Étiquette : Les Cahiers d’Arfuyen


  • Pierre Dhainaut, Ici

    par Isabelle Lévesque

    Pierre Dhainaut, Ici, éditions Arfuyen,
    Collection Les Cahiers d’Arfuyen n° 247, 2021.



    Lecture d’Isabelle Lévesque



    L’ÂGE D’OR




    Pour leur titre, deux livres récents de Pierre Dhainaut se limitent à des adverbes courts, comme deux clefs d’un trousseau secret que le poète nous tend : Après et Ici, deux syllabes pour chacun, le temps puis le lieu. Si le premier dérogeait au « hic et nunc » habituel, le second s’affirme au présent. Adverbe déictique nous situant précisément à l’endroit d’où parle le poète, ce mot-palindrome se referme sur lui-même avec le double « i » que nous retrouverons dans les titres des trois premières parties du poème. Sans doute a-t-il également valeur temporelle : voici où nous en sommes, semble-t-il indiquer.

    Dès le poème liminaire, le « i » qui colore (de rouge, dirait Rimbaud ?) tout le livre, se mêle à l’« or », qui peut s’inverser, comme dans le premier mot :

    « Parole », « parole », au fond des corridors

    le mot se tarira et avec lui

    nous ignorons quoi […]. »

    Cet appel répété pose un leitmotiv du livre. Les éclairages différents posés sur un même mot, une même sonorité, les détachent d’une chaîne verbale anodine. Ils portent le souffle dont on sait qu’il est la condition de vie du poème et du poète pour Pierre Dhainaut. Si nous voulons suivre sa voix, nous devrons nous montrer fidèles à ces signes. Les noms qui se répètent ne sont pas les mêmes, en entrant dans le poème ils ouvrent à la métamorphose incessante ou à la perception nouvelle et entière de ce qui a été perdu « au fond des corridors ».

    La première section, « Sorties de nuits », nous confronte à des poèmes assez longs. Elle se fonde sur une exhortation : nulle échappée, « ici » constitue la seule réponse et le « tu » peut s’entendre comme la voix extérieure, impérieuse, d’un lieu, l’hôpital, autant que celle de l’adresse à soi-même. Le narrateur est d’abord enfermé, soumis même à des portes, que seuls d’autres peuvent ouvrir, sur une forme de vide ou de soin, « ces portes / sont innombrables1 ». On pense au labyrinthe, au lieu mythique et sans issue, dont chaque nouvelle piste provoque une erreur de parcours. De ce lieu, on pourrait ne pas sortir et les négations, qui enserrent les premiers vers du poème initial à l’entrée du livre, confirment que le sujet, dans son absence de maîtrise du chemin suivi, pourrait en rester prisonnier – comme de lui-même. Les noms accumulés (portes, ascenseurs, salles, inscriptions), par leur pluriel, vouent celui qui passe ici au destin naufrageur de libre arbitre. Or l’acceptation est nécessaire pour que se modifie la perspective :

    « T’aurait-on expliqué où l’on te mène,

    c’est le moment de te dire :

    ta place est ici. »

    L’adverbe « ici » sera répété trois fois en tête du poème suivant, tout comme Hamlet répond « Words, words, words. » à Polonius lui demandant ce qu’il lit, ou comme Paul Valéry qui s’exhorte dans « Palme » : « Patience, patience, / Patience dans l’azur ! / Chaque atome de silence / Est la chance d’un fruit mûr ! Viendra l’heureuse surprise2 ». C’est comme une réponse à un cheminement douloureux, comme la promesse d’un poème aussi.

    Cet « ici » s’oppose à « l’autre monde », celui d’au-delà la dernière porte, comme à celui du passé qui voudrait ressurgir.

    On sait que dans cet espace jamais circonscrit l’écho suit une route féconde :

    « Tiens-toi face à l’instant qui vient, qui se

    dérobe à chaque instant, et ce monde enfin,

    tu le nommeras d’ici. »

    Il se peut donc qu’un titre, sésame infini, coure dans le texte pour permettre l’écoute et délivrer celui qui le prononce des entraves de l’instant. La limite du mot, « ici », autant que celle de la forme du poème reproduisent autrement les contraintes de l’hôpital. Elles fondent une poétique fragile de l’instant. S’évanouit alors la force carcérale du lieu : « ici » recèle des secrets, que nous ne découvrirons pas, une promesse, accomplie par le poème. Cette foi, récemment malmenée (Après en témoigne), jamais ne s’ébranle. Elle naît plus forte d’avoir été bousculée par les épreuves et le long passage par l’hôpital. Elle ne cède pas, le poète garde comme un viatique la parole nue du premier jour – du premier poème. La négation transcende alors l’esquisse sombre du labyrinthe, elle est soulevée par les vers périphériques qui descellent, force du vent, la pierre d’une stèle : « le ciel ne fut jamais aussi gris » ; ce constat, entre l’adverbe initial et final du second poème, donne au verbe le futur de l’accomplissement – « tu le nommeras d’ici ».

    Cette re-naissance prend corps par « [d]es mains d’enfant » : imaginées, elles toucheraient la poitrine, avant l’éveil de la bouche. C’est encore par le corps meurtri que passent les sensations, elles se cristallisent dans la rencontre, le « nous » possible des visages que l’on aime ou ceux inconnus, croisés dans les couloirs, avant que ne se lèvent ces corps pour retrouver l’humanité vivante dont le poème porte trace. Un « mot » attendu, qui ne vient pas, et d’autres, lorsqu’il est trop tôt, le silence prépare leur venue.

    La première section d’Ici livre cette quête et signe une prise de conscience : lorsque le corps est entravé et menacé, le souffle attend son heure. L’alchimie du poème dépasse l’existence limitée, contrainte, de celui qui écrit.

    L’anaphore « On en arrive à ne plus », par cinq fois, ouvrant les poèmes de « Sorties de nuits », complétée par des infinitifs, fonctionne comme une prise d’impulsion. L’essor peut se fonder sur la répétition qui rejette un constat, la parole le conjure. « [L]e dehors est ici », les morts ne s’éloignent pas, leurs fantômes nous hantent « si on leur parle en amis ».

    Les quatrains de la seconde section, « Prises d’air », redistribuent les mots avec lesquels la première partie a renoué, ceux de la nuit aujourd’hui, ici, rassemblés à la manière légère de haïkus.

    « Donner encore

    quand on a tout donné,

    confiance au temps,

    confiance. »

    Ce quatrain commence et finit « Prises d’air », qui semble donc se refermer sur elle-même comme le fait le mot « ici », épousant le mouvement d’un temps cyclique, celui de l’Éternel Retour et du « fil des saisons » : d’où peut-être le terme « confiance » si attendu dans les parties précédentes. S’agit-il du retour à la mémoire d’un temps de rires et de « pure ivresse » ou juste d’un « rêve à l’intérieur de tous nos rêves » ?

    « […] Notre âge d’or,

    tout s’appelait alors par des noms d’arbres

    ou des prénoms d’enfants. »

    Les mots s’incarnent, l’équivalence établie (arbres / enfants) rend compte d’une alliance mémorielle entre deux instances réunies par les noms qui traversent le poème. « [P]artis » ou « abattus », les enfants comme les arbres, trouvent en le pronom « nous » la réactualisation nécessaire à l’existence de la parole pour « les aimer sans faille ». Le « oui » restauré en l’ « ici » n’est pas vain, la mémoire l’affirme. D’ailleurs, le nom précis des arbres, entre guillemets, entrent dans le texte « aiguisant l’ouïe comme au sein des légendes ». Entre le poème et le mythe, les frontières sont poreuses, trois noms suffisent (« aulnes », « peupliers », « platanes ») et une ronde pour restaurer l’équilibre de la quête que le poème engendre. Le monde est redécouvert, la parole simple et pure se contente d’abord d’énoncer le verbe, simple copule dont l’attribut essentiel compose l’arc-en-ciel de notre vie :

    « Elle est verte,

    elle est rousse, la mine

    du crayon,

    couleur des fougères. »

    Les temps de conjugaison se succèdent, se complètent : du présent au passé composé, en passant par le futur simple dont on attend la réalisation sereine. Ce qui est découvert relève du miracle :

    « On n’en a pas fini

    avec « murmure »,

    il a bien plus

    que deux syllabes. »

    Ce qui est écrit déborde ce qui est dit : le poème détient ce pouvoir dont il n’abuse pas. La leçon n’est pas attendue, elle touche la surprise du regard qui s’attarde autrement sur un nom. Or ces murs de confrontation du début du livre sont changés en lettres vivantes dans un autre mot dont on reconnaît les deux syllabes qui se répètent et le transforment (murmures). « Ici », « éphémères » peuvent se joindre et tisser l’instant de la renaissance : elle est consacrée par ces poèmes.

    « S’ils tiennent

    debout, ces murs,

    c’est grâce

    aux herbes folles. »

    Dans les vers courts, la confirmation modeste d’un constat, en une phrase dont le point atteste la vérité comme l’on ferait proverbes de ces énoncés libres. Certains, sans verbe, affirment l’absence de clôture :

    « Un seuil

    en chaque strophe

    accomplie, incomplète,

    retentissante. »

    Le vent, la flûte, l’or, où « [r]ien ne s’achève » : on pense à un autre titre de livre du poète, Pour voix et flûte3. Ici paradoxalement restaure un temps ouvert, « tout est là ».

    Pour constituer le « Polyptique de novembre », trois longs poèmes : « le ciel parmi les branches » intègre les « figures, silhouettes / d’arbres, de falaises, de châteaux ». On reconnaît un paysage que les souffles font naître puisqu’ils accompagnent le poème, « tout est lumière », en novembre ; nul paradoxe en cette affirmation que l’arc-en-ciel voisine. Voici le fil tenu, la transmission à un « tu » qui n’est plus le même. L’adresse claire en ces pages établit une relation que fonde le poème : elle permet de s’affranchir du temps et du mot « fin » car elle dessine un « nous », promis depuis le début du livre. Des sons s’appellent et se trouvent (morsures, serrures) comme deux êtres qui permettent la rencontre en résolvant le défi de la nuit ou du temps « en hommage à novembre ».

    Comme pour beaucoup de livres de Pierre Dhainaut, des notes en prose forment la dernière partie du volume. Elles sont ici modestement intitulées « À portée de poèmes ». Il s’agit d’une suite de réflexions, d’aphorismes et de poèmes en prose. La première note indique un retour à la source : « Si tu as la clé, tu n’ouvriras rien. » C’est dire l’importance pour le poème du secret qui ne peut être dévoilé. S’agit-il de « notre secret commun » caché dans les phrases interrogatives des poèmes ?

    Philippe Jaccottet affirmait clairement : « Je crois ceci : en fin de compte, la meilleure réponse qui ait été donnée à toutes les espèces de questions que nous ne cessons de nous poser, est l’absence de réponse du poème […], quelque poème long ou bref, ce poème ne serait-il à son tour qu’une question, la question même, peut-être, que je me posais. Pourquoi ? Parce que dans le poème la question est devenue chant et s’est enveloppée dans un ordre sans cesser d’être posée.4 »

    Pierre Dhainaut, à son tour, nous prévient : « N’attendons de réponse / qu’après avoir oublié la question. » L’imprévu, l’inattendu, motif fondateur, est associé au poème. Pour le vivre, pour écrire, nul ailleurs. Le poète espère « un mot seulement, le mot unique / inspirant les poèmes, qui semble / à leur portée, qui n’est jamais venu ».

    Vers le titre simple et décisif, restant « à portée des poèmes », nous revenons, il sera aussi notre dernier mot :

    Ici.




    Isabelle Lévesque
    D.R. Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes




    ___________________________
    1. Elles nous rappellent celles d’un livre tout récent : Une porte après l’autre, après l’autre (éditions Faï fioc, 2020).
    2. Paul Valéry, « Palme », Charmes (éditions Gallimard, 1926).
    3.Pierre Dhainaut, Pour voix et flûte (éditions Æncrages & Co, 2020).
    4. Philippe Jaccottet, « Poursuite », Éléments d’un songe (éditions Gallimard, 1961).







    Pierre Dhainaut  Ici




    PIERRE  DHAINAUT

    Pierre dhainaut profil 3





    ■ Pierre Dhainaut
    sur Terres de femmes


    [Que respirent avant tout les mots] (poème extrait d’Ici)
    Après (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Après (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Voir de face (poème extrait d’Après)
    [Ne nous en prenons pas à l’invisible] (poème extrait d’État présent du peut-être)
    [Sortir sous l’averse] (poème extrait d’Et même le versant nord)
    Pour voix et flûte (lecture de Sabine Dewulf)
    D’abord et toujours, 4 (poème extrait de Pour voix et flûte)
    [Ce qu’est devenue la couleur] (poème extrait de Progrès d’une éclaircie)
    [Dès le seuil remercie] (poème extrait de Voix entre voix)
    Horizons, fontanelles… (poème extrait de Vocation de l’esquisse)
    [Nous étions seuls, de trop, dans nos miroirs] (poème extrait de De jour comme de nuit)
    [Orage, tempête, séisme] (poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
    Passerelles
    Printemps dédié (poème extrait de L’Autre Nom du vent)
    Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Soudain la tête se redresse] (autre poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
    [Où que tu ailles] (poème extrait de Rudiments de lumière)
    Rituel d’adoration (poème extrait de Transferts de souffles)
    Vocation de l’esquisse (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Voix entre voix (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino, Paysage de genèse, 10
    Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino | [Laissons les mots sourdre d’eux-mêmes] (autre extrait de Paysage de genèse)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque | L’origine de l’écriture | [Si léger… tu cours] (extraits de La Grande Année)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque, La Grande Année (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    une page consacrée à Pierre Dhainaut




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • Yves Namur, Dis-moi quelque chose, « Le Printemps »



    Collage pour Yves Namur
    Photocollage, G.AdC









    DIS-MOI QUELQUE CHOSE, « LE PRINTEMPS »
    (extraits)




    Dis-moi quelque chose
    Qui se tiendrait à côté de nos hésitations

    Inonderait ponts et chaussées
    Percerait de part en part le vide
    La voie lactée

    Et ta bouche déchirée


    Avec Israël Eliraz






    Dis-moi quelque chose
    Que je l’assoie maintenant sur le seuil

    Là-même
    Où le temps s’est posé
    Entre la vie les grains de blé

    Et les soupirs d’une inconnue





    […]






    Dis-moi quelque chose
    Qui réveille la ruche obscure

    Entrouvre portes et fenêtres
    Et lance soudain une flèche
    Vers le ciel

    Et ses amours bourdonnantes





    Dis-moi quelque chose
    Qui ne soit pas simplement

    Une bouche de fumée
    De terre oubliée et amère
    Qui soit un peu de lumière

    Malgré tout


    Avec Paul Celan




    Yves Namur, « Le Printemps », 65, 66, 69, 70, Dis-moi quelque chose, éditions Arfuyen, collection Les Cahiers d’Arfuyen, volume 248, 2021, pp. 81, 82, 85, 86.






    Yves Namur  Dis-moi quelque chose 2




    YVES NAMUR


    YVES NAMUR (1)
    Source




    ■ Yves Namur
    sur Terres de femmes


    [Aujourd’hui j’ouvre des livres] (extrait de Ce que j’ai peut-être fait)
    Les Lèvres et la Soif (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    [un oiseau s’est posé aujourd’hui sur tes lèvres] (extrait des Lèvres et la Soif)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    la page de l’éditeur sur Dis-moi quelque chose d’Yves Namur
    → (sur le site de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique) une notice bio-bibliographique sur Yves Namur





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  • Pierre Dhainaut | [Que respirent avant tout les mots]



    DHAINAUT FENÊTRE
    Ph., G.AdC


    [QUE RESPIRENT AVANT TOUT LES MOTS]





    Que respirent
    avant tout les mots,
    ensuite
    ce sera notre tour.



    On égare une clé,
    les noms restent,
    des amis
    que l’on croit disparus.



    On n’en a pas fini
    avec « murmure »,
    il a bien plus
    que deux syllabes.



    Avec les ondes
    dès leur naissance
    apprendre
    à renaître éphémères.



    Libres, les enfants
    font mieux
    que nous rendre
    visite.



    S’ils tiennent
    debout, ces murs,
    c’est grâce
    aux herbes folles.



    Sonorités
    qui ne se fécondent
    que si l’on tient compte
    des intervalles.



    Elle résonne
    toute l’année, la sève,
    l’épaule
    en est certaine.



    Le front sans rides,
    l’averse est nue,
    les fenêtres
    sont ouvertes.





    Pierre Dhainaut, « Prises d’air », Ici, éditions Arfuyen, Collection Les Cahiers d’Arfuyen n° 247, 2021, pp. 46-48.






    Pierre Dhainaut  Ici




    PIERRE  DHAINAUT

    Pierre dhainaut profil 3





    ■ Pierre Dhainaut
    sur Terres de femmes


    Ici (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Après (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Après (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Voir de face (poème extrait d’Après)
    [Ne nous en prenons pas à l’invisible] (poème extrait d’État présent du peut-être)
    [Sortir sous l’averse] (poème extrait d’Et même le versant nord)
    Pour voix et flûte (lecture de Sabine Dewulf)
    D’abord et toujours, 4 (poème extrait de Pour voix et flûte)
    [Ce qu’est devenue la couleur] (poème extrait de Progrès d’une éclaircie)
    [Dès le seuil remercie] (poème extrait de Voix entre voix)
    Horizons, fontanelles… (poème extrait de Vocation de l’esquisse)
    [Nous étions seuls, de trop, dans nos miroirs] (poème extrait de De jour comme de nuit)
    [Orage, tempête, séisme] (poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
    Passerelles
    Printemps dédié (poème extrait de L’Autre Nom du vent)
    Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Soudain la tête se redresse] (autre poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
    [Où que tu ailles] (poème extrait de Rudiments de lumière)
    Rituel d’adoration (poème extrait de Transferts de souffles)
    Vocation de l’esquisse (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Voix entre voix (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino, Paysage de genèse, 10
    Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino | [Laissons les mots sourdre d’eux-mêmes] (autre extrait de Paysage de genèse)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque | L’origine de l’écriture | [Si léger… tu cours] (extraits de La Grande Année)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque, La Grande Année (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    une page consacrée à Pierre Dhainaut





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  • Michèle Finck | Variation 9 :: À Glenn Gould 1981



    Gould 1981
    Glenn Gould interprétant la Variation 9 des Variations Goldberg (1981)
    Source








    VARIATION 9

    À GLENN GOULD 1981



    Variation 9. &nbsp  Canon
    Sur la tierce.     Écoute :
    Toute interprétation     est    un songe.
    Voici     deux coquillages     sonores     vivants.
    Pose     ton     oreille     contre chacun d’eux.
    Font entendre     les mêmes notes
    Mais     racontent     à l’ouïe
    Deux     histoires     de musique.
    Deux     songes     de    sons.



    Gustav Leonhardt
    Grand paon     au clavecin.
    Fait     la roue.
    Toutes plumes     superbes     déployées.
    Aristocratie     du     toucher     scintille.
    Orfèvrerie sonore. Offrande d’orpailleur.
    Monde     passé à l’or     le plus fin.
    Horlogerie     musicale     savante     brillante
    Règle l’univers.     Miniaturiste     des sons.
    Chaque ornement     flamboie.     Impeccable.
    Révérence devant     les conventions     d’époque.
    Transmission     d’un savoir     séculaire.
    D’une vision de l’univers     rêvé
    Ordre.     Orgueil.     Élitisme du grand Prêtre
    Perruqué poudré     dans le film de Straub-Huillet.
    Virtuosité.     Perfection.     Dévotion.
    Ce songe     ne désaltère     pas     la soif de l’oreille.
    « La musique     savante
    Manque     à notre désir. »
    Gustav Leonhardt :     interpréter
    C’est     répondre.

    Glenn

    Gould

    Changer     d’interprétation :
    Changer – de vision.
    Glenn Gould : interpréter
    C’est     questionner.
    Songe de Gould     apaise soif de l’oreille.
    Comète Gould :     Commotion.
    Mais pas commotion
    Qui donne
    La mort.
    Commotion
    Qui donne
    La vie.
    1955 :     Glenn Gould     grave     Goldberg
    À 23 ans.     Gaya scienza.
    Mais déjà     quitte la scène     à 32 ans.
    « Tu as bien fait de partir »    Glenn Gould.
    1981 :    Glenn Gould grave     Goldberg.
    « Retour amont. »     Mort à 50 ans.     Gaya scienza.




    Michèle Finck, « Variation 9 : À Glenn Gould 1981 », Sur un piano de paille, Variations Goldberg avec cri, éditions Arfuyen, Collection Les Cahiers d’Arfuyen, volume 243, 2020, pp. 55-57.





    Michèle Finck  Sur un piano de paille 2






    MICHÈLE FINCK


    Michèle Finck  portrait
    Image, G.AdC





    ■ Michèle Finck
    sur Terres de femmes


    Sur un piano de paille (lecture d’AP)
    Connaissance par les larmes (lecture d’AP)
    [Pier Paolo Pasolini, Mamma Roma] (poème extrait de Connaissance par les larmes)
    [Chostakovitch, Tsvetaïeva, Akhmatova] (poème extrait de La Troisième Main)
    La Troisième Main (lecture d’Isabelle Raviolo)
    Pitié (poème extrait de L’Ouïe éblouie)
    [Cette fois nous parvenons à travailler] (poème extrait de Poésie Shéhé Résistance)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    une notice bio-bibliographique sur Michèle Finck
    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    la page de l’éditeur sur Sur un piano de paille de Michèle Finck




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  • Cécile A. Holdban, Toucher terre

    par Angèle Paoli

    Cécile A. Holdban, Toucher terre,
    éditions Arfuyen, Collection « Les Cahiers d’Arfuyen »,
    n° 238, 2018.



    Lecture d’Angèle Paoli





    HOLDBAN Cécile
    « Au commencement était l’O de mon nom »
    Ph. : Yvon Kervinio
    Image, G.AdC







    « C’EST LE VENT QUI NOUS MEUT »



    «  Il y a des pierres dans sa langue, de l’eau et des cailloux. » Il y a aussi des oiseaux, beaucoup d’oiseaux, des fleurs, des étoiles et des papillons, la nature entière, mer et cosmos. Et la terre et les saisons. Il y a de l’aile et de l’eau dans son nom, l’O d’Ophélie, l’O du sommeil et l’O de l’oubli.

    « Au commencement était l’O de mon nom

    une aurore liquide jaillissant de la nuit

    l’ovale encerclé de mon visage

    émergeant de l’eau. »

    L’O qui surgit ici, au détour d’un poème, c’est celui de la poète Cécile A. Holdban. La terre que le regard foule et l’esprit qui la traverse, c’est la terre poétique de son dernier recueil. Toucher terre. Pour accompagner ce titre, la poète a choisi un détail d’un dessin de Nicolas Dieterlé : Pays secret de poésie. Le paysage, de montagne et d’arbres baignés de lumière, est traversé par un cycliste aérien et solitaire courbé sur son vélocipède. À la fois malicieuse et inattendue, l’illustration de la première de couverture fait sourire. Et intrigue. Sans doute parce qu’elle renvoie le lecteur à l’enfance, à la magie qui parfois s’en dégage encore, par le détour de la mémoire, au monde onirique qui la nimbe. Elle renvoie aussi à l’univers propre de la poète et au lien étroit qu’elle revendique avec le poète Nicolas Dieterlé.

    Mais l’enfance de la narratrice-poète est loin désormais. Il ne reste de ce temps que les ritournelles de quelque comptine, d’un air ancien, le souvenir d’une « robe bleue pendue à un cintre ». Elle est ce qui « demeure » dans la mémoire d’un passé heureux et que l’eau tremblée du miroir ne peut ramener à la surface. La vie depuis longtemps a changé de sens, changé d’espace. Partout autour de soi des murs se sont dressés. La nuit est devenue « une soupe épaisse tournant autour du gouffre ». Nul ne sait d’où vient le mal. Le fait est qu’il est à l’œuvre. La mort engendre la mort. Et les « corps sont des corps vides qui demeurent et nourrissent une terre lourde de ses ombres ». Le passé semblait pourtant devoir durer toujours, ayant précieusement gardé secrètes ses promesses de bonheur.

    « Nous avions des mains fraîches au logis

    des mains pleines de mémoire

    des mains pleines de saisons.

    C’est un mal qui nous rend invisible. »

    S’ouvre ainsi le recueil Toucher terre, sur un monde dévasté. La présence quasi contiguë d’un poème de Paul Celan (extrait de Grille de parole), fournit la clé de l’alphabet muet auquel poète et lecteur se trouvent confrontés :

    « Est venu, venu.

    Est venu un mot, est venu,

    est venu par la nuit,

    voulait luire, voulait luire. »

    Les liens de Cécile A. Holdban avec le monde de la poésie sont nombreux. Cécile est une authentique lectrice de poésie. Elle est aussi une traductrice. Un aspect de son travail qui n’est pas négligeable. Certains poèmes qu’elle a traduits — hongrois et américains — avoisinent ici ses propres poèmes. Ainsi établit-elle des parentés explicites avec les poètes qu’elle côtoie, qu’elle fréquente et qu’elle aime. Howard McCord, Linda Pastan, Janos Pilinszky, Sándor Weöers dont elle s’inspire pour créer, en écho au sien, son propre poème « Xénie ». D’autres poètes surgissent sous sa plume. Alejandra Pizarnik, Edgar Poe, dont les vers apparaissent en italiques. Des emprunts, qui appartiennent désormais à chacun d’entre nous, se glissent parfois à l’improviste dans le poème. Ainsi ces quatre vers parmi lesquels le lecteur reconnaît le titre d’un ouvrage de Christian Bobin :

    « pourtant nous durons

    dans cette obstination à chercher

    l’étincelle, la part

    manquante. »

    D’autres fois, certains vers en italiques ne sont pas identifiables. Sans doute s’agit-il de traductions inédites à partir de comptines hongroises ou de poèmes puisés à la source originelle de la poète : la Hongrie.

    « Le sud n’est rien, elle est fille de l’est, des Pâques et des septentrions.

    Les oiseaux de ses mains rappellent la clarté et le froid de l’enfance. »

    écrit la poète dans « Le figuier » (in « Voix »).

    Quant à l’épigraphe qui ouvre la section « Labyrinthe », il est emprunté au poète et ami Jean-Pierre Chambon. Le lecteur en retrouve un écho dans le poème À travers (in IV, « Toucher terre »)  :

    « on frotte ses paumes contre le miroitement des glaces

    en espérant les traverser ».

    La présence d’Arthur Rimbaud se révèle essentielle. Suivant le chemin de son aîné, Cécile A. Holdban se veut voyante. Dans un monde labyrinthique devenu illisible, un monde hérissé de murs, où la mort l’emporte sur le vivant, il y a grande nécessité à ouvrir les yeux et à percer les ombres :

    « on doit tenir droit

    les mots nous guident. Il faut y planter les ongles

    si on ne voit pas au-delà

    des yeux. » (in L’alphabet, I, « Labyrinthe »)

    Plus loin, dans le poème intitulé L’O, la poète, Ophélie rimbaldienne, écrit :

    « Diapason : dans le ciel un vaisseau

    soulève, précis, la paupière du monde

    dans sa mue, devenus voyants

    nous observons en silence

    déchiffrons les strates du visible

    nos doigts tremblent

    devinant les traces à demi effacées

    de la blessure d’eau. »

    Enfin survient le titre — C’est la mer allée avec le soleil —, en écho à Rimbaud et à son poème « L’Éternité » (in « Demeure », II).

    Se faire voyant est nécessité, car la fêlure est profonde qui brise l’équilibre originel, et la folie guette. Mais se faire voyant n’est pas simple. Voir clair dans l’opacité qui englobe le monde est chose malaisée, car « illusion et vérité sont structure et moelle d’un même paysage. ». Aux augures de jadis, la poète oppose sa lucidité et s’adresse cette injonction :

    « Sois l’espace entier, la fenêtre où voir est sans limite. »

    Et d’ajouter ce vers :

    « L’horizon : on le mesure à ce qui tremble

    Par-delà les lignes possibles. Le temple est transparent. » (in Templum, « Voix », III)

    Parfois un simple geste suffit, qui joue comme une respiration :

    « Les yeux clairs

    elle se lève pour regarder le temps

    frapper à la fenêtre »

    Ce geste simple, le lecteur le retrouve dans le très beau poème final, ce « Toucher terre » qui donne son titre au recueil :

    « Toucher terre lentement, à l’abri des sous-bois,

    des cyclamens mauves, des lianes de ronces

    les flammes des bruants voletant

    entre l’ombre des haies

    simplement toucher terre ».

    Poème après poème, la poète s’exerce à redonner vie au langage. Il y a en elle quelque chose de Déméter :

    « je te sème de mes doigts d’équinoxe.

    Je te disperse ».

    Il faut, selon la poète, délivrer les mots des gangues qui les enserrent ; il faut se désencombrer ; ouvrir grand l’espace mémoriel ; accepter de désenclaver la langue. Jusqu’à « divaguer la mer et l’inverser ». C’est le conseil que la poète adresse au prophète Jonas. Pourtant, même si le regard s’exerce à considérer l’envers du monde, le labyrinthe ne cède pas. Qui brouille jusqu’au silence. La poète persiste malgré tout à penser et à croire que « quelque chose résiste encore », que demeurent les choses simples :

    « Rondeur du fruit

    lustre d’une feuille

    volupté de l’espace

    le ruissellement de l’eau et le vent dans les branches

    qui les délivrent. »

    Mais qui est donc la poète Cécile A. Holdban ? Au détour d’un quatrain apparaît une très belle définition ; une définition qui se décline en exact contrepoint à Jonas :

    « berger sans bâton ni carte

    je marche en moi-même

    pour puiser ce qui me constitue

    sans l’aide du miroir ».

    Elle est aussi ce vaisseau clair qui ouvre devant lui/devant elle des espaces infinis. Invisibles et insaisissables. Des espaces de beauté pure. Comme le sont ces trois vers. Magnifiques :

    « Ce ne sont pas les pierres

    Ni les os qui demeurent,

    C’est le vent qui nous meut. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Holdban Toucher terre






    CÉCILE A. HOLDBAN


    Cecile A. Holdban




    ■ Cécile A. Holdban
    sur Terres de femmes

    Îles (poème extrait du recueil Toucher terre)
    À la fenêtre (poème extrait du recueil Ciel passager)
    Ciel passager (présentation publique de Thierry Gillybœuf)
    Hiéroglyphes (poèmes extraits du recueil L’Été)
    [Il n’est pas d’autre lieu que celui de l’absent] (poème extrait de La Route de sel)
    Poèmes d’après suivi de La Route de sel (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Poèmes d’après suivi de La Route de sel (lecture d’Emmanuel Merle)
    [Suspendre ma voix] (poème extrait du recueil Un nid dans les ronces)
    Xénie
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [Je ne tuerai point]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Nouveau Recueil) une lecture de Toucher terre par Jean-Marc Sourdillon
    → (sur Recours au Poème) une lecture de Toucher terre par Pierre Tanguy
    → (sur le site de la mél [maison des écrivains et de la littérature]) une notice bio-bibliographique sur Cécile A. Holdban





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  • Cécile A. Holdban | Îles



    ÎLES



    Ses yeux sont plus vieux que son corps.
    Elle les cache, les plonge dans les profondeurs, alors l’enfance demeure
    seule sur les îles.

    Les îles ont des yeux. Elle le sait, les abrite dans son nom.
    Elles ont des yeux sous l’eau, immergés dans le sel, qui a coulé
    dans les rivières et la dissolution des roches venues jusqu’à la mer.

    Les îles ont des yeux, elle a nagé longtemps dans les eaux de leur ventre
    Sirène muette, échouée au rivage du souffle elle a ouvert ses paupières,
    grand sa bouche et recraché l’eau.

    Les îles se touchent entre elles par le faisceau des yeux
    dans la lucidité des fonds elles forment des archipels,
    des volcans sous-marins
    dorment, respirent et s’aiment parmi les tellines et les praires
    elles se meuvent sans mouvement
    elles ne connaissent ni l’âge ni la mort ni le temps.

    Elles effacent dans leurs yeux
    les lettres claires de son nom.




    Cécile A. Holdban, « II Demeure » in Toucher terre, Éditions Arfuyen, Collection « Les Cahiers d’Arfuyen » n° 238, 2018, pp. 42-43.






    Holdban Toucher terre






    CÉCILE A. HOLDBAN


    Cecile A. Holdban




    ■ Cécile A. Holdban
    sur Terres de femmes

    Toucher terre (lecture d’AP)
    À la fenêtre (poème extrait du recueil Ciel passager)
    Ciel passager (présentation publique de Thierry Gillybœuf)
    Hiéroglyphes (poèmes extraits du recueil L’Été)
    [Il n’est pas d’autre lieu que celui de l’absent] (poème extrait de La Route de sel)
    Poèmes d’après suivi de La Route de sel (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Poèmes d’après suivi de La Route de sel (lecture d’Emmanuel Merle)
    [Suspendre ma voix] (poème extrait du recueil Un nid dans les ronces)
    Xénie
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [Je ne tuerai point]





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  • Pierre Dhainaut | [Sortir sous l’averse]




    [SORTIR SOUS L’AVERSE]




    Sortir sous l’averse, sous la brise, une voix
    nous l’ordonne, la plus intime, la matinale :
    « avril », les yeux ont encore à prouver
    ce qu’affirment les lèvres. Honte à qui parle
    avec prudence et ne progresse pas de tout son être !
    Le mot allègre, notre unique repère
    au long des routes, nous ne suivrons aucune route,
    les fleurs du forsythia viennent d’éclore.
    Elles raniment pleinement le désir de beauté,
    de l’admiration sans orgueil,
    nous n’y consentirons qu’en allongeant le pas,
    en associant notre haleine, leur lumière,
    lorsque du jaune au vert s’épanouissent
    l’instant initial, la durée ardente.




    Pierre Dhainaut, « Trois poèmes offerts », in « Vents et lumières », Et même le versant nord, éditions Arfuyen, volume 236 de la collection Les Cahiers d’Arfuyen, 2018, page 44.



    __________________________________________
    NOTE d’AP : Et même le versant nord est disponible en librairie le jeudi 3 mai 2018.






    Pierre Dhainaut  Et même le versant nord






    PIERRE DHAINAUT


    Pierre dhainaut profil 3




    ■ Pierre Dhainaut
    sur Terres de femmes

    Voir de face (poème extrait d’Après)
    Ici (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Que respirent avant tout les mots] (poème extrait d’Ici)
    [Ce qu’est devenue la couleur] (poème extrait de Progrès d’une éclaircie)
    [Dès le seuil remercie] (poème extrait de Voix entre voix)
    Horizons, fontanelles… (poème extrait de Vocation de l’esquisse)
    [Nous étions seuls, de trop, dans nos miroirs] (poème extrait de De jour comme de nuit)
    [Ne nous en prenons pas à l’invisible] (poème extrait d’État présent du peut-être)
    [Orage, tempête, séisme] (poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
    Pour voix et flûte (lecture de Sabine Dewulf)
    D’abord et toujours, 4 (poème extrait de Pour voix et flûte)
    [Où que tu ailles] (poème extrait de Rudiments de lumière)
    Passerelles
    Printemps dédié (poème extrait de L’Autre Nom du vent)
    Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Soudain la tête se redresse] (poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
    Rituel d’adoration (poème extrait de Transferts de souffles)
    Vocation de l’esquisse (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Voix entre voix (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino, Paysage de genèse, 10
    Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino | [Laissons les mots sourdre d’eux-mêmes] (autre extrait de Paysage de genèse)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque | L’origine de l’écriture | [Si léger… tu cours] (extraits de La Grande Année)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque, La Grande Année (lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    une page consacrée à Pierre Dhainaut
    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    la fiche de l’éditeur sur Et même le versant nord de Pierre Dhainaut
    → (sur Eurobabel)
    une page sur Pierre Dhainaut





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  • Anise Koltz | [Je suis l’impossible du possible]



    [JE SUIS L’IMPOSSIBLE DU POSSIBLE]



    Je suis l’impossible
    du possible
    l’encre est mon sang

    Si je dessine un arbre
    il grandit sous ma plume

    Si je dessine un feu
    ma feuille s’embrase

    Mes yeux creusant la distance
    j’invente
    un autre présent




    Je marche
    je m’éloigne
    pour ne jamais arriver

    Mon double terminera
    mon parcours




    Anise Koltz, Pressée de vivre suivi de Après, Éditions Arfuyen, Les Cahiers d’Arfuyen, volume 234, Paris-Orbey, 2018, pp. 46-47.






    Anise Koltz  Pressée de vivre






    ANISE KOLTZ


    ANISE KOLTZ
    Source




    ■ Anise Koltz
    sur Terres de femmes

    L’Ailleurs des mots
    Automne (extrait du Cirque du soleil)
    Béni soit le serpent
    [Dans mes poèmes] (poèmes extraits d’Un monde de pierres)
    [Gémeau] (poème extrait de Soleils chauves)
    Je me transforme (poème extrait de Je renaîtrai)
    Ouverte (poème extrait de Je renaîtrai)
    [Qu’ai-je emprunté à la chair maternelle ?] (poème extrait de Galaxies intérieures)
    Les soleils se multiplient (poème extrait du Cri de l’épervier)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    une page consacrée à Pressée de vivre d’Anise Koltz



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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Michèle Finck, Connaissance par les larmes

    par Angèle Paoli

    Michèle Finck, Connaissance par les larmes,
    éditions Arfuyen, Collection Les Cahiers d’Arfuyen, volume 233, 2017.



    Lecture d’Angèle Paoli






    « NEIGÉCRIRE ». DIT-ELLE.



    Les larmes au centre. Au centre de la vie au centre de la poésie. Récurrentes omniprésentes obsédantes, les larmes. Inspiratrices d’un art de vivre qui déroute, essentiellement enté sur l’art. Sur la méditation qu’il engendre. Il résulte de cette symbiose, art et vie, un recueil poétique dense, d’une extrême exigence. Connaissance par les larmes. Ce dernier recueil, récemment paru aux éditions Arfuyen, s’inscrit dans l’exacte continuation des précédents ouvrages, notamment L’Ouïe éblouie et La Troisième Main. Et offre à la poète un temps d’exploration plus intense avec les mondes qui la passionnent et qu’elle habite. Michèle Finck poursuit sa quête, à la fois intime et extime, à travers la musique la peinture le cinéma la poésie. Mais aussi la nature et la mer. Et l’écriture.

    Emprunté à Marina Tsvétaïeva, le vers d’introduction adressé à Anna Akhmatova (exergue) — « Ô Muse des larmes, la plus belle des Muses ! » — annonce une entrée réconciliatrice avec les larmes et par les larmes. Les larmes, dans cet ouvrage, occupent continument les sept sections qui composent le dernier livre de la poète. Court-circuit / Les Larmes du Large / Musique des Larmes / Musée des larmes / Cinémathèque des Larmes / Êtrécrire / Celle qui neige.

    Élégiaque, lyrique, très personnelle, la poésie de Michèle Finck est-elle pour autant une poésie consolatrice ?

    « Et la poésie, miaule un oiseau

    Sorti de ma bouche. Et la poésie

    Peut-elle quelque chose ? »

    (Cauchemar in « Court-Circuit »)

    Peut-elle quelque chose contre la perte irréparable que constitue la disparition des deux êtres aimés les plus chers au monde : le père et l’amant ?

    Au-delà de ce questionnement, il y a davantage encore. Étroitement liée à sa propre souffrance, indissociable de la sienne, il y a la souffrance du monde :

    « Je chéris cette blessure      car elle me relie

    À la douleur du monde      à jamais mienne »

    (À la douleur in « Court-Circuit »)

    Ce qui est certain, c’est que la poésie aide à vivre celle qui fut un jour privée de larmes. Car c’est de cette faille-là que la poète tente d’extraire sa survie. Une faille qui a laissé béante en elle la blessure et inconsolable celle qui s’efforce jour après jour d’apprivoiser cette béance qui occupe le cœur le corps et l’esprit :

    « Ai perdu      la clé     des larmes »

    (À la perte in « Court-Circuit »).

    Plus avant dans le recueil, la poète s’interroge :

    « Ai voulu apprendre les larmes. En vain ?

    Être à jamais      La Sans-Larme ?

    (Presquélégie de la Sans-Larme in « Êtrécrire »)

    Affronter la faille avec pour viatiques vitaux l’art : musique /peinture / cinéma / poésie. Il n’est cependant pas question de se laisser aller à l’apitoiement. Car

    « […] si poésie      apaise

    Que ce soit

    En      affûtant

    La      faille. »

    (À la tête in « Court-Circuit »).

    De sorte que la poésie ne se peut définir que comme « encre hantée ». La perte des larmes engendre un « court-circuit », visuellement marqué dans la page par une séparation, et dans le langage par une sorte de précipité des mots :

    ………………………………………………………………..

    « — Tout à coup court-circuit… Corps ne produit plus de larmes… Calcination… Glandes lacrymales électrocutées… »

    Dès lors, la poète explore. Jusqu’à la tentation du suicide. Elle est « celle qui chancelle », au bord du vide, celle qui voudrait pleurer, et qui ne le peut. Qui vit comme une malédiction le fait de n’avoir plus jamais de larmes sur le visage. Hantée, la poète interroge sa propre histoire, fondement de son questionnement. Et de son travail. Tenter de comprendre. Une confrontation permanente s’impose entre son absence de larmes et les larmes qu’elle croise sur son chemin.

    Les poèmes du recueil sont de formes variables. Les uns proches de la prose poétique, les autres formant strophes où s’intercalent des interlignes. Ainsi des poèmes rassemblés sous le titre Le Dit de la Cathédrale de Strasbourg. Mélomane, Michèle Finck est sensible aux pauses entre les mots, aux points d’orgue qui mettent la respiration en suspens. Dans le même temps, elle accorde une grande importance au Chœur, lequel ponctue à intervalles réguliers l’ensemble du recueil. Une sorte de mélopée enveloppe les mots. Un mot par vers. Mais toujours le « chœur » ouvre une nouvelle section. Avec un crescendo. Cela commence « bouche fermée » (I et II), se poursuit « bouche mi-close » (III, IV, V) et se finit « bouche ouverte » (VI et VII). Il y a donc une progression ascendante. La musique du « chœur » accompagne les poèmes de vibrations qui vont en s’accroissant. Du murmure au cri ?

    Les glandes lacrymales taries, il faut aller à la rencontre d’autres mondes. Ainsi de la mer qui offre une parenté avec les larmes jusque dans l’intitulé de la section « Les larmes du large ».

    « Apprendre

    Les

    Larmes

    Par

    La

    Mer »

    …annonce le « chœur » sotto voce (« Bouche mi-close »). C’est en Corse qu’a lieu la régénérescence bienfaisante par les larmes. Mer salvatrice. Bercée par la « lallation du large », la poète tire de la mer une leçon de vie. Apprendre passe par l’observation d’un rituel. Scandé en début de paragraphe du poème d’ouverture (« Les Larmes du Large ») par un verbe à l’infinitif :

    « Se réveiller »/ « descendre »/ « S’approcher » / « Pressentir » / « S’agenouiller »…

    Ailleurs, la poète se sent « chamane ». Apte à vivre en accord parfait avec les actes qui rythment sa journée de plage : « nager/faire la planche/léviter »… La mer et ses « larmes d’écume » font revivre les morts. Leur présence habite le monde des vivants. Ainsi en est-il pour Michèle Finck. Il y a peut-être quelque chose d’oriental — et sans doute de corse — dans la façon que la poète a d’évoquer les morts, de les considérer, de leur accorder un geste d’attention, de prévenance.

    « Donner aux morts un bol d’écume

    En souvenir de ce qu’est la vie. »

    (Rituel écrit à la craie sur le ciel in « Les larmes du large »).

    Le don — le mot revient à plusieurs reprises sous la plume de Michèle Finck — élève l’âme. Il se peut qu’il ait à voir avec la lumière de Méditerranée et cette vasque émeraude qui accueille la poète :

    « Je fais la planche sur la mer […] et regarde jusqu’à l’hypnose les métamorphoses de la lumière. »

    (À la lumière méditerranéenne in « Les larmes du large »).

    De ces moments d’extase, la poète tire une « raison suffisante de vivre » . Senti au rythme des éléments, le poème entier, empreint d’une sensualité qui régénère, est symbiose continue entre le vécu et l’écrit.

    Dans cette section sur la mer, la poète alterne ses longs poèmes de « chamane » — eau de mer eau de mémoire — avec des tercets qui ponctuent la lecture en page de gauche. Des presque haïkus, ces tercets, légers comme les poèmes japonais, même si les sensations observées se trouvent condensées sur trois vers. Le regard se pose sur les senteurs les couleurs les formes les rumeurs la lumière. Et toujours la poète observe un crescendo. Ici temporel. Depuis l’aube jusqu’à la nuit en passant par la traversée du jour.

    « Mouettes blanches étincelantes

    Bougies posées sur le bleu

    Soudain soufflées par le soir. »

    Beauté pure de ces poèmes, ponctuations bienfaisantes, qui permettent de reprendre souffle, avant de s’éteindre avec la nuit. Tout ici se vit en fonction d’un rythme musical intérieur/intense. Mer et cœur sont les pulsations qui construisent une personne, « ouïe éblouie », la structurent en profondeur. Être, pensée, et vie entière.

    Parvenue à ce point de son exploration, Michèle Finck peut aborder La musique des Larmes (IV), partie centrale de son recueil. C’est dire si la musique, déjà fondatrice dans La Troisième main, tient au corps et au cœur de la poète, et la fait vivre. La cohérence de Connaissance par les larmes rend compte du projet d’écriture de la poète. Un projet de longue haleine, qui se poursuit dans le temps. La réflexion va croissant au cours de ces vingt poèmes consacrés à des extraits choisis pour l’intensité émotionnelle qu’ils procurent. En lien étroit avec les larmes. Le premier chœur introductif pose une définition interrogative essentielle en établissant une parenté possible entre la musique et Dieu :

    « Musique :

    Ce

    Que

    Pourrait

    Être

    Dieu

    ? »

    Sont convoqués ici, dans des poèmes brefs, de huit à dix vers (parfois davantage), les plus grands parmi les compositeurs, les interprètes, les voix, les chefs d’orchestre… Depuis Bach, Vivaldi Boccherini Schubert Brahms jusqu’à Britten et Poulenc, en passant par Mahler, Dvořák, Janáček, Webern et Chostakovitch. Ou encore Nikolaus Harnoncourt James Bowman Agnès Mellon Jörg Demus Dietrich Fisher-Dieskau Nathalie Stutzmann… De la Passion selon saint Jean au Stabat Mater de Vivaldi ou de Dvořák, d’élégies en lieder ou en arias d’opéra (Aïda, La Traviata), du Chant de la terre aux Six poèmes de Marina Tsvétaeva… Michèle Finck poursuit sa quête de saisissement des larmes. Toujours revient sous sa plume la question lancinante :

    « Que peut musique ? Faire toujours face.

    Héler encore héler obstinément la lumière ? »

    (in Dvořák : Stabat Mater,

    Brigitte Engerer, Accentus, Laurence Equilbey).

    La lecture de ces poèmes consacrés à la musique m’ont conduite un après-midi entier à écouter, livre en main, les extraits choisis par Michèle Finck. Je connais aujourd’hui L’Éloquence des larmes (Jean-Loup Charvet). « Larmes archaïques, impersonnelles, universelles… ». Mais aussi larmes multiples et contraires selon qu’elles « lapident le noir de l’œil » ou qu’elles sont « arches d’extase en vol ».

    De la musique à la peinture ou au 7e Art, il n’y a qu’un pas. Ainsi, pour chaque moment pictural, pour chaque séquence cinématographique, la poète s’attache-t-elle à un plan rapproché. Son regard se déplace sur la toile. Quelques mots suffisent pour rendre compte du tremblé des larmes sur le visage. Pour saisir ce que « l’œil écoute ». Visages de Vierge et de Pietà. La poète laisse errer son esprit, attentive à saisir les nuances, à saisir les énigmes. Revient alors, lancinante, la question de Dieu :

    « Où Dieu ? Peut-être dans les larmes qu’on ne voit pas. »

    (in Femme qui pleure, Van Gogh).

    D’Antonello da Messina à Masaccio ; de Memling à Munch ; de Frida Kahlo à Louise Bourgeois ; de Arp à Paul Klee, la poète poursuit son voyage à travers larmes. Jusqu’aux fausses larmes de Man Ray, « Faux-cils. Faux semblant. »

    De même pour la « Cinémathèque des Larmes ». La poète revisite les films aimés. Pour la façon que le cinéaste a

    « De

    Filmer

    Le

    Visage

    Et

    Les

    Larmes ».

    Le « gros plan sur le visage de Mamma Roma », ses larmes de mère atteinte dans sa chair par la mort d’Ettore en appellent d’autres. Les « Abîmes de Vivaldi » rejoignent la Lamentation sur le Christ mort de Mantegna. « Agonie » et « Rédemption » se croisent et se superposent. Prostituée et Pietà se fondent dans les larmes magnifiées d’Anna Magnani. Mais il y a aussi les larmes de Jean-Louis Trintignant et d’Emmanuelle Riva – en « petite vieille qui se consume, /Bougie de chair » dans Amour de Michael Hanecke ou celles de Gelsomina qu’accompagnent les sanglots de Zampano (La Strada), ou encore les pleurs de détresse puis de joie d’Ingrid Bergman dans Stromboli, et tant d’autres encore. De Rossellini à Visconti, de Resnais à Tarkovski ou à Mizoguchi…, le travail de Michèle Finck est le même. Cadrage d’une image, d’une scène particulière qu’elle décrit avec minutie. Mais toujours elle interroge les contraires. La mémoire et l’oubli. Le vivant et la mort. L’illusion. De l’un et de l’autre. La présence/absence de Dieu.

    « Même si Dieu n’existe pas, les larmes d’Ingrid

    Sont le passage de Dieu en elle. Larmes pas de mort.

    Mais de naissance. Vol d’oiseaux. Larmes-ailes. »

    (in Roberto Rossellini, Stromboli,Ingrid Bergman)

    Les deux dernières sections du recueil – Êtrécrire et Celle qui neige — libèrent la parole. Les poèmes réunis ici travaillent le dépeçage. Ne garder que l’essentiel. Se laisser traverser. Jusqu’à la béance.

    « Poésie : Être traversée.

    Par quoi ? Peu importe.

    Rumeur. Couleur. Odeur. »

    (in Celle qui neige).

    Il s’agit en effet pour la poète de continuer à vivre. Seule l’écriture et l’écriture du poème ouvrent à une possible survie. Fonction du poème ? Assurer la sauvegarde de la poète.

    « Écrire c’est sauter

    Dans le vide

    De la page.

    Pour

    Pas

    Crever. »

    (in « Au Salto », Êtrécrire).

    Écrire pour franchir la faille, et peut-être s’en affranchir. Écrire pour Être. Les deux actes n’en forment désormais plus qu’un. Pour cela, accepter de libérer la langue des gangues qui l’enserrent. Briser tout ce qui entrave. Désosser décaper désorbiter. Et donc lutter contre soi-même. Contre ses propres défauts de langue. S’obstiner. Laisser le poème s’exposer sur la page, «  os  » et «  rythme  », c’est permettre à la langue de retrouver la force qui nourrit les mots. Ne retenir que cela. Permettre aux mots de « neiger » sur la page. Et à celle qui pleure de troquer ses larmes contre la neige.

    « Maintenant : je neige, j’écris.

    Par alchimie des larmes. »

    « Neigécrire ». Dit-elle.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Finck 3






    MICHÈLE FINCK


    Finck Guidu
    Image, G.AdC




    ■ Michèle Finck
    sur Terres de femmes

    [Pier Paolo Pasolini, Mamma Roma] (poème extrait de Connaissance par les larmes)
    [Chostakovitch, Tsvetaïeva, Akhmatova] (poème extrait de La Troisième Main)
    La Troisième Main (lecture d’Isabelle Raviolo)
    Pitié (poème extrait de L’Ouïe éblouie)
    [Cette fois nous parvenons à travailler] (poème extrait de Poésie Shéhé Résistance)
    Sur un piano de paille (lecture d’AP)
    Variation 9 :: À Glenn Gould 1981 (poème extrait de Sur un piano de paille)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    une notice bio-bibliographique sur Michèle Finck
    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    une page sur Connaissance par les larmes de Michèle Finck





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  • Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel

    par Isabelle Lévesque

    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel ,
    éditions  Arfuyen, Collection « Les Cahiers d’Arfuyen »,
    volume 228, 2016.



    Lecture d’Isabelle Lévesque


    De cet espace, je ne garde rien.
    J’écris, pour que tout demeure possible.

    C. A. H.





    Quel après susciter, quel chemin longer pour rejoindre ce qui ne s’atteint pas ? Les épigraphes de Poèmes d’après de Cécile A. Holdban orientent la lecture : « temps perdus dans la ténèbre » pour Novalis, « [t]able rase de la lumière ou de l’ombre » pour Juarroz.

    Ce volume publié par Arfuyen rassemble deux recueils. Le premier, Poèmes d’après, est organisé en trois parties. La première est nocturne et hivernale. « C’était une période où Dieu se taisait », prévient l’auteur. Elie Wiesel, dans La Nuit, découvrant l’horreur inimaginable d’Auschwitz-Birkenau, écrivait : « L’Éternel, Maître de l’univers, l’Éternel Tout-Puissant et Terrible se taisait » 1, mais aussi : « Et le monde se taisait ». Ce jour commence donc par la nuit, par le chaos douloureux de la nuit. Nous savons les crimes, les guerres, les violences d’avant et celles d’aujourd’hui. Comment vivre après ?

    Sceau de la dispersion : les premiers vers de Poèmes d’après trébuchent sur une interrogation qui fonde ce livre :

    « Quelle main rassemblera

    les fragments laissés à la nuit ? »

    Par sa quête, le poème restitue les fragments d’une unité perdue. L’errance est située dans un temps immémorial et présent : celui des « maisons » où « des toits aux fondations / rien ne tremble ». Quelque chose appelle qui demande à être éveillé, une langue perdue qu’il faut étreindre pour éprouver sa matérialité et sa force, plusieurs langues sans doute pour l’auteur, traductrice et porteuse de cultures plurielles.

    Le choix de couverture le figure : le détail de la toile Le Rendez-vous des amoureux, de Tivadar Kosztka Csontváry, rappelle les origines hongroises de la poète et isole le chemin et l’horizon liés par la couleur alors que le couple du rendez-vous, accompagné d’un ange (ou Cupidon ?) aux longues ailes blanches, devenu hors-toile figure l’arrière-pays présent/absent (escompté).

    Une langue veut exister, revendique l’unité perdue.

    Le roi Nimrod, défiant Dieu du haut de la tour de Babel, semble apparaître au détour d’un tercet :

    « Un archer fou veut ficher

    ses flèches dans le ciel

    toutes elles retombent et se brisent. »

    Et la tour se brise aussi, et l’unité humaine. Quelle langue pour écrire après Babel ?

    Le poème s’invente par l’épopée créatrice « de toutes les eaux » comme en déluge on sauverait les mots rassemblés qui se lèvent et s’ajoutent les uns aux autres pour constituer le tissu de la langue, « des étoiles aux étoiles » pour rendre la vue. Des unités de sens (de force) se constituent : « vivre » et « naître » en dérivés signifiants fondent et assument le poème qui s’engendre. Au futur, prophétique et accompli, « nous serons », se trouve la direction d’instinct, de destin, « saumons à l’amont du combat des eaux ».

    Monde animé, parcouru de forces, le soleil « debout » accomplit sa tâche, la nuit est parfois brisée par ses rayons silencieux, cohorte de mots assignés : ils conduisent les « rêves durcis », filant une métaphore d’équipée maritime porteuse de « soif ». La poésie de Cécile A. Holdban porte une langue de combats, elle ranime des forces amenuisées pour ouvrir l’horizon. L’instrument de lutte, ce sont les mots et les modes : impératifs d’assaut, « [a]ccueille ton capitaine », le futur proche qui accomplit les promesses par la certitude de l’indicatif. Les verbes d’action se dressent dans le vers, succession en parataxe dénotant l’urgence comme l’ordonnance d’un destin que l’on construit. En cela, la liberté guide le vers et associe langue et combat au ciel d’un absolu qui se conquiert. Nulle tranquillité en ces poèmes énergiques, l’heure est aux miracles, « l’océan s’ouvre ». Cela coule (sang, sève), debout et allant. Des vers d’autres poètes sont cités, ceux d’Anna Akhmatova, Janet Frame, de Sándor Weöres, Edith Södergran, célébration par le texte qui entre dans les poèmes de Cécile A. Holdban. Un monde perdu / restitué nous est offert : à cet égard l’emploi strict du verbe « être » comme copule restitue une vocation unificatrice de ce terme : au présent ou au passé, malgré la fragmentation. Ce qui est écrit passe par une assimilation directe de réalités (métaphores), comme si sans détour les équivalences établissaient des évidences incontestables. Le passage par la lutte permet au poème de renouer avec la clairvoyance (foi en ce que la poésie peut délivrer).

    Des scènes sont imaginées, envisagées, revécues : fulgurance d’ogre pourléché, un enfant « blotti au chaud dans son ventre », il « dévore la lune entre les dents des feuilles ». Ces visions, secouées par des « peut-être », font surgir des hypothèses inattendues, lune poursuivant sa course dans le ventre de l’ogre « mais qui n’éclaire rien », des réalités cachées sont envisagées qu’il nous faut détecter. Poète déchiffreur, poète « peut-être » dans un « ciel bleu muet » captant « dans ce long cri muet/caressé au ciel » un « OISEAU » majuscule, alors la lecture de ce monde devient poème, un miracle accru, « courants invisibles/perdus pour l’amour ». À la troisième personne se jouent l’histoire, l’épopée, la mémoire. Les trois, ensemble, augurent le temps révolu, mythe créé d’une lecture atemporelle de la réalité dans laquelle chacun avance aveuglément. Aveuglement temporaire, puisque le voile est levé par celui ou celle qui, parcourant les surfaces vides (mystérieuses ?), « les yeux collés à la vitre », verra : « un arbre a poussé là / où la croix s’est défaite et les branches sont tombées ». Alors « il marchera » « avec d’autres langues », elles portent les disparus car chacune révèle celui qui la parla. Ce dernier poème de la première partie porte pour titre le nom de l’observatoire astronomique qui mesure avec précision la distance de la Terre à la Lune : « Apache point ». La Lune nous rappelle que le Soleil n’est pas mort. Elle donne sa lumière quand la nuit s’impose. La Lune féminine, Séléné ou Luna, commande aux océans et à leurs marées. Les folies qu’elle provoque ne sont que passagères.

    La seconde section du livre est consacrée à la petite fille que la femme porte en elle. Comme le dit le poème de Sándor Weöres, ici traduit et placé : « Et l’enfant vieillard que j’étais, / je le porte avec moi dans un cercueil minuscule / comme une amulette. » Cette « petite-fille » se déplace « à cloche-pied » sur la grande marelle des âges, tout est possible, l’avenir est ouvert, et le poème chante :

    « aucun escalier aux abois

    aucun brasier funeste [6 syllabes]

    ni corbeaux aux jardins [6 syllabes]

    ni ton sang dans les sources [6 syllabes]

    ni chapelle où renoncer

    aucun blason, aucun centaure, aucun guerrier [alexandrin trimètre]

    sous un ciel de dentelle, de jasmin et d’étoiles [deux hexasyllabes]

    tu sautes à cloche-pied »

    Poème d’après la nuit, d’après les guerres. De quelle robe s’habillera la « petite fille » ? « Les oiseaux du jardin », ceux qui « connai[ssent] les secrets de [s]a nuit v[iendront] s’y poser ». Une robe de lune ? Cette « lune / envers du visage, œil aveugle et blanc de paroles / ouverture à la perte aux échecs aux aiguilles… » ? Vient-elle de la lune cette « cuve de néant versée sur les montagnes, une lune lumière de la nuit ?

    La « fillette » se livre au jeu des dînettes « dans sa maison de poupée », ici ou près « des minarets » dans le déplacement constant de la fable, des contes et des langues. Elle voyage. Comme dans une chanson traditionnelle, un marin invite la jeune fille à monter dans son bateau. Mais la chanson finit mal. La « petite fille » doit combattre les chimères, les images serrées les unes contre les autres l’arment : elle et son fil face à « l’ombre du Minotaure ». Plusieurs poèmes sont lancés par une remémoration, une adresse ou un appel à sourdre. Autour, les arbres, l’étang, l’ogre hiver, les personnages vivants de la fabuleuse histoire visitent les rêves dont il ne restera rien, « quelques osselets / l’ivoire dur du ciel ». Comment y voir ? Les symboles mêlés, formes des nues révélées, avalent le silence de la petite fille, « sa présence absolue voudrait / renouer l’univers ».

    On perçoit l’union entre la poète et les éléments d’un monde dont on entrevoit la proximité secrète : mouette de l’océan cherchant ses oeufs dans les rochers, quelqu’un la regarde qui voudrait être l’objet de sa quête. Une porosité existe entre le vivant, lieu du désir, et la nuit : l’obscur est la page de Cécile A. Holdban, elle y écrit son poème – ou le rêve. L’impossible n’est pas écarté, tout palpite et se vit, dans le monde animé de l’océan, des abysses. Victoire fragile du poème qui existe et fait émerger « des créatures rares et sombres ». Les légendes et les mythes fondateurs se déroulent sur un ciel animé d’intentions et de gestes. On pénètre les lieux secrets d’une conscience où se mêlent des éléments culturels alors que la voix de la petite fille ne s’éteint pas. Elle relit ses cauchemars, transforme ses souvenirs en visions traversées de force que la nuit libère. Les vers courts du début de livre cèdent à l’ampleur du conte pour des versets qui secrètement visent, à force de flèches, une identité polymorphe et entière :

    « si je suis venue, et l’oiseau à ma suite, c’est pour trouver mes yeux

    dans l’océan, où le regard est double. »

    Activation sans fin d’une démarche qui se nourrit d’écume et de mots comme racines et ciel se joignent. Affirmation de volonté farouche : la poète retrouve des silhouettes, les décrit – les enchante :

    « Tu te penchais sur la terre en toute saison, creusant de tes mains, tu semais, tassais, cueillais, caressais et frappais la terre. »

    Ainsi soient les gestes retrouvés, séparés d’un ancrage précis, l’immémorial affirme son règne dans un présent immédiat et oraculaire. Les pronoms personnels tournoient : qui parle ? Ou plutôt : d’où partent ces voix sans cesse ? Polyphonie de cette « bouche  » où « s’enlacent / les fleurs les fruits les oiseaux », ici l’impossible dans ces voix qui se mêlent et s’aimantent. Alors la « petite fille » « referme la boîte de sa maison » qui « brûle », elle « prend son cahier et commence à écrire ». Partir, grandir, mûrir, écrire.

    Dans la troisième partie, nous atteignons un autre paysage. Le monde se découvre dans sa réalité. Il s’agit d’abord de le nommer avec les mots justes. La voix qui s’élève ne s’arrête pas, nourrie d’identités multiples, elle se refuse à une définition unique, comme ne cesse l’énumération des biens hirsutes et libres qui nourrissent les listes sans fin :

    « Aubier, souche, sève, écorce, pousses ligneuses, bourgeons, pétioles, aiguilles, tiges, segments, arêtes, résine, drageons »…

    Ces trésors, pour nous engendrer à l’infini : fruits de reliefs, de saveurs, délibération ouverte aux osmoses, l’écriture s’alimente dans l’inépuisable, le poème est cette trace mystérieuse et polysémique qu’elle a générée. Ici les virgules suivent ce mouvement fou de multiplication, il le suit comme il appelle encore, toujours, de nouveaux noms à énumérer. Alors l’impératif (« Murmurez, bénissez, soyez… ») invite à épouser cette prolifération, le poème veut la vie autant que la vie le requiert. La poète marcheuse « tête levée » perçoit les nuages (répétés, ils envahissent le poème) : leur texture, leur visage, leur symbole, leur parole, voici que par le regard tout devient ces nuages, « ton œil renverse le ciel pour leur offrir l’abri ». En cela, l’ombre et la magie se joignent pour délivrer l’impossible, une force va qui réduit les contraires à de la poussière d’or. L’aube, l’enfance existent toujours, mais portées par un autre âge :

    « Il y a dans le paysage de midi quelque chose de figé qui pourtant tremble,

    un paysage portant moins loin le regard que l’offrande d’un oui

    et des dons passe-murailles d’une solitude à l’autre »

    Ce qui change tout, à commencer par le poème, c’est la rencontre, l’amour :

    « Si je mâche mes mots, longtemps, infiniment

    c’est pour qu’ils soient de l’eau

    c’est pour qu’ils soient liquides, qu’ils soient rendus au bleu

    c’est pour que tu y plonges

    et que tu m’y retrouves. »

    Vers, prose, échappée narrative à peine, d’une teneur fabuleuse, au miroitement de la reconnaissance une parole revient, « c’est toi » ponctuant chaque fin de vers d’un autre poème :

    « ma source et mon désert et ma Jérusalem – c’est toi

    mon soleil souverain, mon berceau et ma nuit – c’est toi. »

    La poète énonce sans fin, retournant au miracle d’un paysage devenu l’aimé applaudi et fêté.


    Les trois parties du recueil contiennent des poèmes (ou des extraits) traduits de six poètes écrivant dans six langues différentes : trois fois Janet Frame (néo-zélandaise) en anglais, deux fois Sándor Weöres en hongrois, Roberto Juarroz (argentin) en espagnol, Anna Akhmatova en russe, Novalis en allemand, Edith Södergran (finlandaise) en suédois. C’est que les poèmes sont toujours des poèmes d’après d’autres poèmes, ceux qui ont été lus, éventuellement traduits. Les poètes sont lecteurs et habités par les voix de ceux qui les ont précédés et touchés.

    « Les morts sont bien morts. Mais ils ne dorment que d’un œil. Dans les cimetières poussent les crocus. Ce sont les flèches. Le soleil monte lentement de la terre. »

    Cécile A. Holdban, née en Allemagne avec des origines hongroises et vivant en France, traductrice du hongrois et de l’anglais, l’éprouve en sa voix. C’est ce qu’Armand Robin2 appelait le « monde d’une voix » 3. Dans la présentation qu’il faisait de ses traductions de trente-quatre poètes écrivant dans dix-huit langues différentes, il déclarait : « […] je me fis tous les grands poètes de tous les pays de toutes les langues. J’atteignis un Eden d’avant la Tour de Babel ; tous y parlaient une outre-langue […]. Eux-moi sommes UN. Je ne suis pas face à eux, ils ne sont pas face à moi. Ils parlent avant moi dans ma gorge, j’assiège leurs gorges de mes mots à venir […]. » 4 Dans Ma Vie sans moi, il mêlait des poèmes traduits et des poèmes personnels. Dans le volume Poésie/Gallimard de 1970, l’éditeur a choisi de mutiler l’œuvre et de ne publier que les poèmes personnels.

    Dans Poèmes d’après, les poètes francophones sont présents eux aussi ; ils sont les exclusifs dédicataires. Ils sont cinq, tous bien vivants : le Suisse Philippe Jaccottet, Lórand Gáspár, Français d’origine hongroise, Jean-Marc Sourdillon, Thierry Gillybœuf et Estelle Fenzy. Les quatre premiers d’entre eux sont aussi traducteurs. Leurs univers se reconnaissent dans les poèmes qui leur sont dédiés.

    Les poèmes d’avant sont bien dans les poèmes d’après.


    La Route de sel ne contient aucun poème traduit. Son sous-titre désigne une dédicataire : Poèmes pour Emilia. S’agit-il d’Emilia Wandt5 ? Sur le titre on s’interroge également. Quelle est cette route de sel ? Les Poèmes d’après nous assuraient qu’« à l’océan détourné par les vagues, certains soirs / un chemin obscur est promis », chemin aux « nourritures salées ». Et Janet Frame ajoutait par la voix de Cécile A. Holdban que « L’eau salée est poésie ». Cette route de sel, sans doute est-ce le chemin de poésie, avec son sel nourricier, son sel qui brûle aussi. Les routes océanes ne sont pas tracées, ce sont les plus risquées et les plus belles. Mais le sel de la vie, c’est aussi celui du vent, le « sel d’autan »6 et le sel des larmes, en cette eau qui n’apaise pas les plaies :

    « Les larmes ne cicatrisent rien

    étincelles trop proches

    d’un fer rougi »

    Les blessures sont toujours présentes, ouvertes, saignantes, les blessures de ce qui commence à finir en naissant même. Comment, sans les refermer, les apaiser ? Pour cela : printemps et eau fraîche de la pluie. L’annonce est clairement formulée : « le printemps arrive ».

    « Il faut guetter la nuit

    la dérobée

    une veine d’eau vive

    pour le cœur apaisé

    chercher la faille

    où glisser ce baume

    l’ombre sur la plaie du jour. »

    Pierre-Albert Jourdan écrivait au printemps qui commence, le samedi 27 mars 1980 : « Frémissement, mot admirable, habillé de feuilles et de chair, de vent et d’amour. » 7 Cécile A. Holdban confie à son tour :

    « Mars,

    la barque du ciel glisse d’un jardin à l’autre

    vent, vagues, frémissement

    à la cime des arbres ».

    Tels sont les mouvements ascendants et descendants, du ciel vers la terre et de la terre vers le ciel, de la sève, du sang et de l’eau. La vie est un échange. Notre galaxie est blanche comme le sel et, vue de loin, semble une route, c’est la « Voie lactée ». Simples individus, nous ne sommes pas grand-chose parmi tant d’infinis, pris entre la première division de l’atome et un achèvement impossible à calculer : « Au silence réuni de l’atome / la trame du cosmos / d’avant, bien avant / forgea l’ombre entre les étoiles ». Nous venons bien après « le vieil Éden ». Les « étoiles », les « constellations » et leur « langue de feu » traversent le texte pour nous situer. Les poèmes créent des liens, tressent des fils pour nous guider dans les labyrinthes extérieurs et intérieurs :

    « au-delà de mon corps j’ai étendu un arc

    et relié les mondes – point démultiplié »

    Des fleurs innombrables traversent les poèmes, comme les arbres qui viennent de l’intérieur de la Terre pour grimper vers le ciel (« les arbres sont des passerelles »), ou les oiseaux qui vont du sol au ciel : le printemps paraît une grande fête de la vie organisée par le dieu-lune, le grand Pan.

    La tour de Mélisande se dresse dans le ciel au royaume d’Allemonde dans l’opéra de Debussy et Maeterlinck. Mélisande se coiffe à sa fenêtre et chante que ses « longs cheveux descendent jusqu’au seuil de la tour ». Pelléas les prend dans ses mains et chante à son tour : « Je les tiens dans les mains, je les tiens dans ma bouche… Je les tiens dans les bras, je les mets autour de mon cou… Je n’ouvrirai plus les mains cette nuit… » 8 Ce chant d’amour sensuel retentit dans les poèmes de Cécile A. Holdban. Était-ce déjà Mélisande qui, dans Poème d’après, « démêl[ait] sa chevelure  » ? Dans La Route de sel, une « tour jaillit » de la nuit. Mélisande apparaît, mais au bord de la fontaine où elle a laissé tomber la bague de Golaud, elle va rencontrer Pelléas.

    L’eau, le printemps apaisent les blessures, mais plus encore l’amour écarte le pire. La figure de l’amoureuse dans La Route de sel éclabousse les poèmes d’éclats vivants, plumes, pétales : « sur ma paume / quelques lignes de sang ». La « femme tourelle » (tour, tourelle et tourterelle), se révèle protectrice, et sa verticalité de songe guide les pas du marcheur qu’elle attend, « une seule présence / pour que surgisse le jour ». Soleil et lune, en une croisée singulière dans le ciel de Cécile A. Holdban, nous apprennent que le destin des astres n’est pas incompatible. Le ciel les ouvre aux traversées et à l’alliance, le paradis perdu peuplé d’oiseaux merveilleux interpellés depuis la terre ; ils unissent la mer à la route, l’aube aux routes célestes, intercesseurs hardis comme les poètes lus ou traduits qui offrent leurs forces convergentes dans l’énigme de l’univers parcouru de signes fous. Bien des lignes ne seront pas décryptées, c’est que le vol, nourri de son élan, ne se lit pas, il se suit du regard dans le mystère de sa trajectoire de mars. Sur la page, l’un des derniers poèmes, haïku, parole de vent :

    « Ici

    rien que des mots

    le désir est ailleurs »

    où tremble, peut-être, le fil nu de l’encre du poème.



    Isabelle Lévesque
    D.R. Texte Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes




    ________________________________
    1. Elie Wiesel, La Nuit, Éditions de Minuit, 1958/2007, page 77.
    2. Armand Robin (1912-1961) avait le breton comme langue maternelle. Il apprit le français à l’école, puis une vingtaine d’autres langues. Il fut le premier traducteur de nombreux poètes, dont Anna Akhmatova. Il traduisit du hongrois André Ady et Attila József.
    3. Armand Robin, Ma Vie sans moi suivi de Le Monde d’une voix, Éditions Gallimard, 1970. Sur le sort éditorial de ces textes, voir le site de Françoise Morvan :
    https://francoisemorvan.com/recherche/edition/armand-robin/.
    4. Armand Robin, Poésie non traduite, Éditions Gallimard, 1953, page 11. Les deux volumes de Poésie non traduite n’ont jamais été réédités.
    5. Poète néo-zélandaise méconnue que Cécile A. Holdban traduirait ? Mais existe-t-elle vraiment, cette Emilia cousine d’Emily Dickinson ?
    6. En latin, altanus ventus signifie « le vent qui vient de la mer ». Dans le Sud de la France, c’est un vent du sud-est, qui vient donc de la mer. Il est réputé pouvoir faire perdre la tête… « ma raison glisse / plus loin encore », lit-on dans l’un des poèmes.
    7. Pierre-Albert Jourdan, Les Sandales de paille (Notes 1980), Éditions de L’Ermitage, 1982, page 39.
    8. Maurice Maeterlinck, Pelléas et Mélisande (pièce et livret), Éditions L’Escalier, 2010, page L25 (livret Acte III, scène 1).







    Cecile A Holdban






    CÉCILE A. HOLDBAN


    Cecileaholdban




    ■ Cécile A. Holdban
    sur Terres de femmes

    À la fenêtre (poème extrait du recueil Ciel passager)
    Ciel passager (présentation publique de Thierry Gillybœuf)
    Hiéroglyphes (poèmes extraits du recueil L’Été)
    [Il n’est pas d’autre lieu que celui de l’absent] (poème extrait de La Route de sel)
    Poèmes d’après suivi de La Route de sel (lecture d’Emmanuel Merle)
    Toucher terre (lecture d’AP)
    Îles (poème extrait du recueil Toucher terre)
    [Suspendre ma voix] (poème extrait du recueil Un nid dans les ronces)
    Xénie
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [Je ne tuerai point]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur La Pierre et le sel) Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    → (sur le site des éditions Arfuyen) la page de l’éditeur sur Poèmes d’après suivi de La Route de sel, de Cécile A. Holdban
    → (sur le site des éditions Arfuyen) une fiche bio-bibliographique sur Cécile A. Holdban
    → (sur le site des éditions de la Lune bleue) une notice bio-bibliographique sur Cécile A. Holdban




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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