Étiquette : Lawrence Durrell


  • 19 juillet 1957 |
    Henry Miller écrit la préface de Justine de Lawrence Durrell

    Éphéméride culturelle à rebours



    ALEXANDRIA
    Source






    PRÉFACE DE JUSTINE
    (EXTRAIT)



         […] Justine, premier volume d’une œuvre qui en comprend quatre et qui a pour thème Alexandrie, possède toutes les qualités d’une œuvre symphonique. Durrell connaît intimement la ville dont il nous restitue à chaque page la couleur, le rythme et le délire. Et c’est une Alexandrie que seul un anglais volontairement exilé, né dans l’Himalaya et qui a trouvé sa maturité en Grèce, pouvait ressusciter. La ville ne joue pas ici un simple rôle de décor : c’est une entité vivante, un être quelque peu monstrueux fait de chair, de pierre, de crime, de rêve ou de mythe, si vous voulez. Un portrait « héraldique » comme dirait Durrell.
         Dans ce premier volume, il fait chatoyer devant nos yeux une étoffe magique chargée d’allusions sensuelles, une toile d’araignée incrustée de gouttes de rosée qui frissonnent et miroitent dans une atmosphère impalpable. Et au fur et à mesure que l’histoire se déroule, le dessin de la toile se précise et s’ordonne selon ses propres lois internes. La substance de ce dessin ténu et complexe est une prose poétique la plus exigeante, la plus riche, le plus contrôlée et la plus évocatrice qui soit. Et je ne peux m’empêcher d’évoquer d’autres potions enivrantes que les maîtres de la réalité nous ont servies dans le passé, le Gaspard de la nuit de Ravel, par exemple, les silhouettes éblouies de soleil de Seurat, les envolées dans le pur espace de Pythagore, la bien-aimée Bible d’Amiens, la mosquée de Cordoue aujourd’hui profanée…
         Les personnages qui peuplent ce roman ont une réalité extraordinaire ; j’ose prédire que le choc qu’ils produiront sur le lecteur européen ne sera rien moins qu’hypnotique. Il y a en eux toute la poussière et le délire du Proche-Orient, et on les accepte implicitement, même si l’on ne s’est jamais trouvé en présence de leurs équivalents. Certains sont aussi ahurissants et déconcertants que les paysages anémiés où ils se meuvent et qui, et c’est encore une des étranges vertus de ce livre, se meuvent aussi à travers eux.
         La lecture de ce livre est une aventure qui marque – par sa forme, sa sonorité, sa couleur. Le récit ne progresse pas selon la démarche habituelle du roman ; il miroite et ondule dans la trame flottante de cette matière sacrée si rarement invoquée par le romancier : la lumière. Une lumière surnaturelle saturée de la lie et des réminiscences du passé.
         Encore une fois, je pense à Ravel et à Seurat, à Pythagore. Et pour faire bonne mesure, j’ajouterai un soupçon démentiel d’Alexandre le Grand, qui, après tout, fut sublime.


    Henry MILLER,
    19 juillet 1957.



    Henry Miller in Lawrence Durrell, Justine, Buchet-Chastel Corrêa, 1959 ; Le Livre de Poche, 1963, pp. 7-8-9. Traduit de l’anglais par Roger Giroux.





    ■ Lawrence Durrell
    sur Terres de femmes

    27 février 1912 | Naissance de Lawrence Durrell (+ extrait de Justine)
    28 mai 1937 | Lawrence Durrell, L’Île de Prospero
    29 septembre 1937 | Lawrence Durrell, L’Île de Prospero
    7 novembre 1990 | Mort de Lawrence Durrell (+ autre extrait de Justine)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur YouTube)
    la voix de Lawrence Durrell lisant son poème Alexandria



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  • 29 septembre 1937 | Lawrence Durrell, L’Île de Prospero

    Éphéméride culturelle à rebours



    Corfou_4
    Image, G.AdC







    Corfou, 29 septembre 1937.



        Tout au long du somptueux écran de ce paysage, une foule de noms, anciens et modernes, viennent hanter l’esprit comme des fantômes vivants.
        L’histoire de Corfou est un véritable échiquier, et tout en elle est plein d’intérêt tant ses détails sont variés et sa ligne uniforme. Fondée par Corynthe, Corfou eut l’intelligence de s’affirmer comme puissance maritime durant la guerre persique de 475. L’accusation de trahison qu’Hérodote porta contre elle valut à l’historien les foudres de Zarian dans plus d’un article arménien. Xénophon relatant l’invasion spartiate sous Mnesippe, parle d’un paradis de l’agriculture ; un paradis si riche qu’il effémina les envahisseurs et les gorgea de nourriture, de viandes et de fruits, de statues et de filles aux yeux en amande.
        C’est dans ce noble port qu’Auguste rassembla sa flotte avant d’engager une bataille qui lui gagna un monde.
        Guiscard la conquit ; c’était un des douze fils de Tancrède, audacieux comme son père, et farouche comme un dieu teutonique. Gibbon, dans sa prose grasse et trapue, fait l’éloge de sa « vigoureuse santé et de la dignité de son port », et le poète d’Apulie, de son côté louait en lui l’astuce d’Ulysse alliée à l’éloquence de Cicéron. Fait duc de Calabre, il s’empressa de passer en Sicile, qu’il finit par conquérir grâce à une volonté farouche. La saga de sa vie et de ses aventures attend encore un chroniqueur à la hauteur d’un si grand thème.
        Richard Cœur de Lion s’arrêta ici au retour de son aventure burlesque de Chypre.
        Michel le Despote régna et fut destitué.
        Villehardouin consacre quelques mots aux pitoyables mercenaires de la Quatrième Croisade rassemblés quelque temps dans le grand port. « Le vent était favorable et le ciel pur et serein, et un calme profond régnait sur les eaux. Trois cents vaisseaux de toutes tailles occupaient une vaste surface et les drapeaux flottaient à la proue. Les casques et les cuirasses de trente mille guerriers réfléchissaient les rayons du soleil. Alors on entendit au-dessus des eaux les hymnes des prêtres invoquant les bénédictions célestes, et leur répondre les chants virils des soldats, les sonneries des trompettes et le hennissement des chevaux qui couvraient le claquement des rames. » Splendeur d’un dimanche de la Pentecôte, toute la flotte immobile sur le miroir étincelant de la baie. « Je prends le ciel à témoin qu’oncques ne vit plus noble spectacle. »
        Puis ce fut le Génois Vetrano, luisant de graisse et de santé, enrichi par la politique et les cruautés, et dont on fait tantôt un pirate, tantôt un amiral. C’est le héros favori de Zarian. Jamais, dit Zarian, les Vénitiens ne commirent plus grosse erreur que le jour où ils le firent assassiner.
        Corfou, tout comme son saint Spiridon, constitua même la dot d’une très jolie femme, vouée à un sort tragique ; Hélène, fille de Michel II, mourut en prison loin de son île.
        Les vagues des invasions orientales déferlèrent jusque sur l’île et vinrent saccager ses bosquets et ses riantes vallées. Corfou est comme une borne frontière dans l’histoire de la conquête turque, et l’islam ne poussa jamais plus vers l’ouest. Elle s’arrêta et se brisa là, car les Vénitiens tenaient bien en main la clé de l’Adriatique.
        Sous Venise elle devint prospère ― tout au moins en forêts, car les Vénitiens donnaient dix pièces d’or pour cent oliviers plantés, si bien que lorsqu’ils partirent, l’île comptait près de deux millions d’arbres.
        Lightgow publia, en 1632, un ouvrage sur Corfou. On peut y lire ceci :
        « Corfou est une île aussi belle qu’invincible ; elle se trouve dans la mer Ionienne, ses habitants sont grecs, et les Gouverneurs Vénitiens. Cette île fut chantée par Homère, car c’est là que se trouvaient les merveilleux jardins d’Alcino. Alcino était ce poète corfiote qui reçut Ulysse avec tant de bienveillance après son naufrage, et dont Ovide dit :
               Quid bifera Alconoi referam pomaria ? Vos que
               Qui numquam vacui prodistis in aethera rami.

        « L’île fut donnée aux Vénitiens par les Corses (sic) en 1382, parce qu’ils étaient exposés à toutes les calamités du monde. Sa forme est celle d’un croissant de lune […] »
        À part quelques inexactitudes, le tableau que Lightgow brosse de l’île est charmant et frais comme une aquarelle. Les Corses sont, bien entendu, pure invention ― à moins que le mot soit une coquille pour « Corcyréens » ― et le monticule sur lequel se dresse la vieille forteresse n’a jamais mérité le nom de montagne. Mais dans l’ensemble, ses descriptions rendent assez bien le charme de ses paysages.


    Lawrence Durrell, Histoires et hypothèses, 5, L’Île de Prospero, Éditions Buchet/Castel, 1962 ; Le Livre de Poche biblio, 1993, pp. 91-92-93.





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    27 février 1912 | Naissance de Lawrence Durrell (+ extrait de Justine)
    28 mai 1937 | Lawrence Durrell, L’Île de Prospero
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    7 novembre 1990 | Mort de Lawrence Durrell (+ autre extrait de Justine)



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