éditions L’herbe qui tremble, 2019.
Lecture d’Isabelle Lévesque
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| RICHARD ROGNET Source ■ Richard Rognet sur Terres de femmes ▼ → [Le lierre] (extrait d’Élégies pour le temps de vivre) → Un peu d’ombre sera la réponse (lecture de Sylvie Besson) ■ Voir aussi ▼ → (sur le site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Richard Rognet → (sur le site écriVosges) une fiche bio-bibliographique sur Richard Rognet br> → (sur Mediapart) une page sur Richard Rognet (par Bernard Demandre), dont plusieurs poèmes → (sur La Pierre et le Sel) Richard Rognet, poète vosgien (par Jean Gédéon) → (sur écriVosges) une fiche biobibliographique sur Richard Rognet (+ sept poèmes inédits) → (sur Patrimages) une page sur Richard Rognet (par Patricia Laranco) → le site des éditions L’herbe qui tremble |
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[TU ES LE VEILLEUR D’UN PAYS ENGLOUTI] Tu es le veilleur d’un pays englouti. Parmi les vestiges, tu cherches une trace, celle d’un paysage, d’un visage que le temps n’a pas retenue.
Tu ne retrouveras rien : les preuves autant que les murs se sont effondrées.
Tu demeures seul, fidèle à une attente qui ne sera jamais comblée.
Tu te maintiens en-deçà de tout espoir : ton souffle ne trouble pas le vent.
De l’autre côté du miroir, tu as fondé ton éternité.
On ne te voit que par transparence, à cet endroit où s’efface le monde.
Tu parles le langage des muets : ne répondent que le vent et les arbres.
Tu as pris tes quartiers : on ne saurait te rejoindre qu’en brisant avec les vivants. Là où le temps est superflu, on se perd dans l’infini, dans les recoins de l’univers.
Il faut s’en remettre à quelques traces, remonter des chemins perdus dans leur géographie pour consentir à cette absence, y croire tout simplement. Une éternité qui commence à la source, avec le vent, avec ton visage, qui se poursuit avec le silence qui te nomme.
Une éternité que tu habites, paraît-il, et qui pourrait s’achever, éclair dispersé dans le ciel.
Max Alhau, « Le temps secret » in En cours de route, éditions L’herbe qui tremble, 2018, pp. 94-95. Peintures de Marie Alloy.
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MAX ALHAU
→ [Tu n’oses plus nommer] (poème extrait des Mots en blanc) → Le Temps au crible (lecture de Cécile Oumhani) ■ Voir aussi ▼ → (dans la poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Max Alhau |
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« Mes mots sont des puits où les corps voudraient tomber. » G.B. Le nom d’Excideuil attire d’abord par sa syllabe finale. Jours de deuil ? Son début semble énoncer une sortie et les deux premières syllabes sont bien proches d’« occis » (toutes impressions démenties par l’étymologie). C’est pourtant d’une charmante ville de Dordogne qu’il s’agit. L’ancrage des poèmes, révélé là, se connote alors de douceur, elle sera confirmée et nuancera la part terrible des précédents livres de Gérard Bayo (ce livre est le quatrième publié par L’herbe qui tremble1). Excideuil se situe au cœur d’un pays de troubadours, Bertrand de Born, Bernard de Ventadour, Arnaut Daniel, Guiraut de Bornèlh, poètes de l’« Invention du fragile amour » dont les ombres ici apparaissent : « D’une tristesse
lancinante et chère est encore leur amour. Inventé leur monde, inventé
leur amour. » Amour pour la dame, pour le jour, la nuit, au passé des belles histoires : « Aimaient la vie. » Gérard Bayo les rejoint, chante à son tour en invoquant les mêmes destinataires, en travaillant les mêmes motifs. Dans Jours d’Excideuil, les oiseaux portent des noms : loriot, bihoreau, chardonneret, mésanges, « rossignols », « huîtriers pies, / courlis cendrés ». Les plantes aussi sont nommées : la « carotte sauvage », les « poivrons jaunes et [les] cognassiers », la modeste « dent-de-lion », « la cardamine, // la saxifrage, la ronce. Et la laitue / des murailles. »
En tête de chaque poème, un titre, en lettres capitales, qui est souvent le début même de la phrase. Il situe le texte dans l’espace géographique (HAUT PERCHE, MONTAGNE, DANS LA COUR DE LA BIBLIOTHEQUE, MAREUIL SUR BELLE…) ou temporel (NUIT D’ÉTÉ, JOUR DE PAIX, CHANT AVANT L’AUBE…). L’indication peut aussi être thématique, avec des tonalités heureuses ou mélancoliques (SPLENDEUR DU TEMPS, DE NOUVEAU L’ÉCLAIRCIE…). Les mentions de lieux restent les plus nombreuses, comme très souvent chez Gérard Bayo. L’espace nommé fonde le poème, il porte son histoire qui se répète en échos assourdis dans ses textes.
Si l’auteur peut dire à Rimbaud : « Tu parles / notre langue qui n’est pas nôtre », c’est que la langue du poète doit s’écarter de l’usage commun, devenir, paradoxalement, une « langue étrangère » qui puisse exprimer l’informulable. En multipliant les ellipses, Gérard Bayo bouscule la syntaxe. Les inversions se succèdent comme les phrases sans verbe. « NE SE LÈVERA LE JOUR », avance un titre. Le sujet déplacé trébuche comme les noms, les vers peuvent aussi répéter un même syntagme ou une préposition : « Les masures de bois s’alignent pour la nuit jusqu’à l’horizon
hors de portée. Jusqu’au sommet
de la colline. » C’est ce groupe de mots alors, cette précision, qui devient la phrase en débordant le vers. Page suivante (11), le « et » repris superpose et met sur le même plan une série d’expansions du nom, comme si elles pouvaient contenir, dans leur mystère et leur plénitude, toutes ces caractérisations : « Impossible d’échapper
à la voix pure
et lointaine et qui s’échappe, et vient si tard. » La langue, dans de discrètes dérogations, éloigne le convenu et capte l’orientation particulière d’un instant. La parataxe peut à son tour associer des instants captés : « Les peupliers
n’existaient pas encore.
[…]
Les piliers existaient,
Les nuages aussi. » Alors chacun pourrait se croire en un conte dont le décor est dressé, précisément. Pourtant le temps, l’imparfait, figure d’éternité, est rompu : « La durée, / déjà », comme si l’éternité caduque ne pouvait se nourrir que du silence et s’accroître de la somme d’instants vécus dont le poème porte trace. Des vœux sont formulés : « Ô voudrais tant t’aimer,
amie,
encore après la mort. » Vœux, matrice d’un rêve qui s’éloigne, car la poésie de Gérard Bayo constate le perpétuel mouvement, l’effacement. « Loin » et « lointain », répétés, deviennent une rythmique comme les blancs, qui déplacent les mots dans le vers, clouent le poème au silence. Les arbres en sont les marqueurs, formes d’amers temporaires mais tenant debout l’ensemble du paysage qui vacille sous le ciel (érables, peupliers, bouleau, cyprès, cognassiers, cerisiers…).
Tout se rapproche et ne peut se fixer. L’instant est porteur de ce qui éloigne : « Les noix d’automne sont tombées,
bientôt il va neiger. L’amour est seul
à aimer, seul à n’être pas aimé. » Le cœur du poème balance entre des pôles lexicaux, répétés, modifiés, déplacés : « Rose s’élève la flamme des brasiers […] », Poésie d’attente et de rythme lent, le bercement réveille la mélancolie, en douceur. Le verbe absent, le nom, montrent leur capacité à embrasser sans limite. C’est toujours amoindrie qu’une impression surgit, l’éphémère est son destin : « Terre silencieuse et ciel désert. De la photo à la cendre. Et de la cendre au ciel vide. Imagine-les
vivant la tristesse du crépuscule jamais tombé. » Peut-être faut-il écrire ce qui n’est plus : « SOUTINE LA TABLE J’enlève ceci, cela
et tout est fait. Les
sachant, les peindre. » Tout est loin, toujours. Tout est inaccessible. Lire Gérard Bayo pour prendre cette mesure entre soi et les choses (entre soi et soi). Le passé laisse des signes, les noms des hommes et des lieux s’inscrivent dans le présent qui s’éloigne. « Tu regardes presque assez longtemps » clôt l’un des poèmes de la première partie, aucune proposition pour traduire la finalité dans les cassures et les ellipses, pour que chacun poursuive ce qui ne peut s’achever ; l’énigme est inscrite partout, autour, dans le vers, à la jonction de deux termes paradoxaux qui se heurtent : « À LA LUMIÈRE DU JOUR dans la pénombre. La vie
sans date,
l’art sans date et dehors qui sait ? la douceur de vivre. » Les textes des poètes disparus, « sans date » désormais, sont loués, l’éternité les garde. Dans le poème PROBABILITÉS, les participes passés « coupées – rapprochées – hasardées – séparées » se confrontent alors que leurs sons s’appellent. Répétés ils se rapprochent et reviennent au destin tracé par des lignes brisées. Ce qui est scellé peut se rompre, par intermittences, dans les interstices consacrés du poème qui, par ses vers douloureux, réveillent le disparu pour qu’il vibre, ici, un instant. « Elle semble bien pourtant
savoir ce que de nous
elle attend, la vie. Amis, jamais nos poèmes ne furent
inachevés. » La vie décide du début et de la fin. Gérard Bayo répond-il ici à l’ami Pierre Dhainaut qui nous emmène « plus loin dans l’inachevé », « dans la lumière [elle-même] inachevée » et dont le poème est toujours « commencé » 2 ? Le mathématicien français spécialiste des probabilités, Wolfgang Döblin (fils de l’auteur de Berlin Alexanderplatz) mourut en 1940 en combattant la barbarie nazie. Il envoya, avant de se suicider, une enveloppe cachetée à l’Académie des Sciences avec le compte-rendu de ses dernières découvertes dans l’étude des probabilités : « Sur l’équation de Kolmogoroff ». « À Où sera-ce est enterré
Wolfgang Döblin 416h. en 1970,
poste à Rambervilliers, 8 km.
Train
à 2,5 km. Sapins : 300 m. Un
sapin : 20 m. Sait bien
de nous ce qu’elle attend. » « Répit », est-il indiqué en titre de ce poème aux allures mathématiques. Est-ce la vie, ce laps de temps ? Un moment improbable, impossible à poser en équation, comme le suggère le nom interrogatif du lieu où le jeune mathématicien est enterré : Housseras, dans les Vosges. Entre deux crépuscules, le jour vit. Celui du matin propose toujours une nouvelle naissance, et chaque jour offert s’y ajoute, « depuis que fleurit le bois mort » 3, comme le chantait Arnaut Daniel. Que deviendra l’amour ? « À quand l’autre, / le tout autre amour ? »
Le poète ne peut évoquer que ce qu’il connaît : la vie. Avec les disparus, inaccessibles, le dialogue se poursuit cependant sur un seuil : « Un mur nous sépare, un mur de vent,
de feuilles
et d’arbres, de rayons de soleil. » Les morts « s’attardent » d’abord entre ces deux mondes. De cela, notre mémoire garde trace. Les écrits des poètes nous restent, nous les interrogeons. Gérard Bayo ne cesse son dialogue avec Rimbaud : « Tu es venu trop tôt / ou moi trop tard », lui dit-il. Et pourtant : « Ailleurs, nous nous sommes rencontrés. / Ailleurs déjà existe. » Est-ce « la vraie vie », celle qui permet de penser que « [l]a mort peut-être / n’existe pas » ?
Ainsi se prolongent les échanges avec l’ami Rüdiger Fischer, Jackson Pollock, Chaïm Soutine, Anna Akhmatova, Vasalie Dohotar, et bien d’autres, dont le poète espagnol Antonio Machado qui nous fait passer d’Excideuil à Ségovie.
Alors quand vient le soir, la nuit de neige, la présence est totale : « La mort venue, l’amour ne sait / plus finir. »
Isabelle Lévesque D.R. Isabelle Lévesque pour Terres de femmes ____________________________ 1. La Langue des signes (2013), Un printemps difficile (2014), Neige, suivi de Vivante étoile (2015 – prix Mallarmé 2016) 2. Livres de Pierre Dhainaut : Le Poème commencé (Mercure de France, 1969), Dans la lumière inachevée (Mercure de France, 1996), Plus loin dans l’inachevé (Arfuyen, 2010). 3. Traduction de Jean-Claude Marol – La Fin’Amor, Chants de troubadours (Seuil, 1998). |
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[DÈS LE SEUIL REMERCIE] Dès le seuil remercie : après ton départ la glycine refleurira, même en octobre. Si tu as peur, ne pense plus qu’aux arbres, ne retiens pas les souffles, les rameaux sont allègres. Aide-toi en marchant du mot « neige », il est discret, légère son empreinte. Ou du mot « samare », clairvoyantes les lèvres qui le disséminent, les chemins pluriels. Pierre Dhainaut, « L’approche autrement dite » in Voix entre voix, L’herbe qui tremble, 2015, pp. 47-48. Peintures d’Anne Slacik. |
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Mais non, la nuit ne tombe pas, les poèmes,
mieux que nous, pour nous, entretiennent le feu. Pierre Dhainaut
Dans le titre l’écho, un mot répond à un autre, identique ? Passé par les deux noms, le mot « entre » serait-il préposition, verbe ou simple caisse de résonance ? Trait d’union, ce mot charnière qui offre une expression où balance, à gauche et à droite de la préposition, chaque terme1. Pierre Dhainaut choisit avec soin ses titres : ce triptyque énonce une poétique ; ce faisant, l’allitération semble allonger le premier son consonne en tête de « voix », passé par le souffle. L’entendre comme dans les conques qui lui sont chères : avant d’être écrit, le poème requiert accueil, une écoute consentie que la conscience ne guide pas. Alors il se révèle. Ce livre, le troisième de Pierre Dhainaut aux éditions L’herbe qui tremble, laisse entrer les arbres d’Anne Slacik dans son tissu, écorce insinuée là où le souffle régulier impose son rythme. Présence tutélaire : « nous ne sommes jamais seuls en compagnie des arbres », écrit à la fin du livre le poète dans un texte de présentation de ces peintures. Les arbres d’Anne Slacik semblent faire corps avec le ciel. Liée au bleu en couverture, leur matière s’impose par la présence des feuilles. Le trajet de la couleur révèle l’arbre. La verticalité guide notre perception (notre ascension). Pour ce titre, trois mots, trois parties, celles du livre inspiré et construit. Pour les deux premières, « Échographies (I et II) », le même nom, la troisième diffère : « L’approche autrement dite ». Mais la seconde partie est différente des deux autres, puisqu’il s’agit de notes en prose. Dans le premier poème d’« Échographies I », trois noms : Les forêts, les falaises, le seuil… Le troisième unit les deux premiers : « Les forêts, les falaises, le seuil était le même […] ». Poète et lecteur « sur le seuil », en approche : nous voilà dans les limbes du livre (le second poème est intitulé « Préliminaires »), en attente. Quelque chose a cessé. « [L]es dons du vent, tu les as épuisés. » L’évocation d’un « visage » sera l’amorce pour retrouver « la passion d’acquiescer, de comprendre ». Les échographies ont-elles permis de suivre le développement prénatal de l’enfant ? Mais il n’en est rien dit. Un enfant est né. Il ne parle pas, mais il voit, entrevoit : « il fait plus, de ses yeux vifs, immenses,
que voir, recevoir la lumière ». Nous pouvons l’observer et garder nos interrogations vaines. « Il parlerait, il nous dirait son origine ». Voici le premier seuil : l’origine, l’infini d’avant. Cette naissance ouvre à l’enfance miraculeuse dont le berceau associé à la lumière éveille les vers. Ainsi alternent le présent certain de l’accomplissement et le futur d’une certitude éprouvée à l’indicatif du prophète sans Dieu, pour un « visage ébloui » faisant taire les limites portées par les négations repoussées, excluant le lourd assaut de l’empêchement pour la confiance et la promesse. Naissance, l’enfant qui « n’a pas crié » fait d’abord craindre pour lui le deuxième seuil, celui de la mort. Il ne crie pas, ne parle pas. Mais un jour « il envoie / un signe de connivence » qui va redonner espoir. Un signe, moins qu’un mot, comme ces ultrasons qui permettaient de le voir avant même sa naissance. Quelques syllabes prononcées en désordre dénouent le jour de la nuit et, peu à peu, entrent dans le poème. Le poème suivant, « Résidence « Le Tiers Temps » », approche le deuxième seuil. Cheminement identique, « dans la neige » augurale et fragile. Personnes âgées dans la résidence qui les retient, leur conscience s’éveille au passage d’un enfant (sur les étagères, les photographies d’enfants l’annonçaient), la neige entre eux, ce trait d’union : « Ce n’est qu’au soleil des poèmes
que les oiseaux sont la mémoire de nos traces,
elles fondent, elles resplendissent. » Peuvent se rejoindre « fondre » et « fonder », leur homophonie à la troisième personne du pluriel unit le paradoxe apparent, disparaître en naissant. Les vers l’expriment, les syllabes du dernier long mot élargissant à l’accomplissement la promesse des oiseaux, sur le seuil d’une nuit sans fin. Pour ces pensionnaires dans des chambres « pareilles », qui, comme le nouveau-né, « se taisent », réagissent peu aux sollicitations, la nuit vient. « Que sont mi ami devenu / Que j’avoie si près tenu / Et tant amé ? », demandait Rutebeuf. « Je cuit li vent les m’a osté. » S’il s’agissait, dans la complainte du poète du XIIIe siècle, de trahison, il s’agit dans « À la mort de R.2 », du franchissement du second seuil. « En si grand nombre des amis sont partis,
ils ont franchi ce que notre ignorance appelle
un seuil. » Souvenirs du temps de partage, de saisons heureuses ou difficiles, de « l’effroi » et de l’« espérance » : « nous habitions la maison de l’écoute ». Nous entrons dans le souvenir des imparfaits éternels (« les vagues accouraient, se brisaient, / s’apaisaient, ressuscitant les arbres »). Ressac et le mouvement identique, flux/reflux, il n’en finit pas. Parallélismes, séquences doubles en un balancement « où se réconcilient, où se fécondent / les rêves, les regards, le langage ». La redite assoit un rythme nécessaire, « l’air ou l’arche », renforcé par les sons proches. Les amis partis interrogent sur le sens des paroles dernières : comment savoir qu’elles le seront ? Peuvent-elles devenir paroles de poème ? Devant l’ami mort, le poème manque. D’aucun secours, celui « où nous avons cru oublier la mort ». « L’écriture est d’ici. » L’écriture, oui, mais la parole ? C’est avril et le lilas, dans une couleur « blanche ou mauve », exhalant un parfum qui ouvre les perceptions et la parole pour « restaurer l’enfance où notre neige / comme un parfum annonçait son retour ». Les poèmes « devenus anonymes / […] refusent, jour et nuit, de dire adieu. » Pierre Dhainaut, comme il aime à le faire pour beaucoup de ses livres, accompagne les poèmes en vers de notes en prose, ici placées au cœur du livre : « Échographies II ». Est-ce le « entre » du titre, le trait d’union entre les deux « voix » ? Il s’agit d’un véritable Art poétique qui éclaire les poèmes sans jamais les commenter. Déclarations de principes, aphorismes ou apophtegmes. Prose qui affirme la supériorité du poème. Les textes en prose confirment ce que le poème a exprimé : « Le premier mot, si nous pouvions le dire, ce serait « oui ». » Lien clair établi entre le poème et la note, l’acquiescement est le même et une fonction assignée, la transmission. Laisser la surprise guider l’écriture, ne pas emprunter les chemins fréquentés : « tu accueilleras l’imprévisible ». Le choix des mots importe cependant : « sont-ils exacts, sont-ils au bon endroit ? » Les ratures en témoignent qui, sur la page, portent trace de l’activité « loyale » d’écrire. Entre le souffle (le vent) et les mots, la connivence, pour écrire le poème et « [p]lutôt que la prose les vers », leur disposition aérienne amène à suspendre la lecture, à accroître l’attention portée aux mots. Ceux-là, si souvent « rebelles », sont donnés au poète qui reste « à l’écoute ». Son souffle est-il le sien ? Ou bien est-il traversé par le souffle des mots eux-mêmes qu’il doit écrire puis ordonner et vérifier ? « Nous aiderons les mots à respirer, nous qui respirons si mal. » Le poète ne contraint pas les mots, il les attend. Souvent ils viennent la nuit, quand le contrôle est le plus faible3. Au matin il écrit, sa patience est « parturiente ». Gloire aux poèmes du matin que la nuit délivre ! La troisième partie porte en intitulé « L’approche autrement dite. » C’est que les deux premières parties désignaient aussi l’approche, celle de l’origine et celle de la fin, les deux seuils. Première approche par des poèmes en vers (généralement de dix ou douze syllabes), la seconde par la prose, puis la troisième en neuf strophes (ou poèmes) de cinq vers courts, de deux à six syllabes. Le pronom le plus utilisé, « tu », peut s’adresser au poète comme au lecteur. Pas de noms propres dans le livre, des pronoms parfois incertains, le poème échappe à son auteur et devient anonyme, autonome. Il vit sa vie de poème. Ces quintils sont parfois de vrais préceptes : « Dès le seuil remercie :
après ton départ
la glycine
refleurira,
même en octobre. » Se condense, dans ces courts poèmes, tout ce que nous avons lu dans les deux premières parties. Pierre Dhainaut a dédié son livre à Jean Malrieu, « l’auteur de Possible imaginaire ». Dans ce dernier recueil, Jean Malrieu a intitulé « Approches de biais » et « Approches de face » deux sous-parties de la première partie (« Approches d’un village ») : exprimant ainsi la difficulté d’approcher l’inconnaissable. La parole lancée du poème tente de le dire comme les ultrasons de l’échographie peuvent montrer l’enfant à naître. Peur écartée, « les rameaux / sont allègres », le mot « neige » retrouvé, devenu sésame, accompagne de sa « légère […] empreinte » la voix. Il vit librement le mot dont les sonorités sur les lèvres amorcent le poème. C’est peut-être l’enfant qui dans le secret de son âge augural initie la première note retenue du texte, course du poème amorcée par ces mots que « l’oreille » accueille et « accompagne » vers le poème. Passant de « [f]lamme » à « lame », selon « l’écho » : Voix entre voix, « souffle entre les souffles », d’autres viennent. Le poète médiateur, depuis la « maison de l’écoute », offre son âme4 fidèle au passage des syllabes pour devenir, enfin et sans cesse, parole de neige, notre bien commun. Isabelle Lévesque D.R. Texte Isabelle Lévesque pour Terres de femmes (13 octobre 2015)
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Ph., G.AdC PRINTEMPS DÉDIÉ (extrait) Des cris d’oiseaux disséminés d’abord, si peu audibles, mais de plus en plus tôt ils nous éveillent, ils vont gagner en assurance dans le chant, s’unifier, s’amplifier, jusqu’à ce que les fleurs éclosent parmi les arbres : nous ne manquions jamais, chaque saison nouvelle, de prendre part à leur genèse. N’y a-t-il plus d’année nouvelle ? La grive, le forsythia, nous ne les avons reconnus qu’en les nommant avec les mots destinés aux enfants entre nos bras, l’heure était celle du matin tout le jour, tous les jours, fenêtre ouverte. Elle est encore ouverte à la beauté, mais la beauté ne vit que de l’accueil et nous gardons pour nous les noms de ceux qui ont grandi, qui sont partis. Qu’importe où ils se trouvent, ils font mieux que se souvenir si nous ne pensons qu’à l’essor qui les soulève. Pierre Dhainaut, « Éclaircissement du sujet » in L’Autre Nom du vent, L’herbe qui tremble, 2014, page 47. Photographies de Manuela Böhme. |
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