Étiquette : Le billet de Nestor


  • Manège

    Le billet de Nestor

    Le billet hebdomadaire de Nestor (33)





    Apprends à choisir, parmi tes départs, le plus sournois, fausser leurs démarches, corrompre la main des bâtisseurs
    Ph., G.AdC





    MANÈGE





        La toile d’araignée des mots saisit les choses : barques amarrées, lueurs dociles, roseaux, reflets, crues, ormes, lierres, rubans, coulées, ténèbres, ponts de lune sous les hautes fenêtres…


    Pas de surface, pas d’arrière-plan ni d’ombre, de porte par où entrer, de poignée à saisir, de paume où se lover, appauvris du temps qui nous dépouille tous car nous vivons, ni aimants, ni gravés dans l’argile, tout étant tel qu’il fut : philtres, archipels, sextants, trous noirs, limailles, nerfs, cendres d’empire, dagues des seigneurs, atours des dames…


    N’interroge plus ces signes qui t’interrogent, l’enfant qui guette ta mort parce qu’il croit qu’elle lui montrera l’arrière-cour, l’autre face, parce que tu cherches dans ce qu’il fut l’instant vierge qui t’avouera comment fixer la Chienne en face…


    Disperse tes escouades, brise tes remous, enroule tes alambics et tes fusées, fuis ces alliages, ces départs, ces désirs de crues et de feux, d’impénétrables cales…


    Contraires s’enlaçant, s’accouplant : pas d’avant ni d’après, plus d’Histoire ni de durée, tout coïncidant, se conjuguant à l’heure d’interroger ce domaine qui à ce jour n’a plus de nom…


    Passe sans être déchiffré. Ne leur livre que l’autre face, limes et failles, sommes de qui tu fus, réfutations… Contrains-les à marcher sur ce fil chaque fois plus mince, crevant jusqu’au silence où tu te caches si bien, et le dénudes…


    Ce paysage de nuit ne suffit pas, nous le savons, puisqu’il te faudra t’en saisir pour lui ôter ses faux attraits, ses leurres, révélations… La terre et l’homme ne sont plus sacrés, et tu n’as rien à leur offrir : ni jeu de figures, ni matière libérée, ni lumière, ni losange, ni profanation. Pas même l’attente…


    Puis tout s’effacera : la maison aux bougainvillées, la nage, les bracelets, les glaces, les coquillages, les poulpes, les galions, les ogres, les rocs, les frôlements, les seuils, les absences…


    Une seule fois l’inconnu, l’inguérissable et le chant, une seule fois le TOUT dans la balance contre l’hérédité et les poisons, une seule fois des routes à venir les lents rodages…


    C’est l’heure : déchire tes pourpoints, couve tes salamandres, tes vaines orties, sache pressentir pourquoi il n’y a pas assez de mots et, qui sait, trop de choses, apprends à choisir, parmi tes départs, le plus sournois, fausser leurs démarches, corrompre la main des bâtisseurs, les couvrir de dunes et de failles…


    Ton règne sera bref. Mais il n’en est pas de même du désert que l’on imagine.




    André Rougier
    D.R. Texte André Rougier

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  • Icebergs

    Le billet de Nestor

    Le billet hebdomadaire de Nestor (32)





    7 juin 2010 . 2
    Ph. angèlepaoli





    ICEBERGS






        En ton sang la rage jamais méprisée, survol mutiné qu’aucun pli n’élargit, ne révèle…


    De l’inabouti et du gué, des louanges et des fins, que restera-t-il dans tes envasements et tes filières ?


    Savoir consume, ignorer épuise, puisque le Même ne sait agir que sur lui-même.


    Ceux nés, puis à nouveau engendrés contrairement aux multitudes, se reconnaissant sans mot dire, n’appartenant qu’à leur vertige, aux racines de l’épars…


    Approchez, faites en leurs marges jouer l’abord et le retrait, la déroute du proscrit, blessure ouverte sur le visage d’autrui, vous nouant comme à jamais à cette intrigue plus vieille que celle de l’Être…


    Rengainés la rosée des nuits, l’épée rouillée et le gué incertain, comme si les formes qui s’y dessinent et occupent ce lieu dans l’espace pouvaient de surcroît recevoir des concepts « moraux »… Diable, une éthique pour Léonard, qui n’en eut point…


    Plénitude jamais rejointe, quelque trace manquant au Narcisse qui s’y soumet, au vain espoir du même enfin apaisé, à l’attente goulue parachevant les germes de ses aveux…


    Au-delà du pacte, l’autre royaume respire : statue mutilée, temps autre, étranger à tes présages comme à ta soif, miroirs haletant, sculptant l’éclair traqué sur les touffes et les grains, inachevée merveille enfin coïncidant avec ces nids lavés de toute scorie, exactement au joint de tes désirs…


    Plus que la vanité des choses, c’est leur irréalité que tu écoutes. Que t’importe alors ce qu’ils appellent échec, lequel désormais n’est plus un tien stigmate, mais le propre et ultime destin de tout homme…


    Certains écrivent pour nier, d’autres pour dépasser, toi c’est pour encore et toujours les rejoindre…


    Affûts, bûchers, ordalies, bruines des grâces humectant la lèvre de qui ne reconnaît même plus les ombres qui les tentent…


    Creuser, ou dire, ou ressouder ― tout sauf en y adhérant sans recul, sans démêler qui vaut de qui jamais ne vaudra…


    Ô jardin où, bien après qu’ils ont disparu, encore retentissent les libres cris des enfants, ou bien la lente écume léchant l’éphèbe de bronze rendu près d’un cap au nom proscrit, qui n’annonce rien, ne signifie rien, ne prétend pas exalter une victoire ou pleurer une mort, mais seulement d’être à jamais lui-même, surpris dans sa close sveltesse…


    Il y a davantage de choses entre ciel et terre que celles que connaissent vos philosophes. Quelques-unes ne peuvent pas être partout racontées, comme ce jour de grâce où le temps s’est arrêté ― du moins pour toi…


    Tu pouvais désormais t’éloigner sans dévoyer ou trahir des rites, te souvenir sans soumission de tout, la fraîcheur sombre, le pli déclos lové dans ce temps enfin à part, une distance creuse, quelques habitués jouant aux cartes, trois enfants avec un chien, une vieille femme près du kiosque à journaux, toutes choses comme hors du temps, de cette lumière qui s’aplatit et égare…


    Éperdument fuir toute mise en mots de ce mal-être que masque nourrit et apaise.


    « De la littérature comme crime parfait » : il comprit l’allusion, sut que tu connaissais en entier ou partie son secret et se tut, l’air si sérieux que tu en vins à maudire ton habitude de dire les meilleures choses aux pires moments ou le contraire…


    Une fois le seuil atteint, peu importe ce qui se passera ensuite, les remords, les présages, les refus, les promesses, les espérances, bien qu’ils continueront à te cacher, à te faire resurgir sous un nom d’emprunt, archivistes, témoins et héritiers des défaites…


    Que viennent des temps démêlés les visages et les clous, la pierre et l’envers, lézard recourbé, muraille chinoise, dévotion des murmures, dernier mouroir de l’herbe obscure, du faucon qui remue…


    Ô l’aventure de l’aigu, du divers, de l’obscur, qui te déploie en présages, d’un seul trait avouant non ce qu’elle est, mais où elle puise…


    S’abandonner à l’instant sans en être captif, là où s’affine la nouvelle soudure, ses téguments, ses rejets, ses lois…




    André Rougier
    D.R. Texte André Rougier

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  • Nubile ’66

    Le billet de Nestor

    Le billet hebdomadaire de Nestor (31)







    NUBILE ’66






    Anne Slacik, Naples
    Anne Slacik, Naples





        Inventer des rites, des codes, n’exiger qu’au gré de tes remous, déshabiter jusque à l’humeur du dernier feu, et ses murailles d’habitude, carnassier aux rares îlots, écrin d’aucune connue mouvance, lie des flux, désert aux inlassables chasses, aux pendus en partage, aplanis, rôdeurs soudoyés en ton centre…
    Puis ne parier tout à coup que sur l’improbable éclairage qui en plein jour séparera cette gangue, rire quel qu’en soit le prix, se dérober impérieusement, à leur insu apprendre les contrepoints, les glissades, les cadences froides, avancer des propositions masquées, introniser d’incommensurables distances, propager des épidémies plus imprévisibles que la respiration d’un géant, se faire complice de toute fuite, rêver activement d’une liberté qui ne s’arrêterait pas, pauvrement, à celle de tout autre, séduire nerf à nerf (oui, camarades, plus de fausses pudeurs, le dandysme, seul raccourci aujourd’hui vers ce jamais-à-venir qui, pourtant, en cette saison éthylique, nous effleura…), insinuer partout le poison de ses demi-teintes, exhiber sélectivement ses bleus, s’absenter (ralenti, riverain) comme ceux, substantiellement alliés, au coude à coude dans le noir, guettant âprement la traînée de lumière, les nouveaux trois coups, avancée de pantins, sillon de notre irréalité militante, complices au regard jamais engourdi, aux détours reconnus à la survivance de tels pâles signes à ne pas divulguer en ce lieu et cette heure…


    Moret-sur-Loing, 1966



    André Rougier
    D.R. Texte André Rougier

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  • Samba de Chegada

    Le billet de Nestor

    Le billet hebdomadaire de Nestor (30)






    Aura du matin, le vin et la fatigue te rendant d'un seul coup maître de tes muscles

    Image, G.AdC






    SAMBA DE CHEGADA




    * Tu
    vis d’aubes et de couchants, tu ne sais plus rien d’autre, parfois tu voudrais revenir. Ils t’ont presque effleuré sur ce trottoir futur, t’ont regardé comme ils te regardent tous, cherchant un autre par-delà ton ombre. Tu pourrais parler, effacer le temps. Mais dans quel but ? N’as-tu déjà ce que tu voulais ? Tu es Dieu, la même solitude, les mêmes brefs rachats, la même désespérance de ne pas être l’une de tes créatures, alors que tu te perds dans le scintillement et la ténèbre, histrion enseveli en terre faussement consacrée, feignant d’enfanter leurs trahisons et leurs murmures…


    * S’il te faut vraiment t’y fier, que ce soit à cette loi sans coupables, jamais achevée, mais déliée, souterraine ― ni somme, ni essaim, ni généalogie…


    * Laisse au temps le temps de s’en aller, aux lois de jouer, aux gestes de s’accomplir. Tout s’y moulera, s’y pliera, s’y vouera : le corps, ses limbes, ses égards, ses décours, l’espace, ses lumières, ses étendues, ses figures…
    For now, all paths lead into the darkness, that gift, that blessing of the giver…


    * Ô combien tien le regard distant, docilement fixe, s’écartant du pas qui pourrait l’éveiller…


    * Aura du matin, le vin et la fatigue te rendant d’un seul coup maître de tes muscles, de leur lucidité heureuse, de l’insomnie veillant sur les murmures et les musiques, les ombres enjôleuses dont le soleil irréfléchi multiplie les pépites, les veines, les filons te réprouvant, par eux trempées de rosées, de semences…


    * Toujours en toi, mais comme en avant, cette chose qui est là, jetant son dévolu sur ce que tu veux dire à l’heure même où tu le dis…


    * C’est en t’effaçant que tu reconnais dans tout langage la présence
    silencieuse, lacunaire, envasée qui, te protégeant, accomplit ce qu’il te faut ignorer
    pour la détruire…


    * « There is a land where everything is perfect and poisoneous, » voué au flâneur que je suis, l’œil disponible, l’âme délivrée des colères, des convoitises, pêcheur par omission seulement, à jamais délivré des passions de faire…


    * Tu aimes te souvenir des choses autant que les vivre, les vivre comme en sachant qu’elles ne sont jamais perdues, comme si les morts pouvaient arrêter un autre temps que le leur…


    * Dans ces premiers temps d’éveil, tu ne vis que parce que tu ne pouvais pas dire ce que tu voyais ; tu n’aurais rien vu si tu l’avais pu…


    * Tu écris de là où tu n’es pas, ou si peu… Ce que tu recopies n’est que obole, trêve, fuite, invite à regarder le jardin où inlassablement jouent les enfants qu’ils sont plutôt que ceux qu’ils furent.


    * T’immiscer dans leur nuit, nager dans leurs creux d’ombre : jambes couleur de terre, luisantes de sueur, polies par le saut, miel, café, tabac, sépia, cannelle, seins durs et pleins, libres, tendus, moelleux, corps jetés vers l’arrière, voguant vers l’avant, arabesques éblouissant tes yeux, les inventant : tous tes Brésils, les ruses, les danses, les vies…


    *Ni apparence, ni probité, dispersion sans allégeance, toujours confondue aux foulées, aux rechutes de sa plénitude…


    * Lueur pétrie, dispersée, vapeur des carrefours secouant tes sillages, l’errance où tu cesses de protéger ce qui ne te fut ni dot, ni demeure…


    * Qui tu frôlas pour mieux le déclore, durée idolâtre déjouant toute percée usurpée, toute fêlure, survol mutiné qu’aucune autorité n’élargit, ne révèle…


    * Rage qu’en ton sang tu méprises, fugues offusquant l’écheveau que
    les Parques une fois t’offrirent…


    * Tu n’as pas eu à attendre le retour de l’espiègle royaume qui n’avait jamais clos ses portes, t’effaçant, lisse condamnation soupesée…


    * Ô tremblement d’adieu qui toujours te gagne, te réconciliant avec la nef de miel sombre, avec l’épi des origines, avec cette nuit délicatement redurcie enfin ouvrant ses yeux sur l’automne, avec ces veilles si gorgées de temps que tout mot, peut-être, en quelque sorte les érige et invoque.



    André Rougier
    D.R. Texte André Rougier

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  • La cuisine des nécessités

    Le billet de Nestor

    Le billet hebdomadaire de Nestor (29)






    L'obscur n'a pas d'ennemis, des contradicteurs seulement. Il n'en est pas de même des lumières que l'on imagine.
    Ph., G.AdC






    LA CUISINE DES NÉCESSITÉS


    Tu sais où ils veulent en venir, ils veulent savoir où tu vas, pas
    seulement dans ta vie : dans tous les sens. Fais-leur un
    pénultième aveu : il n’y a pas de réalité. Il n’y a que de l’inertie,
    plusieurs ou une seule inertie ranimée, aussi sournoise que la photo
    qui transmue ce qu’elle « montre » au moment même où elle le fige…


    Illusion que de croire qu’en fuyant le destin d’autrui l’on bernera le sien.


    Ce que tu vis aujourd’hui creuse le temps jusqu’à la lie, te le
    rendant en ce présent nu comme le double sans fard qui en lui viendra
    se réunir, passé dépris, avenir lu.


    Les circonstances ont éparpillé les pièces, une main discrète a
    renversé l’échiquier… Que nul souffle ne vienne ternir le soir, ce
    ciel dépouillé, dur comme l’émail, les senteurs de jasmin et de cire
    chaude, l’air stérile, les reflets d’une lune tardive, le dôme nu, le
    silence…


    Ô feu des anciens jours, regard incliné vers qui détourne, se
    déployant comme renvoyé, comme amoindri, illégitime, guettant déjà la
    mue de l’homme qui danse, de cet enfant en nous qui jamais ne trahira
    ce qu’il aurait pu ne pas cesser d’être…


    Tu n’as rien oublié, mais n’es plus celui avec qui ils jouèrent,
    peau faite pour la caresse, la hâte, l’errance…


    Comme ils te haïssent d’avoir su t’habiter toi-même, de n’avoir
    concédé au devenir que de te conduire où de toujours tu te tenais…


    Rien ne vaut la rencontre, tout précède son dévoilement.


    S’attarder sur les petits ponts qui, comme des paupières, couvent le
    sommeil des canaux, passer au travers des façades qui t’épient d’un
    œil immobile, obstinément refermé sur lui-même, sur ce présent
    opalin, sans contrats, sans références.


    L’obscur n’a pas d’ennemis, des contradicteurs seulement. Il n’en est pas de même des lumières que l’on imagine.


    Tout doit s’effacer, tout s’effacera. Le reste est indécence des
    seuils, babil…

    Les choses ne sont-elles pas toujours disponibles quand tu les évoques
    pour les confronter, ne valent-elles pas ces ombres dont à la longue
    le cœur est devenu pour toi du lisse présent, sépulcre, sédiment
    loué, recul, bravade ?


    Comment ne pas arriver à être ceux que, désormais, nous serons pour
    toujours, passant d’une pénombre à l’autre, la course du soleil nous
    rendant à nos fourmilières ?


    Tous les hommes sont mortels, quelques-uns plus que d’autres.


    Reviens à cette parole ensablée, toi qui nous portes vers qui sans
    frein détourne, mesure de la rumeur, trop lente à celer, trop faible
    pour être tue, trop docile pour être contenue…


    Guérison dévoyée à moins tard, mordillant la claire douceur qui jamais
    ne se remit à un futur du temps…


    Comment croire, sans déchirer le chant des sirènes qui attachent en
    dérobant, que cela eut lieu, à jamais ?


    Secret du passage, dépossédant sans rien cacher…


    Le monde ? Lequel, le mien, le sien, le tien, les variantes, les
    mensonges, les déformations ? Ou, mieux encore, les herbes folles, le
    pissenlit recouvrant le gravier du sentier, miroirs qui rapetissent
    sans déformer la réalité toujours anachronique…


    Les retards ne t’avaient pas vieilli, seulement léché tes
    contradictions… Mais pas ces personnages qui s’apprêtent à se perdre
    dans des galeries que l’on sait sans issue, pas les propos, évanouis
    en cette phrase unique que tu ne sais plus répéter de tant la
    connaître, qui ne se peut abolir, que tu l’amendes ou la plies…


    Ô villes sans résidus, semblables aux images d’enfant, les pignons
    tordus, l’obscurité assourdissant le creux des psaumes…


    Face aux fourrés, aux odorantes frondaisons, c’étaient tes yeux, mais
    comme s’ils ne t’appartenaient plus, comme s’ils visaient déjà au-delà
    de l’horizon de ton vit dressé vers le ciel comme un sceptre,
    rassemblant d’un seul geste les nombres dispersés, la caverne
    imprécise où tout s’incurve, les lumières incertaines, le sens à peine
    connu ou, qui pis est, indifférent… Le profil depuis toujours
    familier, aiguisé encore par la mort, par les griefs passés, afflua
    dans tes veines, et les nuits offertes…


    Qu’avancent ces heures sonnant en tous lieux, délivrées des causes,
    des fileuses, des verriers, des sentinelles, des miracles…


    Brise la roue, si tu veux engendrer sans posséder qui tu engendres, la
    puissance qui arpente, qui jamais ne mésuse de ses griffes…




    André Rougier
    D.R. Texte André Rougier

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  • Ronces noires

    Le billet de Nestor

    Le billet hebdomadaire de Nestor (28)






    1. Qui nous d-livrera des issues- de cette heure- de cette ge-le
    Ph., G.AdC




    RONCES NOIRES


    Déni des sources trafiquées, de cette distance gorgée d’ombre qui refit de toi l’enfant que rien n’efface, dette, joug, pli des brèches, des tranchées, des filons, des archéologies, de ce qui élargit sans conspuer, enracine sans constituer, advient sans arracher, s’approprie sans juger…


    C’est l’éloignement qui déchire, pas ses phases, cet horizon qui accueille le Même comme surprise, jamais comme filiation…


    Ô feu des dispersions, infirme jeunesse, triple écho dedans les grottes de la torpeur, où l’on ne ferme pas l’œil, où l’on doit inventer à chaque pas le prodige du retour…


    Labeur prédit de se frayer passage, resserrement nourricier, amples foulées par grand vent, force du lien aux lieux sans tutelle où s’allège la parole…


    Le monde ? Lequel, le mien, le sien, le tien, les variantes, les mensonges, les déformations ? Ou, mieux encore, les herbes folles, le pissenlit recouvrant le gravier du sentier, miroirs rapetissant sans déformer une réalité toujours anachronique…


    Les retards ne t’avaient pas vieilli, seulement léché tes contradictions… Mais pas ces personnages qui s’apprêtent à se perdre dans des galeries que l’on sait sans issue, pas les propos, évanouis en cette phrase unique que tu ne sais plus répéter de tant la connaître, qui ne se peut abolir, que tu l’amendes ou la plies…


    Villes sans résidus, semblables aux images d’enfant, pignons tordus, obscurité assourdissant le creux des psaumes…


    Your eyes like tigers with no words written in them…


    Fuite qui dépense, précède, s’incurve dans l’illusion, ne dépensant que ce dont on lui fit don, assombrissant vos vains acharnements contre le lieu et les rapines…


    Qu’avancent ces heures sonnant en tous lieux, délivrées des causes, des fileuses, des verriers, des sentinelles, des miracles…


    Qui nous délivrera des issues, de cette heure, de cette geôle ?


    Que peuvent les désaveux face aux moissons, aux vieux orgueils, aux guerres semées ?


    Apprends qu’il n’y a ni détour ni intrigue qui sachent défaire de l’être les règles et les fissures…


    Fruit errant, poli par l’éclair, traqué par ces flammes qui jamais n’appauvrissent ni n’en dispersent les miettes, serties d’échos, de convoitises, d’ébauches du bond qui veille, scrute, ressasse…


    Désapprends ce qui lève à l’oubli, ce qui est ce qu’il est, sans devenir, sans filiation…


    Chemin taillé à même les pactes et les plaies , à même ce que tu sais et perds, à même la souillure…


    Brise la roue, si tu veux engendrer sans posséder qui tu engendres, la puissance qui arpente, qui jamais ne mésuse de ses griffes…


    Que redescende l’ombre qu’on peut blesser, la naissance comme retour, la mort comme intuition…


    L’Un toujours s’affronte au péril de se complaire dans tel avers, de s’y vautrer, s’y perdre…


    Ce qui jamais ne devient toujours EST.






    2  . Ce qui jamais ne devient toujours EST.
    Ph., G.AdC




    Se déprendre des dons, clore l’aveuglement, la durée idolâtre déjouant toute percée usurpée, toute fêlure…


    Il n’y a pas, n’y a jamais eu de sens dernier, de hiérarchie des envols, de métissage des présages…


    Essayer d’une autre façon cette fois, dénouer du jeu l’affût méridien, voir les choses comme qui est vu par elles…


    Loués soient les jours, les fils tissés malgré nous, loués le gué et le naufrage…


    C’est presque l’heure de dire le nom le plus obscur, tissé du détour redurci, des lentes pudeurs de cette stèle où l’enfant s’arrime aux feintes nuits des sables, la chose qui presque toujours s’échappe dans ce que nous écrivons ou aimons, glissant, tâtonnement voilé, vers la seule façon d’arpenter la lisière…




    André Rougier
    D.R. Texte André Rougier

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  • Les lois de l’hospitalité

    Le billet de Nestor

    Le billet hebdomadaire de Nestor (27)






    Patrizia2
    Image, G.AdC






    LES LOIS DE L’HOSPITALITÉ


    Enserrer du lointain le surgissement et la caresse, apprivoiser le flux en qui l’apaise, érige demeure, vain fil d’Ariane, arc de l’écart, ne te ployant jamais entièrement…


    Passe gravie en ce brasier qui n’abîme pas l’offrande, ne rétrécit pas l’envol, ne perfore de l’opaque distance que le jeu qui l’enfreint, ne te tourmente plus en interrogeant qui en soi ne s’assujettit plus aux réponses…


    Ton savoir dérobé aux feux et aux levains, tu l’expies lentement, en route vers le pays obscur, livrant enfin combat à la tentation inique, à ce leurre qui fait qu’on est à soi-même mystère…


    Ô premières timidités, le sommeil te séquestrant, onctueusement, élargissant ta tutelle sur les présages et l’ombre dépensière…


    Ta parole ne porte pas secours, on n’y vient que pour convoquer l’autre dans l’antre du Même, en son réveil, en son recours, soie oublieuse enfin abritée dans la blessure de son guet …


    Retour sous la semence qui désempare et émancipe, cheminant sur les traces de l’issue, silence espiègle, imposture où tes plaies s’oublient, déchue captive qui ne blesse, n’élit ni n’affermit qu’à ton insu…


    Ô passante que rien n’égare, épiant le bond qui t’annonce, qui te détisse et t’accompagne, jamais obstacle, toujours ferment….


    Quelle parole pour discerner la chair du masque, la trace de sa pesée ?…


    Double repli, des lieux comme des vertiges, envol repeint, suturé à l’énigme du réel comme le pendu à sa corde…


    Ni don ni engendrement, mais ce qui se dérobe en t’égarant, qui se rassemble en t’effaçant, horizons si indûment dépensés qu’il ne se peuvent corrompre…


    Enrichis-toi de l’acte, fais-toi complice de qui t’ignore, dénude tes vues, foule la nuit comme l’effroi d’autrui, purgé du dehors, de ses faces toujours scellées, toujours offertes, du jeu clos sur lui-même, sourd aux suppliques comme aux scintillements…


    Comment ôter de l’heure que tu forges celle qui fut, soudain effarouchée, fantôme venant s’écorcher aux volutes, aux pignons, aux escouades pénitentes ?…


    Ô vérité furtivement saisie : qu’il ne faut résister ni consentir, mais glisser en suspens entre les deux, immobile dans la hâte et la lenteur…


    Que son nid te serre, corps étendu en son midi paresseux, en son désordre, en son naufrage, où la douleur, telle l’ombre qui mord en reculant, accroît infiniment la chute moulue des feux…


    Ceux qui vinrent tuer, accourus à la gorge de l’écho, au miroitant abandon qui change les corps en sable, le pas du dragon nocturne en masque, comme pour y atteindre les même conviés…


    Ombre défaite dans l’if de ses tournoiements, roulant ses feux intacts, croisée aveugle, repue de qui sera, des cernes fendillées, de leur lenteur sournoise, de ces peaux qui sentent le réveil, la verdeur, l’empoignade…


    Clôture, gris arrondi comme les basses cendres du camp des loutres, qui prépare l’adolescent courant sur les terrasses incendiées aux mygales d’hiver, aux récoltes retardées, aux os froids tirant au bal des cimes…


    Fuir la soif sableuse, l’aveugle enceinte où l’enfant marche sur les éboulis de la braise, récusant la pâture, abolissant les cohortes accroupies…


    Nous n’avions, c’est vrai, jamais parlé de cela, leurs scories aujourd’hui nous exhaussent aussi crûment qu’alors les vérités, temps secret, plus limpide et menaçant à la fois, lent à mesurer, se passant de formes et de formules…


    Convier autrui en ma demeure, y accueillir l’autre comme Autre, c’est obéir au devoir d’hospitalité qui tout vaut, sauf déminage des issues de ce lieu qui plus jamais ne sera du Même…


    Tout n’est qu’à peine apparence, rien n’est à peine probité, dispersion allégée toujours confondue aux foulées, aux rechutes de leur plénitude…




    André Rougier
    D.R. Texte André Rougier

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  • Ouroboros

    Le billet de Nestor

    Le billet hebdomadaire de Nestor (26)






    Sourire d-pec- - l-arme blanche
    Ph., G.AdC





    OUROBOROS




          Pal des néons désaltérant les pupilles, comme à regret, la préhistoire du froid se laisse exhumer, les sillons grésillent, dans la rougeur de sa couche la gueuse lentement ajuste ses bas de soie, l’ordre règne sur les coupoles des villes pâles, sangs juste séchés, seuils et pitances, souches et levées, le sens de l’Histoire et le sexe des anges servent de prétextes toujours indécidables…


    Déferlantes rances, rides et rites, brûlures, trafics, persévérance de rouilles, griffures d’essors, bâillements androgynes, l’aube lourde de crues se fait plaisir toute seule, tu danses sous le profil intact des Flagellants, now is forever, d’ailleurs tu n’iras pas, tu n’iras plus, laquelle des figures de leurs retours l’emportera , tu t’en moques, sourire dépecé à l’arme blanche, poignets alanguis sous le sort, sillages à cracher sur l’anathème, ou ses contraires, il neige déjà sur la dernière des attitudes, toutes les bavures du monde n’y feront rien, puisque toujours tu y es, avec le mutisme de tes délits, l’autodafé de tes transhumances, devant ces foules sans regard presque, enfin laissant faire les gestes las, l’écran qui se farde, les nuits mordues aux lèvres jusqu’au blanc, jouissant des trêves, des soudures, des plis de cire, loin, si loin de leurs déserts licites, les parois tremblent, le crime parfait enfin rôde sous les cernes, demain n’est plus que l’urgence de cette proximité à marteler, fauconnerie d’haleines buissonnières, égarement de l’eau sous l’Image…


    Chaque fois que tu y goûtes, tu te dis que c’est comme si on sut qu’il fallait couronner tout ce qui en cette heure te condamna, puis retourner le gant… Ce qui te fut volé ira vers qui blesse, parfums d’arrière-garde, bris des saisons en leurs volières, voisinage de jasmin, de branches sèches… Toi, tu fermes les yeux, coules en toi, aiguises à ta propre obscurité ces leurres lucides, tends la corde du jour dessaisi comme un arc pour toucher l’avenir et l’entraver ; mais il n’y a pas de cible, rien en face à couper, ébranler, tout croule comme cette ville de sable au premier assaut de la pénombre, non pour s’y dissoudre, mais pour rejoindre cet océan qui s’appesantit sur ce qu’en vain ils baptisèrent…


    L’enfance enténébrée s’efforce à ressembler aux fruits d’hier, redurcis ― dès que s’égare en nous cette forêt qui soudain croise ses arbres, rancune des poings serrés, silence aux nus pieds, neige entravée, parole jamais dite…


    Le grand miroir tressé d’air guérit tes dieux du sommeil, du fiel et du fruit, de l’attente et de ses escortes, guettant les Tartares, démêlant l’heure, sachant déjà qu’il nous faudra hériter, recommencer…


    L’incernable, à portée de vue. Des chiens fous lapident ta taille. La dispersion tangue. L’essaim haletant brûle les langues jusqu’à l’aigu. Les rafales se terrent. Les mandibules élaguent l’essor à vif. Dans la lumière pénitente, les crues s’amassent lentement, n’espèrent que cette récolte à flanc de nuit, ses scories, puis rien. Personne qui veuille du regain qui accueille et détourne, dedans le don des poignets. La peur a changé de camp. Les Jeunes ne reprendront plus la besogne. Tu les regardes tarir un à un, sachant qu’on ne part pas, séparé par le seul enclos aux figures éteintes.


    L’insomnie tourne. La rétine coupe la décharge, s’achève dedans l’acide. L’embuscade de l’enjeu ne se presse plus aux vitres. Les maladresses sans traits bifurquent aux revers du soir. Sous le double éclairage, les parodies rutilent, le venin étend son emprise, tout est prêt pour l’Autre. Loin des gestes qui, de partout, investissent tes villes, le mal gravir, en ces proximités du vent rare,


    à qui le silence, même acéré, ne fait rien.


    Le monde n’est plus libre de te reprendre. Pas même l’argile absente, que l’on disait à ta place ressurgie, au lieu du secret. Tout est jouet. Tout, même cette dépouille préfigurant, souveraine, leur mélange.


    Elles ne te déploient jamais. Leurs nuques assourdies n’ourdissent aucune bruine. Par les rues sans traces, seuls leurs gestes sûrs recomposent l’heure voilée. Nul défi. L’ensablement suffira pour que, léché par leur chaleur, peuplant chacun de leurs vestiges, tu guettes au soir, tapie aux faîtes des hautes braises, la Proposition fabuleuse.


    Les roues, si loin déjà, libres infiniment. Le guet s’est refermé sur toi sans bruit, avec l’agilité de la foudre dissoute. Celle qui t’a recueilli ne paraît plus. Tu t’es tu en elle, en son orée cabrée, aride. Mais de trop loin, trop longtemps, peut-être.
    Et si tu restes, c’est de ne même plus savoir qui t’enchaîne à cet inaltérable territoire où, très lentement, de déboisements en accalmies, tu te dépeuples.



    André Rougier
    D.R. Texte André Rougier

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  • Forever young

    Le billet de Nestor

    Le billet hebdomadaire de Nestor (25)





    quelque chose qui durait sans être, où tout persévérait, mais différent, du vent, de l'eau, de l'espace toujours plus clair

    Ph., G.AdC





    FOREVER YOUNG



    Qu’on te rende le vacarme multiplié de l’affût, l’archer et ses
    amulettes, là où rien n’avilit, mais accompagne, saisie de l’araignée
    dans sa transparence…


    Tu pouvais désormais t’éloigner sans dévoyer ou trahir des rites, te
    souvenir sans soumission de tout, la fraîcheur sombre, le pli déclos
    lové en ces temps enfin à part, une distance creuse, quelques habitués
    jouant aux cartes, trois enfants avec un chien, une vieille femme près
    du kiosque à journaux, toutes choses comme hors du temps, de cette
    lumière qui s’aplatit et égare…


    Ce qui EST ne se peut rebâtir, seulement avouer.


    Oublie l’immortalité qu’on te dénie, celle qu’engendrent les enfants
    et les enfants des enfants, pressentant le théâtre de ton séjour
    bientôt forclos, la tension engourdie qui dépossède, mais préserve,
    qui seule rend révocables les décisions que requiert le fardeau que tu
    portes…


    Que les vipères s’écartent de nos jeux, de l’allégeance et du don,
    desserrent l’alliance, là où tout est lumière, sans objets…


    Ce fut plutôt comme te tourner le dos, prétexter soudain qu’il était
    tard, qu’il fallait partir, chacun s’en allant de son côté avec le
    désir d’oublier jusqu’à ce que tout soit consommé tout en sachant
    qu’il n’en serait jamais ainsi…


    Une seule marée sans paroles, une immobilité comme ce futur aux
    aguets, quelque chose qui durait sans être, où tout persévérait, mais
    différent, du vent, de l’eau, de l’espace toujours plus clair, ce
    silence qui était lumière, solitude rêche ou les deux à la fois, le
    sable effleuré et c’était toi, cette chose sans repère, sans la
    moindre trace du souvenir qui coupe et tance.


    Tu as ce que tu as toujours eu : maintenant tu sais en jouir…


    On peut être hanté par le remords toute sa vie, non d’avoir choisi
    l’erreur, dont on peut se repentir, mais de n’avoir pas su se prouver
    à soi-même qu’on ne l’aurait pas choisie.


    Tu n’as pas peur. La peur exige des réponses.


    Quand tu repenses au passé, rassemble les fragments qui ne savent plus
    grand-chose de tel ou tel soir que tu n’eus aucun mal à débaptiser,
    dessinant à nouveau cette cage d’escalier autour de ton enfance, la
    détournant, la cajolant, tu te dis que peut-être faut-il, au préjudice
    du monde, n’y voir qu’une sorte de fête pour l’amusement de qui l’a
    mise en scène, les créanciers, les maquignons…


    Leurs voix ne se confondent plus avec celles que tu gardas dans mon
    souvenir, durcies en ornements, toutes entières dans cette histoire
    dont tu t’es exclu…


    Ô fuites pliées à ton aune, lentement, puisque toute chose n’est que
    de qui sait en jouer…


    Tout porte au Lieu, même et surtout l’errance ― son ascèse.




    André Rougier
    D.R. Texte André Rougier

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  • Rhapsody in black

    Le billet de Nestor

    Le billet hebdomadaire de Nestor (24)





    Je r-ve d-une mort qui -choue


    Ph., G.AdC







    RHAPSODY IN BLACK





        Je rêve d’une mort subtile, d’une mort camouflée, que le dernier sursaut des masques travestisse en extase ou en rire.

        Je rêve d’une mort qui s’ignore, innocente et sournoise, du couteau au détour des ruelles, de la balle perdue qui me préserve jusqu’au bout de l’horreur du choix.

        Je rêve d’une mort anonyme, effacée, opaque à force d’ourdir ses raisons, ou n’en ayant pas, qui, ne justifiant et n’achevant rien, sauverait le secret qui, peut-être, n’existe même pas hors d’elle…

        Je rêve d’une mort qui échoue, comme tout doit échouer, sauf l’amitié qui, n’exigeant rien, se plaît à encore et toujours offrir, dans cette discrétion qui tant lui ressemble…



        Quelquefois, l’on se souvient, ou l’on rêve : de cette adolescence savante, de celui qui au sortir d’elle, revenu de tant, faisant déjà corps avec sa dépouille, traverse seul la trouée vers la promesse des bateaux.



        La nuit, dans la confusion des moments de la spirale, celle qu’on ne peuple pas, qui renverse et bannit jusqu’à la nudité de tout…

        Vienne celle qui marque à l’épaule la fin de l’attente, celle, de tous avènements, qui, d’une overdose savante, extermine lentement, sous mes yeux, l’« à-venir », ses pièges, ses ruses, ses créatures.

        Reprenne celle (la même ?) où je suis en paix car, les livres écrits, les femmes effleurées, le monde clos, je peux enfin couler à pic sans que la conscience du gâchis m’empêche de savourer les délices de la noyade.

        La nuit, « pas de détails, tout dans les yeux », celle d’une mer sans surface où tu es qui tu es, non pas de m’écouter la dire, mais de tout savoir à l’avance, à l’orée de la grande commune dissémination.



        Quelle fête encore à épuiser, attentif et distant, innombrable et ramassé, ouvert et séparé infiniment, avec, dans le repos des lèvres, comme un dernier sourire ?

        Plus la peine d’« expliquer » : ta présence inlassable, la discrétion de cette parole interrompue dont nous ignorons tout mais dont, déjà, nous accomplissons les rites…

        Ne rien édifier, que nous soyons ou non au monde.

        Exiger des soubresauts même qu’ils soient provisoires.

        S’éloigner sans parcourir, en une seule fois, silencieux déjà de tous les bruits, sans tromper avec l’autre versant l’assonance, sans un regard pour qui ne précède.



        « Le long du mur du cimetière, les grandes herbes se moquent de la prison maritime ».

        Tout comme ce droit d’être hors d’attente, ce visage de quinze ans, aveuglant, en qui ne persévère que l’impassibilité blanche qui ratifie tout d’avance…



    André Rougier
    D.R. Texte André Rougier

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