Étiquette : Laure Adler


  • 14 octobre 1906 | Naissance de Hannah Arendt

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 14 octobre 1906 naît à Linden, gros bourg de Hanovre (Allemagne), Hannah Arendt.







    Hannah_arendt
    Source







        « Hannah, Johannah pour l’état civil, naît à la maison, comme c’est l’usage à l’époque, le dimanche 14 octobre 1906, à 21h30, après vingt-deux heures de contractions. La maman, dans un cahier intitulé Unser Kind, « Notre enfant », conservé dans les Archives Arendt, à la bibliothèque du Congrès, à Washington, a retranscrit par le menu l’évolution du bébé à partir du 3 décembre 1906. Ce journal, sorte de cahier d’écolier, est un document manuscrit où Martha notait l’évolution physique et psychologique de sa fille. Il a accompagné Martha jusqu’aux États-Unis et Hannah Arendt l’a précieusement conservé. Hannah, dès ses premières semaines, est atteinte d’eczéma. Sa mère lui trouve bien des défauts : des mains et des pieds trop grands, une voix rauque, une certaine excitation.
        Hannah fait ses nuits dès sa naissance. Adulte, elle conservera le plaisir de ce ressourcement dans le sommeil. Elle sourit à la sixième semaine, « rayonne » dès la septième. La mère aime beaucoup ce mot. Hannah, toute petite, manifeste ses émotions : elle rit aux chansons joyeuses, pleure aux sentimentales. La mère note qu’elle a besoin des autres : « Elle n’aime pas être seule. »
        À onze mois, Hannah chantonne beaucoup, avec une forte voix. À douze, elle adore rester à côté du piano, écouter et chanter. À quinze mois ― c’est tôt ! ―, elle sait répondre à la question « qui es-tu ? ». À deux ans et demi, on la prend pour une enfant de quatre ans. Son tempérament est très vif, très joyeux, sa curiosité énorme. La mère note combien la petite, « très douce », cherche à se blottir contre elle.
        En 1909, la famille quitte Linden pour Königsberg. La ville a depuis changé de nom, de population, de configuration : depuis 1946, date de l’annexion d’une partie de la Prusse-Orientale par l’Union soviétique, elle s’appelle Kaliningrad, en hommage à Kalinine, ancien président de l’URSS. C’est aujourd’hui une enclave russe cernée par la Pologne et la Lituanie, pays membres de l’Union européenne. Hannah n’a jamais pu retourner sur les lieux où elle passa son enfance et son adolescence, car la ville, au bord de la mer Baltique, devenue un port militaire important, était interdite aux étrangers. Il faut aller à l’Institut historique allemand consulter de vieux atlas photographiques et des livres d’histoire de la ville pour tenter d’imaginer ce que fut l’atmosphère de cette ville provinciale et paisible qu’était Königsberg au temps de la jeunesse de Hannah. Dans un de ces livres d’images, un peintre du dimanche a immortalisé une scène dans la rue de la ville au début du siècle. Il fait beau. C’est l’été. Les femmes portent de longues jupes, des chemisiers à dentelle, de grandes coiffes. Les hommes sont en costume, avec des chapeaux. À une terrasse de café, une mère et sa fille ont repoussé leur coiffe sur la nuque mais ont gardé leurs gants. La mère regarde les passants, la fille lit le journal.
        À Essen, en Rhénanie-Westphalie, chez Edna, la nièce de Hannah, je retrouve dans un carton une photo de la petite revenue dans le giron du grand-père Max, qui l’adorait : dans la cour devant la maison, Hannah sourit à l’objectif dans les bras du vieil homme. Martha n’aime pas se séparer de sa fille. Le 19 février 1911, elle note : « Hannah supporte très bien l’hiver. […]
        Tempérament : très vif, s’intéresse à tout ce qui l’entoure. Aucun intérêt pour les poupées […] Avec ses quatre ans elle est une petite si grande et si solide qu’on la prend déjà pour une fille qui va à l’école. »
        « Elle a de très beaux cheveux longs. Elle est belle et en bonne santé. Elle chante beaucoup, presque avec passion, mais avec beaucoup de fausses notes […] Je ne vois aucun talent artistique ni aucune habileté manuelle : par contre une précocité intellectuelle et peut-être une capacité particulière comme par exemple le sens de l’orientation, la mémoire et un sens aigu de l’observation. Mais avant tout un énorme intérêt pour les lettres et pour les livres… ».


    Laure Adler, Dans les pas de Hannah Arendt, Éditions Gallimard, 2005, pp. 11-12-13.





    ■ Hannah Arendt
    sur Terres de femmes

    Hermann Broch
    Journal de pensée (poème de décembre 1952)
    Ne suis que l’une de ces choses (extrait du Journal de pensée)
    → (dans la galerie Visages de femmes de Terres de femmes) un
    autre extrait du Journal de pensée de Hannah Arendt
    4 décembre 1975 | Mort de Hannah Arendt (extrait de Dans les pas de Hannah Arendt de Laure Adler, et extraits du Journal de pensée de Hannah Arendt)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (dans L’Encyclopédie de l’Agora)
    le Dossier Hannah Arendt






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  • Laure Adler | Isabelle Eshraghi, femmes hors du voile

    Laure Adler/Isabelle Eshraghi,
    femmes
    hors du voile,
    Éditions du Chêne, septembre 2008.



    Femmes_hors_du_voile






    HIER, JE NE CONNAISSAIS PAS ISABELLE ESHRAGHI


        Hier, je ne connaissais pas Isabelle Eshraghi. Je l’ai rencontrée dans mon village au cœur de cet été. Ensemble, sur les rochers cap-corsins de la marine de Scala, à mille lieues des femmes voilées du monde de l’islam, nous avons parlé. Et beaucoup parlé de son livre. Femmes hors du voile. Un livre de photographies accompagné d’une monographie de Laure Adler.

        Née à Ispahan en 1964, d’une mère française et d’un père iranien, Isabelle vit à Paris. Elle a longuement évoqué pour moi son métier de photojournaliste, ses voyages en Afrique et au Moyen-Orient, les reportages réalisés depuis dix ans pour l’agence Vu. En pays afghan, iranien, marocain, égyptien, koweitien. Au Qatar, en Arabie Saoudite, au Niger, au Pakistan… J’entends encore Isabelle me parler de toutes ces femmes dont elle a précieusement gardé, sélectionné et organisé les photos prises au cours de ces dix dernières années. Femmes au travail, ― dans les écoles, dans les champs, dans les bureaux, dans les gymnases, dans les salles de conseils et de réunions ―, femmes photographiées à l’intérieur de leur maison, dans les lieux publics, parcs et plages, dans les camps de réfugiés, dans les dispensaires médicaux et dans les ateliers de couture, se mirant dans un miroir de fortune ou assistant aux défilés de mode Azzarro et Christian Lacroix, femmes rieuses et enjouées, femmes aux regards meurtris par les conflits, les voilà rassemblées dans un album magnifique, qui vient de voir le jour aux éditions du Chêne.

        Organisé par thèmes, huit en tout, l’ouvrage se compose de huit chapitres. Présentés par un texte introductif de Laure Adler.

        Dès le premier abord, avant même d’ouvrir le livre, le regard de la lectrice que je suis est happé par le regard autre qui me fixe. Un magnifique regard de braise, doux et tendre, illuminé par une peau blanche et souligné par des cils de soie. Celui de la jeune Koweitienne photographiée par Isabelle en avril 2000. Le reste du visage, que j’imagine sublime, disparaît sous le voile noir. Je m’interroge. Que vais-je découvrir de ces femmes qui se sont laissé photographier ? Que vais-je apprendre que je ne sache déjà ? Les regards croisés d’Isabelle Eshraghi et de Laure Adler vont-ils parvenir à bousculer en moi les idées reçues ?

        Noire, la couleur dominante de la première de couverture de la jaquette. Au point qu’elle voile, estompe, absorbe les lettres qui composent le mot « femmes » du titre (blanches, tout en bas-de casse et en caractères bâton), à l’emplacement même de la bouche. Quant à la seconde moitié du titre, le complément qui caractérise ces femmes, elle est écrite en rouge. Hors du voile/Rouge sang. Le combat des femmes de l’islam pour leur libération « hors du voile » passe-t-il aujourd’hui encore, par la violence ? L’exemple le plus récent, cité par Laure Adler, l’assassinat de Benazir Bhutto au Pakistan, en décembre 2007, semble l’attester.

        En capitales et tout en blanc, le nom des deux femmes auteures de cet ouvrage s’inscrit à hauteur du nez de la femme voilée. Deux femmes donc qui avancent à visage découvert, deux femmes dont le combat et l’engagement se lisent implicitement, dès la couverture, dans le choix typographique effectué par Nancy Dorking, la directrice artistique, puis, explicitement, par la tonalité incitative des propos de Laure Adler et des photos d’Isabelle Eshraghi.

        Dans le chapitre d’ouverture intitulé « Le feu des yeux », Laure Adler écrit :

    « Voir. Être vue.
    Pourquoi faire disparaître le visage ? »


        Laure Adler se tourne vers Emmanuel Lévinas qui voyait dans le visage « le lieu d’une ouverture infinie de l’éthique » ; et, bien avant lui, vers Ibn Arabi qui « voyait le signe de Dieu dans le miracle surgi de la face humaine ».

        Et la journaliste de conclure :

    « Les femmes d’islam sont loin d’avoir abandonné le combat.
    Le feu des yeux subsiste. »


        Quel que soit leur pays d’origine, quel que soit le domaine dans lequel elles travaillent, les femmes que nous montre Isabelle Eshraghi sont en pleine (r)évolution. Femmes voilées et femmes hors voile se côtoient, se fréquentent, partagent les mêmes universités, les mêmes parcs, les mêmes plages, les mêmes cafés à narghilé. Les étudiantes ou enseignantes en jeans et tee-shirt à manches courtes, bras nus et cheveux lâchés sur les épaules à la mode occidentale, sont assises sur les mêmes bancs que leurs congénères voilées de blanc et occupent les mêmes salles de classe que les fillettes aux cheveux drapés dans un foulard de couleur.

        Comble de l’antithèse que cette photo prise en juillet 2002 sur la plage de Babolsar en Iran ! Trois jeunes femmes, visages éclatants et espiègles, entièrement vêtues de noir, long manteau traditionnel et foulard, arborent des lunettes noires dernier cri, symbole de libération.

    « Depuis la révolution islamique de 1979, des interdits ont été levés, comme celui de porter des lunettes noires, qui est resté en vigueur jusqu’en 1994 », précise la légende (p. 225).

        De même, la longue tenue noire (qui voisine dans les boutiques à la mode de Téhéran, avec les créations des stylistes les plus renommées) n’empêche nullement les ongles vernis de rouge vif ― pieds et mains ―, et les lèvres fardées. Peut-être ces détails extérieurs de la toilette féminine sont-ils des signes avant-coureurs d’autres révolutions à venir. Mais comment ne pas s’interroger devant la photo de cette jeune fille installée sur son pédalo, portant un bob de marin au-dessus de son voile noir ? Comment ne pas s’insurger de la voir ainsi couverte ― élégant trench-coat écru sur pantalon noir ― alors que de jeunes garçons s’ébrouent, à côté d’elle, épaules et cuisses nues ? Quant aux baigneuses d’Askarabad, sur les bords de la mer Caspienne, elles batifolent dans l’eau avec robes et foulards. En Iran, seuls les enfants ― des deux sexes ― et les hommes ont le droit de se baigner en maillot de bain. Les hommes de l’islam sont-ils si peu adultes et si peu maîtres de leurs pulsions qu’ils ne peuvent porter le regard sur une femme autrement que si elle est enserrée de la tête au pied dans ses voiles ?

        Dans ce chapitre (« Échappées belles »), Laure Adler, citant en exemple les revendications d’Amina Wadud, Fatima Mernissi mais aussi d’hommes tels que Youssef Seddik, Abdelwahab Medeb, Malik Chebel, incite les femmes d’Orient à repenser leur rapport à la religion sans pour autant que cette question mette en péril « leur fidélité à la foi » : « « se réapproprier » l’islam pour mieux le surinvestir. » Pour cela, « les femmes doivent investir toutes les scènes où se dit la lettre sainte et s’emparer, à leur manière, de l’islam. » Faire reculer les inégalités entre femmes et hommes passe par la libération du voile, symbole d’inégalité.

        Il en est de même dans le milieu du sport où Irakiennes et Iraniennes semblent très performantes. Basketteuses, parapentistes, pilotes de rallye, escrimeuses, championnes de tir ou de gymnastique…, les femmes sont sur tous les fronts, partout dans les gymnases, sur les pistes et les terrains. Mais elles doivent, aujourd’hui encore, revêtir leur foulard en présence de spectateurs masculins ou d’une photographe. Contrecoup des agressions et des régressions imposées par la révolution islamiste de Khomeiny. Montrer en mouvement le corps de ces championnes du monde, c’est leur rendre la visibilité dont elles ont besoin. C’est leur donner une chance supplémentaire de poursuivre la révolution silencieuse qu’elles ont entreprise.

        Dans le monde rural ou dans les pays décimés par la guerre, les femmes travaillent voilées. Mais leurs préoccupations vont bien au-delà de celle du port du voile. Survivre, nourrir leurs enfants, leur dispenser les soins élémentaires, se soigner. Ce sont là questions cruciales, quotidiennement. Aidées par les ONG, ces femmes sans ressources surmontent, tant bien que mal, les épreuves. Mais le problème de la contraception et des mariages non consentis reste l’obstacle majeur à l’évolution vers la libération des femmes. Dans le chapitre intitulé « Maternelles », Laure Adler souligne que « la contraception est connue des médecins arabes depuis le IXe siècle ». Le drame est que cette pratique est en contradiction avec la politique nataliste de l’islam. Tout le mérite revient donc aujourd’hui aux organisations humanitaires et aux Médecins du Monde qui œuvrent pour que ces femmes et leurs enfants retrouvent « leurs repères les plus élémentaires ». Peut-être alors, lorsque la question brûlante de la survie sera dépassée, pourront-elles s’interroger sur leur libération. Qui passe par l’alphabétisation, l’instruction, le travail hors de la maison. Et l’engagement dans tous les lieux de vie et d’activités occupés jusqu’alors par les hommes.

        Parmi toutes les questions posées, la plus préoccupante reste celle du mariage, fondement de la société traditionnelle. Les photos de cérémonies ― fiançailles et mariages ― réunies dans le chapitre intitulé « En amour » ne contribuent pas à modifier l’idée que je me fais du sort réservé aux femmes à l’intérieur de cette institution. Les visages des mariées, de Kaboul, de Téhéran ou du village de Zaran, en Egypte sont loin de respirer le bonheur. Certes les mariées sont belles, mais elles sont tristes, figées sous le masque de beauté qui leur a été imposé. La légende de l’une de ces photos me confirme dans mes appréhensions:

        « Cérémonie des fiançailles de Farazneh et d’Hashil. Il l’a choisie en regardant une vidéo. Elle ne le connaît pas. Kaboul, Afghanistan, juin 2002. »

        Comment ne pas trembler en lisant ces mots ? Comment se départir de la vision occidentale qui voit dans le mariage arrangé la chronique d’une mort annoncée ! Ainsi de cette jeune Pakistanaise, mariée une première fois à l’âge de 14 ans, divorcée à la suite des violences que lui a infligées son mari et remariée avec un homme qui l’aime en dépit des marques indélébiles de brûlures qui la défigurent ! Fort heureusement, d’autres photos prises sur le vif de couples amoureux viennent corriger sensiblement cette vision unilatérale du mariage associé à la violence.

        Porteuses de drames et d’espoirs, les 150 photos d’Isabelle Eshraghi racontent chacune une histoire particulière. Par-delà les frontières qui séparent ces femmes, par-delà les conflits religieux qui les réunissent sous la bannière unique de l’islam, les visages qui viennent à nous à travers le regard d’Isabelle sont des visages de femmes qui ont aussi à nous apprendre ce que nous sommes.

        Les textes de Laure Adler, soutenus par une solide bibliographie, apportent les compléments historico-religieux indispensables à l’analyse du contexte dans lequel ces femmes vivent.

        Par leur réflexion et leur travail, Isabelle Eshraghi et Laure Adler œuvrent ensemble à une meilleure compréhension des femmes prisonnières du carcan de l’islam d’aujourd’hui. Et participent ― mots et photos conjugués ensemble ― à leur émancipation silencieuse. Un très beau témoignage à deux voix, courageux et émouvant. Porté par des photos qui forcent l’admiration.

    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    ■ Voir aussi ▼

    le site d’Isabelle Eshraghi





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  • 4 avril 1914 | Naissance de Marguerite Duras

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 4 avril 1914 naît à Gia Dinh Marguerite Duras, fille de Henri Donnadieu et de Marie Obscur, née Legrand.






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    Image, G.AdC






        « Marguerite a six mois quand sa mère tombe malade si gravement que les médecins militaires à Saïgon la rapatrient d’urgence en France. Elle souffre « d’arthrites multiples, de paludisme, de manifestations cardiaques et de complications rénales ». Soignée à l’hôpital militaire de Toulouse, elle revient le 14 juin 1915 à Saigon pour apprendre que son mari doit repartir pour la France.
         La toute petite a donc vécu huit mois loin de sa mère, élevée par un boy vietnamien. La famille vient à peine de se retrouver que c’est au tour du père de sombrer dans des souffrances atroces qui l’obligent à consulter d’urgence les médecins militaires qui diagnostiquent une double congestion pulmonaire, une colite aiguë et une dysenterie grave. Ordre lui est donné par le gouvernement général de l’Indochine de regagner immédiatement la France […]
         La famille Donnadieu habite l’école de Gia Dinh. Pas de luxe, de stucs, de bouddhas somnolents, de ruines orientales, mais une maison classique de fonctionnaire du début du siècle. Juste quelques maigres petits palmiers devant l’entrée pour la touche exotique. La mère se rend en tram à l’école municipale des jeunes filles de Saïgon. Quatre arrêts. Une petite heure de trajet. Les petits sont élevés par des domestiques. Existence petite-bourgeoise de blancs, de fonctionnaires bien intégrés dans le cercle de la colonie. Sur les rares photos qui subsistent, les enfants sont habillés comme des communiants, sages comme des images. Les parents, eux, ont l’air vieux, las, fatigués.
         Marguerite disait qu’elle aurait tant voulu se souvenir de son enfance avec nostalgie et émerveillement. Hélas, elle fut triste et sans éclat. Vieille dame, elle n’y verra même aucun signe de l’enfance: « Rien de plus net, de plus vécu, de moins rêvé que ma toute enfance. Aucune imagination, rien de la légende et du conte bleu qui auréole l’enfance des rêves. * » Marguerite a trois ans quand ses parents quittent Saïgon. Son père est nommé au Tonkin. Avancement administratif sur le tableau d’honneur de la colonie. Indéniablement cette nomination est une promotion. Henri devient directeur de l’enseignement primaire à Hanoi […]
        « C’est la cour d’une maison sur le petit lac d’Hanoi. Nous sommes ensemble, elle et nous, ses enfants. J’ai quatre ans. Ma mère est au centre de l’image. Je reconnais bien comme elle se tient mal, comme elle ne sourit pas, comme elle attend que la photo soit finie. A ses traits tirés, à un certain désordre de sa tenue, à la somnolence de son regard, je sais qu’il fait chaud, qu’elle est exténuée, qu’elle s’ennuie **.

         Les souvenirs d’Hanoi restent teintés de mélancolie et de tristesse. »


    Laure Adler, Marguerite Duras, Éditions Gallimard, 1998, pp. 33-35-36.



    * Écrivait-elle dans ses cahiers d’écolier pendant la guerre. Archives IMEC.
    ** Inédit (page sans date). Archives IMEC.





    ■ Marguerite Duras
    sur Terres de femmes

    Marguerite Duras, « l’autre façon de se perdre »
    5 janvier 1960 | Première création d’Un barrage contre le Pacifique
    25 mai 1960 | Peter Brook, Moderato Cantabile
    14 janvier 1976 | Marguerite Duras, Des journées entières dans les arbres
    23 octobre 1981 | Reprise à l’Athénée de La Bête dans la jungle
    28 septembre 1983 | Création de Savannah Bay de Marguerite Duras


    ■ Voir aussi ▼

    le site de la Société Marguerite Duras



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