arbre (note de lecture d’AP)
    Le pacte des mots
    Passage du passereau
    Poumon d’oiseau éphémère
    Sauvages
    T’écrire adolescent
    La terre rouge
    Tes nuits sont devenues mes jours
    Variations du visage & de la rose (note de lecture de France Burghelle Rey)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Un lacis de sang et d’ombre
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Béatrice Bonhomme-Villani par Guidu Antonietti di Cinarca, un poème extrait de Poumon d’oiseau éphémère et l’excipit de Mutilation d’arbre



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    Kaléidoscope d’Enfances
    → (sur Wikipedia)
    une belle bio-bibliographie de Béatrice Bonhomme
    → (sur Terres de femmes)
    La rencontre Hölderlin-Jouve-Klossowski par Béatrice Bonhomme et Jean-Paul Louis-Lambert
    → (sur le site de la Revue d’art et de littérature, musique)
    un entretien de Rodica Draghincescu avec Béatrice Bonhomme (Numéro 45 – décembre 2008)
    → (sur Terres de femmes)
    D.H. Lawrence, Croquis étrusques (note de lecture d’AP)





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