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  • Catherine Weinzaepflen, Le Rrawrr des corbeaux

    par Angèle Paoli

    Catherine Weinzaepflen, Le Rrawrr des corbeaux,
    éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2018.



    Lecture d’Angèle Paoli




    « J’ATTENDRAI / LE TEMPS D’USURE / D’UN SAVON À L’AMBRE »



    De Sydney à Paris, Catherine Weinzaepflen écrit. Qu’elle soit en Australie, en France ou ailleurs, les livres ne la quittent pas. L’écriture non plus. Son dernier ouvrage en date est une suite de poèmes rassemblés sous le titre Le Rrawrr des corbeaux. En tout, 66 poèmes numérotés (en lettres majuscules et sans traits d’union entre les numéraux composés) auxquels viennent s’ajouter douze autres textes non numérotés, lesquels se glissent entre les pages. Étrange composition. Étrange contrepoint. Qui interroge et qui engendre une lecture à double entrée. La première en suivant, page après page, l’ordre d’occurrence des textes dans la suite composée par la poète. La seconde en récurrence, en commençant par la fin de l’ouvrage, c’est-à dire en consultant les deux ultimes pages portant l’intitulé :

    « Catherine Weinzaepflen avec : »

    Suit une liste de noms de poètes, écrivains et artistes, connus ou non du lecteur, chacun mis en correspondance avec un ou parfois plusieurs nombres. À partir de cette « table » d’un genre particulier tout s’éclaire. Le lecteur comprend que chaque poème s’inscrit dans un dialogue de la poète avec l’autre, lequel est quelquefois nommé dans le poème (Walt Whitman, Tim Winton, Reznikoff) ou dont on peut aussi saisir la présence à travers mots ou initiales (M.D.). L’autre : un tremplin pour l’écriture.

    L’écrivain ne part jamais de rien et l’écriture qui est la sienne se fait in praesentia des autres ; même si cette présence — et c’est ici le cas — semble partiellement cryptée pour le lecteur. La voix de Catherine Weinzaepflen entre en symbiose avec la voix de ceux ou de celles qui sont convoqués sur la scène d’écriture du livre. Jusqu’à se confondre. Parfois certains signes — titres, citations et initiales, allusions explicites — facilitent l’identification de l’autre. Ainsi du poème CINQUANTE QUATRE :

    « j’écoutais ce matin

    la voix de M.D.

    ici à Sydney

    la lumière d’un jour

    d’hiver ensoleillé

    Marguerite balayant ainsi

    une nuit de cauchemars

    […]

    il y a des tas de régions

    en toi

    qui se mettent à nu,

    disait-elle à son acteur

    et j’aime qu’elle dise région »

    Mais ce n’est pas toujours le cas. Il arrive que le poème ne se livre pas. Il garde alors son entier mystère. Quant à la poète, elle entre en symbiose avec les auteurs poètes et artistes qu’elle affectionne et qui structurent de longue date sa vie intellectuelle. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, d’une composition métissée, tableau ou suite narrative dans laquelle Catherine Weizaepflen se dévoile en dévoilant ses propres goûts littéraires, artistiques ainsi que sa sensibilité politique. Dominent dans ce panorama qu’elle nous offre de son arrière-pays culturel les auteurs australiens et anglo-saxons. Artistes et auteurs français sont aussi bien représentés. Je m’étonne de la présence solitaire de l’Allemand Friedrich Hölderlin, de celle, singulière, de la Japonaise Sei Shônagon. Et je remarque le trio italien représenté par Andrea Zanzotto, Erri De Luca et Dante Alighieri. Je ne suis cependant pas surprise de l’absence de la poète allemande Ingeborg Bachmann. Qui a déjà fait à elle seule l’objet de tout un ouvrage, intitulé Avec Ingeborg. Il est donc possible d’imaginer que Le Rrawrr des corbeaux est un prolongement de ce précédent ouvrage.

    Le titre de cette suite a de quoi inquiéter. Les corbeaux sont désignés par leur cri, « le rrawrr », onomatopée brute, sauvage (raw) et noire qui insiste sur le roulement des « r » et contient en miroir le mot war. Dès la première page (UN), la présence inquiétante des oiseaux est avérée. En nombre : « les corbeaux prolifèrent ».

    Les corbeaux se manifestent aussi dans les poèmes. Mais par intermittence. Annonciateurs de mort. Ils surgissent au travers des violences, dont les injustices et les désespoirs préparent le terrain. Ainsi du poème HUIT qui prend appui sur la colère de Jean-Jacques Viton :

    « les expulseurs les banquiers les politiques

    ça suffit maintenant ça suffit »

    et la poète d’enchaîner avec ses mots :

    « back home

    loin du Pacifique

    loin du bush aux fleurs minuscules

    le bush peuplé de mille oiseaux

    j’entends la voix de mon ami

    sa formidable colère

    ils disent nouveau gouvernement

    et je pense Fuck off

    alors où comment

    une autre vie

    tout est si désespéré mon ami »

    Viennent les attentats et les guerres. Gaza 2014 où « les enfants meurent déchiquetés / par les bombes ». Ou encore, en ONZE (Frank Smith), les strophes qui s’agencent autour de l’attentat du 7.01.2015 :

    « la scène qui annihile toute pensée :

    dans une pièce de 25 m2

    l’assassinat de 10 personnes

    à l’arme de guerre »

    Pour Catherine Weinzaepflen

    « la date retenue

    sera le 11.01.2015

    un million de personnes dans la rue… »

    La poésie de Catherine Weinzaepflen s’empare de ce qui fait le quotidien de C.W., où domine l’anglais, et celui des personnes avec qui elle fraternise. Celle-ci évoque ce quotidien sans pathos, soucieuse de coller au plus près au réel et de ne pas le perturber par ses propres réactions. Ainsi du poème SIX (qui ne fait référence ni allusion à aucun poète ou artiste) qui brosse dans un décor de guerre, de manière sèche et concise, une scène d’intimidation au pistolet, de mise en joue vécue en direct par la poète :

    « nuit

    ville en ruine

    noir

    tout est noir

    jellabas noires

    visages noirs

    les tueurs patrouillent

    […]

    deux tient un pistolet

    dans chaque main

    […]

    soudain des cris

    une agitation

    les tueurs partent en courant

    nous ne sommes pas morts »

    D’autres cruautés surgissent au détour d’une page. Ainsi de cette scène d’émasculation en Inde d’enfants offerts à la Divinité :

    « le médecin

    muni de machettes

    émascule le jeune garçon

    l’aura fait manger et dormir

    avant de le castrer »

    [DIX HUIT, Roberto Bolaño]

    L’économie des notations et l’absence de lyrisme qui caractérisent l’écriture de Catherine Weinzaepflen ne sont cependant pas synonymes de froideur. Ici ou là transparaît la trace d’une émotion. Souvent en lien avec le rêve. Ainsi d’Anna Torres dont, en DIX SEPT, elle clôt l’évocation par ces mots :

    « elle s’est tuée un jour d’août

    pendue

    je rêve parfois d’elle ».

    De même dans le poème TROIS, consacré à Sylvia Plath qui se conclut ainsi :

    « de mon côté

    dans la nuit noire sans lune de Sydney

    je caresse le souvenir d’eux »

    Eux : Sylvia / Assia (seconde épouse de Ted Hughes) / Shura (demi-sœur de Frieda qu’Assia tua avec elle / Nicholas, fils de Sylvia.

    Ailleurs, dans les poèmes qui ne renvoient à aucun artiste ou écrivain particulier, la poète évoque sa jeunesse. Ainsi du poème SOIXANTE TROIS. Un brin de nostalgie transparaît, lisible grâce à la disposition des mots sur la page :

    « nous étions jeunes

    et nous nous aimions

         follement

    […]

    mes plus belles années ?

    (pensée excessive sûrement) »

    Si les corbeaux, quelle que soit la forme que prend leur présence, sont à l’œuvre dans la poésie de Catherine Weinzaepflen, il demeure quelques trouées de lumière : « une sauterelle / venue d’on ne sait où » ; la « perfection d’un matin d’été ».

    Et ces quatre vers qui se détachent de DIX :

    « la pureté du matin

    un monde simple

    terrasse blanche

    sous un toit de canisses ».

    Ainsi, au milieu de tragédies devenues la norme, le bonheur se manifeste-t-il encore parfois, ténu mais présent malgré tout :

    « le bonheur

    advient

    par bribes ».

    Et la poète de conclure sa suite poétique par cet aveu singulier et intime :

    « j’attendrai

    le temps d’usure

    d’un savon à l’ambre ».

    Trois vers qui à eux seuls suffisent à susciter le désir d’une relecture.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Catherine Weinzaepflen  Le Rrawrr des corbeaux




    CATHERINE WEINZAEPFLEN


    Catherine Weinzaepflen
    Source




    ■ Catherine Weinzaepflen
    sur Terres de femmes


    Huit [avec Jean-Jacques Viton](extrait du Rrawrr des corbeaux)
    Avec Ingeborg (lecture d’AP)
    Celle-là (lecture d’AP)
    L’Odeur d’un père (lecture d’AP)
    [Quand j’ai onze ans] (extrait de L’Odeur d’un père)
    8 juillet 1593 | Naissance d’Artemisia Gentileschi (+ un extrait du roman Orpiment de Catherine Weinzaepflen)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    la terre est ronde




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site du cipM)
    une page bio-bibliographique sur Catherine Weinzaepflen (+ deux extraits d’archives sonores)
    → (sur le site des éditions Flammarion)
    la fiche de l’éditeur sur Le Rrawrr des corbeaux





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  • Emmanuel Merle, Tourbe

    par Angèle Paoli

    Emmanuel Merle, Tourbe,
    éditions Alidades, Collection Création, 2018.



    Lecture d’Angèle Paoli




    « IL Y A AUSSI UNE BARQUE »



    Si le titre monosyllabique Tourbe ne laisse rien pressentir de l’univers vers lequel veut nous conduire Emmanuel Merle, l’exergue, lui, est plus explicite. Empruntés au prix Nobel de poésie Seamus Heaney, les trois vers de Creuser qui le composent, évoquent « la terre remuée » et « la tourbe détrempée » d’un paysage auquel le poète irlandais nous a accoutumés.

    Composé de trois volets, le recueil d’Emmanuel Merle forme un triptyque. C’est d’abord « La longue marche », lente composition poétique en italiques qui inscrit le poème dans le passé ; vient ensuite le volet intermédiaire « L’île des morts », poème onirique. Intitulé « Reste la terre », le troisième volet inscrit le poète dans le temps présent de son voyage.

    Quelques lignes d’ouverture situent le contexte historique dans lequel s’inscrit Tourbe. La grande famine qui a meurtri l’Irlande du XIXe siècle et l’exode qui s’est ensuivi. Il reste, là-bas, de la longue marche tragique, une stèle en pierre en forme de croix. Les mots choisis par le poète pour évoquer cette tragédie de l’autre siècle éveillent en nous, lecteurs, comme un écho en demi-teinte, les images des tragédies d’aujourd’hui, non pas encore réduites à l’état de souvenirs incertains, mais terriblement vivantes, brûlantes et angoissantes. Longues errances de populations affamées, malmenées, épuisées. Ainsi, d’une époque à une autre se perpétuent les exils, qui jalonnent l’histoire en files interminables de morts anonymes. Seuls diffèrent les cieux et les eaux. Dans la lointaine Irlande, les eaux miroitantes du lac Doo Lough, dans le comté de Mayo, gardent en mémoire les noms de ceux qui périrent affamés sur ses rives.

    La longue marche, telle que l’évoque le poète, s’inscrit sur « l’horizon ». Et l’horizon se décline avec le temps. Ensemble ils tissent un décor « déjà peint », une trame d’où surgissent parfois les oiseaux. C’est au commencement, dans quelque chose comme « un avant-dire ». Dans cet espace pourrait s’instaurer un dialogue. C’est aussi dans cet espace qu’apparaît soudain un « Je ». Ce « je » anonymisé a pourtant une histoire. Un passé et un père. C’est avec ce « je » que débute la marche. « Je pars » / « Je rejoins ». Il entraîne à ses côtés d’autres hommes :

    « Nous partons le dos à la nuit, drossés

    vers l’ouest ».

    Partir, c’est se départir de. Se défaire de. Et laisser derrière soi. C’est abandonner une part de soi et ne garder que l’essentiel.

    « Je pars sans emporter la terre,

    juste le bruit sourd des coups de pioche,

    la rugosité de la pelle sur les pierres. »

    Ne rien emporter. Se défaire. Peut-être pour ne pas alourdir la marche, peut-être aussi pour garder l’esprit en éveil. Pour permettre au marcheur d’accueillir ce que le monde recèle de part secrète, sa rumeur invisible, cachée dans les arbres ; son clignotement d’étoiles « froides » :

    « …et nous sommes partis,

    attentifs aux esprits des pierres

    et des arbres croisés. »

    Le temps rythme la marche et l’accompagne. Vient d’abord le temps cosmique, comme celui de la Genèse. Puis s’instaure un ordre. Il y a un avant, il y a un après. Un seuil qu’il faut franchir, espace et temps. Le seuil est délimité par la « porte cochère ». D’un côté la « cour intérieure », de l’autre « l’autre monde », « la terre foraine ». « Je passe la porte cochère » et le monde qui surgit est « une plaine désarbrée », plantée de « pierres échevelées ». Peut-être des humains que l’histoire a figés dans la terre. Avec le départ et l’exil, il a fallu abandonner son nom :

    « Nous sommes partis,

    nos noms sont restés en arrière ».

    Quelque chose de poignant étreint, qui suit le lecteur dans sa propre pérégrination à travers le poème. Dans la simplicité naturelle des notations qui en précisent les contours, le poème déroule sous nos yeux ses étapes. Le voyage s’étire jusqu’au soir, dans l’obscurité du ciel et de la Terre, avec ses attentes, ses visages, ses lucioles. Le monde se réduit à un tremblé de sensations, «  filament tiède », « chuchotis d’insectes ». Pourtant les corps sont lourds et recrus de fatigue. Et les morts jalonnent la route. La montagne soudain s’anime. Dans son humanité, elle accueille la solitude du marcheur. Son empathie avec lui passe par le langage. De leur connivence naît la définition de ce qui se joue dans ce déplacement éprouvant et dans ce qui se joue ici, dans le récit poétique qui le narre :

    « C’est une longue phrase, ta marche,

    Un mantra sur la roche gravée, sur les os

    brisés qui fouillent l’air

    et demandent ton nom. »

    Est-ce toujours du marcheur anonyme qu’il est question ou bien du poète lui-même, absorbé à son tour dans cet anonymat et dans ses interrogations ?

    Plus loin, plus avant dans le poème, surviennent les enfants tout à leurs jeux « au rebord des ravins. » Plus loin encore « un chien de rencontre » fait son apparition. Mais la marche devient fuite. Dérive des hommes peuplée d’inquiétude. Il faut poursuivre et peut-être laisser un peu de part au rêve. Par trois fois convoqué :

    « Nous irons encore au bois,

    le vrai lieu, le seul, habillé par l’enfance

    et par l’être du monde

    […]

    Nous irons au bois, je le promets

    […]

    Nous irons au bois vibrant. »

    L’enfance ? C’est dans le regard que l’on porte sur elle que se trouve la réponse à l’exil. C’est peut-être en elle qu’il faut puiser pour résister à l’enlisement. Car les « terres gastes et veuves » guettent le marcheur, prêtes à l’engloutir s’il n’y prend garde :

    « Marcher n’est rien, mais s’enfoncer.

    La terre baveuse suce tes chevilles

    tu es là où tu ne dois pas être. »

    Est-ce toujours du marcheur anonyme qu’il est question ici ou bien du poète lui-même qui l’a rejoint dans son exil ? Ou bien de chacun de nous ? Réduit à des « ombres passantes », vidées de leur être et de leurs affects ?

    « Je n’appartiens plus qu’à mon pas », confie le marcheur.

    Au terme de cette « longue marche » poétique, émouvante et belle, presque lancinante tant elle habite la lecture, le marcheur —  mais est-ce encore lui — parvient à « L’île des morts. » On pense bien sûr tout aussitôt à Arnold Böcklin, à la barque lente qui fend l’eau froide, au rivage sombre qui se rapproche. On entre dans le monde onirique dans lequel coexistent dans un temps très resserré des actions contraires. Comme dans ces tercets : « La pâte visqueuse… ralentit mon pas » … / « la barque des mots s’enfonce… j’écope ».

    Le poème qui constitue cette seconde partie est d’une facture toute différente. Avec la disparition des italiques, des majuscules et de la ponctuation, toute forme de lyrisme s’est estompée. Strophes et vers sont brefs — parfois réduits à un seul mot. Mise à part une strophe de six vers, le poème déroule ses tercets avec des termes en échos au volet précédent. Le sol est bien cette « pâte visqueuse, spongieuse » dans laquelle la barque s’englue. « Tourbe » et « pourriture », « succion » et « embourbement » caractérisent encore la terre insulaire. Mais la mort accompagne désormais le marcheur, pris entre dérive de l’île, cercueil et linceul. La mort de l’île elle-même est proche, qui bascule dans l’errance. La vision funèbre gagne qui enveloppe tout de sa présence. Elle se précise avec son lot de formes inquiétantes noyées dans un paysage de brume tourbeuse qui envahit jusqu’au corps du voyageur :

    « mon corps est tourbeux

    gonflé des serpents

    ont remplacé mes entrailles

    mes os de balsa humide

    se désagrègent ».

    Que reste-t-il au terme de l’errance ? « Reste la terre », troisième et dernier volet du recueil. Une terre aux noms étranges qui en évoquent d’autres plus anciens, comme flottants dans la mémoire. Achill, Aran. « Moher, Troie éternelle ».

    Est-ce toujours la terre d’Irlande ? Les frontières se brouillent. Dans les cieux se mélangent horizons et cultures. Ainsi dans ces deux vers :

    « On dirait le royaume des morts, le septentrion

    d’un Ulysse égaré, waste land sans paroles. »

    Outre le patronyme de T.S. Eliot, d’autres noms plus conformes à la langue celtique nous confirment que oui, c’est bien de l’Irlande qu’il s’agit. Le poète déambule d’une région à l’autre, d’une île à l’autre, présent au ciel qui l’emplit et qui pourrait devenir sien :

    « Le ciel d’Irlande, enroché par endroits,

    où tu pourrais habiter la lumière… ».

    Il voyage à travers temps et espace, renoue avec la vie, la sienne et celle de tous ceux qui ont bataillé sur ces terres rugueuses. Bordées de falaises noires battues par les vagues et hérissées de tours. C’est l’Irlande du poète qui reprend pied dans la glèbe sombre et reprend souffle avec l’espace. Les strophes se suivent qui deviennent plus amples. Le poème respire.

    « C’est l’aube du monde ».

    Et c’est toujours la même terre gorgée d’eau et de silence. Peuplée d’idéogrammes gravés dans les pierres. « Que reste-t-il ? » Un « avant-paysage » qui glisse ses couleurs entre le poète et sa langue. Un très beau poème qui se clôt sobrement et mystérieusement sur ces quelques mots :

    « Il y a aussi une barque ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Emmanuel Merle  Tourbes 4






    EMMANUEL MERLE


    Vignette Emmanuel Merle






    ■ Emmanuel Merle
    sur Terres de femmes


    [Il n’y a plus d’arbres] (extrait de Tourbe)
    Sylvie Fabre G. | Une terre commune, deux voyages (chronique de Sylvie Fabre G. sur Tourbe)
    Amère Indienne
    [Cape Cod]
    Le Chien de Goya (lecture d’AP)
    Cet ancien lieu (poème extrait de Démembrements)
    Démembrements (lecture d’AP)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’AP)
    [Le rouge] (extrait de Dernières paroles de Perceval)
    Ici en exil (lecture de Sylvie Fabre G.)
    ils attendent ce qui (extraits du Grand Rassemblement)
    Migrant (extrait d’Habiter l’arbre)
    [Je me discerne davantage dans le miroir de la couleur](extrait des Mots du peintre)
    [Ramper sur la glace](extrait de Nord, seul point cardinal)
    [Tout est matière, sauf ma décision] (extrait d’Olan)
    [Une promesse, dis-tu]
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | [Jour de pluie ici aussi]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Emmanuel Merle





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  • Sanda Voïca, Trajectoire déroutée

    par Murielle Compère-Demarcy

    Sanda Voïca, Trajectoire déroutée,
    éditions LansKine, 2018.



    Lecture de Murielle Compère-Demarcy




    Dans les poèmes de Sanda Voïca résonne — irrévocablement, « asymptotiquement » — une Voix. Voïca Sanda : vox poetica.

    Les mots surgissent, points asymptotiques vers la courbe inaccessible. Résurgence d’une douleur intérieure submergeant la mère-poète en 2015 à la perte de sa jeune fille de 21 ans. Mère-poète écrivant son chaos finalement (heureusement pour nous), hors du lit du silence-sirène qui tend souvent les nasses de son chant, aux nageurs/radeaux/brins scintillants que nous sommes, opiniâtres errants de l’absurdité du vivre. Pour tenter de les entraîner vers l’abîme de folie où le cœur parfois trouve sa raison de survivre.

    Mais la mère-poète reconquiert raison de vivre. Poussant depuis le rien sa « tête vive » hors de la fenêtre qui n’était plus qu’elle-même, ouverte sur le vide, « son squelette récent », son squelette survivant à l’avidité du vivre

    « Crépitement montant de la journée

    qui dévalise.

    Ogresse, elle.

    Moi aussi ogresse.

    Qui mangera qui ? ».

    Le corps, effrité, dans le délitement de tout son être à la perte de « la fille disparue », qui vient posséder le corps et l’esprit maternel pour s’y réincarner, pour être de nouveau portée par la mère, se reconstruit rose inerme d’où repousser un cœur-fossile, cœlacanthe vivant.

    La mère renaît dans une nouvelle espèce panchronique de son être, « la fille disparue » réintégrée dans sa chair son souffle, mère de sa fille éteinte et fille de sa fille. Toutes deux revenues de la disparition de l’une d’elles pour ressurgir autre et deux en une, mère-fille, ombilic renoué.

    « La fille disparue » est comme une apparition après sa disparition brutale, dont la mère nourricière, dépossédée, figurée de manière métonymique par un « pis », allaite la mort au breuvage du jour éprouvant/incessant où retrouver source. Dans l’absence. Du puits perdu. Dans le hurlement d’éclore retenu par les lèvres arrachées à leur monde, ce cosmos symbiotique de l’enfant-mère relié par la respiration ininterrompue d’un même souffle.

    Comment dire, comment écrire l’oraison sans sombrer dans la parole funèbre, sans se pencher dangereusement sur les reflets d’une noyade hallucinante, à fleur de la brèche subitement ouverte dans le corps de la mère déchirée ? Comment pouvoir continuer d’articuler le monde, de formuler le langage immergé dans la douleur innommable d’avoir perdu son enfant, sans que le sens des courants du vivre ne vous « abyme » ?

    « Quel cri avant

    quel cri après ? »

    Comment retrouver la « trajectoire » en route depuis la blessure originelle, le cri primal, jusqu’à l’engouffrement, la perte fatale, sans perdre trace du monde autour, trace de soi-même égaré dans un monde devenu sans miroir depuis la séparation d’avec son enfant ? Comment ne pas chuter dans la totalité sidérante de son tremblement d’être ?

    « que penser de celle qui flambe

    après la fille qui a flambé ?

    Qui peut le penser ?

    Qui pourra les penser

    dans le même contour

    dans le même découpage-dépeçage ? ».

    LA réponse s’énonce/se formalise/se vocalise dans la possibilité de son rebond face à l’intarissable appel de la vie, dans le désir ardent de l’Écrire. La douleur capitale rassemble le cœur de l’être effrité dans l’appel et dans l’éblouissement d’une parole-balise recadrant la trajectoire par sa digue poétique. Poésie garde-fou où relever de nouvelles lignes

    « La justesse du regard tombé

    dans un nouveau filet ».

    La mère-poète recommence de zéro son ascension du Vivre, femme-Sisyphe, toujours asymptotiquement, sa fille réarticulée en sa parole poétique :

    « L’AU-DELÀ DE TOUT TREMBLEMENT. »



    Murielle Compère-Demarcy
    D.R. ©Murielle Compère-Demarcy (M©Dĕm)
    pour Terres de femmes








    Sanda Voica 2




    SANDA VOÏCA


    Sanda-bio
    Source




    ■ Sanda Voïca
    sur Terres de femmes

    [Que faire de la fille partie ?] (poème extrait de Trajectoire déroutée)
    une lecture d’Épopopoèmémés par AP
    Les Maîtres et les Autres (poème extrait d’Épopopoèmémés)
    La rose inerme (poème extrait d’Exils de mon exil)



    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur Levure Littéraire)
    une notice bio-bibliographique sur Sanda Voïca
    Paysages écrits, le site de la revue de Sanda Voïca & Samuel Dudouit
    → (sur le site des éditions LansKine)
    Paysages écrits, la fiche de l’éditeur sur Trajectoire déroutée
    → (sur le site des Découvreurs | éditions LD)
    Paysages écrits, une lecture de Trajectoire déroutée par Georges Guillain
    Sanda Voïca sur Radio Libertaire (émission Bibliomanie : dialogue avec Valère-Marie Marchand – jeudi 8 novembre 2018)





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  • Dominique Sampiero, Où vont les robes la nuit

    par Marie-Hélène Prouteau

    Dominique Sampiero, Où vont les robes la nuit,
    éditions la Boucherie littéraire, Collection Sur le billot, 2018.
    Prix CoPo 2019.



    Lecture de Marie-Hélène Prouteau




    BLASON D’AMOUR



    Il y a des livres de cinquante pages qui, en peu de mots, ouvrent tout un monde. Où vont les robes la nuit est de ceux-là. Le livre se présente comme un poème en prose transparent et fluide. Il prend la forme d’une lettre écrite à la femme aimée, datée d’un 14 février, une nuit de la Saint-Valentin.

    Ce qui reste de cette femme ? Sa petite robe noire dans l’armoire de la maison. À lire les premières pages, il y a une hésitation, un doute discrètement entretenus sur cette femme qui n’est plus là. Est-elle partie ? Quelques signes pourraient le laisser penser. L’état d’esprit du poète pris d’une fatigue de vivre chaque printemps. L’évocation de la maison du couple rappelant la première « rencontre » avec la femme aimée. La présence de sa petite robe de soie si sensuellement vivante :

    « Mon souffle a défait une à une les boucles de tes cheveux. J’ai savouré tous mes manques dans le creux de ta nuque et j’ai senti ton sourire ouvrir ta joie de l’autre côté. »

    Le mot « mourir », imprononçable, ne peut qu’être différé à la trentième page du livre. Cette Lettera amorosa, Dominique Sampiero l’adresse à une morte.

    Mais dans la chambre vide, l’aimée n’est pas morte puisque le poète lui écrit :

    « Mon recueillement sera une conversation avec toi ».

    À chaque page se joue une bouleversante célébration. Cette écriture du tressaillement entre absence et présence livre un entrelacs d’émotions auxquelles on ne s’attend pas. « Chagrin » et « joie ». « Tendresse » et « fatigue sans fond », « Mourir » et « jouir ». Un chemin inattendu s’ouvre. Un souffle. Une danse. Car le livre n’est pas voué au malheur et au deuil.

    Il est empli de l’évidence d’une mystérieuse incarnation. Tant est forte « l’apparition » de l’aimée que le poète amoureux arrache à la nuit et à la disparition. Un corps de femme désirable, suggéré dans sa féminité sensuelle : « au bas de ton ventre », « Fleur de ton dos/syncope dévêtue de ta chair ». Le poète nomme sans fausse pudeur tous les gestes de l’amour, la caresse, le front qu’on pose sur l’autre, le baiser, la robe serrée contre soi, l’étreinte physique des corps. « J’ai fait l’amour à ton parfum ».

    Dans la lignée de la poésie d’amour du douzième siècle, c’est un blason du corps féminin qui s’écrit ici. Et Dominique Sampiero s’en fait l’ardent troubadour.

    Au fil de la coulée poétique du texte virevolte la petite robe noire, métonymie vive de la femme aimée. Objet d’élection et de fascination. Elle est le talisman qui, in absentia, permet au poète de renouer avec la disparue. Il nous semble la voir, cette robe de soie noire. Et, par là même, celle qu’elle habillait : le poète réussit le tour de finesse de mettre en scène ce qu’il appelle leurs « retrouvailles ». Manière de consacrer, de ritualiser ce lien à l’absente, par cette lettre, par le choix de cette fête symbolique.

    Un bonheur dans la grande lumière crue des corps épris, en cette nuit des amoureux. Écrire a ce pouvoir de ramener à la vie dans ce qu’elle a de plus intense.

    L’intime, le chagrin, le manque se disent sans pathos, avec une grande simplicité de moyens. C’est toute l’élégance de ce texte. L’émotion est là, mais déplacée. Exprimée indirectement dans les projections mentales de celui qui écrit. Telles « le corps froid de ma solitude dans le lit ». Ou le superbe final qui clôt le recueil sur ce cri : « l’âme des femmes / endormie dans le cri de l’herbe ».

    La mort, ces retrouvailles avec l’aimée ne l’effacent pas. Par moments, elle se loge dans le sujet poétique avec une fulgurante brutalité :

    « Ta lumière est restée debout dans mes yeux. Et c’est comme si je te voyais pour la première fois. Ta beauté s’est couchée sur moi pour réchauffer mon corps. J’ai su que j’étais mort depuis longtemps ».

    Mais le trajet d’un chagrin a eu lieu :

    « Je me suis épuisé à penser à toi, à te parler jusqu’à m’apaiser ».

    La merveille dans ce recueil, c’est la petite robe noire, son glissement soyeux d’entre les pages. Elle finit par devenir personnage du récit sans que l’on s’en étonne. Elle nous fait entrer de plain-pied dans un monde à la Lewis Carroll. Où les objets parlent, la chaise vide de la cuisine, la petite robe. Le « nuage animal » et l’herbe qui crie complètent le tableau. La petite robe noire s’est effondrée au sol. Signe que l’apparition a eu lieu. Ne reste plus que « ta nudité restée dans la maison ». Aussi surréaliste que le sourire sans le chat d’Alice au pays des merveilles.

    Tout est possible dans la veille irréelle de cette nuit. La chambre mentale de Dominique Sampiero se nimbe de l’esprit d’enfance. Avec ses peurs, avec ses formules conjuratoires :

    « C’est éprouvant de jouer à croire que tu es morte ».

    Avec ses rituels, ainsi l’enterrement de la petite robe, accompagné de ce voeu :

    « Si tu laisses la robe

    dans le lit d’herbe de ton jardin

    elle va germer

    et les contours du paysage

    lui dessineront

    des seins

    des hanches ».

    Devant des images telles que « blotti comme un enfant au ventre des mères », comment ne pas associer les circonstances et penser aux émotions premières et lointaines de l’enfance ?

    L’interrogation apparemment légère du titre est reprise dans les tout derniers vers du recueil. Magnifiquement dédoublée en une variation sur ce qui touche à la condition humaine :

    « Où vont les robes la nuit […]

    Où va l’âme des femmes ».

    Quelque chose de l’insondable s’invente là. Comme si résistait une sorte de butée du sens. Dans ce subtil glissement de la petite robe singulière au pluriel, le poète embrasse l’universel. Des éléments simples, non situés, comme la maison du couple, la chambre, le lit, le jardin nous parlent de nous. C’est simple, terriblement simple. L’écriture a cette façon de poser ce qui est immanquablement le lot de tous. Le questionnement sur l’après, l’impossible savoir.

    Voici les fragments d’un discours lumineux et tout un monde se déploie. Le regard que Dominique Sampiero pose sur les êtres fait de ce livre un chant, sensuel et charnel. À la visiteuse du soir en robe noire à qui il fait sa déclaration. Un chant à la vie chaude, reconquise sur le vide.



    Marie-Hélène Prouteau
    D.R. Marie-Hélène Prouteau
    pour Terres de femmes








    Dominique Sampiero  Où vont les robes la nuit




    DOMINIQUE SAMPIERO


    Dominique Sampiero
    Source




    ■ Dominique Sampiero
    sur Terres de femmes

    [Certains livres se souviennent] (extrait du Maître de la poussière sur ma bouche)
    Chante-perce (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    Nos lèvres et leurs baisers (extrait de La vie est chaude)




    ■ Autres chroniques et lectures (25) de Marie-Hélène Prouteau
    sur Terres de femmes

    Chambre d’enfant gris tristesse
    La croisière immobile
    Anne Bihan, Ton ventre est l’océan
    Jean-Claude Caër, Alaska
    Jean-Louis Coatrieux, Alejo Carpentier, De la Bretagne à Cuba
    Marie-Josée Christien, Affolement du sang
    Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire
    Guénane, Atacama
    Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime
    Cécile Guivarch, mots et mémoire en double
    Denis Heudré, sèmes semés
    Jacques Josse, Liscorno
    Martine-Gabrielle Konorski, Instant de Terres
    Ève de Laudec & Bruno Toffano, Ainsi font…
    Jean-François Mathé, Prendre et perdre
    Philippe Mathy, l’ombre portée de la mélancolie
    Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo
    Daniel Morvan, Lucia Antonia, funambule
    Daniel Morvan, L’Orgue du Sonnenberg
    Yves Namur, Les Lèvres et la Soif
    Jacqueline Saint-Jean ou l’aventure d’être au monde en poésie
    Dominique Sampiero, Chante-perce
    Ronny Someck, Le Piano ardent
    Pierre Tanguy, Ma fille au ventre rond
    Pierre Tanguy, Michel Remaud, Ici même





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  • Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln

    par Isabelle Lévesque

    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln, poèmes,
    L’Arbre à paroles, Collection P.O.M.
    (Poésie Ouverte sur le Monde), dirigée par David Giannoni, 2016.



    Lecture d’Isabelle Lévesque



    On entre dans le livre de Philippe Fumery par le nom propre du titre, un ancrage géographique, en altitude, La Vallée des Ammeln, au sud d’Agadir.

    Les montagnes de l’Anti-Atlas1 à la terre rouge offrent l’espace réel et mental sur lequel les poèmes vont s’ouvrir. La vie nomade et simple est évoquée : les déplacements « dans la camionnette bâchée », désordre dans lequel on peut apercevoir les « vaches sur la galerie », un âne, avec cette nécessité « d’amener le nécessaire ». Les poèmes, brefs et descriptifs, signent d’abord la rencontre avec une culture et ses habitants dans un dépaysement constant :

    « lots colorés

    de bric et de broc ».

    Le voyage commence à Essaouira, au bord de la mer, la vie des pêcheurs dont on perçoit les efforts pour remonter deux requins, toute une vie de « barques bleues », de « brouhaha des rues », le chant d’un chardonneret. Les sens aiguisés reçoivent les stimulations constantes de ce qui vit bruyamment, que nous suivons car la parataxe juxtapose ces éléments dans l’afflux qui nous est restitué. Peu à peu, le narrateur se soumet au charme de ce qu’il découvre :

    « cinq pierres longues

    ajourées

    de part et d’autre

    jusqu’au faîte

    forment des têtes de cheval

    tes rêves les franchiront

    sans heurt

    tu en attends la clef ».

    Des notations qui foisonnent, une forme de mystère naît. Les strophes de quelques vers peuvent faire penser aux formes brèves de la poésie japonaise, haïku ou tonka. Des phrases sans verbes, notations précises ouvrent sur une pensée ou un songe pas toujours formulés, comme une sorte d’énigme offerte au lecteur :

    « tu caresses le mur

    pour l’enduire sans heurt

    tu oublies l’outil

    que ta main tient en songe

    depuis ce matin ».

    Certaines notations comportent une leçon, même si le plus souvent elle n’est pas exprimée :

    « âne en retrait

    sous le couvert

    en appui sur cinq pattes

    immobile

    absenté

    de son pas d’âne ».

    L’évidence côtoie le dévoilement, comme si baigné dans une eau au « son/plus clair », le narrateur pouvait frôler une révélation. La lumière sans cesse évoquée suit le voyageur ou s’impose à lui.

    Parfois, deux ou trois strophes font poème :

    « les étoiles ce soir

    la voie lactée

    se rangeront un peu

    elles attendent le taxi bleu

    plus que les voitures

    les heures passent

    plus arrondi

    que cette petite colline

    le dôme

    de la tombe sacrée ».

    Ces façons d’habiter l’espace et le temps nous révèlent la rondeur de la planète, de la colline et de la tombe, ce qui passe et ce qui reste, l’immobilité passagère ou définitive. Tout nous invite à la lenteur, à la contemplation. Le mystère peut naître d’un trouble introduit par la tournure pronominale pour ces étoiles qui « se rangeront » : pour quelle attente ?

    Constamment, le tissu du texte change par glissements légers. Des lieux, décrits dans leur forme, viennent alimenter la rêverie. Avec « le dôme / de la tombe sacrée », entre merveilleux et religieux, nous sommes invités à une forme d’initiation.

    Oued Massa, autre lieu. Sur le sable, on observe :

    « même le modeste scarabée

    laisse la trace sur le sable

    sous sa carapace

    comme une frêle caravane ».

    Le mythe nomade inscrit dans la vie minuscule s’incarne de nouveau alors que les gestes rituels, sur la tombe du marabout, sont accomplis pour que l’ordre protecteur des vœux et des renaissances soit respecté. Le genêt noué autour de la tombe refleurira en hiver.

    La comparaison devient un mode de lecture et de déchiffrement de la civilisation : chaque observation est décryptée au regard d’une culture que l’on n’appauvrit pas mais qui nous invite à la rejoindre. En prose et en italique, plusieurs paragraphes s’intercalent. Parfois descriptifs, ils consignent le nouveau signe de cette intégration progressive à la terre qui est visitée / adoptée :

    « Les hommes par groupes discutent, ne se retournent pas à ton passage, comme si tu pouvais faire partie du paysage ».

    De Tafraout à Oumesnat, ce sont les falaises qui bordent et ouvrent les poèmes : entre leur verticalité et la fragilité de maisons qui s’effondrent, ici ou là, le voyage tente de voir ce qu’il imagine et réveille la mémoire d’un voyage précédent. Le cimetière, les murs dont les pierres « se détachent », soutenues par « les branches épineuses » que les villageois utilisent pour repousser les sangliers, offre sa nudité au regard avant que la nuit n’ouvre de nouveau l’espace de l’énigme :

    « les aboiements des chiens errants

    rassemblent les songes

    de ceux qui sont éveillés ».

    Des outils agricoles rassemblés semblent indiquer qu’on change d’espace ou que le temps s’est interrompu : tout y est simple, l’état de ruine lu dans chaque construction, le délitement. Pourtant, pour ce narrateur observateur et partie prenante des lieux qu’il observe, chaque trace fait signe et rappelle un voyage antérieur. Ce sont des retrouvailles qui constituent l’un des fils du texte.

    La vallée des Ammeln, comme une personne vivante, s’offre enfin :

    « tu as désiré

    d’un grand désir

    revoir cet endroit ».

    Et toujours l’âne croisé, à chacune des étapes, pour aboutir face à « l’immensité », terre ultime désirée. On entre dans la maison qui fait corps avec la falaise, « seul un étroit sentier y mène ». Le voyage se poursuivra après à Imchguiguiln, Aït Baha qui ouvrira sur son grenier fortifié où l’on conserve « des rouleaux de papier / serrés dans les roseaux » : tout y était consigné.

    À la fin, « Agadir, dernier jour », le livre se referme sur une invitation au voyage. Le voyageur est passé, ses traces sur le sable se sont effacées. Mais ses poèmes, sans doute pas écrits avec « l’encre noire préparée / avec la laine des moutons », ont consigné ses songes et la perspective infinie de décrypter dans le paysage et ceux qui le font vivre le sens d’une culture qu’on veut approcher.



    Isabelle Lévesque
    D.R. Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes




    ____________________________
    1.Philippe Fumery a déjà consacré un livre aux habitants de l’Atlas : Berbères (L’Arbre à paroles, 2013).






    Philippe Fumery






    PHILIPPE   FUMERY


    Philippe Fumery portrait
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Calameo) des extraits de La Vallée des Ammeln de Philippe Fumery
    → (sur le site de la Maison de la poésie d’Amay) la fiche de l’éditeur sur La Vallée des Ammeln de Philippe Fumery
    → (sur le site de la Maison de la poésie d’Amay) une lecture de La Vallée des Ammeln par Philippe Lançon [Revue Nord, Lille, PDF]




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris






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  • Claudine Bohi, Naître c’est longtemps

    par Angèle Paoli

    Claudine Bohi, Naître c’est longtemps,
    éditions la tête à l’envers, 58330 Crux-la-Ville, 2018.
    Avec six eaux-fortes, aquatintes et huiles sur bois de Mitsuo Shiraishi.
    Prix Mallarmé 2019.



    Lecture d’Angèle Paoli



    « C’EST DANS LA BOUCHE QUE TU TENTES D’HABITER »




    « Un mourir toujours recommence » toujours avec la même obstination de blanc de rouge et de douleur. Le mourir qui recommence, c’est dans l’origine qu’il faut le chercher, c’est dans un « ça » lointain, profond qu’il prend naissance avant même la naissance, et qui se reproduit avec la mort. Ainsi de Mettre au monde à Naissance c’est longtemps, Claudine Bohi reconstruit-elle dans le creusement des mots l’histoire qui la constitue et qui, sans doute aussi, nous constitue. Elle creuse les mots et les ressasse, inépuisable lallation qui passe par la bouche, franchit les lèvres et plonge dans le corps. Elle creuse et elle fore, elle fore et elle explore ce qui la constitue dans son être propre, qui se noue dans sa poésie faite du ressassement délibéré de la langue et dans l’économie des mots :


    « clarté

    le jour dans la bouche

    aux lèvres

    redessine

    ce qui fut

    ce qui est

    ce qui sera »


    ou encore, dans Mettre au monde, ces vers :


    « savoir que les mots

    viennent à même la chair

    l’oubli

    ne compte pas

    chaque mot est arraché

    à ce qui l’efface

    à ce qui nous construit ».


    Toujours les mêmes mots reviennent sous la langue, harcèlement du langage qui cherche sa forme, qui tâtonne, qui cherche sa voix sous le caché, dans les zones labyrinthiques d’un inconscient qui se dérobe. Avec Mettre au monde, la naissance heureuse était soudain advenue, grâce à la rencontre de l’autre. Cet autre qui crée par sa peinture par ses gestes et par ses caresses, par son corps, rend corps à celle qui était jusqu’alors rivée au vide laissé par la perte de la naissance. « Il n’est pas facile d’être né », écrit la poète dans l’incipit du texte préliminaire de Naître c’est longtemps. Et elle ajoute, quelques lignes plus loin, dans le même paragraphe :

    « Vivre, c’est se séparer, rejouer à l’infini cette brisure ».


    Ainsi, après une longue période d’exploration de la vacuité existentielle, la vie absente advient-elle soudain dans une explosion de forces sensuelles. L’amour a bouleversé le champ d’exploration de la douleur originelle :


    « la nuit a crevé tout son noir

    tu le verses

    dans sa lumière

    je suis bougée entière

    je suis recommencée

    en grand » (in Mettre au monde, page 105).


    Le recueil Naître c’est longtemps revient sur cette brisure et sur la douleur primitive et première qu’elle génère :


    « être née

    tu ne sais pas le faire

    longtemps », confie-t-elle.


    Revient aussi, avec ce titre singulier qui signe la durée dans un temps aboli, l’obsession de la mise au monde et avec elle le retour de cette part obscure qu’est la quête de la faille insondable. Faille que les mots cherchent à sonder à défaut de pouvoir la combler.


    Et « dans la voix

    une permanence à nommer

    ce qu’on ne connaît pas ».


    Toujours revient la douleur. Elle fait signe sur la page, têtue et obsédante :


    « une douleur

    si loin plantée

    si loin

    au commencement

    est la douleur

    plongée dans le corps

    […]

    une douleur tissée de blanc ».


    Une fois formulé ce constat, la poète procède par tâtonnements. Elle lance des pistes de réflexion, émet des doutes — « peut-être » —, se reprend, pose sa pensée sur une succession anaphorique de présentatifs, énonce une part indéfinie de définition.


    « c’est bien avant les signes

    c’est caché

    c’est dans la tête

    qui remue dans la langue

    c’est là

    c’est mélangé informe

    dedans

    c’est deux

    mais pas compté

    c’est un cri qui a des bras

    on ne sait pas combien

    […]

    c’est dans la nuit

    ce qui l’étonne

    et la défait

    ça y retourne aussi

    ça la recommence ».


    Claudine Bohi s’appuie au passage sur le « ça » freudien, siège de la pulsion de vie et de la pulsion de mort. Les forces inconscientes sont à l’œuvre dans ce qui se dit et qui s’exprime dans une volonté de clarification :


    « avant toi ça remonte

    et tu le sais sans la preuve

    oui c’est bien avant

    ça ne s’attrape pas qui fuit ».


    Les répétitions qui rythment les poèmes ainsi que l’absence totale de ponctuation (de même que le gommage des majuscules) rendent compte de la volonté de la poète de son désir d’instaurer une continuité. Continuité formelle en lien étroit avec la continuité de la pensée. Sans heurt ni brisure. Ni brisure ? Sans doute dans le souci d’atténuer la « brisure » originelle. Les seules interruptions visibles, ce sont les cinq aquatintes qui ponctuent le recueil, lesquelles accompagnent le passage d’une section à l’autre et l’entrée dans une section nouvelle (le recueil étant découpé en cinq sections). Ces cinq aquatintes mystérieuses, œuvre de l’artiste japonais Mitsuo Shiraishi, sont un fil rouge qui guide la lecture. On peut s’interroger en effet sur le lien qu’elles entretiennent avec les poèmes d’une même section. Mais libre à chacun de suivre la ligne onirique que tracent ces paysages.

    D’autres questions surgissent au fil des pages. Comment vivre ? Comment respirer ? Que faire des contradictions qui taraudent, du sentiment de falsification qui use, ou de décalage, de ce qui est à jamais perdu ou oublié ? Que faire de cette multitude d’approximations ? Comment supporter les incomplétudes ? Tout cela est exprimé à mots comptés, avec une économie de moyens qui frôle l’ascèse. La réponse est dans le mot, dans l’usage qu’en fait la poète. C’est dans le partage de la parole poétique que Claudine Bohi puise sa force. Sans tapage, sans éclat :


    « le mot

    tu le tends

    tu le partages

    tu le murmures

    tu berces le vide

    avec

    c’est juste un peu

    pour vivre

    tu fais parole

    c’est dans la bouche

    que tu tentes

    d’habiter ».


    Sous la douleur et parfois la révolte, derrière l’oubli et l’abandon, survient le don. Et le don, cela se vit avec l’autre. Dans le mystère de la parole échangée


    « qui nous conduit

    et l’un

    par l’autre ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Claudine Bohi  Naître  c'est longtemps couv






    CLAUDINE BOHI


    Claudine Bohi





    ■ Claudine Bohi
    sur Terres de femmes


    Naître c’est longtemps (lecture de Philippe Leuckx)
    Corps levé (poème extrait de Naître c’est longtemps)
    [brouillard n’est pas absence] (poème extrait d’Éloge du brouillard)
    Et cette fièvre qui demeure
    Secret de la neige (poème extrait de L’Enfant de neige)
    [Duels de lumière] (poème extrait de La plus mendiante)
    [je laisse tomber le mot maman] (poème extrait de Mère la seule)
    Le funambule sans son fil (poème extrait de Même pas)
    Mère la seule (lecture d’Isabelle Lévesque)
    L’invisible (poème extrait de Mettre au monde)
    [L’eau son puits étrange] (poème extrait d’On serre les mots)
    [à force de mots sur la peau] (poème extrait de Parler c’est caresser un corps)
    [La raison sort toujours de l’irrationnel] (poème extrait de Rêver réel)
    Une lumière de terre (poème extrait d’Une saison de neige avec thé)
    Claudine Bohi | Philippe Bouret, Cet enfant sans mot qui te commence (lecture d’AP)
    Claudine Bohi | Olivier Gouéry [Voici donc le matin]
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    si ce n’est pas trembler




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions La tête à l’envers)
    la fiche de l’éditeur sur Naître c’est longtemps
    → (dans la poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Claudine Bohi
    → (sur le site de d’Haudrecy Art Gallery)
    une page sur Mitsuo Shiraishi





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  • Claudine Bohi, Naître c’est longtemps

    par Philippe Leuckx

    Claudine Bohi, Naître c’est longtemps,
    éditions la tête à l’envers, 58330 Crux-la-Ville, 2018.
    Avec six eaux-fortes, aquatintes et huiles sur bois de Mitsuo Shiraishi.
    Prix Mallarmé 2019.



    Lecture de Philippe Leuckx



    « POUR RESPIRER ENCORE »




    Ce vingt-et-unième livre de poésie, composé de cinq sections, dont les titres évoquent bien l’ampleur thématique (entre « Naître c’est longtemps », « Le Jour », « Corps levé », « Vertige conséquence » et «  Le vent demeure »), assied tout à la fois « une douleur », « un futur / très antérieur » comme si, tissée de contrastes, la vie était à l’aune de cet « œil (qui) se ferme » « lampe dans la nuit » ou tout simplement « jour » et « clarté ».

    La poète verse toute cette réflexion en petites strophes, en petits distiques qui puissent allaiter sinon haleter cette vie :


    « maintenant la chair

    glisse sur rien

    longuement tu te tais

    il y a la plaie le sang

    vivre couteau

    c’est sans parole

    il y a les multiples du visage

    les multiples disait-on

    peut-être s’agit-il simplement

    de crier le bleu dans le rouge

    puisque le vent s’est levé

    de n’avoir plus froid »


    Dans la réitération blanche, bleue, rouge du réel et la conviction que tout peut sourdre et recommencer, c’est tout à la fois l’origine et la forme que symboliquement la poésie prend pour donner sens, et offrir au partage cette zone contrastée d’ombre, de lumière, de vie, de blessure et de vent.

    « [P]our respirer encore » est bien le sceau de ces mots indispensables, une respiration essentielle dans un monde de cahots, d’oubli, qu’il faut conjurer pour que naisse la langue. Et que reste-t-il de plus vrai à la poète que cette lumineuse renaissance grâce à « la fête qui s’oublie / sa trace solennelle / retourne l’horizon » niée soudain par le « parler », par cela « ce qui n’est pas dit/ demeure dans la parole » ?

    Une ascèse prodigieuse contrevient à la perte : le vif est là, à saisir ; la vie, à nourrir de mots et d’urgence.

    L’écriture, par petites saccades, en échelons de sens, a besoin de ces marches, de ces marges de sens pour éclairer les pas du promeneur-lecteur, pour éblouir, dans le noir, les traces d’une poète-chercheuse qui, au cœur du « labyrinthe pâle », a réussi à nommer « cette mort très familière » que chacun(e) ressent au plus serré de son corps.

    Claudine Bohi, dans une poésie très intimiste, ouvre grandes les portes d’un champ de réflexion sur ce peu, sur cette échancrure entre beauté et souffrance, entre dire et silence, prélevant les échardes pour mieux nous guérir. Avec plein « de jour dans la bouche ».



    Philippe Leuckx
    D.R. Philippe Leuckx
    pour Terres de femmes







    Claudine Bohi  Naître  c'est longtemps couv





    CLAUDINE BOHI

    Claudine Bohi





    ■ Claudine Bohi
    sur Terres de femmes


    Naître c’est longtemps (lecture d’AP)
    Corps levé (poème extrait de Naître c’est longtemps)
    [brouillard n’est pas absence] (poème extrait d’Éloge du brouillard)
    [Duels de lumière] (poème extrait de La plus mendiante)
    Et cette fièvre qui demeure
    Secret de la neige (poème extrait de L’Enfant de neige)
    [je laisse tomber le mot maman] (poème extrait de Mère la seule)
    Le funambule sans son fil (poème extrait de Même pas)
    Mère la seule (lecture d’Isabelle Lévesque)
    L’invisible (poème extrait de Mettre au monde)
    [L’eau son puits étrange] (poème extrait d’On serre les mots)
    [à force de mots sur la peau] (poème extrait de Parler c’est caresser un corps)
    [La raison sort toujours de l’irrationnel] (poème extrait de Rêver réel)
    Une lumière de terre (poème extrait d’Une saison de neige avec thé)
    Claudine Bohi | Philippe Bouret, Cet enfant sans mot qui te commence (lecture d’AP)
    Claudine Bohi | Olivier Gouéry [Voici donc le matin]
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    si ce n’est pas trembler




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions La tête à l’envers)
    la fiche de l’éditeur sur Naître c’est longtemps
    → (dans la poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Claudine Bohi
    → (sur le site de d’Haudrecy Art Gallery)
    une page sur Mitsuo Shiraishi





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Isabelle Lévesque, Le Fil de givre

    par Angèle Paoli

    Isabelle Lévesque, Le Fil de givre, éditions Al Manar,
    Collection Poésie, 2018. Peintures de Marie Alloy.



    Lecture d’Angèle Paoli



    « CE QUI CESSE COMMENCE »




    Ce qui se dit dans les pages du recueil Le Fil de givre, c’est une re-naissance. Ce que le lecteur découvre sous la voix poétique d’Isabelle Lévesque, c’est une complicité poétique, une dilection vivifiante et vitale. Une « alliance ». Peut-être le visage d’un amour dont le destinataire ne nous est pas connu. « Aimer tient en un verbe rond », écrit la poète. En filigrane sous le poème, derrière l’alternance d’un « je » et d’un « tu », le « nous » accueille. Une double voie/voix se lit/se lie dans le fil de trame.

    « Nous voulons la rive d’orge, trame du temps, ce que le vent lève à sa suite, les mots des siècles

    et la mémoire ».

    Avant même le poème d’ouverture du recueil, l’annonce de l’aveu courait déjà dans les deux épigraphes qui le précèdent. Toutes deux empruntées au poète Éric Sautou :

    « La flamme pourrait s’éteindre, le vent tout emporter. Je te réapparais au grand soleil de notre vie. Tu redeviens la belle image. Tout l’or éclate. »

    « c’est écrit à la main de simples fleurs voici. »

    Ce qui se lit dans ces phrases, outre la passion —  éclat et fragilité, obstacles et périls —, c’est l’offrande  : simple, directe, accomplie dans la joie et dans la plénitude de l’instant. C’est sans doute cette double tension qu’a perçue Marie Alloy, dont les peintures rythment l’espace, qui traversent de leur jet d’écume, vagues et sillons, dans la verticalité de leur jaillissement, eau et mots, paroles et éclats.

    Et la poète d’écrire en écho :

    « Peindre, écrire, renouer les fibres déliées,

    le Sillon trace un secours… »

    La rencontre a eu lieu, « [a]u rendez-vous de pierre. » Dans le paysage d’elle, calcaire falaises pierre et lierre, enlacés comme au temps des amours médiévales, récits qui affleurent dans la mémoire, roche cordée mystère, pas-de-deux, danse déjà !

    « Le saut devient danse.

    Sur la roche ? (Rien n’érode l’escalier du ciel.) Tu vis l’ardeur et glisses nos mystères le long des cordes. J’entends les mots que tu hisses et les nuages rejoints se font torrents. »

    Tout se joue dès le premier poème, le retour à la vie et cette re-naissance inespérée qui abolit un passé habité par le « vide ». Ici, soudain, dans ce très beau poème, tout devient possible dans l’ardeur retrouvée. Jusqu’à l’aveu :

    « Désormais vigne se cueille.

    Je te retrouverai tout à l’heure le ciel est une forteresse de pierre. »

    Dans un autre poème s’affirme ce « nous ». Ce qui noue l’un à l’autre, le « je » au « tu ».

    « Tu commences, tu assures

    le signe croix devenu nous. »

    Puis cet aveu, encore, qui affirme un mode d’être, qui en révèle l’essence :

    « Nous sommes,

    loin d’une apparence trompeuse,

    noués à l’herbe. »

    Un désir de durée par-delà les saisons s’empare de celle qui confie pour un temps à venir cette promesse, cet élan :

    « Alors je poserai sur toi

    le minerai,

    les mots d’ambre laissée. »

    Comment ne pas entendre, sous « les mots d’ambre laissée », les mots embrassé / embrasé ? D’autant que veille le feu (tout comme la glace), présent sous ses formes diverses, flammes et braises, symbole de brûlure, intense et partagée :

    « Le chemin se perd lorsque tu saignes, le cœur

    s’ouvre fragile.

    Il bat, nous brûlons. »

    Cet autre, qui est-il ? Il est celui sur qui s’appuie la confiance absolue. Ce qu’il est se perçoit dans sa force ; dans la part magique de sa présence :

    « toi

    guide ou marcheur.

    Forcené des nuages accrochés au soir. »

    Ou encore :

    « Cassé, mais vivant, debout, tu es

    l’alchimie,

    le oui la vie,

    où asseoir la chance. »

    Il est celui en qui la poète assied son propre talent. En lui, elle reconnaît celui qui la libère de ses entraves et qui la fonde :

    « Lié au cercle de glace captivant la terre, muet, tu avances et je suis. »

    En enjoignant à la poète d’écrire, il lui montre la voie. Comment résister à sa bienveillance ? Il ne reste plus qu’à s’exécuter et puis à se lancer, sans « nulle résistance » :

    « Tu veux.

    Des poèmes.

    Je m’attelle. Tu souris. Alors possible. »

    Pourtant, derrière la force du magicien et cette confiance qu’il a dans la poésie, se cache sa fragilité. Celle qui définit l’autre et donne son titre au recueil : « Fil de givre. »

    « Pour réveiller la menace tue, mes baisers te soulèvent ‒ c’est ton ombre, autour de tes bras, autour de ta vie, corde fine, brindille. Fil de givre ? »

    Ainsi le magicien lui-même est-il soumis aux aléas de la vie, aux dangers qui le guettent :

    « Tu n’échappes pas aux données contraires ‒ nos secrets connus de toi seul. Tu ne renonces pas : force vaillance. »

    Seule la poésie. En elle se tient la force secrète. Un recours/un « secours » qui se partage :

    « Nos entailles d’encre, parchemin silencieux. Coins brûlés, acceptons le feu et les phrases. Longues. Emportées.

    Livre et le vœu.

    Le brasier plus que la flamme. »

    Chaque poème du recueil recèle sa part de mystère. Semées comme les graines du Poucet, les italiques ébauchent une sente où l’on pourrait sauter de gué à gué, et il serait ainsi possible de reconstituer une histoire en pointillé : Désormais / ou jamais ; si loin ? oui / nous / Rien n’est moins sûr / Dévêts / Crois-tu ? / Se blottir arriver joindre / Je t’embrasse… Autant de « signes vifs » dispersés au fil des poèmes, craie / nuit / voix / braise / voyelles… gardiens d’un secret que l’aveu sous-jacent ne suffit pas à dévoiler. Parfois se répondent les mots, en écho d’une page à l’autre. « Temps ferment / tourments / serment » // « dévisage / Dévêts » // « Braises / baisers »… Puis, au détour d’une page, survient sur deux vers un énigmatique tandem :

    « En outre et comme.

    Assoiffe, dérange. »

    Les poèmes s’égrènent, de forme et de longueur variable, marqués, comme ceux de jadis, par des groupes nominaux incomplets. S’absentent les déterminants, sans doute pour donner prise à la langue directe, à ce qui s’impose à elle, d’un seul tenant. Pourtant, la poésie de ce dernier recueil a gagné en souplesse, en fluidité. Et en diversité formelle. Isabelle Lévesque semble renouer avec des expressions plus amples, plus rondes, moins heurtées que celles qui étaient sa signature jusqu’alors. Ainsi de ce poème de trois quatrains (un presque sonnet ?). Un poème fluide à la beauté singulière, mystérieuse qui allie mer/terre et ciel.

    D’autres fois ressurgit le passé ; ce lointain intérieur qui remet en question le présent, équilibre précaire entre un avant et un aujourd’hui :

    « Loin qui cogne et contre temps ?

    Où vaciller ? Le cœur en sa faveur demeure ‒ la craie évanouie. Un son se perd, le sort, pire victoire en voyelle.

    Espère. »

    L’intrusion d’une voix moins douce sème le trouble, soulève un vent de révolte, précipite les interrogations et les doutes :

    « J’oublie, je cogne. »

    À quoi semble répondre la voix réconciliatrice et apaisante de l’autre.

    « Portant haut les mots, tu lisais les poèmes. Tu secouais mes ombres et j’entendais : un mot cogne pour conjurer l’oubli.

    La mort avait-elle choisi, arrêtant d’un signe les promesses fécondes ? »

    La mort en effet est à l’œuvre, qui guette, se glisse entre les mots, imprime ses propres signes sous la peur :

    « Pas de taille

    à regarder venir

    le pire. »

    Pour conjurer le sort qui lie les deux êtres à leur histoire, il reste la promesse car :

    « Promettre suffit.

    Promettre lie au poème gardien de la route silencieuse… »

    De cette promesse naît une certitude. Et de l’aveu naît la révélation :

    « Elle écrit. C’est sa vie

    ‒ tracer le ciel d’éternité,

    vivre l’arrivée sans fin.

    Promettre.

    Ce qui cesse commence. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Isabelle Lévesque  Le Fil de givre






    ISABELLE  LÉVESQUE


    Isabelle Lévesque
    Source




    ■ Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes

    [Les feuilles envolées du peuplier] (extrait d’ En découdre)
    [Ouvre et lis entre les lignes] (poème extrait du Fil de givre)
    Le Fil de givre (lecture de Jean Marc Sourdillon)
    C’est tout c’est blanc
    Chemin des centaurées (lecture de Pierre Dhainaut)
    Chemin des centaurées (lecture d’AP)
    Mai | La Ronde (extrait de Chemin des centaurées)
    [Entends, c’est jour, la forme aimantée du point] (poème extrait de Ravin des Nuits que tout bouscule)
    [Oh, ce désordre de disparaître !] (poème extrait de Nous le temps l’oubli)
    Nous le temps l’oubli (note de lecture d’AP)
    [Nous vaut la force courant le vent] (poème extrait de Va-tout)
    Ossature du silence (note de lecture d’AP)
    [Peine singulière] (poème extrait d’Un peu de ciel ou de matin)
    Ravin des Nuits que tout bouscule (note de lecture d’AP)
    [Les serments] (poème extrait de Le tue braccia saranno)
    Va-tout (note de lecture de Jean-Louis Giovannoni)
    Voltige ! (note de lecture d’AP)
    Isabelle Lévesque | Pierre Dhainaut, La Grande Année (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Territoire
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Isabelle Lévesque (+ un poème extrait de Va-tout)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la fiche de l’éditeur sur Le Fil de givre
    → (sur Paysages écrits n°30 – octobre 2018)
    une lecture du Fil de givre par Sanda Voïca




    ■ Notes de lecture (55) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès (Prix Louise-Labé 2019)

    par Isabelle Lévesque

    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès
    suivi de Progression jusqu’au cœur,
    éditions L’herbe qui tremble, 2018.
    Encres d’Irène Philips.
    Prix Louise-Labé 2019.



    Lecture d’Isabelle Lévesque



    Il suffisait de trois iris
    pour qu’un jardin devînt un temple.

    B. M.



    La poète cherche une langue, comme la plume d’Irène Philips qui trace en couverture le « T du temps », plume filée dans tout le livre. L’épigraphe de Graham Swift l’affirme, il faut « trouver le langage »1 et le titre du premier livre (car deux livres inédits sont ici réunis) établit à la fois la perspective d’une recherche et la présence d’une lumière qui l’accompagne ou que l’on cherche. Le temps, mis en évidence par le premier groupe nominal et par l’adverbe, doit être accepté dans sa durée pour mener cette quête. Les encres d’Irène Philips, en plaçant la plume au cœur de ses représentations sur la première de couverture et en pages intérieures, lient les deux directions, écriture et langue seront dans la périphérie silencieuse de la quête. Or cette quête ne peut être menée sans la perspective (l’espoir) d’osmose. Parfois s’épanche le vers lorsqu’une phrase occupe des vers entiers, parfois tout un poème, pour accrocher la joie :

    « […]

    pays où le premier chant d’oiseau pique

    dans le mille du temps

    au cœur de l’instant d’où

    jaillit à profusion la joie. »

    Les variations infimes des arbres et de leurs couleurs, si présents dans les paysages vosgiens de son enfance, captent l’attention de la poète qui les restitue dans une langue souple et déliée. Parfois viennent nous surprendre de légers déplacements dans la phrase : les compléments, glissés à des places inattendues, jouent les trouble-fête dans une disposition classique déjouée ; malicieusement, les verbes devancent les sujets, les compléments de manière peuvent être différés ; « un tourment » introduit là, discrètement, fait sonner la mélancolie d’une ombre pressentie plus que nommée.

    Béatrice Marchal observe, pose son regard sur les infimes variations de ce qui devient en « cette patience », et les frontières entre les êtres sont poreuses car tout ce que nous percevons, sur le seuil, « en ce début d’automne », nous atteint et pourrait nous surprendre dans l’expression d’un mystère renouvelé. Le paysage devient notre essence, par la vertu du poème qui, loin de l’accroître, tente une appropriation légère par la formulation :

    « Saison des ombres qui s’allongent

    au sol comme dans le ciel les nuages,

    ombres qui se rassemblent

    en de longs crépuscules immobiles

    que troue le reflet des rivières. »

    En ces vers, la ligne de partage trouve son nom, l’observatrice, poète comprise dans le paysage qu’elle contemple, réveille les jours pour qu’ils s’accomplissent en cet « aujourd’hui » qu’elle invoque. L’adresse, en son tutoiement, peut désigner l’autre autant que soi-même, car la nature offre l’unité à qui la loue, elle rassemble en « harmonie » les points dispersés de soi qu’elle relie à l’humaine assertion d’une ferveur. « Still life », comme le titre de l’un des poèmes du premier livre : rien ne s’achève, la neige appelle le renouveau de son éclat qui cesse pour poindre. Or on voudrait étreindre « la lumière qu’il nous faut » et réparer ce qui fut ôté de la confiance, « [m]ain de pierre aux doigts coupés », danger menaçant le chevreuil, le poussin, une forme d’enfance rappelée à travers chaque être et qui pleure en soi ou au milieu des autres, qui prend la forme d’une rivière divisant deux espaces ou deux temps, ou celle de l’eau que le vase retient pour transmettre la vie de couleur des fleurs ; l’eau traverse les poèmes en rendant au verbe sa fertilité, son éclat :

    « d’autant plus fort qu’on distingue

    un autre éclat, la fracture

    au bord du vase, où s’encastre

    la trace du manque. »

    Ce manque est présent et envisagé pour le futur, la perte est énoncée comme une probabilité incontournable, le ciel se dépeuple peu à peu (chaque étoile meurt) : « Souvenir, lumière d’étoiles mortes ». Aussitôt évoquée la perte, la mère entre dans le poème. Place inversée désormais : l’enfant protège et devient le secours de celle qui l’a enfantée. Pour finir ce premier livre, Un jour enfin l’accès, deux âges, deux temps semblent se joindre par l’enfance retrouvée. L’adulte éprouve la durée par la force d’un souvenir ressurgi, la première poupée gardée en secret par la mère qui réapparaît alors que celle qui s’éloigne déjà par son âge, n’a pas (n’a jamais ?) trouvé les mots, établi le lien durable et protecteur auquel aspirait l’enfant :

    « Mode optatif du poème

    avec soleil au zénith

    et cœur rendu à l’immense »

    Le champ peu à peu ouvert laisse entrer dans le poème un pari : le risque, pour trouver « la clef […] ici », l’écho de Gabriel, dédicataire de l’un des derniers poèmes (en italique et en prose). L’enfance ouvre son ciel, elle recommence dans les saisons mais aussi dans la transmission sur laquelle ce premier livre s’achève.


    *


    Après la marche vers le passé et l’enfance explorée d’Un jour enfin l’accès, le second livre, Progression jusqu’au cœur, s’ouvre sur un court texte en prose qui ressemble au récit bref d’une initiation, chemin lent pour la progression envisagée dans le titre vers la vérité la plus forte de soi-même.

    Pour une avancée, le poème l’affirme, une « parole ouverte » doit accueillir le silence, seul espace possible du mot qui aurait le pouvoir (sorcier) de « refermer les blessures ». Or ce sont toutes les blessures qui creusent le texte, au-delà de soi, un homme « comme un ange écroulé », « à bout d’espoir sous l’aile / de sa béquille », par exemple. Entre le « tu » que l’on voudrait redresser et accroître d’une sérénité gagnée et l’observation des détresses, Progression jusqu’au cœur trace une ligne de souffrance que le poème capte comme il entendrait les battements d’un cœur affolé.

    Dans la continuité du recueil précédent, on y trouve « l’enfant toujours présent », mais pas seulement. Le mot « cœur », répété de poème en poème, avoisine le terme « secret » : « par tout l’espace, / appelé à s’ouvrir, / un cœur ». Secrets chuchotés ou juste au bord d’être révélés par ce cœur ouvert. Ils restent si bien enfouis que celui ou celle qui les porte ne peut que les entrapercevoir :

    « On ne soulève jamais qu’un coin de la nuit

    on n’étanche qu’une partie des larmes

    nos mots sont trompeurs nos efforts insuffisants

    Il reste des chants d’oiseaux à la nuit tombée

    des cœurs malgré l’âge amoureux

    et dans l’ombre l’inconnu d’un poème »

    Ainsi le chant de l’oiseau et le poème sont les langages qui peuvent approcher le secret. La langue se mêle à la musique grâce à des octosyllabes, décasyllabes et même des alexandrins parfaitement réguliers (« nos mots sont trompeurs nos efforts insuffisants » – mais on en rencontrera beaucoup d’autres dans les deux parties du livre) qui alternent avec des vers plus courts. On entend Verlaine dans la mélancolie qui sonne : « l’automne / frissonne, // résonnent / les souvenirs. »

    Où trouver cet « objet » de « l’attente » « peut-être déjà perdu », « une réponse au désir sans nom / ni fond qui nous pousse » ? Le poème hésite, renvoie parfois à un lointain extérieur : « Seul compte l’infini, / l’indénombrable, le ciel te dit qui tu es, / en lui tu te trouves, le multiple assumé. » La réponse cependant figure dès le titre : elle est « tout au fond du cœur ».


    ___________________________
    1. Graham Swift, Le Dimanche des mères (Gallimard, collection « Du monde entier », 2017. Traduction de Marie-Odile Fortier-Masek).



    Isabelle Lévesque
    D.R. Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes







    Béatrice Marchal  Un jour enfin l'accès




    BÉATRICE MARCHAL


    Béatrice Marchal  portrait
    Source




    ■ Béatrice Marchal
    sur Terres de femmes


    Dans l’écho de pas anciens (poème extrait d’Élargir le présent)
    [Ce que tu as cru voir courir à vive allure] (poème extrait d’Un jour enfin l’accès)
    [Ce sera l’hiver] (poème extrait de L’Ombre pour berceau)
    [Quelle part de soi a-t-elle sombré] (poème extrait de Résolution des rêves)
    Au pied de la cascade (lecture d’Isabelle Lévesque)




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • Stefanu Cesari, Bartolomeo in cristu

    par Angèle Paoli

    Stefanu Cesari, Bartolomeo in cristu, poèmes,
    édition bilingue (corse-français), éditions Éoliennes, 2018.
    Prix du poème en prose Louis-Guillaume 2019.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Cesari Louis Guillaume








    AU CŒUR DE LA FLEUR INVERSE




    Le pays qui accueille le visage de Bartolomeo est un pays bien étrange. Âpre, écorché de mille blessures silencieuses et immobiles, pris entre sècheresse de biens et de mots, il est pays de traces et de signes invisibles, pays de l’attente. D’interrogations sans réponses. Une voix anonyme parle, qui guide le lecteur curieux dans ce mystère de pierres sèches que souligne la présence fidèle d’un « arbre vivant, d’un arbre mort ». Un cheminement vers une œuvre à venir. Un possible. Mais voici qu’un autre fait irruption, qui se fraie sa route dans le paysage et s’avance. Qui est-il ? Nul ne le connait. Aucun nom ne vient à la bouche. Il n’a laissé de lui que son rêve, inscrit à même la chaux. Derrière lui se tient le poète, entre ombre et lumière, silence et questionnement. Stefanu Cesari. C’est son nom. Il a dialogué avec le saint. Il a dialogué avec l’autre. De cet échange naît le poème, tout aussi mystérieux et intemporel que la fresque anonyme qui a inspiré ce recueil. Il lui donne un nom. Le nom de son poème. Bartolomeo in cristu.

    Il suffit au visiteur-poète de pousser les portes de la chapelle romane San Pantaleu di Gavignanu, en Castagniccia (Pieve di Rustinu en Haute-Corse), pour rencontrer, à l’instant du face-à-face, le regard singulier de saint Barthélemy. La fresque est un appel réitéré, une vocation. Une offrande peut-être, vécue pour la seconde fois. La première, c’était dans des temps anciens, au XVe siècle, lorsque le fresquiste s’est lancé dans son travail :

    « Il y a une rage qui sourd de l’intonaco et c’est le premier geste, la trace du charbon comme on devine un visage avant le corps entier, avant qu’il ne se fige […]. »

    La seconde fois est ce moment de la double rencontre : entre le poète et le saint, le poète et le fresquiste, chacun enclos dans le secret de sa mémoire. Le poète marche sur les pas du peintre, se glisse sous sa peau, s’empare de ses pensées jusqu’au point de fusionnement des unes avec les autres :

    « Si tu veux prendre la main tendue de l’œuvre, alors lève-toi, avant que le pays entier ne se mette à brûler sans ombre, tu as seulement quelques heures pour poser au blanc du mur l’étrangeté presque vivante, la parenté des hommes avec ce qui demeure. »

    La rencontre a lieu dans un échange sans fureur ni éclat, dans l’économie et le presque dénuement, à souffle retenu. Le poète interroge les couleurs qui surgissent de l’ombre, le rouge sur le blanc, le noir de la peau et celui de ce trait qui contient l’œuvre entière, corps circonscrit dans ses limites. C’est là que le saint s’abandonne, livre une part de lui-même. Le poète, témoin de ce qu’il voit, lève le voile. Révélation :

    « Tu te révèles dans l’abandon. Tu te révèles ainsi brisé, brisé et reconstitué d’un tracé très fin, un noir qui te contient. Le rouge des jours et de l’éternel, entre la nuit absolue et l’absolue lumière, c’est ta peau marquée d’un tatouage définitif. »

    La révélation est progressive. Elle se fait dans une lenteur intemporelle, dans cet espace qui s’étire entre les confins arborés, « au pied d’un arbre vivant […] au pied d’un arbre mort. » Symbole de régénérescence, l’arbre, même mort, est animé d’un souffle autre qui respire sous l’écorce comme la fresque respire sous la couleur. Le poète-témoin est en recherche. De quelque chose de plus, de quelque chose qui le dépasse. Sa quête est identique à celle de l’anonyme, identique aussi à celle de Bartolomeo. Au cœur de la quête se trouve « la fleur inverse de l’affresco. » On ne peut que penser ici à Jacques Roubaud, à cette œuvre majeure qu’est sa Fleur inverse. Laquelle renoue avec la quête d’absolu de Rimbaut d’Orange, prince des troubadours et de l’art du trobar. Cependant, « la fleur inverse » de Stefanu Cesari ne s’éloigne nullement de l’idéal du poète, différent de celui des poètes du Moyen Âge.

    « De révélation ton sang, ombre au mur inassouvie d’une quête, la fleur inverse de l’affresco. »

    Moment de beauté intense que ce moment précis du recueil qui dévoile ce qui le motive.

    Le poème dit l’histoire du saint — son enfance et ses marches, son martyre —, telle que le poète la reçoit et la vit dans son imagination, confrontant les sources contradictoires, les énigmes imaginées par les hagiographies successives, avec ses propres sentiments, son propre arrière-pays mental, sa propre sidération. Les poèmes en regard — cinquante-neuf en tout (en langue corse page de gauche, en français page de droite) — sont des proses poétiques brèves, des pavés justifiés de seize lignes pour la plupart. L’histoire du saint se résume dans la peau d’écorché jetée sur son épaule, sa « carcasse » d’étranger. « Tu n’es pas de ce pays. On t’y a accueilli en échange de ta peau. »

    C’est cela aussi que dit la fresque — l’affresco — , ce martyre silencieux dont le saint porte avec lui la relique corporelle, inséparable de lui-même, symbole de sa vie ancienne et de sa souffrance. Elle l’accompagne dans son voyage, dans « l’intimité du rouge ». Jusque dans ce paysage qui prend forme « sur la fleur sèche de la pierre. »

    Le récit ? Une voix qui se faufile sous l’incarnat de la peau.

    « Entre la peau et le couteau il n’y a personne il y a juste un temps plein de silence, et le rouge écrit sur la page, la tache d’encre dans le récit. »

    Pour le lecteur tant soit peu accoutumé aux écrits de Stefanu Cesari, rien qui surprenne dans cette fascination du poète pour les commencements. Et pour le geste fondateur qui préside à la création de toute chose. « U minimu gestu | Le moindre geste. » Si menu soit-il, si infime soit-il, ce geste est celui qui retient l’attention du poète :

    « Ce regard, tout ce qui est dit et que l’on n’entend pas les voix mêlées les chants d’une agitation fervente, c’est l’histoire de ce qu’il y a eu, un premier geste hésitant. »

    Il en est de même de la question du nom. Primordiale et biblique, cette question revient comme une offrande, sans laquelle exister ne se peut :

    « Tu as donné un nom à chaque pierre. Toi, qui as encore une jeunesse dans les mains, tu l’as posée sur le travail à venir. En esprit tu as jugé du poids de chaque chose. »

    Ainsi transparaît la pensée profonde, intime, du poète, au fil des pages. Drainant avec elle ses attentions, ses interrogations multiples sur le sens de la vie, sur le passage des hommes, sur l’affleurement de leur histoire. Les sensibilités s’intriquent, inscrites dans un topos qui n’a pas besoin de livrer son nom, mais qui se reconnaît dans la présence liminaire de l’arbre :

    « Toi ce pays entre un arbre vivant, un arbre mort »

    Le rappel de cet entre-deux agit comme un refrain susurré qui se glisse pour redire, ici et là, l’axe du poème, son enracinement dans la déprise essentielle d’avec la réalité matérielle :

    « Le récit Bartolomeo : maison et lieu, troupeaux en estive, c’est là que tu habites entre un arbre vivant et un arbre mort, le poumon du monde. »

    Ou encore, dans le même poème :

    « [C]e pourrait être une chanson revenue sur les lèvres, nous enracinant là d’une saison à l’autre, ce pourrait être vivre, l’apprentissage du vivre, d’une certaine façon maison et lieu rendus à leur nudité première entre deux arbres, voilà ce que nous pourrions connaître, de nom, mais rien qui nous appartienne. »

    Parfois émergent des instants lumineux, des instants de suspens, où vivre entre deux points d’un même axe conduit à une plénitude proche du bonheur :

    « Beaucoup aimé le temps passé sous les amandiers entre un arbre vivant et un arbre mort. C’est au début de la vie, les yeux par terre, c’est la saison, on ramasse le fruit tombé. Des fois il a toujours sa peau sur lui, des fois c’est une pierre pour la fronde, pour le fer que l’on bat. »

    Lire les lignes du voyage, laisser parler les signes, affleurement d’images complexes qui s’emboîtent les unes dans les autres pour dire un mystère plus grand encore. C’est cela qui habite le poète. Se faire le « témoin » de cette histoire à imbrications plurielles le conduit à s’interroger sur le langage, plénitude et vide, un flux qui porte en lui « la simple possibilité de chaque chose » :

    « Le langage ici toujours rouge la parole, sans jamais finir nous revient, nous emplit la bouche. »

    Et en finale du même poème :

    « Le langage, il y a dans son sang comme dans ses manques la simple possibilité de chaque chose. »

    Avant de clore la lecture d’un ouvrage aux pistes indénombrables et à la langue infiniment belle, il me faut aborder une autre particularité. D’une page l’autre court, en bas de page, à l’envers des poèmes, un autre texte. En contrepoint. Ces phrases sont incluses dans un à-plat dont la couleur « terre d’ombre brûlée » tranche avec la couleur ivoire de la page. Une ligne continue d’horizon, « fil ténu de la route », cloisonne les phrases. « Remonter le cours du récit » et de la fin signer le commencement, c’est « pénétrer dans le labyrinthe », confie le poète. Poème ouroboros. Poème intemporel. Que l’on peut lire dans un sens puis dans un autre, à l’affût des voix qui se parlent et qui conversent. Inverser le regard, lire dans les deux sens, la fin du poème rejoignant le début du texte en prose, lequel tourne le dos à l’image de Bartolomeo. Et pourtant, c’est bien à un mystérieux rendez-vous avec une image que convie cette lecture. Et, au-delà, à une rencontre avec l’autre « visage ». Celui peut-être du poète. Qui entretient avec le visage de Bartolomeo, « ciel et sang », un dialogue intérieur d’une intense richesse. Une prière, « une rêverie longue des siècles », célébration méditative sur des fragments de lumière chaude exhumés de la chaux. « Appels et répons » pour une parole « sans fin ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Stefanu Cesari  Bartolomeu in cristu






    STEFANU CESARI


    Stefanu Cesari
    Source




    ■ Stefanu Cesari
    sur Terres de femmes

    [Jeune […] autant que l’eau] (extrait de Bartolomeo in cristu)
    [In un libru à a cuprendula russa] (extrait d’U Mìnimu Gestu)
    [Nivi, nò?] (autre extrait d’U Mìnimu Gestu)
    Ti scrivaraghju in faccia (extrait d’A Lingua lla bestia)
    Incù ciò chi tu m’ha’ lacatu (extrait de Genitori)
    [On sent peser sur soi un vêtement immatériel] (extrait de Prighera par l’armenti)



    ■ Voir aussi ▼

    Gattivi Ochja, la revue de poésie en ligne de Stefanu Cesari
    → (sur Terre à ciel)
    un entretien de Françoise Delorme avec Stefanu Cesari





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