Étiquette : Lou Raoul


  • Lou Raoul | [dans les maisons détruites abandonnées]



    [DANS LES MAISONS DÉTRUITES ABANDONNÉES]




    dans les maisons détruites abandonnées celles où personne ne serait revenu où les débris de vaisselle jonchant le sol de l’ancienne cuisine où des mots peints en grand sur les façades les maisons en ruine les traces intactes de la guerre tout cela la guerre ce dont Kim aurait entendu parler bien sûr à la fois proche à la fois lointaine les traces là palpables sous la main dans les yeux les maisons détruites abandonnées en ruine voisines d’autres maisons où la vie aurait ramené les bûches de bois devant les portes le linge à sécher sur les fils les moutons dans les prés alentour les parcelles plantées de choux




    et à Brač les terrains plantés d’oliviers à Brač où Mladen et Tea debout sous un caroubier qu’enfin Kim verrait Kim découvrirait le port de cet arbre les fruits à même les branches et dans l’herbe au pied de l’arbre jonchée de caroubes brunes sur les échoppes du marché vert aussi et Tea la vendeuse un jour glisserait une cosse dans le sac en plastique rempli de mandarines le sac de plastique léger entre les mains de Kim entre ses mains




    le silence Kim le boirait sur la route devant l’église orthodoxe près de la retenue d’eau si claire où la rivière Cetina aurait sa source loin en profondeur où l’eau claire de la Cetina commencerait les cent cinq kilomètres vers la mer son voyage deux Tea s’étreindraient longuement à la gare routière puis l’une d’entre elles monterait dans le car à destination de Makarska, Međugorje, Mostar et la fête foraine battrait son plein en ce dimanche après midi des enfants souriant




    feuilles et pigeons se mêleraient Mladen traverserait la rue portant deux gros sacs entiers de citrons des paroles s’échangeraient dans l’ambiance feutrée des cafés théières faïence blanche Kim assise dans un canapé brûleraient les bougies plus loin serait la Riva serait toujours en kermesse des jeunes Mladen finalement ivres




    les mains dans la crypte continueraient à toucher la statue de Sveta Lucia celles de femmes seraient sur les vêtements et les draps étendus sur maints fils au-dessus des ruelles et sur les balcons l’eau de la Cetina serait tellement claire qu’elle laverait les yeux la tristesse toute la souffrance et le silence serait juste plein de la laine des moutons traversant la petite route accompagnés d’une femme âgée de noir vêtue seraient ici inhumés des personnes serbes le cimetière entier et leurs noms en cyrillique Kim verrait ce serait décembre la forteresse de Klis sous le soleil lumineux toute blanche et au nord-ouest du mont Dinara la Cetina prendrait sa source […]



    Lou Raoul, Otok, Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 29410 Plounéour-Ménez, 2017, pp. 41-42-43.






    Lou Raoul, Otok





    LOU RAOUL


    Lou raoul
    Ph. ©Lou Raoul




    ■ Lou Raoul
    sur Terres de femmes

    [galope le printemps] (extrait de Traverses) [+ une notice bio-bibliographique]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la page de l’éditeur sur Otok
    → (sur Ce qui reste)
    d’autres extraits du recueil Traverses
    → (sur Terre à ciel)
    une page sur Lou Raoul
    → (friches et appentis)
    le blog de Lou Raoul






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  • Lou Raoul | [galope le printemps]



    [GALOPE LE PRINTEMPS]




    galope le printemps dans les chants des oiseaux et puis la pluie plus loin plus tard, les lumières du vaisseau — celui-ci n’est pas en avarie au large de l’île de Sein, plus personne non plus ne vit du goémon, du varech, de la soude sur l’île de Béniguet — du vaisseau immobile, les ralingues des loisirs et du café gourmand les voilures des trois-mâts, c’est aussi sous la voûte bleutée qui fait à la mère couchée les yeux plus profonds ou plus expressifs, si dans le noir je pleure de mes mains sales défais ton pyjama vert-de-gris la toiture de la mairie trop lourde où je ne signe rien d’autre que les œufs mouchetés de la pie dans ce nid accueillant de ta peau qui me grandit qui m’allonge toi au-dessus



    Lou Raoul, Traverses, Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 2014, page 31.








    Lou Raoul, Traverses








    PRÉSENTATION DE L’OUVRAGE PAR L’ÉDITEUR



    Avec Traverses, Lou Raoul tisse et détisse la rencontre — aval / amont, son présent, son échec —, dans un débit presque abrupt où les phrases sont laissées comme en suspens, où la ponctuation est quasi inexistante, dans un timbre très particulier, à la fois rapide et lent, lancinant, à la fois neutre et violent.

    « du pont de vue de je saute à cloche-pied » : ainsi commence le livre. La rencontre, l’altérité, est espérée, redoutée (« chamboulis de ma vie »), dans le ventre, sur la peau aussi bien que par les yeux, à sentir et observer le monde aux côtés de l’homme (le corps est là dans l’amour, « charpente » bien réelle). Puis « elle » reprend la place de « je », et le « bla-bla » se répète : « la vie d’elle au dos de travers se grippe la vie d’elle s’immobilise ».

    Pour finir, des comptines presque cruelles, cyniques, ponctuent sur un tout autre ton le recueil, en quelques lignes brossent le portrait de la femme à laquelle il est fait injonction de ressembler : tour à tour putain, épouse…, ou compagne effacée. « Sur le trottoir » restent les traces de ces commandements. Comme si se jouait dans la rencontre l’assignation d’une femme (de toutes les femmes ?) à un rôle — déjà là, déjà bien défini — qu’elle n’a pas choisi.







    LOU RAOUL


    Lou raoul
    Ph. ©Lou Raoul



    Lou Raoul vit en Bretagne où elle est née en 1964. Depuis 2008, elle publie dans diverses revues (Verso, Décharge, N4728, Liqueur 44…). Outre trois autres recueils publiés aux éditons Isabelle Sauvage, Les jours où Else (2011), Else avec elle (2012. Prix PoésYvelines 2013), Otok (2017), ont aussi paru Roche Jagu/Roc’h Ugu (Encres vives, 2010), Ouvert l’album (avec des photographies de Francis Goeller, 2011), Sven (éditions Gros Textes, 2011), Else comme absentée (éditions Henry, 2011), ainsi que Exsangue (pré#carré éditeur, 2012). Son travail d’écriture, qui oscille entre prose narrative et poésie, se retrouve aussi dans les chantiers qu’elle mène en spectacle vivant et en arts plastiques.




    ■ Lou Raoul
    sur Terres de femmes

    [dans les maisons détruites abandonnées] (extrait d’Otok)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Ce qui reste)
    d’autres extraits du recueil Traverses
    → (sur Terre à ciel)
    une page sur Lou Raoul
    → (sur remue.net)
    une recension de Else avec elle de Lou Raoul par Jacques Josse
    → (friches et appentis)
    le blog de Lou Raoul





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