Étiquette : L’Escampette éditions


  • Mohammed Bennis | Galaxie


    GALAXIE




    DANS LES CHAMPS jamais endormis
    j’avance enivré par une brise
    légère
    et j’ai une respiration déréglée
    friande de l’odeur des passants

    Ô noirceur
    j’arrive à obtenir de tes treilles ce dont tu n’as pas idée
    une lueur
    qui se voit au loin sous forme
    d’ombres vibrantes au féminin
    rotatif et sans retour
    un silence comme preuve d’une encre qui frémit

    Comment puis-je déplacer les fenêtres
    vers toi comment les disjoindre
    du mur
    et leur verser un vin lumineux
    à elles seules
    en leur disant une rose
    pour vous uniquement
    qui approfondit un silence en giration
    continue
    irradiant au milieu d’une soirée de noctambules



    Mohammed Bennis, « Proche famille de la taverne », Vin, L’Escampette éditions, 2020, page 94. Poèmes traduits de l’arabe par l’auteur en collaboration avec Mostafa Nissabouri. Préface de Bernard Noël. Postface de Claude Esteban.





    Mohammed Bennis  Vin




    MOHAMMED BENNIS


    Mohammed Bennis
    Source




    ■ Mohammed Bennis
    sur Terres de femmes


    Bernard
    Invitation
    [Toujours ton ami d’Orient revient à l’automne](poème extrait de Lieu païen)
    la lectio magistralis, « Le poème et l’appel à la promesse », prononcée (en français) par Mohammed Bennis le 25 mars 2011 à Florence, à l’occasion de l’attribution du Prix Ceppo international de Pistoia




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur Imperfetta Ellisse)
    Mohammed Bennis, poeta mediterraneo, vince il Premio Internazionale Ceppo di Pistoia
    → (sur le site de L’Escampette éditions)
    une fiche bio-biobliographique sur Mohammed Bennis
    → (sur Lyrikline)
    dix poèmes de Mohammed Bennis dits (en arabe) par Mohammed Bennis





    Retour au répertoire du numéro d’octobre 2020
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Claude Margat | [La rumeur du grand arbre]

    « Poésies d’un jour

    choisies par Sylvie Fabre G.





    MARRONNIER_Foto
    Ph., G.AdC






    [LA RUMEUR DU GRAND ARBRE]



    La rumeur du grand arbre
    qui frémit dans tes mots
    ne sort pas de ta tête
    ni de ses paysages sans nom
    mais des livres que tu as lus
    et qui dansent sur l’ombre
    de présents disparus.




    Claude Margat, Matin de silence, L’Escampette éditions, Collection Poésie, 2011, page 19. Préface de Bernard Noël.






    [ICI]


    Ici
    en ne regardant rien que l’air
    on change aussi de ciel

    en changeant de ciel
    on change de vue

    en changeant de vue
    on change de pensée

    en changeant de pensée
    on change tout naturellement de vie




    Claude Margat, Matin de silence, L’Escampette éditions, Collection Poésie, 2011, page 34. Préface de Bernard Noël.






    Claude Margat  Matin de silence





    CLAUDE MARGAT

    Claude Margat portrait 3
    ©PHOTO KC Bordeaux
    Source





    ■ Claude Margat
    sur Terres de femmes

    Sylvie Fabre G. | Le rêveur d’espace [hommage à Claude Margat]




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de France Culture)
    Claude Margat dans l’émission de Sophie Nauleau : Ça rime à quoi (16 septembre 2012)
    → (sur le site de la revue L’Actualité Nouvelle-Aquitaine)
    Claude Margat dans la voie du silence, par Jean-Luc Terradillos (+ un entretien biographique paru en 2004)





    Retour au répertoire du numéro de décembre 2018
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Sylvie Fabre G., Tombées des lèvres

    par Isabelle Raviolo

    Sylvie Fabre G., Tombées des lèvres,
    L’Escampette Éditions, 2015.



    Lecture d’Isabelle Raviolo


    L’ŒUVRE DU VIVANT : UNE LUMIÈRE PRESSENTIE AU-DELÀ




    L’essentiel est l’infinie faiblesse



    Nous ne voyons plus dans la même lumière,

    Nous n’avons plus les mêmes yeux, les mêmes mains.

    L’arbre est plus proche et la voix des sources plus vive,

    Nos pas sont plus profonds, parmi les morts.

    Yves Bonnefoy, Pierre écrite.



    Dans ce très beau recueil dédié à ses petites filles, Tosca et Anna Livia, Sylvie Fabre G. ouvre l’espace d’un recueillement, d’une joie intérieure : le lecteur est invité à l’écoute attentive de la naissance, à l’émerveillement.

    La pureté des vers, leur sonorité aquatique, l’élan de leur douceur, sont autant d’appels à vivre avec l’enfant « une vérité inédite » où apparaît, discrètement, l’éclat d’un cri s’accordant à l’existence, exultant dans la lumière. Ici, la métrique répond à la mesure immense des visages naissants : un don d’amour sans cesse renouvelé où les syllabes se posent sur les notes – comme un battement de cils au sortir de la nuit.

    Les mots de Sylvie Fabre G. s’assemblent en une symphonie où le cœur est « en dialogue avec le monde et ses règnes ». Tombées des lèvres s’énonce comme une prière de louanges : une poésie de la grâce qui se fait tout entière ouverture et accueil. L’offrande qui nous est faite est celle de la fragilité même, de la présence éphémère qui se retire pour laisser place à plus grand qu’elle, à l’œuvre du vivant. L’exergue du recueil nous le rappelle en ces vers de Philippe Jaccottet :

    « Fragile est le trésor des oiseaux. Toutefois

    puisse-t-il scintiller toujours dans la lumière ! »

    La poésie délicate de Sylvie Fabre G. fraie ici « le passage où il n’y a pas de temps », et nous fait entendre l’inouï d’une voix au son d’innocence – creuset d’un immémorial où vibre l’informulé.

    « La perte, qu’en faire n’est plus la question,

    l’essentiel est l’infinie faiblesse,

    la douce pesanteur (l’une après l’autre)

    des corps des enfants. »

    La poésie, qui a pour objet la finitude, est là signifiée en ce qu’elle a de plus spécifique : « la joie originaire de la vie », celle qui chuchote « l’étrange et caressante tristesse de ce qui est là, va et vient, se dérobe, et déjà meurt. »

    La parole ne suffit plus. Elle doit se porter au-delà d’elle-même, s’intensifier en ce chant d’oiseaux qui traverse tout le recueil et qui excède toute parole. Elle se fraie un passage dans la nuit, vers l’autre rive – ce lieu poétique fondé sur l’ellipse et le manque, et qui recèle pourtant en lui le rêve pastoral, comme un noyau central, libérant la constellation du désir :

    « Au sortir de la nuit la cadette appelle, grisolle

    et bat des ailes, une insurrection qui tire la mère

    et le père vers le lit à la matinale appétence,

    les fait entrer dans le rayon sensuel de son sourire

    né d’une faim de lait et de baisers, de mots

    et de visages, un nid bourdonnant, bourgeonnant

    à même les membres, le tronc, la tête, le bec

    de la gentille alouette inventrice de gestes

    plumant de leur cœur l’amour, le mêlant

    au courant des lèvres qui en goûtent l’haleine

    à sa voix pour toujours cascade légère où

    le jour s’éclabousse de bruits d’oiseau. »

    L’intensité silencieuse du vécu n’est pas séparable du peu de mots qu’est la poésie. Le poète se tourne vers cette parole dont l’existence ne se distingue plus : une « parole d’enfant bergère dans une sagesse qui accorde sa bonté à l’instant. »





    Couler de source pure : la joie et l’angoisse irrésistible de vivre



    L’écoute attentive de ces poèmes qui « jaillissent et chantent pareils aux fontaines », requiert le silence, et un espace retiré et secret. Le lecteur vibre alors au son de cette corde intérieure, où la transparence d’une voix se fait entendre, dans l’écoute soudain désaltérée : instants fugitifs égrenés comme notes d’enfance où s’éveillent deux chants d’alouette pour dire la vie intacte.

    Sylvie Fabre G. invite à cette écoute subtile qui se relie au chant vivant d’une nouvelle éternité. Anna Livia et Tosca délivrent, en leur enfance fragile, l’incarnat de la vie, le temps d’un éclair. Cela coule de source pure comme dans l’ordre ébloui de la voix où la créature s’accorde au désir. Ce sont ces paroles que la poésie de Sylvie Fabre G. sait prononcer malgré la nuit et l’angoisse – des paroles que la poésie rend à leur densité comme à leur pureté : œuvre au noir où ce qui semble banal, insignifiant à nos oreilles blasées, devient voix inouïe dans le feu de poésie, cet « horizon intime où s’éternisent de brefs soupirs qui plongent dans l’ouvert ».

    Mais le plus pur est aussi le plus fragile, et ce qui nous est offert dans l’instant est appelé à disparaître. Cette précarité est-elle ignorée du nouveau-né ? (« le bébé rêveur sait-il déjà la mort ? »). La poète s’interroge et sa question devient prière de demande mais aussi acte de foi en la vie, en ce monde fini qui, comme le poème, n’en finit pas de requérir les nouvelles arrivées dans l’œuvre du vivant : il s’en dégage une communion à la Terre, un toucher mystérieux et délicat que la poète parvient à dire avec une grande sensibilité :

    « Au loin du parc où courent les petites jambes,

    la terre qui les connaît et qu’elles connaissent,

    comme les pins, le tilleul et le hêtre bruissant

    accueille la joie et l’angoisse irrésistible de vivre »

    L’épreuve de vivre s’inscrit dans cet élan confiant qui ne refuse ni la joie ni l’angoisse, qui accueille le clair et l’obscur dans l’instant présent pleinement aimé et reçu : « être là dans l’éternité aimante du regard » dit ce geste simple et exigeant de la présence qui ne s’approprie rien, et qui, dans sa désappropriation même, laisse passer la lumière.

    « Toute enfance a sa divination

    dans le sourd appel de son angoisse

    ce qui bruit est l’informulée

    blessure qui pressent

    (à corps défendant, âme vivante)

    la soustraction possible d’un départ.

    Dans le langage du baiser, nul salut

    qui puisse guérir jamais

    la violente solitude de vivre. »

    Si les fillettes ont le pouvoir d’éveiller un sentiment de jouvence dans la langue, de faire jaillir les mots comme des sources pures, elles pressentent aussi le réel et sa finitude. Elles ne s’y résignent cependant pas, et parviennent à habiter ce réel avec l’élan de leur confiance, à faire naître les couleurs dans le noir, à en révéler la lumière. Alors, « vivre – avec l’enfant, c’est toujours comme une vérité inédite. » Vérité inédite parce que seul l’enfant, dans sa grâce unique, en a le secret, un secret qui s’éprouve dans la charité discrète. Cette force de l’enfance naît de sa blessure, de sa fragilité même ; elle est la force même de l’abandon, de la confiance qui éclaire l’aïeule triste par ses gazouillements enjoués, qui a l’art des salves et des trilles : « les drôles de petites balles au canon de sa voix atteignent leur cible », nous dit Sylvie Fabre G. Quant à Tosca, l’intrépide, semblable à l’alouette, elle est celle qui parvient à ajouter au jour la vaste présence de son grand « oui » à la vie : l’immense promesse qui s’en dégage est celle qui ramène l’aïeule à la vie. Car la voix de l’enfant est celle du consentement, de l’abandon joyeux et lucide à l’existence présente, si bien que « le cœur vermeil rebat, oubliant un moment au coin noir des mots la mort du fils qui bat sous les nuées. » C’est elle, « l’intimide, Anna Livia au bouquet du poète », qui allume le feu intérieur, trace la voie de la liberté dans l’éternité aimante du regard confiant.

    C’est cette confiance orante qui touche tant dans ce recueil : une confiance que Sylvie Fabre G. sait adresser à « plus grand que soi », dans la vie qui s’en va et dans celle qui vient, comme en ce geste éphémère qui trace un dessin sur le sable mouillé. Nous sommes ici dans sa lumière : celle de l’enfance redécouverte sans niaiseries – une enfance dépouillée de ses oripeaux doucereux – et rendue à la lumière vibrante de la vie. Sous la plume de Sylvie Fabre G., le territoire de l’enfance devient envol d’oiseaux, chant qui monte des profondeurs de la Terre et qui se répand dans le ciel : « accord qui monte avec le vent, bleuit l’ardoise des lavandes et désoriente son geste de cueillir ». Elle en signifie la force candide par l’abandon, l’instant fragile dans le rire qui gagne l’apesanteur. Le jeu déploie alors sa lumière diaprée dans une vibrante remontée d’être, et « le bain dans le bleu qui coule de la montagne jusque dans la piscine prosternée » devient « salutation ». L’espace ludique s’énonce comme une vie consentie, l’expansion de l’âme dans l’ardent désir d’étreindre l’inconnu :

    « Par penchant de corps l’enfant cabriole,

    tant de nette énergie à dépenser

    entre les jets d’eau, le toboggan et la balançoire

    qui donne le la pour le jeu.

    Une course au bonheur sans compter,

    mille ans peut-être en quelques heures

    pour celle qui ne croit pas au temps

    sauf pour durer : encore, encore,

    […] »

    La présence vibrante de l’enfance s’exprime à travers la musique des vers, leur rythme, leur soupir et leur silence : la partition laisse passer l’éclair scintillant de la présence qui bat comme un cœur d’oisillon. Car ces petites filles n’ont pas encore le souci de mourir, elles sont tout entières dans le pur être-là, dans l’épaisseur de l’instant qu’elles habitent avec ardeur. Anna Livia et Tosca traversent le jour avec cette « sauvagerie d’aimer et d’être aimées ». Mais déjà elles connaissent

    « […] les ordres

    intraitables du temps, l’attente battante

    (oh la peur de l’abandon encombrée de larmes

    la jalousie qui fait flamber les yeux

    tanguer inexplicablement le corps délaissé) » […].

    Leurs jeux, leur questionnement, tout leur être dit la soif d’exister, d’embrasser la vie à pleines mains, d’exprimer leur amour avec leurs mots d’enfant. Sans le savoir, sans le vouloir souvent, Anna Livia et Tosca

    « s’essaient à entendre et à dire où va le vent,

    elles luttent en rires et en colères, s’insurgent,

    l’endroit sur la terre et sous le ciel l’envers,

    le blanc, le noir, leur voix stridulant dans l’azur. »

    Alors la joie s’ouvre au corps de l’enfant qui épouse la vie sans nulle capture. Semblables à la rose d’Angélus Silesius qui « ne demande pas si on la voit », qui « fleurit parce qu’elle fleurit », les petites filles sont là, présentes à un monde qui demande l’abandon du corps, dans la joie élargie aux dimensions d’un chant d’oiseau. Et cette joie est spacieuse parce qu’elle est fragile, parce qu’elle s’est rendue capable de recevoir, n’oppose ni barrage, ni mur. Parce qu’elle désarme l’apprivoisement, endigue la coulée du vide, et dépouille les visages pour en faire « ces étrangers qui creusent la brèche ».

    L’enfance fait basculer le monde de la nuit vers le jour, elle nous rappelle cette joie des profondeurs où naître donne sens, où naître ne s’inscrit dans nulle fixité, dans nulle norme, mais « dans l’incertitude du toujours à venir de sa marche ». Aussi, dans quelle mesure la rencontre de l’autre dépossède-t-elle le poète de toute volonté d’emprise, et lui redonne-t-elle conscience de « l’absolue nécessité de lâcher prise » ?

    L’enfance est ce miracle qui nous impose « un bonheur dans l’effroi de l’instant / où son corps (mailles lâches) / crée le chemin vers lequel il tend ». Ce chemin est parole née d’incarnation vécue, dans la joie de l’abandon. La présence est ce plein qui comble tout en laissant le vide intact et qui même le révèle, le fait briller : c’est de cette illumination du vide que Sylvie Fabre G. parle quand elle évoque « ces histoires où ferraillent le fort et le faible, / un calque – fond d’images et de mots qui atteignent / l’âme humaine d’Anna Livia avant de se refléter / dans ses yeux puis de se poser sur ses lèvres / qui les prononcent et infiniment leur donnent foi. » Pas de réservoir plus obscur, mais aussi plus transparent, que ces histoires, confie la poète, comme si le leurre d’une plénitude de jour brillait au creux du vase vide, de même qu’un reflet coloré du ciel fait miroiter l’éternité au sein noir de la flaque. Tracée sur le vide, ne reposant sur rien, la plénitude est le fruit d’une patience qui sait devenir confiance, amour, œil clairvoyant devant L’homme qui marche :

    « Au musée il y a l’eau derrière les grandes baies, les fauteuils

    où grimper et en face L’homme qui marche de Giacometti.

    Dans l’œil clairvoyant d’Anna Livia, il n’est pas un objet,

    mais une question qui trouve réponse dans le geste de sa main

    tendue pour voir […] ».





    Illumination de l’obscur : la rencontre de l’autre



    L’intime proximité de la présence et du néant trouve un symbole en l’image de l’eau, omniprésente dans la poésie de Sylvie Fabre G. L’eau intègre en elle vie et mort. Des eaux matricielles aux eaux de la mort, en passant par les eaux lustrales, l’eau favorise et alimente la présence : Tosca « regarde les gouttes de pluie, perles sur les vitres pareilles aux larmes qui coulent sur les joues et les baptisent ». La rencontre de l’autre est alors éclatement des contours de l’être, dilatation du monde, « élargissement » cosmique :

    « Les yeux et la gorge encore pleins de larmes,

    Anna Livia à la fenêtre de minuit regarde

    la lune et tend sa main vers le miracle de la clarté.

    Oubliant déjà la montée des ombres,

    elle veut aller dehors flotter dans l’infini

    avec les arbres d’argent et les fleurs étoilées,

    […] »

    Cette réalité des corps enfantins, de leur présence, agit sur les mots, bien qu’obliquement, invisiblement. Dans Tombées des lèvres se déchiffrent en effet les traces du passage de cette main qui touche les vocables et les transmue. Et c’est dans sa texture même que

    « la gravité des a tombe

    pour mieux résonner et faire glisser le s, le l

    et le v jusqu’au plus léger qui advient : trilles d’envol, i ou o

    voyellent prénoms de petites filles

    et autrement les modulent

    en langue d’oiseaux. »

    Cette langue est celle du chant poétique, de l’épiphanie du simple et du sens caché (le sens mystérieux de ce qui n’est que simple). La présence de l’autre libère la cellule des syllabes qui se transmue en langue d’oiseaux, unissant le ciel et la Terre. Anna Livia et Tosca offrent au poète de découvrir les choses « déjà » là avec un autre œil : elles sont cette lumière qui éclaire l’arbre, sa frondaison, le bleu du ciel et le chant de la Terre « enchantée des constellations ». La présence de Tosca et d’Anna Livia met au monde le « fruit », révèle le geste poétique, le geste qui accomplit le dévoilement du caché : l’élan oblatif du don. Elles offrent leur enfance comme ce geste simple de vivre au poète qui en retrouve la saveur. Il a fallu qu’elles viennent au monde, que le poète vienne à leur rencontre, pour qu’advienne cette enfance de l’écriture, cette poésie précaire où toujours le vers est prêt à se rompre, à se briser, dans la blessure pressentie d’un départ.

    En ce chant de l’enfance, en ce langage encore informulé, Sylvie Fabre G. redécouvre les formes justes qui respirent, « l’inconnue saison qui ondoie et appelle l’enfant à la plénitude ». Cette plénitude est celle de la simplicité, de l’abandon qui porte avec lui les couleurs et le rire, et la langue des oiseaux. Le geste simple de Tosca, le rire éclatant d’Anne Livia fusionnent avec l’eau du réel, participent de l’être du monde.

    « Déjà le monde ordonnance l’amour, sépare

    la prime naissance du proche grandissement

    et sa voix, au loin de langage assuré,

    ne nous laisse pour viatique qu’un doux zézaiement… »

    Les « riches heures » de l’enfance, ce trésor de vie et de joie, lèvent les clôtures et les pesanteurs, donnant à la langue la justesse et la beauté de la vie par on ne sait quel pouvoir de métamorphoses : ailes d’oiseaux déployées comme des vers dont l’envolée touche les profondeurs du sens, dont le chant inouï jaillit de source claire.

    « Sous l’arbre du pré, à hauteur de clartés et d’ombres,

    elle s’enivre d’une parole qu’elle lance vers toi qui la suis

    au paradis quotidien de sa voix, elle te confie un monde

    en tournures naïves qui déjà s’enhardissent de rythmes

    dont le bord de sa bouche fluide vocalise le sens,

    […] »

    Les thèmes de l’arbre, de l’oiseau, du fruit, de l’eau, de la fleur et de l’enfant, convergent tous ici pour célébrer l’éveil d’une parole renaissante, l’exigence d’un retour à l’origine qui se partage entre l’eau trouble d’un souvenir, la conscience d’une finitude et le désir d’un paradis perdu. C’est ce fruit ambigu qu’offre la poète, laissant entendre qu’il est lui-même fait de mots qui nous perdent (des mots porteurs de néant et d’absence) et d’une parole qui nous sauve (parce qu’elle restitue avec plus de présence le lieu même dont nous éloignent les mots). Et si la Terre apparaît transfigurée dans la parole d’Anna Livia et de Tosca, si les larmes sont des éclosions de vie, c’est par la grâce d’un consentement, « l’éternel présent d’une enfance qui a laissé ses traces et réclame insistante de refaire jour en perpétuant l’aventure. » L’aventure est celle du regard qui apprend à voir autrement grâce au regard de l’enfant. Par lui, le poète se fait « voyant » : il voit la beauté du simple, de l’ordinaire d’une existence oubliée.

    De près, le langage n’est fait que de mots stériles comme les pierres ou comme le sable. Mais vus sous une certaine lumière poétique qui les transfigure, certains mots se mettent parfois à miroiter comme de l’or (« oh ta sidération retrouvée dans l’effroi ! »), et les choses du quotidien, les êtres que l’on croise se révèlent sous une autre lumière :

    « La maison, le couloir ombreux, la chambre, le bureau

    dans la chambre deviennent des lieux de l’inapprivoisé.

    Et la plante de la mère, goûtée à même son pot, surgit

    aussi fabuleusement que sur l’étagère la photo du père

    à embrasser […]

    […] autant de petits riens

    qui commencent à exister pour propager le contentement

    et nous permettre de percevoir ce qu’on ne perçoit jamais »

    Ainsi, la parole, pour rester vive, doit sans cesse renaître des eaux. Ici, l’eau est faite de sel : ce sont les larmes des fillettes qui ouvrent le monde et apprennent à voir, parce qu’elles disent le lâcher-prise, l’abandon salvateur, et le retour au souffle :

    « Cœur d’une interrogation silencieuse où bat le pouls

    de l’autre et qui saisit une vérité diurne et nocturne aussi improbable

    que le noir dans le rouge désarmé du coquelicot : qui es-tu, toi ?

    Iris d’un regard à vif qui muettement exige, mais répondre

    fera-t-il entendre le secret dépôt du nom dans la voix,

    […] »

    Pour que la parole puisse avoir l’étoffe de ce qui est, il faut qu’un regard à vif l’anime.

    La vie reconquise en ce « cri de l’alouette au fond du ciel » apparaît dans la splendeur de sa précarité. L’enfance demeure l’inapprivoisé en nous, présence qui apparaît comme la dissipation du rêve, dans le vécu lui-même, dans cette « allure décidée et légère qui décale sa trajectoire et en fait dans l’instant une quête » : attitude en marge des mots ou plutôt en avant d’eux, dans l’ouvert d’un devenir qui échappe au texte clos, dans une naissance sans cesse reconduite à soi-même et à l’autre.

    Transfigurée par le regard de ses petites filles, Sylvie Fabre G. nous fait entrer dans la demeure du réel, dans ce cri de l’enfant où la présence s’affirme.

    « l’esprit aussi se désencombre, s’allège, prépare

    le vide qui appelle le lancer, haut, loin, et l’air

    crie victoire, bulle ouverte à l’espace, perméable

    à la voix de celle qui court dans un tangage plus fort

    que le sol vers l’illimité foyer où monte le ballon

    maintenant dansant dans la lumière qu’à son tour

    elle rejoint, moment de gloire pour la jeune héroïne

    en train tout simplement de lever la clôture de la terre. »

    La poésie de Sylvie Fabre G. dit cet événement de la rencontre qui ne trouve sa condition de possibilité que dans l’espace de la parole hospitalière, dans ce oui à la vie sensible, incarnée. Car si remercier, c’est aussi répondre, c’est peut-être en cela que la parole n’épuise pas le sens de ce qu’elle dit, et appelle nos voix de lecteurs afin de se poursuivre et de croître,

    « quand la ligne d’arrivée se fait la parfaite

    invention du corps et du cœur pour éprouver

    un lieu qui jamais ne se dérobe

    malgré et dans l’ivresse de la liberté,

    qu’importe si remue au fond des rires adultes

    la conscience d’une autre course ».

    Au-delà du poème, avec le poème, les frontières sont poreuses. Et nous ne devenons les hôtes de ce monde que si nous sommes assez clairvoyants, frémissants, semblables à ces mots que le poème a rendus complices, délivrés de notre opacité, sans rien posséder, dans l’insouciance du temps. La parole hospitalière est en son fond patiente, humble. Mais sa patience n’est pas passivité, elle signifie l’être en éveil : la parole se laisse alors parler par la poésie qui la précède et qui la nourrit. Et toujours le poète est en travail d’enfantement – car il n’est poète qu’en ce qu’il se laisse lui-même déborder et laisse la poésie le déborder, dire le poème lui-même « à mesure d’enfance » :

    « L’enfant ne sait pas qu’il n’est pas né pour rester

    enfant, il suit la flèche aiguë du temps

    et goûte son génie, manière d’étancher la soif

    d’un réel accepté bienfaisant ou terrible.

    Vivant le monde il se penche sur ses effilochures

    pour attraper les êtres et les choses à travers,

    et sans jamais opposer le centre et la circonférence,

    il s’emploie à saisir l’éclair dans l’orage,

    dans le fruit le noyau, les yeux dans le visage,

    lampes qui jours et nuits crépitent,

    teignant les mots et les voix proches

    de lointains qui appartiennent à l’innommé. »

    Acceptant de se décentrer, la parole poétique, rendue à l’enfance, se fait parole discrète, s’ouvrant à l’altérité. La voix intérieure s’énonce par une altération de l’intime constitutive de l’intériorité véritable. Écouter, c’est être au plus intime de soi ouvert à l’autre et par lui transformé, en permanence et par surprise, c’est être capable de teindre les mots et les voix proches de lointains qui appartiennent à l’innommé. L’intimité n’est donc ni refuge ni abri, mais lieu d’une exposition plus grande, lieu d’une blessure – espace intérieur où la ferveur se mêle à l’angoisse. Dans le secret du regard des fillettes, dans les voix enfantines de Tosca et d’Anna Livia, ce que Sylvie Fabre G. murmure à l’oreille du cœur, c’est cette parole qu’elle puise au tréfonds de petits êtres livrés à l’écoute – une parole qui ose se décentrer, une obéissance qui écoute, une attention hospitalière à l’enfance, « aux grands pas de la rumeur que fait la vie ». Il appartient donc à cette parole de ne pas savoir parler : dans son aveu de nescience, elle s’ouvre alors au milieu du silence, à l’abîme, au fond sans fond. Elle se reçoit de cette blessure même qui fonde son essentielle précarité. Car, si le poète ne parle que depuis la source qu’il n’est pas lui-même, cette source le requiert en sa voix humaine qui, pour autant qu’elle se retire elle-même, laisse passer la voix de fin silence comme ce murmure du chant du monde :

    « L’accueil, le déploiement et la métamorphose

    content l’histoire des commencements

    trait d’union entre les générations

    la montagne et l’eau, l’air et la lumière

    donnent un nom perpétuel à des visages éphémères :

    il n’y a qu’un seul voyage. »

    Ainsi, nous ne créons que dans la rencontre, nous faisons advenir. La tâche aura été menée à bien quand nous serons rendus le plus loin qu’il était permis à l’avant du poème, quand nous laisserons place à ce qui n’est plus à nous, comme un enfant qui sera nous en étant davantage que nous, la voix profonde épanouie, un grand « oui » à la vie.

    La poésie de Sylvie Fabre G. nous parle depuis ce « oui », depuis cette parole dessaisie de sa volonté impérieuse, une parole qui devient elle-même autre, parole-autre en tant qu’ouverte sur le monde dont elle se fait l’hôte humble et attentif.

    Celui qui sait écouter la voix inouïe qui habite les vers de Sylvie Fabre G., celui qui sait regarder, avec le troisième œil, l’éclat de leur lumière, la densité discrète de leur souffle, s’étonnera avec joie de cette enfance retrouvée, détournée de tout rêve et de toute image édulcorée : une enfance capable d’habiter la précarité, une enfance qui la transforme sans la fuir, qui ne fuit dans nul monde paradisiaque, mais qui révèle la lumière de ce monde présent.

    On le comprend ici, comme on l’avait compris avec Frère humain : rien, dans l’univers de Sylvie Fabre G., n’est jamais acquis. Tout est sans cesse à reconquérir. Il y a dans cette poésie sensuelle, si proche de la nature, des forêts, de la terre et de l’eau, une quête sans cesse reconduite, une demande qui nourrit et qui s’offre avec humilité au monde et aux autres – cette demande comme deux bras ouverts est ici figurée par la métaphore des bras qui traverse cette poésie :

    « Ses bras, entre espoir et effroi, demandent la commune

    présence, enlacés au cou du père dans une intimité

    sensible qui le ravage et l’oblige à ralentir un temps que

    l’injonction de l’heure tranche avec des dents de fauve […] ».

    On pourrait dire d’une certaine façon que, dans ce très beau recueil, Sylvie Fabre G. transgresse les rêves d’enfance, échappe aux représentations et aux constructions mentales de l’autre, pour ne recueillir dans le chant poétique que la quintessence de la présence, sa lumière et sa chaleur. La simplicité de l’enfance n’a rien de la facilité qu’on lui prête de prime abord : elle est exigence, vérité de parole pour la présence, contre l’imaginaire. L’enfance est donnée de haute lutte : une lutte en vue de la finitude, contre les abolitions, contre les clôtures. Ce grand « oui » offert par Anna Livia et Tosca, nous l’éprouvons en nous comme cette symphonie du vivre réitéré en son souffle profond et toujours novateur à qui sait l’accueillir dans le silence – un grand souffle qui fait de nous des danseurs au pied léger :

    « et c’est à chaque fois la douleur

    de la créature qu’elle transmute

    en don d’amour. »

    La poésie revêtue de son vêtement originel, de son enfance, est cette présence aimante qui s’ouvre, cette épreuve de la liberté où l’amour ne dit rien d’autre que ce qu’il est en sa précarité : nulle chimère ni naïveté, nulle illusion où se complaire, mais une vie qui vibre au rythme du réel qui se soustrait à nos prises, à nos emprises. À son plus haut, qu’on peut au moins pressentir, la poésie doit bien réussir à comprendre que ces images qui, absolutisées, auraient été mensonges, ne sont plus, dès lors qu’on les traverse, que les formes tout simplement naturelles de ce désir si originel, si insatiable qu’il est en nous l’humanité comme telle : et l’ayant refusé, elle l’accepte, en une sorte de cercle qui constitue son mystère, et d’où procède d’ailleurs sa qualité positive, son pouvoir de parler de tout :

    « Être-au monde : en ces herbiers sacrés

    visuels et sonores, l’enfant se tient

    sans se détourner de l’avènement,

    souverain d’une histoire impossédée. »

    En un mot, l’enfance énonce cette joie malgré la nuit, malgré la séparation, malgré l’angoisse. Car, à mesure d’enfance, rien de ce qui a fini ne finit d’être. Sous la plume de Sylvie Fabre G., l’enfance devient ce qu’elle est de toute éternité :

    « L’accueil, le déploiement et la métamorphose

    content l’histoire des commencements

    trait d’union entre les générations

    la montagne et l’eau, l’air et la lumière

    donnent un nom perpétuel à des visages éphémères :

    il n’y a qu’un seul voyage. »

    Ce que le rêve oppose à la vie, ce que les analystes du texte n’étudient que pour le dissoudre dans l’indifférence des signes, ce qu’une poésie plus superficielle eût déchiré avec rage, elle le dément mais l’écoute, elle le réintègre éclairé à l’unité de la vie.

    « Les enfants, petits ou grands, bougent

    dans sa lueur tremblante

    et mêlent au sel du temps

    le miel pur du Grand Pays. »

    Le « miel pur du Grand Pays » est l’enfance en sa quintessence même : une enfance ennemie de l’idolâtrie tout autant que de l’iconoclasme ; une enfance qui bat au bord de la vraie lumière, dans ce « peut-être » de la voix intarissable, celle que toute âme-chair retiendra.

    L’image de l’enfance se renonce en nous comme un fruit qui se déchire pour renaître au plus intime, dans la chambre secrète où s’effacent les idoles, dans ce que Sylvie Fabre G. appelle « un scintillement d’aube sur fond de nuit ». Comment ne pas penser à l’étoile de Marceline Desbordes-Valmore : « C’était loin, mais l’étoile allait, cherchait pour moi, / Et me frayait la terre où tu m’avais suivie ». Marceline, comme Sylvie, savent que le poète est ce nouveau roi mage, non pour les trésors qu’il apporte à l’enfant, mais parce qu’il y renonce, devant la beauté augurale de la vie qui point dans le monde.



    Isabelle Raviolo
    D.R. Isabelle Raviolo
    pour Terres de femmes

    juillet 2015






    Sylvie Fabre G., Tombées des lèvres






    SYLVIE FABRE G.


    Sylvie Fabre G.
    Source



    ■ Sylvie Fabre G.
    sur Terres de femmes

    Tombées des lèvres (note de lecture d’AP)
    [Plus forte que la forêt] (poème issu du recueil Tombées des lèvres)
    [À l’orée] (poème issu du recueil L’Intouchable)
    L’Intouchable (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    Frère humain (note de lecture d’AP)
    Frère humain (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    [La pensée va, et vient à ce qui revient] (poème issu du recueil Frère humain)
    Sylvie Fabre G. par Sylvie Fabre G. (auto-anthologie poétique comprenant plusieurs extraits de L’Approche infinie)
    [C’est un matin doux et amer](poème issu du recueil L’Autre Lumière)
    Dans l’attente d’un prolongement qui se meurt (note de lecture d’AP sur Corps subtil)
    Corps subtil (poème issu du recueil Corps subtil)
    L’Approche infinie (note de lecture d’AP)
    Celle qui n’était pas à sa fenêtre (extrait issu du recueil Le Génie des rencontres)
    La demande profonde
    Lettre des neiges éternelles (extrait de La Maison sans vitres)
    Piero, l’arbre (autre extrait de La Maison sans vitres)
    Le rêveur d’espace [hommage à Claude Margat] (autre extrait de La Maison sans vitres)
    Pays perdu d’avance (note de lecture d’AP)
    [Bien sûr le chant s’apaise dans le soir] (poème issu du recueil La Vie secrète)
    Maison en quête d’orient (poème issu du recueil Les Yeux levés)
    Quelque chose, quelqu’un
    Trouver le mot (autre poème issu du recueil L’Autre Lumière)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Sylvie Fabre G. (+ poème issu du recueil L’Approche infinie)
    Jean-Pierre Chambon, Le Petit Livre amer, par Sylvie Fabre G.
    Jean-Pierre Chambon, Tout venant, par Sylvie Fabre G.
    Patricia Cottron-Daubigné, Visage roman, par Sylvie Fabre G.
    Pierre Dhainaut, Après, par Sylvie Fabre G.
    Alain Freixe, Vers les riveraines, par Sylvie Fabre G.
    Emmanuel Merle, Ici en exil, par Sylvie Fabre G.
    Emmanuel Merle & Thierry Renard, La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Pierre Péju, Enfance obscure, par Sylvie Fabre G.
    Pierre Péju, L’État du ciel, par Sylvie Fabre G.
    Fabrice Rebeyrolle, un peintre gardien du feu, par Sylvie Fabre G.
    Erwann Rougé, Passerelle, Carnet de mer, par Sylvie Fabre G.
    Roselyne Sibille, Entre les braises, par Sylvie Fabre G.
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    L’au-dehors
    → (dans les Chroniques de femmes)
    L’Amourier | Le Jardin de l’éditeur par Sylvie Fabre G.
    → (dans les Chroniques de femmes)
    Anne Slacik par Sylvie Fabre G. : Anne, la sourcière
    → (dans les Chroniques de femmes)
    Ludovic Degroote | Retisser la trame déchirée, par Sylvie Fabre G.
    → (dans les Chroniques de femmes)
    Une terre commune, deux voyages



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature) une
    fiche bio-bibliographique sur Sylvie Fabre G.




    Retour au répertoire du numéro d’ août 2015
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Sylvie Fabre G., Tombées des lèvres

    par Angèle Paoli

    Sylvie Fabre G., Tombées des lèvres,
    L’Escampette Éditions, 2015.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Des tableaux
    Ph., G.AdC







    « LA CLAIRE PERFECTION » DE L’ENFANCE



    Éternité de l’enfance, éternité première. Engendrée longtemps avant la naissance, en amont des origines. Quelle durée, la vie fragile de l’enfance ? Qui, mieux que la poète Sylvie Fabre G., saura dire la fragilité de ce temps accordé à la vie, « félicité obscure » prise entre sombre clarté et lumière ? Combien de temps ? interroge la poète dans Tombées des lèvres, recueil qu’elle consacre et dédie à ses petites filles, Anna Livia et Tosca ? Légèreté d’hirondelles, l’enfance, à quelle éternité promise ?

    Égrenés au fil des pages, les poèmes, comme autant de notes tenues sur un fil pour retrouver, à travers l’enfance actuelle et vibrante des deux petites filles, toutes nos enfances, éternelles traversées d’oubli.

    À travers l’observation d’Anna Livia et de Tosca, Sylvie Fabre G. explore, en trois étapes, trois volets — « Le trésor des oiseaux » | « Petites filles traversières » | « À mesure d’enfance » —, « la vie exacte » de la petite enfance.

    Il faut remonter aux origines, rassemblées sous le titre tutélaire « Le trésor des oiseaux », pour renouer avec les mémoires d’enfance, celles que l’on a tues qui recèlent toujours leur part de secret, celles qui affleurent disséminées sous le millefeuille du je

    — « Attentive derrière les mots

    ta mémoire revient vers

    le fils, dont le pays était l’enfance

    dont le pays n’est plus l’enfance » —

    enfance du fils à jamais reçue pour donner naissance à d’autres enfances qui balbutient au ventre de la mère. Cheminement attente qui se précise au fil des jours, « du glissement du cœur vers / le corps en route » ; mystérieux cheminement qui se vit sous les regards des parents, se faufile sous les mots de la grand-mère pour dire l’avènement de l’indicible, l’énigme de la « vivante ».

    Dès les abords de la vie, la langue balbutie qui commence par le cri, l’informulé l’inarticulé de l’angoisse qui accompagne la naissance. Mais le souffle est là, inspir/respir, qui préside à l’acte de vivre, éblouissement et « extension » de la mère à l’enfant ; zeugma qui renouvelle l’alliance des êtres avec le monde auquel ils appartiennent :

    « Porter refonde patiemment l’origine,

    l’alliance de la fleur à la terre,

    de la neige au nuage, engendre

    deux hivers venus de deux printemps,

    père, mère, enfants […] »

    La poésie de Sylvie Fabre G. interroge. Le moindre geste, la moindre manifestation prise entre « épines » de la famille et « pétales de papillon », « détresse » et « douceur » ; « angoisse de la séparation » et « joie originaire de la vie » qui préside à la mort (« le bébé rêveur sait-il déjà la mort ? »). Ainsi, si la naissance d’un enfant accroît le monde, si son apparition est agrandissement de la création, si habiter l’enfance est renouer avec le commencement qui nous lie à jamais au jadis, la venue nouvelle d’un être humain est toujours renouvellement du mystère de l’avant et du mystère de l’après :

    « Une seule vie : devant les yeux

    et derrière, le mystère. »

    Cependant, l’enfance est là, promesse d’un don qui dépasse, d’une grandeur qui pousse vers le « goût d’aimer » ; promesse d’oiseaux dans leur langue, envol des voyelles qui s’élèvent entre le glissement des consonnes au creux des prénoms des petites filles. « Voyelles tombées des lèvres », qui se recomposent sous la magie du verbe pour donner une œuvre nouvelle. Nomination qui conduit au poème, du poème au recueil, de l’écriture à la vie. Nommer et donner vie. Nommer et donner à lire. Nommer et écrire. « Félicité obscure » que cette promesse, d’où naît aussi le sentiment de l’éphémère, puisqu’« il n’y a qu’un seul voyage ». Ainsi de la petite enfance qui ne dure que le temps d’un pépiement. Déjà il faut envisager l’envol des alouettes l’avenir les départs les soucis les chagrins les séparations. Avec l’énigme finale qui gît sous la lame du vers :

    « il y a départ

    et l’issue manque pour le retour ».

    En dépit de la note sombre qui clôt la première section du recueil, la poète poursuit son voyage, observatrice vigilante des « petites filles traversières ». Elle compose pour elles, dans la belle langue de ses poèmes, des tableaux d’enfance heureuse. Ceux des rondes et des comptines, des jeux et des histoires, des chutes et des chagrins, des magies et des joies, des larmes et des baisers, des refus et des maux… Autant de regards qui ramènent sur la laisse de nos mémoires nos enfances oubliées, à croire qu’en dépit de la marche inexorable du temps, les temps de l’enfance se rejoignent, sans cesse réappropriés dans les mêmes gestes dans les mêmes attentes dans les mêmes cheminements. La poète admirative émue retrace ces étapes, accordant à ses petites filles toute l’attention que mérite chaque forme nouvelle sous le regard émerveillé de l’enfant. Ainsi, dans chaque expérience, « la claire perfection » de toute chose s’offre-t-elle au désir de l’enfant dans l’énigme d’une existence qui se change en découverte. Découverte d’un instant qui donne au temps toute sa mesure. Miracle que cette vie des petites filles éprises de curiosité insatiable. Leur talent de magiciennes fuse, propre à transcender le monde ses effrois ses injustices incompréhensibles et de les muer en « don d’amour ».

    « Au tournant de la page

    inlassablement elle suspend son geste

    soucieuse des larmes de la baleine bleue

    que son doigt essuie

    et c’est à chaque fois la douleur

    de la créature qu’elle transmue

    en don d’amour ».

    Rassemblées sous la voix de l’enfant, toutes les voix du monde glissent sous la langue enfantine. Ainsi tous les mystères des histoires patiemment lues ressassées entendues rendent-ils aux voix surgies de la page leur lallation de prières,

    « car ouvrir sa voix

    aux mondes c’est aussi ouvrir le livre des prières ».

    Mais la plus belle découverte, la plus saisissante, la plus admirable, n’est-elle pas, pour une grand-mère poète, celle de l’apprentissage du langage ? Ainsi Sylvie Fabre G. se met-elle à l’écoute du bruissement de la langue d’Anna Livia et de Tosca. Depuis les babils du tout petit enfant qui « trompe la solitude en suçotant sa voix » jusqu’au « butin de gouttes sonores » qui signent l’exploit

    — « aujourd’hui les mots

    jaillissent et chantent pareils aux fontaines,

    réveillant le sentiment de jouvence d’une assoiffée

    dans l’écoute soudain désaltérée à ce qui semble

    couler de source pure… » —.

    Jour après jour, le langage fraie son chemin à travers timbre / tessiture / écho / voix / intonations / rythme et sons. Et tant pis si « la langue trébuche ». D’autres voix aimantes sont là qui apportent leur aide et permettent que les mots retrouvent leur voie. Au-delà, le vent la forêt les étoiles la balançoire la flaque d’eau et « la baleine bleue » sont là pour donner à la vie sa saveur de sel et aux petites filles leur élan vers la lumière.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Sylvie Fabre G., Tombées des lèvres






    SYLVIE FABRE G.


    Sylvie Fabre G.
    Source



    ■ Sylvie Fabre G.
    sur Terres de femmes

    Tombées des lèvres (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    [Plus forte que la forêt] (poème issu du recueil Tombées des lèvres)
    [À l’orée] (poème issu du recueil L’Intouchable)
    L’Intouchable (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    Frère humain (note de lecture d’AP)
    Frère humain (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    [La pensée va, et vient à ce qui revient] (poème issu du recueil Frère humain)
    Sylvie Fabre G. par Sylvie Fabre G. (auto-anthologie poétique comprenant plusieurs extraits de L’Approche infinie)
    [C’est un matin doux et amer](poème issu du recueil L’Autre Lumière)
    Dans l’attente d’un prolongement qui se meurt (note de lecture d’AP sur Corps subtil)
    Corps subtil (poème issu du recueil Corps subtil)
    L’Approche infinie (note de lecture d’AP)
    Celle qui n’était pas à sa fenêtre (extrait issu du recueil Le Génie des rencontres)
    La demande profonde
    Lettre des neiges éternelles (extrait de La Maison sans vitres)
    Piero, l’arbre (autre extrait de La Maison sans vitres)
    Le rêveur d’espace [hommage à Claude Margat] (autre extrait de La Maison sans vitres)
    Pays perdu d’avance (note de lecture d’AP)
    Maison en quête d’orient (poème issu du recueil Les Yeux levés)
    [Bien sûr le chant s’apaise dans le soir] (poème issu du recueil La Vie secrète)
    Quelque chose, quelqu’un
    Trouver le mot (autre poème issu du recueil L’Autre Lumière)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Sylvie Fabre G. (+ poème issu du recueil L’Approche infinie)
    Jean-Pierre Chambon, Le Petit Livre amer, par Sylvie Fabre G.
    Jean-Pierre Chambon, Tout venant, par Sylvie Fabre G.
    Patricia Cottron-Daubigné, Visage roman, par Sylvie Fabre G.
    Pierre Dhainaut, Après, par Sylvie Fabre G.
    Alain Freixe, Vers les riveraines, par Sylvie Fabre G.
    Emmanuel Merle, Ici en exil, par Sylvie Fabre G.
    Emmanuel Merle & Thierry Renard, La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Pierre Péju, Enfance obscure, par Sylvie Fabre G.
    Pierre Péju, L’État du ciel, par Sylvie Fabre G.
    Fabrice Rebeyrolle, un peintre gardien du feu, par Sylvie Fabre G.
    Erwann Rougé, Passerelle, Carnet de mer, par Sylvie Fabre G.
    Roselyne Sibille, Entre les braises, par Sylvie Fabre G.
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    L’au-dehors
    → (dans les Chroniques de femmes)
    L’Amourier | Le Jardin de l’éditeur par Sylvie Fabre G.
    → (dans les Chroniques de femmes)
    Anne Slacik par Sylvie Fabre G. : Anne, la sourcière
    → (dans les Chroniques de femmes)
    Ludovic Degroote | Retisser la trame déchirée, par Sylvie Fabre G.
    → (dans les Chroniques de femmes)
    Une terre commune, deux voyages



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature) une
    fiche bio-bibliographique sur Sylvie Fabre G.




    Retour au répertoire du numéro de juillet 2015
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Sylvie Fabre G. | [Plus forte que la forêt]



    COLLAGE DIPTYQUE -  Loup, y es-tu  -
    Collage-diptyque, G.AdC






    [PLUS FORTE QUE LA FORÊT]




    Plus forte que la forêt au Désert,
    Anna Livia en sa lancinante mélopée
    se fraie un passage dans l’énigme
    de l’invisible : Loup, y es-tu ?
    Sa demande pressante monte au faîte,
    rythme de grands rais les sapins mais,
    dessous, les mousses et les fougères
    étouffent les mots dans la répétition.
    Ils semblent s’éloigner pour mieux revenir :
    Loup, y es-tu ? M’entends-tu ?
    L’œil glaneur par aguets, la parole émotive
    court le risque de l’incarnation, trouve
    framboises comme alliées de secours
    et la voix rouge de sa dévoration
    l’hardie enfant étourdiment triomphe :
    Loup y est pas, il nous mangera pas !


    Quelle mère-grand démentirait son chaperon ?




    Sylvie Fabre G., Tombées des lèvres, L’Escampette Éditions, 2015, page 52.






    Sylvie Fabre G., Tombées des lèvres






    SYLVIE FABRE G.


    Sylvie Fabre G.
    Source



    ■ Sylvie Fabre G.
    sur Terres de femmes

    Tombées des lèvres (note de lecture d’AP)
    Tombées des lèvres (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    [À l’orée] (poème issu du recueil L’Intouchable)
    L’Intouchable (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    Frère humain (note de lecture d’AP)
    Frère humain (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    [La pensée va, et vient à ce qui revient] (poème issu du recueil Frère humain)
    Sylvie Fabre G. par Sylvie Fabre G. (auto-anthologie poétique comprenant plusieurs extraits de L’Approche infinie)
    [C’est un matin doux et amer](poème issu du recueil L’Autre Lumière)
    Dans l’attente d’un prolongement qui se meurt (note de lecture d’AP sur Corps subtil)
    Corps subtil (poème issu du recueil Corps subtil)
    L’Approche infinie (note de lecture d’AP)
    Celle qui n’était pas à sa fenêtre (extrait issu du recueil Le Génie des rencontres)
    La demande profonde
    Lettre des neiges éternelles (extrait de La Maison sans vitres)
    Piero, l’arbre (autre extrait de La Maison sans vitres)
    Maison en quête d’orient (poème issu du recueil Les Yeux levés)
    [Bien sûr le chant s’apaise dans le soir] (poème issu du recueil La Vie secrète)
    Quelque chose, quelqu’un
    Trouver le mot (autre poème issu du recueil L’Autre Lumière)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Sylvie Fabre G. (+ poème issu du recueil L’Approche infinie)
    Jean-Pierre Chambon, Le Petit Livre amer, par Sylvie Fabre G.
    Jean-Pierre Chambon, Tout venant, par Sylvie Fabre G.
    Patricia Cottron-Daubigné, Visage roman, par Sylvie Fabre G.
    Alain Freixe, Vers les riveraines, par Sylvie Fabre G.
    Emmanuel Merle, Ici en exil, par Sylvie Fabre G.
    Emmanuel Merle & Thierry Renard, La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Pierre Péju, Enfance obscure, par Sylvie Fabre G.
    Pierre Péju, L’État du ciel, par Sylvie Fabre G.
    Fabrice Rebeyrolle, un peintre gardien du feu, par Sylvie Fabre G.
    Erwann Rougé, Passerelle, Carnet de mer, par Sylvie Fabre G.
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    L’au-dehors
    → (dans les Chroniques de femmes)
    L’Amourier | Le Jardin de l’éditeur par Sylvie Fabre G.
    → (dans les Chroniques de femmes)
    Anne Slacik par Sylvie Fabre G. : Anne, la sourcière
    → (dans les Chroniques de femmes)
    Ludovic Degroote | Retisser la trame déchirée, par Sylvie Fabre G.



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature) une
    fiche bio-bibliographique sur Sylvie Fabre G.




    Retour au répertoire du numéro d’avril 2015
    Retour à l’ index des auteurs


    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval

    par Angèle Paoli

    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval,
    L’Escampette Éditions, 2015.



    Lecture d’Angèle Paoli



    CE ROUGEOIEMENT QUI BRÛLE, C’EST CELA QUI DEMEURE



    Il y a un avant il y a un après. Et l’écriture du poème, en ligne de partage entre le taire et le dire. Entre les mots tenus sous silence, sous le boisseau de la blessure. Sous l’armure. Et les mots venus un jour dans le dire, lâchés loin très loin par-delà l’horizon de l’enfance.

    Le nom de l’adolescent sous sa cuirasse, nom de guerrier et nom de roi, c’est Perceval. Il fait lever avec lui, derrière ses chevauchées solitaires, le souvenir lointain de la quête éperdue d’un chevalier au cœur pur, à travers sentes et forêts ; des paysages, des combats à la lance et à l’épée, paysages abolis dans le réseau incertain de nos mémoires. Avec lui, avec le nom de Perceval, surgissent les souvenirs enfouis du Roi Pêcheur, mystères et secrets d’un roi « méhaigné » ; blessé et impotent, qui attend la délivrance miraculeuse de son mal. Et tout autour — de lacs énigmatiques en joyeuses bonnes chères dans les châteaux, de gués à franchir et de langues à dénouer — une errance infinie à travers vals et ravins, et des défis à relever. Et du sang. Trois gouttes dispersées dans la neige sous le sabot du cheval. « Trois gouttes de sang ». « Trois flocons rouges ». « Trois braises dans la neige ». Autant de « pierres taillées », dressées dans l’à-vif du poème, sur le blanc de la page.

    Trinitaire, le recueil d’Emmanuel Merle : Dernières paroles de Perceval. La traversée du « Chevalier d’Effroi » s’effectue dans un lent continuum à trois temps. « L’homme percé de cris » / « Terre foraine » / « Le regard et la voix ». Trois volets pour dire la quête. Non pas quête de sens, mais quête de « pleine incarnation ». Cheminement — questionnements et doutes —, jalonné de retours sur soi, sur le passé qui heurte la cuirasse ; chute dans le ravin et dans l’inconscience ; acceptation du « lointain veuvage » et presque consentement. Depuis la « terre veuve » — où se tenait « l’enfance ramassée » aux côtés de la mère, terre devenue soudain « stérile » et « gaste », « sans paroles autres que mal prononcées » —, Perceval poursuit son errance et passe en « terre foraine ». À la fois étrangère et familière, autre et semblable, cette « terre nouvelle » le conduit des corniches escarpées des montagnes au consentement final, accordé au regard et à la voix :

    « Dire, oui, c’est diviser, mais quelques paroles,

    ici, célèbrent encore la vie :

    les prononcer comme des prénoms. »

    Consentir n’est pas chose aisée. Cela se fait par étapes. Accepter d’abord que l’errance prenne une autre forme :

    « Errer presque immobile, laisser la présence

    surgir, sauvage, comme un lointain

    qui bondit sur tous les yeux de l’âme. »

    Accepter aussi d’accueillir la parole, dans ses affleurements et ses incomplétudes :

    « Dire cela, des paroles tutoyées,

    des éclats de verbe. »

    [Dernières paroles de Perceval]

    Au terme de cette itinérance, Perceval, en partie réconcilié avec lui-même, énonce, en une double acceptation, la mystique sans christ qui lui est propre :

    « Ce monde est sans réponse,

    peut-être est-il sans question. »

    En ouverture du recueil d’Emmanuel Merle, deux poèmes : « Je m’appelle Perceval » et « La terre veuve ». Poèmes liminaires – un écho, peut-être, du prologue de Chrétien de Troyes — qui posent les pierres enfouies de l’enfance, du nom, de la mère et du silence, et les redresse dans la beauté musicale du poème.

    « Je veux écrire un visage

    sur le blanc du silence. »

    Quel visage ? « Aux plis profonds » ? Visage aimé ? Du père de la mère de l’autre femme ? Pour quel vertige, pour quelle énigme, pour quelle langue secrète ? Comment savoir ?

    « Il ne reste rien du visage d’un être

    lorsque, vraiment, on le regarde, rien

    qu’une prière dans une broussaille. »

    Tout commence avec la quête du nom. « Ma mère ne m’appelait pas par mon nom », confie Perceval. Est-ce à cause de ce taire que le dire s’est si longtemps absenté de Perceval ? Avec la révélation de son nom survient la mort de la mère. Avec sa mort, Perceval découvre, lié à elle, le sentiment de la faute. Désertée de longue date par le veuvage, la mère est cette « terre veuve » à partir de laquelle vont se faire les apprentissages du fils. Jusqu’alors élevé dans le retrait et dans la solitude, par crainte de non-retour. Chevauchées et rencontres.

    « Mais mon nom est venu. Il est venu

    des lèvres de ma mère : c’est le nom

    de son dernier souffle.

    Il a traversé la terre veuve

    et s’est posé sur mes lèvres. »

    Avoir un nom suffit-il pour vivre et pour mourir ? s’interroge Perceval. Chacun semble le croire. Perceval, lui, se tait. « Parole tue ». Tuer et taire. Où est la frontière ? Ses lèvres parlent pour lui. Et sa blessure saigne. Énigmatique blessure. Imaginaire ou réelle ? Entrelacs de l’un avec l’autre.

    « Comment pouvait-on souffrir, étant roi ?

    Je ne comprenais pas, je mangeais

    pour contredire mon silence. Je rêvais

    aussi bien. J’imaginais les lèvres de la plaie

    faiblement remuer, ouvertes, comme cherchant à dire

    la douleur, m’appelant presque, m’enjoignant

    de les refermer. »

    La blessure est ancienne, qui s’ouvre, lèvre à lèvre, et suinte, palpitante de sang. Elle est associée à la « barrière de bois », « au pied du champ ». C’est là que s’ancre le drame qui enclot à jamais l’enfant dans son deuil. Et pour longtemps, dans son mutisme. « Terre gaste » où s’inscrit le manque ouvert par la disparition du père. « Pente dévastée ». Le mystère de Perceval privé de mots gît dans cet espace. À même « le souvenir / de celui que je n’ai pas connu. » « La barrière de mon père », ligne de partage entre un passé antérieur, lié à un avant insaisissable et attaché à un présent qui cherche sa voix dans l’enchevêtrement de l’existence. Perceval ? Une « armure vide qui chevauche ». Exilé de lui-même, au-devant d’une « terre d’enfant disparu ». La barrière, désormais, sépare et « divise le monde ». Elle divise aussi l’enfant, pris entre son « impatience à vivre » et « cette soudaine / imperfection produite par un défaut / de lumière et maintenant. »

    Le long retour sur l’enfance, son seul langage de galops de branches et de lances, dit, dans le poème de « La terre veuve », le lieu du fondement sans remise en question, lieu de parfaite adéquation avec le monde, lieu d’affirmation de l’être dans l’espace qui est le sien :

    « J’avais lieu d’être », se souvient Perceval.

    Pourtant, si le regard posé sur l’univers qui l’entoure est encore celui de l’enfance, il n’en est pas moins nourri de métaphores sombres, avaleuses de rêves, chargées de violence et de désolation.

    « Tout bondit, comme le temps,

    et disparaît dans la gorge de l’horizon. »

    La geste du chevalier, souffle de haut lyrisme qui s’écrit par grandes strophes, est bientôt traversée par le désir d’autre chose.

    « En moi ça demandait,

    mais je me taisais.

    Je me taisais. »

    Mais l’univers que découvre le jeune homme est le sien ; celui-là même qui le constitue, fibres et âme, viscéralement. C’est en lui que réside sa vérité profonde. Et son profond désarroi. Acceptation ? Première pierre dressée pour le consentement ?

    « Mais cette terre veuve c’était moi, ces chemins

    sans définition c’étaient mes bras,

    ces tourbières et ces étangs mon esprit et mes yeux,

    dispersés, désamarrés, sans jointures

    désormais, phrases sans verbe. »

    Dans cet exil à l’autre et à soi-même, le rouge toujours macule le blanc, couleurs dominantes de l’ouvrage. Parfois survient le noir, « mâchefer », « exil », « vols noirs », « vent noir », « poussière noire ». Le noir de la mort rôde. Fidèlement à l’œuvre dans le poème :

    « La voix de l’hiver, sa voix blanche »

    « et le cœur noir

    des morts de la bataille. »

    L’obsession de la mort travaille Perceval au corps. La mort qu’il a donnée à l’autre, celle qui l’atteint dans sa chair, mort du père, mort des frères et de la mère. Audible de lui seul, le cri qu’ils ont poussé a transpercé sa cuirasse. Et la cuirasse saigne. Cris reçus comme coups fatals, qui mettent à mort le vivant.

    « Je suis Perceval, l’homme percé de cris,

    grevé de râles, comme des mains,

    par poignées. »

    Perceval. Son nom draine dans son sillage un envol de vibrantes. « Dévouement » ; « sauvagerie » ; « aveugle » ; « relevée » ; « dévoile » ; « entredévorement ». Disséminées dans les poèmes, les consonnes voisées s’égrènent au fil des vers. Et composent un tableau serti de noir. « Percevoir » ; « dévasté » ; « ravin » ; « veuve » ; « vivre » ; « délaver » ; « dévaler ». Poésie des mots qui essaime les sons au hasard du chemin. Et renvoie en écho aux pierres « phonolites » qui surprennent la lecture et la marche.

    Peut-on jamais revenir en arrière « pour poser la question » que l’on a oublié de poser ?, s’interroge Perceval. Là où le taire s’est imposé gît la réponse « depuis toujours »,

    « dans le ravin, dans ses pierres échouées

    et ses feuilles dénouées de leurs branches ».

    Revenir en arrière ne se peut, remonter le courant vers un avant ne peut avoir lieu. Là se tient l’irréversible. Que faire alors, sinon tenter l’aventure de l’autre côté ? Tenter de rejoindre l’autre lumière ? Passer en « terre foraine », même si « traverser est une énigme ».

    Et si « la terre foraine » n’était qu’un leurre ? L’avers de la terre d’origine ? Son double inversé ? Un paysage semblable à la « terre veuve », borné comme elle des mêmes cairns, nourri des mêmes doutes, nourri des mêmes effrois ? Alimenté par la même perte du langage ?

    Partout ailleurs, en effet, sur l’autre rive, de l’autre côté du gué, surgissent les mêmes fantômes, et se rouvrent les plaies.

    « Guéer un drap immense et blanc

    dans les eaux du passé, pâlir dans l’eau

    du paysage trois taches rouges. »

    Et de l’autre côté, sur l’autre page, en « terre foraine » :

    « Cette terre, sur l’autre rive du gué, étrangère,

    hérissée pourtant d’arbres semblables,

    parées des mêmes nuages de rouge couchant,

    ravagée elle aussi ? »

    À quoi bon alors poursuivre si traverser recèle la même « immense imploration » ? Quelque chose pourtant survient. Qui a à voir avec le rouge. Un rouge qui éblouit.

    « Le rouge. Un halo de rouge, un mal aux yeux. »

    Ainsi, au moment de s’aventurer en « terre foraine », la peinture entre-t-elle dans le paysage mental de Perceval. Ses « pupilles brûlées » « peignent un sol ourlé de sang ». Lumière aveuglante, le rouge impose sa « pleine présence ». Qui modifie la perception. Promesse d’une présence autre, qui s’achève par un alexandrin nervalien :

    « Rouge est pourtant la couleur pour moi

    de cette lumière, parce qu’elle sourd,

    pleine présence, de l’horizon,

    ce peintre qui parfois se repose et m’attend. »

    Promesse de courte durée. Il en est de la peinture comme de la langue et des hommes. Noyés les mots sur les lèvres. Abandonnés les pinceaux et les objets à peindre. Abandonné jusqu’au désir.

    « Quel est ce lieu où tout se retrouve

    mais délavé, comme un écho ? Où tout

    semble être le pinceau abandonné

    par le désir du peintre ? »

    ou encore :

    « Qu’a fait le peintre de sa charrette

    enfoncée dans ce chemin ? »

    Ailleurs, dans « Le regard et la voix », Perceval se prend à rêver d’une autre dimension. Peut-être a-t-il croisé, dans une autre vie, le Chef-d’œuvre inconnu ?

    « Cette femme a le visage de la neige,

    et peut-être des peintres ont-ils laissé

    leurs pinceaux pour seulement dessiner

    leur fièvre sur cette toile, des traits

    épars, des commissures, des cils,

    des désespoirs. »

    La quête se poursuit longtemps encore. Et la « terre étrangère » est le miroir délavé de la terre jadis connue. Étrange ressemblance qui fait que le nouveau à l’ancien répond. Jusqu’aux sentiers qui se croisent :

    « Lequel de ces deux sentiers

    est-il l’écho de l’autre ? »

    Jusqu’aux paysages qui se superposent, « ligne de partage des yeux ». Paysages couleurs visages âmes des morts. Tout semble délavé. Pâle reflet de ce qui fut. Et lui-même qui est-il ?

    « J’ai tant voulu un nom. Ne suis-je,

    en terre foraine, qu’une autre ombre,

    qu’un habile coup de pinceau ? »

    Dans le « tableau renversé » qui s’offre à lui, Perceval ne perçoit qu’« un présent inutile », qui lui renvoie son incapacité à vivre et à aimer. Ou simplement à dire cette attente :

    « Dire l’autre, c’est difficile. Un rebord,

    et l’espoir fou d’une main sur la poitrine,

    qui retiendrait. »

    C’est dans un exil de roches dispersées dans le pierrier des montagnes, dans un horizon vertical résonnant de phonolites, dans le « ciel de pierres » vers lequel il grimpe, que Perceval poursuit désormais sa quête. « L’ancienne langue / sauvage et ivre » continue de vibrer en lui. Les « anciennes paroles / prononcées par une aube enfantine » poursuivent en lui leur conciliabule. Mais les mots ne demandent qu’à trouver des lèvres accueillantes. Le poète tâtonne, cherche leur complicité bienveillante et créatrice. Son désir se fait jour qui s’énonce au travers du regard et de la voix.

    « Le regard et la voix, embrasures du corps,

    je voudrais leur connivence,

    que ce que je vois rougoie

    dans la braise des mots. »

    Le regard et la voix, « pierres dans le vide » ?

    Assurément non. Longtemps après que Perceval nous eut quittés, longtemps après que le chevalier errant eut laissé tomber sous le sabot de son cheval les dernières paroles, survient :

    « une lumière intime, comme deux couleurs

    côte à côte, et c’est l’air

    qui commence à vibrer. »

    Que dire d’autre ? Sinon que cet enchevêtrement des motifs de Perceval et du poète est d’une infinie et bouleversante beauté. Et que cette quête des signes est aussi la nôtre. Ne garder des mots que leur fièvre. Ce rougeoiement qui brûle, c’est cela qui demeure.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval







    EMMANUEL  MERLE


    Vignette Emmanuel Merle




    ■ Emmanuel Merle
    sur Terres de femmes

    Dernières paroles de Perceval (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Le rouge] (extrait de Dernières paroles de Perceval)
    Amère Indienne
    [Cape Cod]
    Le Chien de Goya (lecture d’AP)
    Cet ancien lieu (poème extrait de Démembrements)
    Démembrements (lecture d’AP)
    Ici en exil (lecture de Sylvie Fabre G.)
    ils attendent ce qui (extraits du Grand Rassemblement)
    [Je me discerne davantage dans le miroir de la couleur](extrait des Mots du peintre)
    [Ramper sur la glace](extrait de Nord, seul point cardinal)
    [Tout est matière, sauf ma décision] (extrait de Olan)
    Tourbe (lecture d’AP)
    [Il n’y a plus d’arbres] (extrait de Tourbe)
    [Une promesse, dis-tu]
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | [Jour de pluie ici aussi]



    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Terres de femmes)
    Sylvie Fabre G. | Une terre commune, deux voyages
    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Emmanuel Merle





    Retour au répertoire du numéro de mars 2015
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval

    par Isabelle Lévesque

    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval,
    L’Escampette Éditions, 2015.



    Lecture d’Isabelle Lévesque



    Il y a dans lire une attente qui ne cherche pas à aboutir.
    Lire c’est errer. La lecture est l’errance.
    (Méfiez-vous des chevaliers errants !
    Méfiez-vous des romanciers !)
    Chrétien de Troyes nommait le groupe
    de
    Ceux qui vont par les étranges terres
    les étranges aventures quérant.
    (Méfiez-vous des chevaliers errants !
    Ils cherchent l’aventure ; le malheur les attire.)

    Pascal Quignard
    1



    Avant la révélation de son nom, qui était-il ? Page vierge, pour quelle inscription ?

    Coda : ultime. Pour ce texte dont le stemma ne peut être établi, les quinze manuscrits conservés sont trop fragiles pour être réunis, comparés, seul ce qui sur le bord du gouffre sera révélé. Le roman de Chrétien de Troyes est inachevé, offert aux continuateurs. Figuration exacte de ce qu’Umberto Eco qualifiait d’« œuvre ouverte ».

    Du personnage de Perceval, on connaît la quête. Élevé loin de toute chevalerie dans la Gaste Forêt, protégé par sa mère qui veut lui éviter le destin et la mort de son père et de ses deux frères, Perceval apparaît d’abord en sa pureté naïve d’enfant. Ayant rencontré des chevaliers qu’il prend pour des anges, il décide de quitter sa mère et sa Gaste Forêt pour devenir lui-même chevalier. Son nom de Perceval ne lui viendra qu’après ce départ qui cause la mort de sa mère, son adoubement, sa découverte de l’amour et l’aventure du château du Roi Pêcheur. Perceval le Gallois, ou Perceval l’Infortuné.

    Emmanuel Merle donne la parole au héros d’abord trop bavard, puis trop silencieux, à celui qui fait l’expérience de la perte de la langue et doute de la réalité de la vie et du monde visible :

    « Je m’appelle Perceval.

    Je n’ai pas toujours su mon nom.

    […]

    Mais mon nom est venu. Il est venu

    des lèvres de ma mère : c’est le nom

    de son dernier souffle.

    Il a traversé la terre veuve

    et s’est posé sur mes lèvres. »

    Par la bouche de sa mère, le nom révélé. Par celle du poète, la prosopopée. Nous lisons les dernières paroles du fils en une projection signifiante dont le « nom » semble être l’enjeu, affirmé et répété dans le poème liminaire.

    Celui-ci s’achève par :

    « Je veux écrire un visage

    Sur le blanc du silence. »

    Quel est ce visage ? Celui de Blanchefleur, celui de la mère ? Mais ne serait-ce pas plutôt la déclaration d’intention du poète Emmanuel Merle qui va composer ici le portrait écrit de Perceval ?

    L’écho préside au texte. « La Terre Veuve », il suffit d’en changer la première lettre pour entendre « mère », celle laissée sur le seuil lorsque son jeune fils décide de la quitter pour explorer le monde où vivent les chevaliers, celui-là précisément qui lui a ôté fils et mari. Veuve comme une terre-mère dévastée en hypallage, le Moyen Âge entré, droite file, dans le texte et l’entour devenu source d’énergie, force de symboles, relais vibrants des émotions humaines :

    « J’avais chevauché toute la nuit, et entre les bras des arbres

    je sentais la torche de la lune, froide et blanche […] ».

    Les signes se joignent, « alphabet / de quelques sabots », ce qu’il faut retrouver dans cette quête, celle du livre : une langue, incarnée dans la parole de Perceval. Le chevalier erre, parcourt et déchiffre la terre veuve, gaste ou foraine. En lui, constellée, la présence – l’espace, le temps :

    « J’avais lieu. »

    Destin qui aboutit à une convergence où retrouver Perceval ayant vécu déjà son errance, le voici gorgé d’expériences et de temps, épaissi par la traversée d’une vie, confronté enfin à l’existence, à la résistance d’une pierre :

    « Du granite qui s’ébréchait sous mes yeux, se séparait,

    devenait schiste. Le temps passait plus vite

    et mon cœur faisait des grands gestes. »

    « Granite » et « cœur », éloignés dans les vers, rapprochés par le sens et la personnification vivifiée du cœur : « avoir lieu » peut s’entendre dans un sens absolu, dans ce cas la tournure impersonnelle est requise et la locution verbale ayant pour sujet « je » révèle la possibilité pour le chevalier d’exister. On peut aussi envisager « avoir » dans son emploi transitif (avec ellipse du déterminant indéfini, « un lieu »). Le cœur ne devient-il pas alors ce lieu autant que cet être à l’identité menacée, identité enfin trouvée dans l’écoute du cœur qui, à l’instant ultime, se meut ? Voici une langue en construction, sur la page blanche d’une vie d’errance où la quête serait aussi celle de la parole.

    L’évolution du personnage par un déplacement léger du lieu figure le siège des sentiments comme donnée de l’énigme : paroles, dernières paroles, enfin délivrées par la grâce d’une intuition acceptée ? Tâtonnement pour que l’exacte diction d’une impression soit restituée. La langue est la même, mais légèrement autre déjà, l’ultime en perspective en serait l’amorce. Le personnage en effet se définit par ses déplacements, sa chevauchée, dans le silence qui « s’adressait à [lui] seul ». Il éprouve comme au premier jour chaque sensation, alerte pour ses sens.

    Quand passent devant lui, invité par le Roi Pêcheur à la blessure mystérieuse, la lance qui saigne, le graal, le tranchoir et les chandeliers, aucune question ne franchit ses lèvres pour éclairer les mystères. Silence.

    Lui qui parlait trop, et surtout de sa mère, est devenu silencieux, pensant suivre le conseil de Gornemant de Goort : « Qui parle trop tombe dans le péché. 2 » Passage d’un excès à l’autre, inverse :

    « En moi ça demandait,

    mais je me taisais.

    Je me taisais. »

    « Comment pouvait-on souffrir, étant roi ? »

    Comment le chevalier ignorant du monde aurait-il pu décider qu’il devait rompre le silence ? Au lieu de le faire, il imagine la plaie ouverte, les lèvres muettes « cherchant à dire / la douleur », devinant qu’une énigme supplémentaire est logée là. Supplique silencieuse d’une souffrance terrible, cause enfouie que la langue seule extirperait pour la rendre à la lumière de la guérison. Une salle de repas, à la confluence :

    « Chaque instant, un croisement, chaque mot. »

    Tout chemin mène à un carrefour. Chaque mot en est un. Comment choisir la bonne direction, la bonne formulation ? Le chevalier errant fait des erreurs – il s’égare.

    Entrelacs des vers : les mots, « vestiges », seront-ils enfin délivrés de leur muette obstination ? Comme sur une scène sur laquelle on se croise, les rôles distribués ne dérogent pas, ni les acteurs. Partition ou récit onirique, pour quelle incarnation ? Le questionnement aurait délivré la réponse humaine : signes vains enfin consacrés, trois gouttes de sang sur la neige qui réveilleront Perceval en lui révélant qu’il a failli. Quelque chose a manqué – la parole. « [T]erre veuve », nommée encore, pour désigner cette fois l’être qui ne l’a pas délivrée. Chevalier errant, sens ôté, le verbe manque. Le personnage, en un récitatif, entreprend de narrer son cheminement intérieur, ce que le sang sur la neige a dénoué dans son cœur, le liant au chemin, à la quête humaine et mystique, celle qui relie les âmes. L’identité exaucée par le nom accomplit l’existence humaine en la nouant à l’arbre, à l’herbe, à l’être qu’il forme avec la terre. Métonymie vibrante, tout battant, « ce qui est là, peau, bois, veine, nervure, / contient, dans son creux, dans les canaux / vides que fouillent le temps et la mort, / l’univers entier […] ». Manque, ontologique et sidérant. En cette béance, le sable toujours, devant l’inscription de l’être ineffaçable.

    Ainsi Pascal Quignard commence-t-il son roman Vie secrète : « Les fleuves s’enfoncent perpétuellement dans la mer. Ma vie dans le silence. Tout âge est aspiré dans son passé comme la fumée dans le ciel. 3 » Perceval, jeune homme enthousiaste et loquace, est devenu homme du silence et du secret. Secret de son identité, de sa famille. Secret du Roi Pêcheur. Aspiré par son passé, il pense sans cesse à sa mère, à Blanchefleur et aux questions non posées dont les réponses attendent.

    « On ne peut jamais revenir enfant

    pour poser la question,

    et rien n’aura traversé l’air,

    ni vol, ni parole. »

    Vers l’enfance se portent les vers : « et de façon magique, / rien n’est oublié, / puisque tout a lieu ». Locution verbale identique à celle précédemment commentée, elle ancre le temps, « avoir lieu » demeure une porte ouverte sur le château, une suspension qui seule garantit cette inscription. L’enfant, face au sang « sur la neige indéfaite », inverse le sort : contraste, oxymore neige/sang ainsi réduit à son sens (« En arrêt »). Scrupuleusement.

    Après avoir été adoubé par Gornemant de Goort, Perceval arrive au château de Beaurepaire, où il découvre l’amour avec Blanchefleur que Chrétien de Troyes décrit : « Sur son visage, la couleur vermeille contrastait avec le blanc mieux que sinople sur argent.2 » Plus tard, quittant le château du Roi Pêcheur et cherchant le roi Arthur, le jour de la Pentecôte4 , il voit trois gouttes de sang laissées sur la neige par une oie blessée. Perceval reste toute la matinée sidéré, médusé devant ces taches rouges sur la neige blanche qui évoquent intensément le visage de son aimée.

    « Trois trous rouges sur le côté de la neige

    et l’absence, deux cailloux dans les orbites.

    C’est l’éblouissement de l’absolu,

    la peau blanche, immense, et son grain. »

    Les gouttes de sang révèlent la blessure de l’absence mais, au-delà, celle de vivre. Ce Val que perce le nom du héros n’est-il pas aussi celui de ce « dormeur » qui « dort dans le soleil » et qui « a deux trous rouges au côté droit5 » ? Perceval pensif s’absente. Ce n’est que lorsque le rouge se sera estompé qu’il pourra revenir, mais où ?

    « Je reviens à moi, mais la langue est perdue. »

    À la façon d’une étoile rouge que porterait l’armure (vermeille) percée de Perceval, elle revient au présent hanter le poème. « C’est l’éblouissement de l’absolu », la parole inventée du poème délivrant Perceval de son mutisme. Le verbe « trancher » disséminé révèle son ambiguïté : séparant, il instaure une nouvelle ère, comme s’il fallait revivre la blessure pour écrire le poème. Ce que porte Perceval alors, le cri des mourants, entre dans son armure, le poème s’ouvre à cette profondeur de la « terre veuve », profération d’une parole énigmatique et nécessaire. Les armes du chevalier (lance, flèche et son carquois, épée) comme son armure deviennent réceptacle de ce mystère. Entre la mort et l’amour, « la parole tue, ce soir-là ». Ce silence nomme Perceval, le condamne par son nom, « Chevalier d’Effroi », « sans cordes vocales ». Devenu dans le poème celui dont le silence révèle l’être secret, « sa voix blanche, / on dirait que je ne suis chevalier / que par la neige », immaculée, qui tombe sans bruit et le flocon, autant que l’air, berce une parole absente du ciel. Trois gouttes de sang devenues « trois braises » d’un feu mourant, trois âmes prisonnières de n’avoir pas été révélées, « trinité / qui s’épuise » et le vers alors meurt sur ses trois syllabes, dans le souffle du –e faible qui ne sera pas prononcé.

    « Tout est séparé parce que je n’ai rien dit. »

    À cause de ses deux erreurs, Perceval reçoit la malédiction de la Laide Demoiselle : par sa faute, le monde sera dévasté. Pendant cinq ans, il oublie tout ou presque, il oublie Dieu. Chevalier errant, il combat et tue cinquante adversaires. Il erre en terre foraine et contribue à la dévastation générale. Ce monde n’est plus le sien. Chrétien de Troyes affirmait qu’« [i]l s’oriente mieux dans les bois que dans les plaines2 ». Le monde lui est étranger.

    « Il existe un ailleurs, je le désire violemment,

    un envers du monde, un lointain proche,

    un lieu où la vie n’impose pas de dire

    ce qu’on ne saurait dire. »

    Est-ce cet « envers » que Perceval entrevoit quand il reste sidéré devant les trois gouttes de sang ?

    « Ne plus rien voir. Percevoir ? »

    Cet ailleurs montre-t-il l’ombre de ce monde ou, derrière l’ombre de ce monde, le monde réel impossible à atteindre, avec des réponses qui n’exigent pas de questions ?

    Perceval « erre dans [sa] forêt mentale ». En silence.


    Périphrases pour nommer ce silence, son mystère ne se peut formuler en un nom –sauf à nommer Perceval. Paradoxe du titre puisque, par le poème, ces « dernières paroles » lui sont données : restitution de ce qui ne fut pas exprimé. La rencontre n’a pas eu lieu, un testament (le poème) porte la trace de cette faute. La langue fut ôtée comme l’armure, l’Occident agonisant gît là :

    « Qui peut tenir lieu ? Quel labour

    assez profond pour refonder une aube ? »

    « Tenir » en son sens littéral et concret : debout, ici. La parole absente a ouvert la brèche de la fin. Fatalité, fin d’un monde altéré qui se meurt en expiant par le silence des « fantômes », « vagues formes courbées ». Ils naissent au crépuscule et disparaissent aux premières heures, spectres « où nage notre secret ». La réponse se trouve trop loin de notre rive, « [t]out est dévasté », gâté. Les ailes condamnées ne peuvent traverser le nuage à la verticale du soleil où saigne « le rouge ». La neige n’est plus. Le gué semble passage vain, comme la voix sans les mots. Le lexique de la ressemblance (« semblables », « mêmes », « elle aussi ») croise alors celui de l’écart (« autre », « étrangère »). Ce dernier culmine dans l’expression de son aboutissement : terre « hérissée », « ravagée ». L’aboutissement du silence du chevalier creuse une blessure antérieure. Trois gouttes élargies deviennent ère de glaciation, terre « foraine », trois cavités dans la neige pour la profondeur douloureuse du silence meurtrissant la terre (la mère meurt et la terre la couvre).

    « Je suis Perceval, l’homme percé de cris,

    grevé de râles, comme des mains,

    par poignées. »

    Perceval porte et chante la douleur d’être. Comme Ulysse, il n’aspire qu’à retourner « chez lui », à retrouver le château du Roi Pêcheur et celui de Blanchefleur. Il aspire à une seconde chance. Pour tout. Comme Ulysse, il subit une malédiction, oublie puis retrouve la mémoire. Mais Ulysse, lui, est soutenu par une déesse et franchit tous les obstacles, il revoit sa mère morte et ses compagnons tués au combat ou noyés, et il rentre en son palais.

    « Patience, mon cœur, a dit l’aède.

    […] La nuit d’Ulysse fut brève

    ressac sur la mémoire. »

    Troie fut détruite il y a bien longtemps et aujourd’hui il ne reste plus trace d’Ithaque. Elles existent encore cependant dans le poème de l’aède.


    Errance, le chevalier ne sort ni de la forêt ni de la douleur, son nom sur les lèvres reste inavoué, « pas un lieu », toujours les pierres muettes, « un visage aux plis profonds ». Le pli cache, couvre « le sol indéfait ». Rouge et noir confondus, le sang. Pèlerin, pieds nus, Perceval sans armure parcourt-il de son souffle ce qu’il n’a pu formuler ? Mot tu, il équivaut à un geste, une tension vers un sens ou une délivrance alors que la langue lutte en deux directions que le soleil noue ou dénude sur la neige. Mère veuve, la terre orpheline de l’enfant « froissant son propre avenir ».

    Que peut attendre désormais Perceval ?

    « Je n’attends rien d’autre de ce qui m’entoure,

    pas d’autre rêve, dans ce qu’il me reste à vivre,

    que ce jour dont la beauté n’est que d’être. »


    Trois gouttes vermeilles, langue de cendre et d’enfance : le poème, Dernières paroles de Perceval. Le nom propre cerclé de sang s’est clos, l’effroi meurt pour que le cri comme une flamme perce le poème du nouvel aède.



    Isabelle Lévesque
    D.R. Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes





    ________________________________________
    1. Pascal Quignard, Les Ombres errantes, Éditions Gallimard, 2002.
    2. Chrétien de Troyes, Perceval ou Le Conte du Graal, texte établi et traduit par Daniel Poirion, in Œuvres complètes, Éditions Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1994.
    3. Pascal Quignard, Vie secrète, Éditions Gallimard, 1998.
    4. La Pentecôte étant célébrée en mai ou juin, la chute de neige ne peut que surprendre. Ce jour commémore la descente sur les disciples de Jésus de « langues qu’on eût dites de feu. […] Tous furent alors remplis de l’Esprit Saint et commencèrent à parler en d’autres langues […] » (La Bible de Jérusalem, Éditions du Cerf, 1974). Les disciples deviennent ainsi polyglottes et vont parcourir le monde en parlant. Perceval est immobile et se tait.
    5. Arthur Rimbaud, « Le Dormeur du Val », in Œuvres Complètes, Éditions Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1974.






    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval







    EMMANUEL  MERLE


    Vignette Emmanuel Merle




    ■ Emmanuel Merle
    sur Terres de femmes

    [Le rouge] (extrait de Dernières paroles de Perceval)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’AP)
    Amère Indienne
    [Cape Cod]
    Le Chien de Goya (lecture d’AP)
    Cet ancien lieu (poème extrait de Démembrements)
    Pierre Dhainaut, Ici
    Ici en exil (lecture de Sylvie Fabre G.)
    ils attendent ce qui (extraits du Grand Rassemblement)
    [Je me discerne davantage dans le miroir de la couleur](extrait des Mots du peintre)
    [Ramper sur la glace](extrait de Nord, seul point cardinal)
    [Tout est matière, sauf ma décision] (extrait de Olan)
    Tourbe (lecture d’AP)
    [Il n’y a plus d’arbres] (extrait de Tourbe)
    [Une promesse, dis-tu]
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | [Jour de pluie ici aussi]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    Sylvie Fabre G. | Une terre commune, deux voyages
    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Emmanuel Merle




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





    Retour au répertoire du numéro de mars 2015
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Emmanuel Merle | [Le rouge]




    ROUGE
    Ph., G.AdC







    [LE ROUGE]


    Le rouge. Un halo de rouge, un mal aux yeux.
    Mon regard saigne-t-il, qui rejoint
    la lumière, qui s’écorche sur elle ?

    Comme dans un rêve, le corps est immobile,
    seuls les yeux. Rêver comme un cheval,
    paupières ouvertes, pupilles brûlées
    qui peignent un sol ourlé de sang.

    Ne plus rien voir. Percevoir ? En esprit
    je traversais un fleuve là où la roche mère,
    surgissant soudain, accueillait mon regard.

    Guéer un drap immense et blanc
    dans les eaux du passé, pâlir dans l’eau
    du paysage trois taches rouges.



    Emmanuel Merle, « L’Homme percé de cris » in Dernières paroles de Perceval, L’Escampette Éditions, Collection Poésie, 2015, page 34.






    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval





    EMMANUEL  MERLE


    Vignette Emmanuel Merle





    ■ Emmanuel Merle
    sur Terres de femmes


    Dernières paroles de Perceval (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’AP)
    Amère Indienne
    [Cape Cod]
    Le Chien de Goya (lecture d’AP)
    Cet ancien lieu (poème extrait de Démembrements)
    Démembrements (lecture d’AP)
    Ici en exil (lecture de Sylvie Fabre G.)
    ils attendent ce qui (extraits du Grand Rassemblement)
    Migrant (extrait d’Habiter l’arbre)
    [Je me discerne davantage dans le miroir de la couleur](extrait des Mots du peintre)
    [Ramper sur la glace](extrait de Nord, seul point cardinal)
    [Tout est matière, sauf ma décision] (extrait d’Olan)
    Tourbe (lecture d’AP)
    [Il n’y a plus d’arbres] (extrait de Tourbe)
    [Une promesse, dis-tu]
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | [Jour de pluie ici aussi]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Terres de femmes)
    Sylvie Fabre G. | Une terre commune, deux voyages
    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Emmanuel Merle






    Retour au répertoire du numéro de mars 2015
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Vera Pavlova | [Un testament]



    [Завещание]



    Завещание — план прожитой жизни.
    Над своим гробом не хочу слышать
    си-минорный прелюд Рахманинова, allegretto
    из Седьмой Бетховена, ничего из любимого
    Чайковского. Хочу: А-dur-ный фортепианный
    Моцарта, adagietto из Пятой Малера
    и Девятую Брукнера, часть третью.
    А впрочем, можешь завести, что хочешь:
    кто плачет, тот и заказывает музыку.







    [UN TESTAMENT]



    Un testament est le schéma d’une vie achevée.
    Autour de mon cercueil je ne veux pas qu’on joue
    le prélude en si mineur de Rachmaninov, l’allegretto
    de la Septième de Beethoven, aucun air
    du bien-aimé Tchaïkovski. Je désire entendre
    la sonate pour piano en la majeur de Mozart,
    l’adagietto de la Cinquième de Malher
    et la Neuvième de Bruckner, troisième mouvement.
    Au demeurant, fais comme bon te semble :
    C’est à celui qui pleure de commander la musique.



    Vera Pavlova, L’Animal céleste, L’Escampette Éditions, 2004, page 45. Anthologie traduite du russe par Jean-Baptiste Para & Hugo Para.





    Вера Павлова


    Vera_pavlova_1
    Image, G.AdC



    ■ Vera Pavlova
    sur Terres de femmes

    Ce n’est pas moi (+ une notice bio-bibliographique)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    Je voudrais t’écrire une lettre…



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site Poetry Magazines)
    une interview de Vera Pavlova (« How do you relate to the expression: “women’s poetry”? »)
    → (sur le site de TV5 Monde)
    une courte interview de Vera Pavlova
    → (sur Lyrikline)
    plusieurs poèmes dits par Vera Pavlova
    → (sur vimeo.com)
    de nombreux poèmes dits par Vera Pavlova






    Retour au répertoire du numéro d’octobre 2014
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Jacques Lèbre | [Juste avant que nous repartions]



    [JUSTE AVANT QUE NOUS REPARTIONS]
    D-risoires morsures
    Juste avant que nous repartions, du seuil
    de cette maison qui désormais va rester vide
    je regarde au loin un arbre dans le vent,
    comme si des déplacements successifs
    aussi brusques que brefs
    faisaient soudain scintiller
    toutes les écailles d’un banc de poissons
    sous les grands frissons de l’air.
    Mais je ne sais quelle métaphore je cherche.
    Ce n’est peut-être que la mort en mouvement
    qui ne sort jamais de la vie.
    Dans l’absence de vent elle est tapie.
    Dans leur balancement brusque les feuilles
    ne font que de dérisoires morsures
    à la face immatérielle de ce qui nous souffle.



    Jacques Lèbre, Sous les frissons de l’air,
    L’Escampette Éditions, 2009, page 37.








    Jacques Lèbre, Sous les frissons de l'air





    JACQUES  LÈBRE


    Jacques-Lebre
    Source



    ■ Jacques Lèbre
    sur Terres de femmes

    Le vent (extrait de L’Immensité du ciel)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Jacques Lèbre




    Retour au répertoire du numéro d’avril 2012
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes