Étiquette : Louise Dupré


  • Louise Dupré | Jusqu’à la fin



    JUSQU’À LA FIN
    (extrait)





    Les rêves noyés
    au fond de tes yeux

    finissent par remonter
    dans le sel des larmes

    petits cadavres
    blanchis
    par les ans

    qui te réveillent
    la nuit

    quand tu voudrais dormir
    de tout ton sommeil

    il est trop tard
    pour les regrets

    trop tard
    pour rattraper le temps
    enfui

    les femmes qui ont habité
    ton nom

    tu les as quittées
    l’une après l’autre

    dans leurs robes
    démodées

    et te voilà maintenant
    nue
    devant le miroir

    te voilà visage
    vide, vaisseau
    fantôme

    ville sans patrie

    et tu souhaites écouter
    tranquille
    la mélodie du monde

    en laissant surgir
    des images
    qui ne te blessent plus

    tu cherches depuis peu
    à pratiquer
    la douceur

    comme une discipline
    de combat

    une charité à te faire
    à toi-même

    toi, la mendiante
    de minuscules bonheurs
    arrachés à la détresse

    tu dis bonheurs
    car tu ignores
    comment nommer

    les instants où ton cœur
    cesse de cogner
    contre tes côtes

    ces instants de grâce

    où une carapace te protège
    des cris
    que tu entends

    c’est tout près
    c’est partout
    et chaque jour



    […]



    Louise Dupré, « Poèmes contemporains », La Nouvelle Revue Française n° 641, NRF Gallimard, mars 2020, pp. 86-88.





    Louise Dupré montage





    LOUISE  DUPRÉ

    Louise Dupré NB2
    Source




    ■ Louise Dupré
    sur Terres de femmes

    [Comment écrire depuis le cœur qui souffre animal ?] (extrait de La Main hantée)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur L’île, l’infocentre littéraire des écrivains québécois)
    une notice bio-bibliographique sur Louise Dupré





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  • Louise Dupré | [Comment écrire depuis le cœur qui souffre animal ?]




    [COMMENT ÉCRIRE DEPUIS LE CŒUR QUI SOUFFRE ANIMAL ?]


    Comment écrire depuis le cœur qui souffre animal ? Tu reviens à la rudesse des langues velues, tu voudrais parler chien ou chat, savoir ce qu’on ressent quand une femme ferme la cage qui nous conduira à notre éternité, tu voudrais savoir si, le dernier matin, la brise prend l’odeur des feuillages ou des cendres. Tu voudrais décomposer la détresse en nanosecondes, l’avaler, la fixer dans tes os, qu’elle accueille l’ombre du poème comme une deuxième chance, un tremblement apeuré en toi, une âme indigne dont tu apprendrais à t’approcher sans mépris. Tu pourrais alors écrire je, comme si ce pronom se creusait enfin, devenait caverne, pierre poreuse qu’il suffirait de caresser de la paume pour que surgisse de l’oubli la forme des fossiles.




    […]




    [TON TERRITOIRE S’EST CONSTRUIT MALGRÉ TOI]


    Ton territoire s’est construit malgré toi sur une plaie à ciel ouvert, il inquiète les jours et leurs ailes, les nuits et leurs ailes, c’est sans repos où tu habites, un guet permanent. Tu voudrais délivrer du mal tous les oiseaux, tu attaches des clochettes au cou des chats, et tu te promènes la tête dans la grisaille des nuages en rêvant que ton geste ridicule puisse empêcher la ville de sombrer. Tu ne sauveras que quelques passereaux, mais tu agis, tu oses agir avec l’espoir d’alléger un rien la détresse, puisque la détresse risque de t’emporter. Juste un geste, et ce mot tout droit sorti d’un autre siècle, charité, que tu récupères en cherchant une posture pour vivre adossée à l’abîme.




    [ADOSSÉE À L’ABÎME]


    Adossée à l’abîme, tu apprends à squatter un peu d’air pour ta survie, ça pénètre dans ton ventre avec la poussière du sol, ça te fait pierres au foie, pierres aux reins, tu apprends à parler minéral, comme si tu voulais apprivoiser les fossiles déposés en toi, reliques des morts trop morts pour renaître au printemps. Tu portes un temps qui n’a plus souvenir des semailles ni des herbes affolées par le vent, te voilà revenue aux balbutiements d’un monde sans leçons à donner, sans terres à défendre. Tu aurais beau posséder toute la science de ton siècle, connaître des centaines de langues, aucune ne pourrait te soulager. Tu es un deuil qui se casse sans cesse contre la faille des continents, une humiliation quotidienne. Tu es là, preuve parfaite que Dieu ne sait pas exister.




    Louise Dupré, La Main hantée [éditions du Noroît, Montréal, 2016], éditions Bruno Doucey, Collection Soleil noir, 2018, pp. 36, 70, 71.






    Louise Dupré  La Main hantée






    LOUISE DUPRÉ

    Louise Dupré NB2
    Source




    ■ Louise Dupré
    sur Terres de femmes

    Jusqu’à la fin (extrait)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur L’île, l’infocentre littéraire des écrivains québécois)
    une notice bio-bibliographique sur Louise Dupré
    → (sur le site des éditions Bruno Doucey)
    la fiche de l’éditeur sur La Main hantée





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