Retour au répertoire du numéro d’octobre 2017
Retour à l’ index des auteurs
Étiquette : Lionel Jung-Allégret
-
Lionel Jung-Allégret | [Écris ce que tu sais]
» Retour Incipit de Terres de femmes -
Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
par Isabelle LévesqueLionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte,
Éditions Al Manar, 2015.
Encres de Jean-Gilles Badaire. Postface de Gabrielle Althen.
Lecture d’Isabelle LévesqueCe que nous ne trouverons jamais reste ouvert : quelque chose le souffle et le cache. Nous entrons dans le livre de Lionel Jung-Allégret par les encres sombres de Jean-Gilles Badaire : une ligne s’incline, courbe l’espace d’une douceur de brindilles, dessinant un chemin, le bruissement du vent dans les feuilles, mimétique du titre, une promesse qui s’accomplira peut-être.
Des trois épigraphes, je retiendrai le verbe « hanter » de Christian Doumet, assurément l’un des fils de Derrière la porte ouverte dédié aux ascendants, père mère, venus établir dans le texte une trace familiale en devenir.
Dans le livre alternent deux voix. La première, celle du « je », est imprimée en caractères romains pour des poèmes numérotés de 1.1 à 1.5. Chaque texte, à l’exception du dernier, commence par « Derrière la porte ». La seconde voix répond à la première, ce « tu » auquel elle s’adresse, elle est imprimée en italiques. Elle commente et décrit les dires, les pensées et les actions de la première instance. Ces poèmes sont eux-mêmes numérotés de 2.1 à 2.4. Dans la mise en musique réalisée par Grégoire Lorieux 1, c’est l’auteur qui dit le poème 1.1 et une actrice le 2.1. Puis les deux voix interviennent de façon plus complexe, parfois en écho, en arrière-plan. La voix italique et la romaine semblent constituer des voix intérieures.
Le vers liminaire, détaché, « Derrière la porte ouverte », donne son titre au livre, immédiatement assimilé à l’adjectif « étrange ». Paradoxale, la trace, polysémique peut-être, elle est source d’une émotion tour à tour douloureuse ou féconde. Indicible, on l’éprouve dans le chant anaphorique des intensifs :
« tout est si étendusi infimetout est si étrange. »
Par homophonie, on entend l’écho de la conjonction hypothétique dans cet adverbe intensif.
Étonnante attaque du titre déjouant l’attente : « derrière la porte fermée » ? Non, elle est ouverte. Cet espace qui s’ouvre, « infime » et « étendu », est celui des paradoxes. Nous lirons plus loin :
« Derrière la porte ouverteil y a une infinité de portes qui battent »
ou encore :
« Ne croyez pas que des portes s’ouvrent
ou que des portes se ferment »
Autre paradoxe. La porte ouverte et la porte fermée sont une. Deux espaces-temps coexistent, comme la physique quantique, mentionnée en première épigraphe2, le laisse supposer.
Est-ce la « porte logique » 3 de l’ordinateur quantique ? Ou la porte de l’Enfer que franchit Dante ? Ou celle découverte par Alice, si petite qu’elle ne peut y passer, alors qu’elle voit derrière elle un merveilleux jardin ? Pays des Merveilles, apparemment, mais pour l’atteindre, il faut changer d’état.
Giordano Bruno, dans un dialogue entre Albertino et Filoteo, qui est son porte-parole, écrit : « Débarrasse-nous des moteurs extrinsèques ainsi que des bornes de ces cieux. Ouvre-nous la porte par laquelle nous voyons combien notre astre ne diffère en rien de tous les autres. […] Fais-nous clairement comprendre que le mouvement de tous ces mondes procède de l’impulsion de l’âme intérieure, afin qu’illuminés par une telle contemplation nous puissions progresser à pas plus sûrs dans la connaissance de la nature. » 4 Giordano Bruno enseignait ici que la Terre tourne autour du Soleil, que les étoiles sont centres d’autres mondes, que l’univers donc s’avère infini. La porte qu’il ouvre est celle de la connaissance, celle de l’univers, de l’espace et du temps. (L’ouverture de cette porte le conduira au bûcher en 1 600.)
Quand elle est ouverte, la porte permet le passage d’un espace à un autre. Derrière la porte ouverte du livre de Lionel Jung-Allégret, nous pénétrons dans la chambre d’hôpital ou bien l’espace mortuaire où gît la mère, puis dans le four aux « portes d’acier » réservé à la crémation. C’est aussi une porte derrière laquelle se trouve un savoir inaccessible.
Que reste-t-il de si fragile et pénétrant qui disparaît « comme si l’on ne savait pas / que nous ne verrions rien » ? L’intensif et la condition, inatteignable, se joignent, situant le livre d’emblée sous le signe de l’insoluble.
C’est donc dans un double mouvement d’amoindrissement et d’extension par la pensée qu’officie le poète de Derrière la porte ouverte.
L’altérité pourrait-elle enfreindre la fatalité ? « Peut-être arriveraient un autre feu / ou la cendre d’une autre chair ». Les premières pages semblent vouloir puiser dans la répétition de syntagmes identiques une source, le participe présent portant la durée rédemptrice envisagée dans son processus, lent, récurrent. Marqué par l’effort ou l’inanité ? Seuls changent les compléments du nom (« naissant d’un reste d’algues », « d’un reste de soleil ») comme autant de possibles envisagés mais qui risquent de ne pas aboutir (à la vie), les interrogations en témoignent qui se multiplient en « [p]romesses jamais offertes ».
Pour les mères, le chant, le sanglot « dans les matins blanchis », l’adresse « ô mère », alors qu’elles ouvrent le monde « derrière la porte » ou dans l’horizon qui porte déjà la blessure de la mort annoncée car, « derrière la porte ouverte », maintes blessures, recluses, vont apparaître dans le jour. Vestiges de douleurs passées comme celles, présentes et terribles, que porte la vie en ces énumérations introduites par « il y a », formulation d’un présent éternel qui ne peut que s’ouvrir en laissant paraître la souffrance. Les accumulations accentuent l’effet de prolifération sans fin des douleurs engendrées par la vie, la conjonction « et » ne les clôt pas. Le « je » que le poète avance est personnel et universel, témoin, auquel se confronte ce « tu » invoqué, mère ou l’autre qui souffre, perméable et exposé sans fin. Des parallèles s’établissent : les lignes de l’électrocardiogramme et « quelques lents calques de falaise », comme si la douleur humaine et le monde se reflétaient en un écho sans fin.
Les encres de Jean-Gilles Badaire portent les traces de cette douleur : branches devenues de longues lignes courbes autour d’un espace ouvert sur des avancées et des reculs, ombres tacites dans la figuration du cri que le livre répète.
Comment ce cri pourrait-il entrer dans la musique ? Vibre-t-elle encore lorsque le corps ralenti qui se meurt peut-être recule ? La porte ouverte laisse-t-elle les sons nous atteindre alors ? Le poète voyant depuis un point éloigné de la terre, dans une projection cosmique, entend une « mesure précise », « le chant de l’invisible » :
« Je vois ce qui est durdans l’oscillation des ondes »
Quelque chose résiste, « ellipses d’abord », qui fera naître « un instant d’eau / dans l’éternité » car le temps se répare en devenant éternel et des échos prophétiques nourrissent les vers, « cendre bleue » sidérale et féconde.
Guillaume Apollinaire percevait dans le fleuve « [d]es éternels regards l’onde si lasse » et écrivait : « Comme la vie est lente / Et comme l’espérance est violente ». Lionel Jung-Allégret nous décrit « [u]n monde plus lent que la vie. // Et les mots qui l’accompagnent / sont lents aussi. » L’autre voix parlera de « l’obscénité de l’espérance » face au vide entrevu. Espérance vaine comme celle de ce paysan de Kafka5 qui reste assis pendant des années à côté de la porte ouverte qu’il voudrait pourtant franchir. C’est la loi du temps, si difficile à penser.
« Des mots amputésfracturés par ce qu’ils ne savent nommerdes mots pour les lieux trop brefsdes mots dont la couleur insaisissablecrève les yeuxet d’un langage obscur voile l’obscurité de la mort. »
Une porte est ouverte sur des espaces et des temps autres, la référence aux expériences et aux spéculations de la physique quantique est manifeste. Seuls des mots blessés et défaillants peuvent les esquisser dans l’incertitude et l’indécision.
En deux millions d’années pour l’humanité, combien de mères disparues, donnant la mort avec la vie, combien d’enfants les attendant sur le seuil ?
« Ô mères aux corps abrupts de soleilaux corps de sols et de tombeaux ».
Et si l’on envisage encore plus loin la formation de la terre, il y a 4,45 milliards d’années :
« Je vois la matière profonde des limonsjaillir du néantet de sa mesure précise. »
« Je » et « tu » distinctement se lient pour entendre le ciel et la Terre, dans une arche que la musique crée. Mère perdue, retrouvée en ce chant, à « [l]’embrasure ». Le bleu alors traverse et perce, la fin du livre nous l’offre comme une main tendue sur le vide où résonnent quelques notes :
« J’entends des murmuresderrière les cordes du silence. »
On peut lire le lexique emprunté à la musique comme dissocié du contexte monolithe de la perception visuelle, corde également tendue vers l’autre perdu que l’on peut atteindre : le futur ouvert, porté par un arbre, le vent entre soi et « [u]n corps dans la terre » qui s’ouvre à l’inconcevable musique de l’éternité.
Isabelle Lévesque
D.R. Texte Isabelle Lévesque
pour Terres de femmes
________________________________
1. L’Autre Côté du ciel (2014), pour quatuor vocal et électronique, de Grégoire Lorieux — sur un poème de Lionel Jung-Allégret lu par l’auteur et par Martine Erhel. Création en septembre 2014, Église des Billettes, Paris — avec l’Ensemble Regards, dir. Julien Beneteau. On peut entendre l’œuvre sur le site du compositeur :
https://gregoirelorieux.net/gregoire_lorieux_compositeur/Works/bydate/2014-1.html
2. « Les physiciens ont utilisé deux modèles pour théoriser le monde, l’onde et le corpuscule. Mais il a fallu renoncer aux images traditionnelles : les constituants ultimes de l’univers ne sont pas réductibles aux métaphores classiques. » Sven Ortoli et Jean-Pierre Pharabod, Métaphysique quantique, Éditions La Découverte, 2011.
3. Métaphysique quantique, id. page 96.
4. Giordano Bruno, L’Infini, l’Univers et les mondes (1584), Éditions Berg International, 1987. Traduction de Bertrand Lebergeois.
5. Kafka, Le Procès, ch. IX, « À la cathédrale », page 453, in Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, tome I, Éditions Gallimard, 1976. Traduction d’Alexandre Vialatte.
Retour au répertoire du numéro de juin 2016
Retour à l’ index des auteurs
» Retour Incipit de Terres de femmes -
Lionel Jung-Allégret | [Derrière la porte ouverte]
Ph., G.AdC
[DERRIÈRE LA PORTE OUVERTE]
Derrière la porte ouverte
il y a le vent qui mugit
et des bouches affamées
dans le ventre nu des bêtes.
Il y a des cris d’oiseaux
des voix ignorées dans la calcination des rumeurs
et des arbres noirs qui ploient comme des glaciers
à l’horizon
des torses sans vie
que traverse la lumière froide.
Il y a le cri du silence
qui porte le souffle du temps
et des corps vivants
qui brûlent dans une musique immense
et dans la torche des corps
d’autres corps
qui ne verront jamais le jour.
Derrière la porte ouverte
il y a une infinité de portes qui battent.
Il y a la nuit
et le souffle inquiet des hommes
comme une falaise qui se lève
dans un jour sans lumière.
Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte, Éditions Al Manar | Alain Gorius, 2016, pp. 38-39-40. Encres de Jean-Gilles Badaire. Postface de Gabrielle Althen.
LIONEL JUNG-ALLÉGRET
[Écris ce que tu sais] (poème extrait de Ce dont il ne reste rien)
■ Lionel Jung-Allégret
sur Terres de femmes ▼
→
→ Derrière la porte ouverte (lecture d’Isabelle Lévesque)
→ [J’ai vu les grandes digues au loin] (poème extrait d’Écorces)
→ [Je regarde l’arbre dressé] (autre poème extrait d’Écorces)
→ [Je suis celui qui cherche des secrets] (poème extrait d’Un instant appuyé contre le vent)
→ Parallaxes (lecture d’Angèle Paoli)
→ [Il restait dans la lumière des grandes voiles affalées] (poème extrait de Parallaxes)
→ Un instant appuyé contre le vent (lecture d’Angèle Paoli)
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site des éditions Al Manar) une page sur Derrière la porte ouverte de Lionel Jung-Allégret
Retour au répertoire du numéro d’ avril 2016
Retour à l’ index des auteurs
» Retour Incipit de Terres de femmes -
Lionel Jung-Allégret, Un instant appuyé contre le vent
par Angèle PaoliLionel Jung-Allégret, Un instant appuyé contre le vent,
Éditions Al Manar | Alain Gorius, Collection « Poésie », 2014.
Encres de Jean Anguera.
Lecture d’Angèle Paoli
Ph., G.AdC
LE POÈTE EST-IL CE « RÔDEUR » QUI CARESSE LE MONDE ?
Le vent qui souffle — « si loin / soudainement si proche » — est-il celui de la vie ou celui de la mort ? Un instant frôlé, le poète poursuit sa quête, traversée de l’éphémère parmi les cendres. « Sels noirs » déposés sur la chair inerte et froide d’un corps qui n’est plus.
Un instant appuyé contre le vent — tel est le titre du dernier recueil de Lionel Jung-Allégret — « contre une écorce, un nuage, un rocher », le poète s’accorde une immobilité discrète. Vitale, malgré la modestie de la halte, pour celui qui désire tenir en éveil ce qu’il y a encore de flammes ; pour celui qui tente de saisir ce qu’il reste de « lumière éclatante et douce » sous la vacuité du monde. De cette traversée de solitaire, il ne reste en effet que quelques traces. Traces des traits ouverts par la silhouette d’encre qui ponctue, en trois temps, le poème de Lionel Jung-Allégret. Avec, au centre, une double page qui délimite peut-être un avant un après. Silencieuse, la silhouette de Jean Anguera accompagne les mots du poète, effile à ses côtés sa marche sur la page.
Le poète est-il ce « rôdeur » qui caresse le monde ? Celui qui porte en lui cette vie qui pousse vers la mort ? Sensible à la voix du poète Pierre-Albert Jourdan dont il suit le cheminement, il est celui qui « cherche des secrets quand tout se tait ou que tout commence »… « [c]elui qui écoute des voix enfouies dans les feuillages vacillants de silence ». Il est celui qui « tente d’épeler le silence » (Pierre-Albert Jourdan).
Dans l’univers dévasté qui tient de lieu où vivre, est-il encore possible d’entendre « le chant du monde » ? interroge une première voix.
« Entends-tu le chant du monde ? ». Ainsi s’ouvre le recueil, sur ce questionnement aux lointains accents de Jean Giono. Et sur un dialogue où se noue une double impossibilité. Impossibilité d’entendre autre chose que « la couleur du sang et les cieux qui brûlent ». Impossibilité de voir « l’immensité venue du ciel ». Réduite à une lampe ordinaire, l’immensité se fait lilliputienne et le poème d’ouverture s’abîme dans le « vide ». Pessimisme alors, qui guide Lionel Jung-Allégret ? Se frayant un passage sur des « chemins d’anthracites », le poète fouette sa lucidité sans illusion d’injonctions qui rythment sa progression semée d’obstacles. « Empierrement » et « désordre ». Faire face / retenir / avancer. Insectes vorateurs qui peuplent « la chambre close », murs et meubles. Avancer, pourtant. « Et marcher droit. Marcher haut. » Parmi les répétitions du même, le « nu » et le « dur ». « Dans le même jour. Le même arrêt. La même lenteur d’empierrement arraché au soleil. Parmi les contradictions aussi. Celle de « la beauté que l’on boit à l’aurore » et de « l’odeur funéraire de l’huile frottée sur des torses froids. » Accepter le « foudroiement » de la naissance, son apparition dans la douleur ; accepter l’amertume de « l’amour qui meurt avec les fruits ». Et la vacance du monde, sa vacuité muette. Se résoudre à l’effacement.
« Faire face.À l’effacé. »
Parfois un dialogue s’instaure, précédé de tirets, questions entre « Tu » et « Je ». L’autre ? Le double de l’un ? Injonctions entre un futur et un présent.
« — Tu marcheras vers qui tu es.— Je marche contre le dos de l’aube. Je marche vers un visage aux paupières de lin et de cierge.— Tu marcheras jusque dans la terre.— Je marche dans un corps inconnu. Mon pas est de terre et de chair. Je vais dans le cercle de mes yeux. »
Chaque rencontre poursuit dans la lenteur et le silence, sa marche vers le dessaisissement ; conduit à la dissolution :
« J’écoute mon pas et puis un pas et puis rienma voixau bord de ce qui vient. »
Dégagée de toute recherche factice, la poésie du recueil Un instant appuyé contre le vent est dépouillement. Habitée par le doute, la parole se resserre, réduite à un oracle de peu de mots. Brèves et simples dans leur structure, les affirmations se répartissent sur quelques vers, d’inégale longueur. Séparés du corps du poème par des espaces de silence :
« J’avance sur un sentier qui se vide » /« [o]n va où rien ne bouge ».
Les assertions s’inscrivent dans un présent qui refuse l’infini du monde.
« Je cherche des signes contre ce qui n’est plus ».
La lumière se réduit, faisceau qui n’éclaire que le vide, vision qui va decrescendo dans le retrait. Le vent se recroqueville :
« Moins qu’un souffledans l’instant d’un souffle ».
Confronté à l’expérience douloureuse de la mort — « je me souviens des yeux ouverts et blancs de mon père » —, à la solitude qui est le lot de chacun de nous — « [s]eul avec sa voix. Seul avec son pas » —, confronté à la violence de l’éternité — « [l]’éternité est une violence qui ne propose rien » —, le poète cherche l’amenuisement et la disparition :
« Être frémissement dans le germe de l’écorce et le pas du soleil qui expire avec mon pas ».
« Être silence dans le silence.Et fuite dans la hauteur ».
Ou peut-être — une fois accepté « l’escarpement des mots », une fois traversé « l’éblouissement de ce qui brûle » — aspire-t-il au fusionnement cosmique ?
« Être l’horizon. Être mouvement. Être d’eau et de soleil. »
Comment appréhender à sa juste mesure la beauté d’un poème qui ne se laisse effleurer que par bribes ? Qui se dérobe à la mise en mots ? Qui résiste, au-delà de leur percée, à la captation du dire ?
Accepter de suivre le poète, avancer avec lui entre cendre et lumière — dans l’écriture d’« une parole brûlée, agrandie jusques au blanc ». Se laisser porter par le rythme des vers comme sur la crête des vagues. Comme dans cet étrange sizain où se côtoient amour et mort et qui alterne, irrégulier, le balancement des vers pairs et vers impairs :
« L’amour écrit avec des doigts de sang [10]et la prière des mots [7]devant le bois des cercueils. [7]
Retour au répertoire du numéro d’avril 2014
Retour à l’ index des auteurs
Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »
» Retour Incipit de Terres de femmes -
Lionel Jung-Allégret | [Je suis celui qui cherche des secrets]
Ph., G.AdC
[JE SUIS CELUI QUI CHERCHE DES SECRETS]
Je suis celui qui cherche des secrets quand tout se tait ou que tout commence.
Qui porte la blessure des vies qui se sont tues sous un jour
d’où un jour la clarté disparaîtra.
Celui qui écoute des voix enfouies dans les feuillages vacillants du silence.
J’ai aimé la lumière et le vent qui cognent les os.
Et sur les os, le monde, tout entier
qui se tient et se déploie.
Les tremblements d’une attente,
partout sur le monde,
partout dans les battements de ce qui vit.
Moins qu’un souffle
dans l’instant d’un souffle.
Lionel Jung-Allégret, Un instant appuyé contre le vent, Éditions Al Manar | Alain Gorius, Collection « Poésie », 2014, pp. 53-54-55. Encres de Jean Anguera.
LIONEL JUNG-ALLÉGRET
[Écris ce que tu sais] (poème extrait de Ce dont il ne reste rien)
■ Lionel Jung-Allégret
sur Terres de femmes ▼
→
→ [Derrière la porte ouverte] (poème extrait de Derrière la porte ouverte)
→ Derrière la porte ouverte (lecture d’Isabelle Lévesque)
→ [J’ai vu les grandes digues au loin] (poème extrait d’Écorces)
→ [Je regarde l’arbre dressé] (autre poème extrait d’Écorces)
→ Parallaxes (lecture d’Angèle Paoli)
→ [Il restait dans la lumière des grandes voiles affalées] (poème extrait de Parallaxes)
→ Un instant appuyé contre le vent (lecture d’Angèle Paoli)
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site de la revue Phœnix) une note biographique sur Lionel Jung-Allégret
→ (sur le site des éditions Al Manar | Alain Gorius) la page consacrée à Un instant appuyé contre le vent de Lionel Jung-Allégret
→ (sur Place de la Sorbonne) une recension d’Un instant appuyé contre le vent par Laurent Fourcaut
Retour au répertoire du numéro de mai 2014
Retour à l’ index des auteurs
» Retour Incipit de Terres de femmes -
Lionel Jung-Allégret, ParallaxesLionel Jung-Allégret, Parallaxes,
Éditions Al Manar | Alain Gorius, 2013.
Interventions de Joël Leick.
Lecture d’Angèle Paoli
Ph., G.AdC
« SOUS L’AGONIE, LES INSECTES ATTENDENT »
Au commencement du poème, il y a le blanc. Blanc du silence figé de la mort. Blanc sidéral qui infuse la mémoire. Avec la montée des insectes calcinés sous les visages se dépose le temps. Comme autant de peaux sur la page. Variant les jeux typographiques et les angles d’approche, ménageant les blancs / les silences, Lionel Jung-Allégret interroge l’espace. Interruptions qui couturent l’ensemble où se croisent les voix.
Au commencement de Parallaxes, il y a le corps douloureux du père, respiration à trois temps, de « la nuit, excédante » à « l’aube, tumorale, numérotée d’énigmes. »
« quelqu’un, encore, respire. »
Une première pause ponctue le poème autour d’une double suite de cinq [et non de trois] points de suspension [points de suite ou point d’orgue ?].
Respiration. Silence.
….. / ….. [cinq points de suspension|espace fine|barre oblique/espace fine|cinq points de suspension]
Un second temps fait irruption, en neuf poèmes, marqué par l’italique et la voix du « Tu » qui ramène à elle, avec l’enfance, les cendres froides, la mer grise et les enfants morts. Temps marqué par la blancheur et par l’intrusion du passé dans la mémoire. C’est le temps « d’avant », diffus de souffrances et de blessures, de failles où gisent les cris ; temps de lourdeurs ; de pesanteur de pierre, d’exil déjà, de solitude.
« Il y a des visages comme des couteaux sous l’étreinte brûlante de la chair. »
Et toujours les insectes qui crissent, sauterelles liées aux souvenirs.
Respiration. Silence.
….. / …..
Ainsi va le poème, de Voix en voix. De voix en voiles, « douleurs muettes », « lumières diffuses » et « insectes figés dans l’ombre verte ».
« Il restait dans la lumière des grandes voiles affalées sous les yeux déchirés de l’enfance, des pâturages blanchis de sel où fauchaient les lames gisantes de la mémoire. »
Il y a quelque chose d’un corps qui se déchire, s’absente, purule, se désagrège. Assailli d’images sous les draps (les « lourdes voiles » ?), le grand corps malade veille en toutes choses aux progressions insidieuses de la mort. Celle du cycle des plantes, soumises au « retournement des trajectoires ». Celle du jour qui cède la place à la nuit. Celle de la sève qui s’assèche pour laisser place au dépeçage des artères. Jusqu’à résignation.
Respiration. Silence.
….. / …..
Parallaxes ? D’autres mots me traversent l’esprit. Parataxe / paratexte / paralipomènes / paradigmes. Parallèles. On rassemble tout ce que la mémoire tient à sa disposition de termes savants (composés ou non à partir du préfixe « para ») pour tenter une approche du mot Parallaxes qui donne son titre au recueil de Lionel-Jung Allégret. Peut-être s’agit-il d’une figure de rhétorique oubliée ? Soudain, la liste tournant court, un détour par la consultation d’un dictionnaire de langue s’impose : le Trésor de la langue française propose une série de définitions ayant notamment trait à l’astronomie mais dont la première, qui est aussi la plus simple, me semble éclairante :
« Incidence du changement de position de l’observateur sur l’observation d’un objet ».
À lire le recueil de Lionel-Jung Allégret, il est aisé d’imaginer que l’objet recherché par le poète est bien celui d’une variation sur la distance angulaire et sur les changements de position. Comment, en effet, appréhender une réalité obsédante sinon en variant les modalités d’écriture dont le poète dispose ? Passant du « je » au « tu », du romain à l’italique, mariant les polices de caractères — des caractères avec empattements aux caractères bâtons —, scindant la page par un filet [trait] horizontal en deux pavés typographiques distincts, le poète joue avec la mise en espace et croise les angles de lecture. Ainsi est-il possible de combiner les modes de lectures – horizontal/vertical — ou de s’en tenir à une lecture linéaire. En se focalisant sur ce que le recueil compte de textes écrits en caractères romains. Ou sur tout ce qui est en italiques, au-dessous du filet qui divise la page.
« J’entendais les douleurs muettes
et l’inquiétude tapie dans la mutité. »
____________________________
« cela ressemble à une plaque de silence qui se retourne ; on est dedans, on y entre, on en ressort ; jamais tout à fait dedans, jamais tout à fait dehors ; peut-être ne reste-t-il que la surface où l’on se tait, où l’embarras de la parole s’éloigne ; qu’il fallait cette réclusion, pour que reflue l’extérieur, pour que s’ouvre le regard ;»… (p. 31)
Ce chassé-croisé, pourtant, ne cesse de ramener le regard au centre. Il le fixe sur la thématique qui émerge de cette structure combinatoire. Autant dire sur la faille. Une faille ancienne, originelle. Maladie du corps d’où survient le mal-être de l’âme, la constante musicale qui se dégage du recueil est celle d’une souffrance incurable :
« Sous l’agonie, les insectes attendent ».
….. / …..
Accompagné par les interventions originales de Joël Leick — paysages aux arbres décharnés ou intérieurs mystérieux — Parallaxes garde entre les pages le secret de ses abîmes et laisse dans la mémoire sa trace assourdie de cendres douloureuses.
Respiration. Silence.
…. / …. [cinq points de suspension moins un|espace fine|barre oblique/espace fine|cinq points de suspension moins un][p. 75/dernier folio texte déduit et non mentionné]
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
Retour au répertoire du numéro de juillet 2013
Retour à l’ index des auteurs
Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »
» Retour Incipit de Terres de femmes -
Lionel Jung-Allégret | [Il restait dans la lumière des grandes voiles affalées]
Ph., G.AdC
[IL RESTAIT DANS LA LUMIÈRE DES GRANDES VOILES AFFALÉES]
Il restait dans la lumière des grandes voiles affalées sous les yeux déchirés de l’enfance, des pâturages blanchis de sel où fauchaient les lames grisantes de la mémoire,
le ressac des heures souterraines bercées par les mains de la tristesse. Et la tristesse était une tumeur dans la poitrine des maisons froides.
J’entendais les douleurs muettes
et l’inquiétude tapie dans la mutité.______________________________
cela ressemble à une plaque de silence qui se retourne ; on est dedans, on y entre, on en ressort ; jamais tout à fait dedans, jamais tout à fait dehors ; peut-être ne reste-t-il que la surface où l’on se tait, où l’embarras de la parole s’éloigne ; qu’il fallait cette réclusion, pour que reflue l’extérieur, pour que s’ouvre le regard ;
Lionel Jung-Allégret, Parallaxes, Éditions Al Manar | Alain Gorius, 2013, page 31. Interventions de Joël Leick.
LIONEL JUNG-ALLÉGRET
Parallaxes (lecture d’Angèle Paoli)
■ Lionel Jung-Allégret
sur Terres de femmes ▼
→
→ [Écris ce que tu sais] (poème extrait de Ce dont il ne reste rien)
→ [Derrière la porte ouverte] (poème extrait de Derrière la porte ouverte)
→ [J’ai vu les grandes digues au loin] (poème extrait d’Écorces)
→ [Je regarde l’arbre dressé] (autre poème extrait d’Écorces)
→ [Je suis celui qui cherche des secrets] (poème extrait d’Un instant appuyé contre le vent)
→ Un instant appuyé contre le vent (lecture d’Angèle Paoli)
■ Voir aussi ▼
→ (sur enjambées fauves) un autre poème extrait de Parallaxes
Retour au répertoire du numéro de juin 2013
Retour à l’ index des auteurs» Retour Incipit de Terres de femmes -
Lionel Jung-Allégret | [J’ai vu les grandes digues au loin]
« Des projets d’acier dépliés devant l’abîme »
Ph., G.AdC
[J’AI VU LES GRANDES DIGUES AU LOIN]
J’ai vu les grandes digues au loin
Bâties contre l’assaut du temps
Leurs démesures
Brisées par l’ondulante beauté du sel
Des ambitions
Et des rochers gravés jusque dans les cimes
Réduits à une vieillesse lente de galet
Je vois aujourd’hui des hommes creuser la mer
Et retourner la terre
Des projets d’acier dépliés devant l’abîme
Des fumées noires qui s’élèvent
Au-dessus des torses nus
Et des villes fulgurantes ravagées de trous
C’est ainsi
L’oubli
Après l’usure
Qui voudra cette douceur
Qui ne polit que des cailloux
Lionel Jung-Allégret, Écorces, Cahiers littéraires internationaux Phœnix, 2011 ; édition révisée Al Manar | Éditions Alain Gorius, avril 2012, pp. 54-55. Dessins de Philippe Hélénon.
__________________________________________________
NOTE : Écorces a reçu le Prix Léon-Gabriel Gros 2011, décerné par la Revue Phœnix. Un second livre de Lionel Jung-Allégret, Clarté de la nuit sur un arbre rouge, a été publié en 2012 chez Al Manar | Éditions Alain Gorius en collaboration avec le peintre Philippe Hélénon (édition originale typographiée au plomb sur Rives d’Arches. Tirage à 30 exemplaires, dont 4 H.C., au format 28 x 20 cm ; trois peintures originales dont une en double page intérieure).
LIONEL JUNG-ALLÉGRET
[Écris ce que tu sais] (poème extrait de Ce dont il ne reste rien)
■ Lionel Jung-Allégret
sur Terres de femmes ▼
→
→ [Derrière la porte ouverte] (poème extrait de Derrière la porte ouverte)
→ Derrière la porte ouverte (lecture d’Isabelle Lévesque)
→ [Je regarde l’arbre dressé] (autre poème extrait d’Écorces)
→ Parallaxes (lecture d’Angèle Paoli)
→ [Il restait dans la lumière des grandes voiles affalées] (poème extrait de Parallaxes)
→ Un instant appuyé contre le vent (lecture d’Angèle Paoli)
→ [Je suis celui qui cherche des secrets] (poème extrait d’Un instant appuyé contre le vent)
■ Voir aussi ▼
→ (sur enjambées fauves) un autre poème de Lionel Jung-Allégret, extrait d’Écorces
→ (sur le site de la revue Phœnix) une note biographique sur Lionel Jung-Allégret
→ (dans le n° 13 de la revue littéraire & artistique temporel) une note de lecture de Nelly Carnet sur le recueil Écorces
Retour au répertoire du numéro de mai 2012
Retour à l’ index des auteurs
» Retour Incipit de Terres de femmes -
Lionel Jung-Allégret | [Je regarde l’arbre dressé][JE REGARDE L’ARBRE DRESSÉ]
« Il y a des questions dans l’opacité des murs »
Ph., G.AdC
Je regarde l’arbre dressé
Jusqu’au rien
Au bout de l’écorce
À l’arrêt
Comme un chien devant la mort
*
Le monde
Comme depuis une île
Sans accès
On est dedans comme dehors
On se dit que le temps se referme
On cherche un sens au fond de soi
Un langage au fond du temps
*
Il y a des questions dans l’opacité des murs
Lionel Jung-Allégret, Écorces (extrait), Cahiers littéraires internationaux Phœnix n° 4, n° spécial Prix Léon-Gabriel Gros, octobre 2011, page 33.
___________________________________________________
NOTE : « Le quatrième numéro de la revue Phœnix revêt la forme d’un ouvrage ou plutôt les caractéristiques d’un recueil de poésie, mettant en exergue le nom de son auteur [Lionel Jung-Allégret] et son titre [Écorces], ainsi que la mention « Prix Léon-Gabriel Gros 2011 » qui lui a permis d’accéder à sa dignité de « livre ». C’est la seule récompense obtenue par le lauréat, mais elle est plénière et non partagée avec les autres rubriques dont se composent les trois autres numéros. » (André Ughetto, rédacteur en chef de la revue Phœnix). Le Prix Léon-Gabriel Gros a été remis à Lionel Jung-Allégret le samedi 5 novembre 2011 à la Bibliothèque de l’Alcazar à Marseille, en présence de membres du jury 2011 : Claude Ber, Joëlle Gardes, Luis Mizon, James Sacré.
LIONEL JUNG-ALLÉGRET
[Écris ce que tu sais] (poème extrait de Ce dont il ne reste rien)
■ Lionel Jung-Allégret
sur Terres de femmes ▼
→
→ [Derrière la porte ouverte] (poème extrait de Derrière la porte ouverte)
→ Derrière la porte ouverte (lecture d’Isabelle Lévesque)
→ [J’ai vu les grandes digues au loin] (poème extrait d’Écorces)
→ [Je suis celui qui cherche des secrets] (poème extrait d’Un instant appuyé contre le vent)
→ Parallaxes (lecture d’Angèle Paoli)
→ [Il restait dans la lumière des grandes voiles affalées] (poème extrait de Parallaxes)
→ Un instant appuyé contre le vent (lecture d’Angèle Paoli)
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site de la revue Phœnix) une note biographique sur Lionel Jung-Allégret
→ (dans le n° 13 de la revue littéraire & artistique temporel) une note de lecture de Nelly Carnet sur le recueil Écorces
Retour au répertoire du numéro de novembre 2011
Retour à l’ index des auteurs
» Retour Incipit de Terres de femmes