Étiquette : Lisières des saisons


  • Roselyne Sibille, Lisières des saisons

    par Florence Saint-Roch

    Roselyne Sibille, Lisières des saisons, Poésie,
    Les éditions Moires, Collection Clotho – poésie, 2017.



    Lecture de Florence Saint-Roch



    LÀ OÙ EST LA LIMITE, LÀ EST LE SECRET




    Roselyne Sibille n’écrit pas pour passer le temps, ni, ce faisant, pour parler du temps qui passe. À le croire, nous serions nés de la dernière pluie, et il se trouve que la poète attend autre chose de nous. Lisières des saisons, certes, s’organise en cinq moments : les saisons s’égrènent pour former la boucle d’une année, tandis que se succèdent les différents âges de la vie. Chaque époque rassemble expériences sensibles et affectives au cours desquelles se tisse diversement la relation à la nature (très présente dans le recueil) et aux autres. Bien sûr, l’indicible clarté le dispute à l’insondable secret. Roselyne Sibille, on s’en doute, ne s’en tient pas à ces topoï. Force est de le constater en la lisant : tout est neuf sous le soleil.

    Chaque saison s’ouvre par un singulier répertoire – comme une page volée dans le carnet d’un botaniste en herbe, d’un entomologiste amateur ou d’un ornithologue du dimanche, ainsi l’indiquent les appellations vernaculaires : noms de papillons, de plantes et fleurs sauvages, d’oiseaux, de plantes vivaces encore, et d’arbres ; règne animal et règne végétal alternent, tandis que s’instaure, en simultané, une partition entre la terre et le ciel, entre ce qui pousse dans le sol et ce qui évolue dans les hauteurs – jusqu’aux arbres qui, eux, font les deux à la fois. Tout ensemble évocations, convocations et invocations, ces suites donnent leur couleur aux saisons abordées, définissent une pâte sonore autant qu’elles établissent une protection tutélaire. La nature est là, c’est un fait, riche et offerte, nommée, consignée, listée, et les énumérations, à elles seules, forment un poème. Inutile, donc, parce que forcément redondante, la poésie des petites fleurs et des petits oiseaux. À défaut de célébrer la nature pour elle-même, peut-on du moins s’enchanter de ce qu’elle nous dit de nous ? Apparemment, cette approche intéressée n’est guère satisfaisante ; les effets réfléchissants, les échos et expressions d’un moi qui se cherche tournent court : « pas de nom dans le miroir », écrit Roselyne Sibille, qui se voit prise dans le « tourbillon ébloui d’un chant que je ne comprends pas ». Que faire, que dire, qu’écrire, dans ce cas ?

    Pour répondre à ces questions, le recueil chemine depuis un « on ne sait pas encore dire » jusqu’à un « nous goûterons peut-être/ce qui n’a pas à se dire ». De l’un à l’autre, des poèmes se sont écrits – les urgences et les nécessités se sont déplacées, l’impossible à dire est devenu possible à vivre. Quand certains envisagent les contradictions sur le mode du dépassement (résolution toute verticale propre à la dialectique), Roselyne Sibille les envisage sur le mode de la conjonction et de la coïncidence, de la contagion et de la conversion. Le monde est un et pluriel, toute chose est elle-même et son contraire, tout peut se transmuer en son autre.

    À preuve encore les répertoires établis par Roselyne Sibille qui, à n’en pas douter, constituent la clé de voûte (et aussi la clé d’or) du recueil. Certains noms vernaculaires établissent des passerelles entre les différents règnes ; les végétaux recèlent des animaux, ou inversement : à lire « pied d’alouette », « corne-de-bœuf » ou encore « citron », que se figure-t-on ? Les lexiques se chevauchent, les catégories se brouillent, les images et les représentations s’entremêlent. Les univers se croisent, nous plaçant au cœur de contaminations actives. Ce n’est pas parce que le mot est dit/écrit/lu qu’on en a fini avec lui, ni avec la réalité qu’il désigne. Le mot est au bord – à l’interface de plusieurs réalités, de plusieurs dimensions. Il se situe aux confins, aux frontières : telle est l’une des raisons pour lesquelles Roselyne Sibille choisit d’explorer les lisières, et, connexes des lisières, quantité de zones interstitielles, failles, fissures, creux, écarts, cassures, fêlures, déchirures : « Qui saura le secret fissuré/qui se craquelle dans les rocailles ». Là où est la limite, là est le secret. Et il n’est qu’à traverser plutôt qu’à nous contenter de passer : puisque notre séjour sur cette terre est temporaire, travaillons à sans cesse nous y transformer, comme la nature, en ses mouvements saisonniers, nous l’apprend. Faute de pouvoir comprendre, au moins pouvons-nous connaître et savourer :

    « Dans le silence du printemps

    les fleurs accueillent

    paisibles

    la neige ».



    Florence Saint-Roch
    D.R. Texte Florence Saint-Roch
    pour Terres de femmes







    Roselyne Sibille  Lisières des saisons





    ROSELYNE SIBILLE


    Roselyne Sibille
    Source




    ■ Roselyne Sibille
    sur Terres de femmes

    Entre les braises (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Entre les braises (lecture d’AP)
    Les Langages infinis (extrait)
    [Pose ton visage dans une brèche] (extrait de Lisières des saisons)
    Ombre monde (lecture de Marie Ginet)
    Roselyne Sibille | Liliane-Ève Brendel, Lumière froissée (lecture d’AP)
    Nuit ou montagne (poème extrait de Lumière froissée)
    [L’ombre est une ligne de crête] (poème extrait d’Ombre monde)
    La tendresse me racine (poème extrait du recueil Versants)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Le souffle des mondes
    Sabine Huynh | Roselyne Sibille, La Migration des papillons (extrait)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Moires)
    la page de l’éditeur sur Lisières des saisons





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  • Roselyne Sibille | [Pose ton visage dans une brèche]




    [POSE TON VISAGE DANS UNE BRÈCHE]



    Pose ton visage dans une brèche
    Espère la page vierge
    Ta narine déchire le souffle

    Où penser la sphère invisible ?

    J’appuierai mon front sur ma main
    ma main dans la terre
    Je révolterai les tortures
    lisserai les fragilités
    renforcerai le pont
    donnerai la lumière aux encoignures

    Je couronnerai l’océan
    Mes doigts se rejoindront
    accompagneront les mots
    jusqu’à leur naissance



    Roselyne Sibille, « Avec le temps du vide » in Lisières des saisons, Poésie, Les éditions Moires, Collection Clotho – poésie, 2017, page 83.






    Roselyne Sibille  Lisières des saisons





    ROSELYNE SIBILLE


    Roselyne Sibille
    Source




    ■ Roselyne Sibille
    sur Terres de femmes


    Entre les braises (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Entre les braises (lecture d’AP)
    Les Langages infinis (extrait)
    Lisières des saisons (lecture de Florence Saint-Roch)
    Ombre monde (lecture de Marie Ginet)
    Roselyne Sibille | Liliane-Ève Brendel, Lumière froissée (lecture d’AP)
    Nuit ou montagne (poème extrait de Lumière froissée)
    [L’ombre est une ligne de crête] (poème extrait d’Ombre monde)
    La tendresse me racine (poème extrait du recueil Versants)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Le souffle des mondes
    Sabine Huynh | Roselyne Sibille, La Migration des papillons (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Moires)
    la page de l’éditeur sur Lisières des saisons





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