Étiquette : Louise Colet


  • 15 août 1810 | Naissance de Louise Colet

    Éphéméride culturelle à rebours






    Le 15 août 1810* naît à Aix-en-Provence Louise Révoil, plus connue sous son nom d’épouse, Louise Colet. Elle est la fille de Henri-Antoine Révoil, directeur des postes, et de Henriette Le Blanc, dont le père, bien qu’appartenant à la noblesse, partageait les idéaux de son ami Mirabeau. Louise eut trois frères et deux sœurs plus âgés qu’elle. Une enfance entre Aix, où la famille habite un appartement de fonction dans un hôtel particulier de la rue de l’Opéra, et la propriété de Servanne [ou Servanes], près de Mouriès, qu’Henri-Antoine a rachetée à son beau-père, ruiné par la Révolution et par ses idées utopiques. Le père apprend l’italien à sa fille, et sa mère lui donne une solide culture littéraire.**

    En juillet 1846, Louise Colet rencontre Gustave Flaubert, qui n’est alors qu’un inconnu de vingt-quatre ans. C’est le début d’une liaison difficile et discontinue, comme l’est la correspondance entre les deux écrivains.


    _____________________
    * Louise Révoil est née le 15 août 1810 (selon son acte de naissance), le 15 septembre 1810 (selon le registre de la commune).
    ** Source : Joëlle Gardes, « Chronologie » in Louise Colet | Du sang de la bile de l’encre et du malheur, Éditions de l’Amandier, 2015, page 153.








    Colet






    EXTRAIT DE LOUISE COLET, PAR JOËLLE GARDES



    La pensée des premiers moments avec Gustave, loin de me réchauffer, me fait frissonner. Le temps a mis sa patine sur la plupart de mes souvenirs et je n’en garde au cœur qu’une vague tristesse. Mais ceux-là continuent à me tourmenter dans mes rêves et la journée, dès que son nom surgit dans mon esprit. Même en resserrant autour de moi mon triste châle gris, le froid ne me quitte pas, le froid de la dernière saison de ma vie plus que de l’hiver. Et ce n’est certes pas dans ces images que je peux trouver quelque douceur, quelque chaleur. Le regret seul demeure, empreint de colère et d’amertume. Sauf pour ce qui touche à la littérature, l’unique domaine que nous ayons vraiment partagé.

    L’a-t-on répété à l’envi que j’étais sa Muse, sa Musette (je détestais ce diminutif qu’il lui arrivait de me donner et qui me rabaissait), comme de bien d’autres, d’ailleurs ! En réalité, quand je l’ai connu, j’ai été sa conseillère écoutée et respectée, plus que son inspiratrice. J’étais plus âgée (il nous a toujours aimées mûres, comme Elisa, avec qui il a joué les amoureux transis, ou Eulalie, la Marseillaise, avec qui c’était autre chose !), j’étais auréolée de mes succès auprès de l’Académie, je pouvais espérer que mes leçons, mon amour surtout, lui enseigneraient que la vie vaut mieux que les livres.

    En définitive, peu à peu, les rôles se sont renversés et c’est lui qui m’a servi de mentor, jugeant mes vers avec une extrême sévérité qui rendait d’autant plus précieuses ses rares approbations. Que de moqueries devant la comparaison qu’après notre rencontre enflammée de Mantes j’avais faite de son impétuosité avec celle d’« un buffle indompté » ! Il avait annoté en détails la Colonie de Mettray, pourtant primé par l’Académie, ou mon poème sur Pradier, comme le plus impitoyable des censeurs, traquant les répétitions, les métaphores banales, les rimes à l’intérieur du vers… Il m’avait proposé des corrections, changeant même un simple « sa » en « ta ». D’une manière générale, dans son horreur des choses « po-ë-tiques », il n’appréciait guère mon lyrisme, qu’il jugeait faux, ni les débordements de mon imagination. Il trouvait faible la composition de mes volumes. Pour lui, le plan d’un livre était fondamental. Je dois reconnaître qu’il était tout aussi sévère pour lui-même, navré d’un défaut de construction dans son Saint Antoine qui le privait d’un effet dramatique. Un livre, selon lui, devait être exempt de tout élément personnel, alors que c’est précisément ce que je recherchais, dans ma poésie comme dans ma prose. J’avais donc tort de poétiser les réalités les plus simples et je faisais de l’art un pot-de-chambre où je déversais un trop plein sentimental ! Je devais oublier Lamartine et relire La Fontaine et Montesquieu ! La portée sociale de mes textes l’exaspérait aussi, tout comme ma défense des femmes. […]

    Avec Gustave, j’étais également critique. J’aurais voulu qu’il enlève de la première Éducation sentimentale le personnage de Jules qu’il trouvait nécessaire par rapport à Henry. Avec le recul du temps, je reconnais que j’avais d’autres motivations que purement artistiques. En Henry, je voyais Gustave et en Jules, son âme damnée, Maxime. Mais tout de même, je pense que je n’avais pas tort. Cette version, d’ailleurs, il ne l’a pas publiée.

    Le style de ce roman ne devait pas l’emballer. Voilà bien ce qui l’enflammait, le style ! Il aurait dû faire tenir à lui seul un livre sans matière, évidemment privé de sentiment et quant à l’intention, elle ne comptait pas… Son travail, il en souffrait, il lui arrachait des larmes, mais il l’aimait comme il ne m’a jamais aimée. Il l’avait dans la peau, lui disait « le ventre » ! Contre une femme, j’aurais peut-être pu lutter, je n’avais aucune chance contre les charmes et les caprices de cette rivale, l’écriture !



    Joëlle Gardes, Louise Colet. Du sang, de la bile, de l’encre et du malheur, Éditions de l’Amandier, Collection Mémoire Vive, 2015, pp. 111-112-113-114.







    LOUISE COLET



    ■ Louise Colet
    sur Terres de femmes

    Joëlles Gardes, Louise Colet. Du sang, de la bile, de l’encre et du malheur (note de lecture d’AP)
    19 septembre 1852 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    16 décembre 1852 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    26-27 mai 1853 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la la Médiathèque André-Malraux de Lisieux)
    les premières lettres de Gustave Flaubert à Louise Colet (4 août 1846 – 14 août 1846)





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  • Joëlle Gardes, Louise Colet. Du sang, de la bile, de l’encre et du malheur

    par Angèle Paoli

    Joëlle Gardes, Louise Colet.
    Du sang, de la bile, de l’encre et du malheur,

    Éditions de l’Amandier,
    Collection Mémoire vive
    dirigée par Joëlle Gardes, 2015



    Lecture d’Angèle Paoli


    Louise_colet
    Source






    “LE VRAI VISAGE” DE LOUISE COLET



    Les chemins se croisent présent-passé-présent. Va-et-vient incessant, les souvenirs affluent, qui refont surface au fil des jours, dans l’espace exigu d’un hôtel parisien de la rue des Écoles. La pluie bat les fenêtres, le ciel est uniformément gris. Une solitude extrême à quoi viennent s’ajouter la maladie et les crises de rhumatismes. Telle est la bien triste réalité à laquelle Louise Colet est désormais confrontée. Réalité d’une nature bien différente de celle de l’enfance méridionale et ensoleillée d’antan, partagée entre la belle demeure familiale de Servanes, près de Mouriès, et l’hôtel particulier de la rue de l’Opéra, à Aix-en-Provence.

    Louise Colet écrit. Malgré l’usure de ses os et les douleurs qu’elle lui inflige. Écrire ? Comment y renoncer quand l’écriture a été la passion d’une vie tout entière ? Y renoncer ne reviendrait-il pas à précipiter la venue de la mort ? Que faire d’autre du reste, lorsque la vieillesse est là, que les amis s’en sont allés et que les difficultés financières ne permettent pas de donner davantage de sel à la vie ? Louise Colet – née Louise Révoil – écrit. Comme elle l’a toujours fait. Elle confie aux pages ses chagrins, ses désarrois, ses désillusions. Ses colères. Tout ce dont sa vie de femme et de femme de lettres a été modelée. Mais, sous sa plume, sous ses mots et ses réflexions, c’est une autre voix qui affleure. C’est la voix de Joëlle Gardes que l’on entend. Jusque dans les inflexions. Une voix qui vibre pour celle dont elle écrit le roman, le récit d’une vie, avec une empathie maîtrisée mais réelle. Pour ne pas dire avec une vraie passion.

    Intitulé Louise Colet, le dernier roman de Joëlle Gardes porte en sous-titre cette énumération nominale : Du sang, de la bile, de l’encre et du malheur. Solidement ancré dans l’Histoire des grands mouvements politiques du XIXe siècle, le récit de Joëlle Gardes s’appuie sur des données biographiques documentées. Alimentée par de nombreuses lectures ― en particulier bien sûr par celles des œuvres mêmes de la femme de lettres ―, Louise Colet est une fiction dans laquelle les voix respectives des deux femmes tissent une belle partition qui mêle intimement l’écriture et la vie. Émouvante partition, parfois interrompue par le regard distancié d’un narrateur extérieur qui commente, par des inserts en italiques (« des vignettes »), certains aspects ou moments de la vie de Louise.

    S’agit-il de réhabiliter Louise Colet ? C’est sans doute l’un des objectifs que poursuit en secret Joëlle Gardes. Femme de lettres, comme son héroïne. Rendre justice à Louise Colet. La rendre à sa pleine personnalité de femme de chair de sang d’esprit et d’encre. La réhabiliter aux yeux du monde. Cela relève pour Joëlle Gardes de l’engagement. Parce que la postérité n’a gardé de Louise Colet, journaliste attachée à défendre avec ses mots de larmes et de sang la cause des femmes, que les échos de ses amours tumultueuses. Elle est certes Louise Colet, écrivain, poète et quatre fois prix de poésie de l’Académie ; mais son nom est le plus souvent rattaché à celui des hommes qu’elle a aimés. Le philosophe Victor Cousin, Gustave Flaubert, l’avocat Désiré Bancel, les deux Alfred ― Musset et Vigny ―… et d’autres encore. Liaisons passagères, liaisons orageuses. Si la postérité a retenu le nom de Louise Colet, c’est indubitablement parce qu’il est associé à celui de ses amants. Et il ne reste plus d’elle qu’une ombre noircie par les propos malveillants que d’aucuns ont tenus sur elle. C’est pour dénoncer ce dénigrement réducteur et le plus souvent méprisant qu’écrit Joëlle Gardes. La poète-grammairienne écrit contre. Contre la lecture en négatif qui a été faite de Louise Colet. Au détriment de son œuvre de poète de conteuse d’essayiste. Et même de dramaturge. Effacée l’œuvre de Louise Colet. Oubliée. Qui se souvient en effet des poésies de Fleurs du Midi (1836) pourtant « sincèrement admirées » par le chansonnier Pierre-Jean Béranger ? Qui se souvient du recueil Penserosa (1840), inspiré par ses amours avec Victor Cousin et remarqué par Juliette Récamier ? Qui se souvient de Lui (1860) ― récit « inspiré par ses liens avec Musset » ―, dont le « journaliste Philarète Chasles » « a écrit le plus grand bien ». Selon le « célèbre journaliste » en effet, « ce livre est le meilleur qu’elle ait fait ». Et celui-ci d’ajouter : « Il y a du sang, de la bile et du malheur ». C’est de la plume du « célèbre journaliste » que Joëlle Gardes tient son sous-titre. Qu’elle parachève et commente en empruntant la voix de Louise : « Du sang, de la bile, du malheur, si l’on ajoute de l’encre, voilà bien de quoi définir ma vie. »

    Mais, soyons honnêtes : qui, aujourd’hui, se souvient de ceux qui jouissaient alors d’une belle notoriété et animaient les salons de leur époque du tumulte de leurs exploits ? De Désiré Bancel ? De Pierre-Jean Béranger ? De Philarète Chasles ? Voire de Victor Cousin ? Ce sont là des noms qui refont surface un instant puis retombent tout aussitôt dans l’oubli où ils étaient relégués. « La gloire et l’éclat sont transitoires : qui, de notre siècle, survivra dans la mémoire, en dépit des honneurs reçus ? », s’interroge lucidement notre poète-grammairienne dans l’avant-propos.

    L’histoire n’a donc arbitrairement retenu de Louise Colet que ses « emportements » amoureux et ses déboires sentimentaux. À croire qu’« [é]crire serait pour les femmes de lettres une maladie, maladie des mains mal lavées, des cheveux mal peignés : c’est ainsi qu’on les décrit, déclassées, traîtres à leur sexe, au fond ni hommes ni femmes, des monstres. »

    Ainsi pense et s’exprime la « Louise Colet » de Joëlle Gardes. Et si, d’aventure, est accordé quelque crédit ou intérêt aux activités littéraires de ces dames, c’est pour mieux ironiser et les traiter de bas-bleus.

    « Serions-nous maudites, nous autres femmes qui avons voulu acquérir quelque renommée par nos talents littéraires ? Devons-nous payer le prix des rares moments de gloire qu’ils nous ont acquis ? Jamais, pourtant, je n’aurais voulu, je n’aurais pu renoncer à l’écriture ».

    Réhabiliter la talentueuse et non moins belle Louise Colet, tel semble bien être, en vérité, le profond désir qui anime Joëlle Gardes à travers le récit mouvementé de la vie de son héroïne. Une vie riche en engagements et en combats. Ainsi, en bonne héritière des Lumières, Louise Colet est-elle le parangon même de l’anticléricalisme viscéral auquel Joëlle Gardes souscrit. Louise Colet dénonce l’obscurantisme dans lequel le clergé maintient ses ouailles, les femmes en particulier. En témoigne le discours enflammé qu’elle prononce, à l’âge de soixante ans, au moment de la proclamation de la République, devant un parterre de mille personnes :

    « Je pensais à Mirabeau, je me sentais emportée par le souffle puissant de la foi en l’humanité. Avec la proclamation de la République, je croyais que les charlatans, les imposteurs, les corrupteurs de l’esprit du peuple seraient enfin chassés. Notre-Dame de Lourdes et de la Salette, les deux vierges rivales, qu’on vénérait depuis quelques années pour leurs prétendues apparitions, je voulais les dénoncer, ainsi que toutes les superstitions qui empêchent le développement des idées de progrès et de l’amour de la patrie. Les femmes, je ne le sais que trop, en sont les premières victimes. »

    Mariée ― de son plein gré ― à l’âge de vingt-quatre ans au musicien et compositeur Hippolyte Colet, qui la tiendra sous le boisseau, elle parvient à tenir salon. Comme son amie Julie Candeille ou comme Juliette Récamier. Là, dans ces rencontres hebdomadaires, s’échangent avec brio les idées, entre habitués et amis. Là se refait le monde. Farouchement républicaine, Louise Colet se bat. Elle se bat pour les autres. Elle se bat pour elle aussi. Pour que soient respectées par les hommes les valeurs d’égalité en lesquelles elle croit. Tempétueuse, passionnée, Louise Colet rêve d’une société qui se battrait pour une France qui prendrait exemple sur sa proche voisine : l’Italie.

    Héritée de son père, Henri-Antoine Révoil, sa passion pour l’Italie est alimentée par ses voyages et par ses lectures. Notamment celle de Mes Prisons (1832) de Silvio Pellico. Elle se dit « très impressionnée par le sort des Italiens en lutte pour leur Indépendance ». Elle voue une admiration sans bornes à Garibaldi, ce « Christ laïque » pour qui elle a composé des vers lors de son entrée dans Palerme, et qui lui a serré la main à Turin et à Naples. Elle vibre pour le Risorgimento et pour cette unité italienne qui la bouleverse. Dans le même temps, elle déplore que les hommes politiques qui gouvernent son propre pays, fassent passer leurs intérêts particuliers avant l’intérêt collectif. Elle dénonce avec verve et ferveur les bassesses et les compromissions des hommes de pouvoir. Elle réprouve, se mettant en cela au diapason de la voix d’Edgar Quinet, cette « République sans républicains » qui se vautre dans le luxe, oublieuse, dès les lendemains de la Commune, du sang versé. Les causes qu’elle défend, c’est haut et fort qu’elle le fait. Sans mâcher ses mots.

    Louise Colet est une femme libre en vérité. Cela lui vaut l’inimitié de certains des misogynes les plus célèbres de son époque : Jules Barbey d’Aurevilly (dans Les Bas-bleus, 1878) qui voit en elle « le bas-bleu même », « union pittoresquement claudicante d’une Gorgone et d’une Madame Trissotin », et va jusqu’à écrire de Louise que sa beauté « ne manquait ni d’éclat tapageur ni d’opulence charnue », mais qu’elle « n’avait ni distinction idéale, ni chasteté ». Théophile Gautier, qui fréquenta un temps son salon « tant qu’il espéra son aide pour sa [propre] candidature à l’Académie française », et qui prit ses distances par la suite. Alexandre Dumas fit de même. Le journaliste Alphonse Karr ― pour autant, qui aujourd’hui se souvient de lui ? ― ne se prive pas de se moquer d’elle dans sa revue satirique Les Guêpes. Sans parler des amis mêmes de Flaubert : Louis Bouilhet l’ingrat et Maxime Du Camp (« l’âme damnée » de Louise), qui la dénigraient par leurs propos aux yeux de son amant. Parmi les femmes, George Sand est sans pitié. Louise Colet ne peut attendre d’elle aucun soutien. Ni de femme à femme ni d’écrivain à écrivain. Si elle compte « quelques amies dans la vraie vie », ses « meilleures amies » sont les « amies imaginaires » : Madame du Châtelet, Madame Roland, Charlotte Corday… Quant à ses amis hommes, ceux qui la soutiennent et l’estiment, ils existent bien sûr. Ils se nomment Victor Hugo, Leconte de Lisle, dont Louise Colet aimait « la poésie et l’âme républicaine ». Ils lui seront toujours fidèles. Ils se nomment aussi Pierre-Jean Béranger et Philarète Chasles. Mais sûrement pas Gustave Flaubert : l’autre passion de sa vie, à l’égal de l’écriture. Cette rivale. Sa passion pour Flaubert, malgré tout le mal qu’il lui a fait endurer, continue de la tourmenter à travers le fantôme de Gustave dont elle n’est jamais parvenue à se détacher.

    Ainsi Louise Colet est-elle une femme plurielle, comme tant d’autres femmes méconnues. Sous la plume de Joëlle Gardes, l’héroïne rejoint la longue cohorte des femmes oubliées. Dont Olympe de Gouges, pour ne citer qu’elle, qui s’est vu confisquer son talent de dramaturge et a péri sur l’échafaud.

    Louise Colet est sans doute imparfaite. Pas vraiment une mère idéale, ni une épouse modèle. Mais elle est volontaire, enthousiaste… et insoumise. Comment admettre et supporter que quarante-trois années de vie de plume – de 1836 à 1879 ― se puissent réduire à néant ? Joëlle Gardes s’attache à rendre à Louise Colet son « vrai visage ». Louise Colet en son temps s’était attachée à semblable défi :

    « Je croyais que mes écrits ne pouvaient faire que du bien, mais évidemment, la réserve n’a jamais été de mon fait et ma pire crainte à moi a été de ne pas jouir d’assez de publicité. En tout cas, j’en ai fait à ces femmes admirables, peut-être condamnées à l’oubli définitif sans les histoires que j’écrivais pour elles. J’ai toujours cru en la mission de l’écrivain et j’ai cherché à mettre mon talent au service de mes sœurs reléguées dans l’ombre […] ».

    Une bien belle entreprise, et ambitieuse, que celle de Louise. Relayée dans Louise Colet par la lecture éclairante et passionnante de la romancière. Joëlle Gardes s’inscrit ainsi dans la noble lignée des femmes qui mettent leur talent « au service des sœurs reléguées dans l’ombre ». Elle s’inscrit contre. Contre ceux qui pensent et déclarent aujourd’hui encore, sans barguigner et à qui veut complaisamment l’entendre, que se battre pour la défense des femmes ― et, qui plus est, des femmes de lettres ― est décidément un combat dépassé ou « d’arrière-garde ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Colet






    LOUISE COLET




    ■ Louise Colet
    sur Terres de femmes


    15 août 1810 | Naissance de Louise Colet (+ extrait de Louise Colet, par Joëlle Gardes)
    23 août 1846 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    19 septembre 1852 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    16 décembre 1852 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    26-27 mai 1853 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet




    ■ Voir aussi ▼


    le site de Joëlle Gardes
    → (sur le site des éditions de l’Amandier) une
    bio-bibliographie de Joëlle Gardes
    → (sur Terres de femmes)
    une bibliographie de Joëlle Gardes
    → (sur Terres de femmes)
    7 mai 1748 | Naissance d’Olympe de Gouges (note de lecture sur Joëlle Gardes, Olympe de Gouges, Une vie comme un roman)





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  • 26-27 mai 1853 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet

    Éphéméride culturelle à rebours



    Louise Colet et Gustave Flaubert  par Charles Hobson
    Source







    [Croisset], nuit du jeudi, I heure, [26-27 mai 1853.]



    Je ferais mieux de continuer à travailler et de t’écrire demain, car je suis ce soir fort animé et dans un grand rut littéraire. Mais comme demain il peut revenir, cela me remettrait trop loin (au plaisir que me font tes lettres, je pense que tu dois bien fort aimer les miennes). Et puis il faut se méfier de ces grands échauffements. Si l’on a alors la vue longue, on l’a souvent trouble. Le bon de ces états-là, c’est qu’ils retrempent et vous infusent dans la plume un sang plus jeune. On a dans la tête toutes sortes de floraisons printanières qui ne durent pas plus que les lilas, qu’une nuit flétrit, mais qui sentent si bon ! As-tu senti quelquefois comme un grand soleil qui venait du fond de toi-même et t’éblouissait ? […]

    Eh bien, oui, je deviens aristocrate, aristocrate enragé ! Sans que j’aie, Dieu merci, jamais souffert des hommes et [bien] que la vie, pour moi, n’ait pas manqué de coussins où je me calais dans des coins, en oubliant les autres, je déteste fort mes semblables et ne me sens pas leur semblable. C’est peut-être un monstrueux orgueil, mais le diable m’emporte si je ne me sens pas aussi sympathique pour les poux qui rongent un gueux que pour le gueux. Je suis sûr d’ailleurs que les hommes ne sont pas plus frères les uns aux autres que les feuilles des bois ne sont pareilles : elles se tourmentent ensemble, voilà tout. Ne sommes-nous pas faits avec les émanations de l’Univers ? La lumière qui brille dans mon œil a peut-être été prise au foyer de quelque planète encore inconnue, distante d’un milliard de lieues du ventre où le fœtus de mon père s’est formé. Et si les atomes sont infinis et qu’ils passent ainsi dans les Formes comme un fleuve perpétuel roulant entre ses rives, les Pensées, qui donc les retient, qui les lie ? A force quelquefois de regarder un caillou, un animal, un tableau, je me suis senti y entrer. Les communications entr’humaines ne sont pas plus intenses.

    D’où viennent les mélancolies historiques, les sympathies à travers siècles, etc. ? Accrochement de molécules qui tournent, diraient les épicuriens. Oui, mais les molécules de mon corps vivant ne tournent guère, et enfin ce n’est pas parce qu’un imbécile a deux pieds comme moi, au lieu d’en avoir quatre comme un âne, que je me crois obligé de l’aimer ou, tout au moins, de dire que je l’aime et qu’il m’intéresse.

    Il fut un temps où le patriotisme s’étendait à la cité. Puis le sentiment, peu à peu, s’est élargi avec le territoire (à l’inverse des culottes : c’est d’abord le ventre qui grossit). Maintenant l’idée de patrie est, Dieu merci, à peu près morte et on en est au socialisme, à l’humanitarisme (si l’on peut [s’]exprimer ainsi). Je crois que plus tard on reconnaîtra que l’amour de l’humanité est quelque chose d’aussi piètre que l’amour de Dieu. On aimera le Juste en soi, pour soi, le Beau pour le beau. Le comble de la civilisation sera de n’avoir besoin d’aucun bon sentiment, [ou] ce qui s’appelle [ainsi]. Les sacrifices seront inutiles ; mais il faudra pourtant toujours un peu de gendarmes ! Je dis là de grandes bêtises, mais pourtant le seul enseignement à tirer du régime actuel (basé sur le joli mot vox populi vox Dei) est que l’idée du peuple est aussi usée que celle du roi. Que l’on mette donc ensemble la blouse du travailleur avec la pourpre du monarque, et qu’on me les jette de compagnie toutes deux aux latrines pour y cacher conjointement leurs taches de sang et de boue ; elles en sont raides.

    Adieu, comme il est tard ! Je t’embrasse partout, du cœur et du corps, toi avec qui je me fonds et me confonds. Aussi je signe toujours de ce seul mot.
        Ton



    Gustave Flaubert, « Lettre du 26-27 mai 1853 » [extrait], Correspondance, in Œuvres complètes, vol. 13 [1850-1859], Paris, Club de l’honnête homme, 1974-1976, pp. 345-348.





    ■ Gustave Flaubert
    sur Terres de femmes

    12 décembre 1821 | Naissance de Gustave Flaubert
    4 janvier 1839 | Flaubert, Les Mémoires d’un fou
    23 août 1846 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    10 février 1851 | Lettre de Flaubert à Louis Bouilhet (Lettres de Grèce)
    19 septembre 1852 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    16 décembre 1852 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    26 janvier 1861 | Lettre de Gustave Flaubert à Jules Michelet
    18 janvier 1862 | Lettre de Gustave Flaubert à Mademoiselle Leroyer de Chantepie
    7 avril 1872 | Lettre de Gustave Flaubert à Laure de Maupassant
    9 avril 1872 | Lettre de George Sand à Gustave Flaubert
    19 juin 1876 | Lettre de Gustave Flaubert à Edma Roger des Genettes
    8 mai 1880 | Mort de Gustave Flaubert (+ extrait de Madame Bovary et d’Un cœur simple)






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