Étiquette : Lydie Salvayre


  • 30 juillet 1818 | Emily Brontë & Lydie Salvayre

    Éphéméride culturelle à rebours



    Le 30 juillet 1818 naît à Thornton, dans le Yorkshire, Emily Jane Brontë. Très tôt orpheline, Emily (et sa fratrie — Anne, Branwell et Charlotte) grandit sous la rude morale du Révérend Brontë et celle de sa tante, Mrs Gaskell. Le seul moyen d’échapper tant soit peu à cette tutelle, les enfants le trouvaient dans d’infatigables courses à travers la lande de Haworth. Et, le soir venu, dans les ouvrages qu’ils puisaient dans la bibliothèque paternelle. Shakespeare, Byron, Walter Scott… Et la Bible, aussi, bien sûr. Ensemble, ils formaient un monde à part. Un monde de solitude et d’imagination. Ils s’étaient inventé des royaumes. Celui d’Angria pour Charlotte et Branwell. Celui de l’île de Gondal pour Emily et Anne. Emily gardera jusqu’à sa mort, survenue en 1848, la marque profonde de l’enfance à laquelle elle est restée très attachée. Ses poèmes, dont l’écriture est consignée dans de minuscules carnets, s’inspirent de l’univers de Gondal dont on retrouve également des traces dans l’unique roman que la poète a eu le temps d’écrire : Wuthering Heights / Les Hauts de Hurlevent. Écrit à Haworth en 1846 et publié en 1847, le roman remporte un vif succès et assure dès sa publication une solide notoriété à la jeune romancière.

    AP





    Lydie Salvayre  Sept femmes 1








    EXTRAIT D’EMILY BRONTË (SEPT FEMMES) DE LYDIE SALVAYRE



    Un jour d’automne 1846, Charlotte découvre, émerveillée, des poèmes écrits en cachette par Emily.
    Devant ce qu’elle regarde comme une intrusion inadmissible, Emily, à son habitude, explose de colère et fait claquer les portes, puis, à son habitude, se laisse attendrir par l’ardeur généreuse de sa sœur aînée.
    Après de chuchotants conciliabules, Charlotte, qui n’a nullement renoncé à ses ambitions littéraires, persuade Emily et Anne de réunir un choix de leurs meilleurs poèmes et de les envoyer à une maison d’édition. Les trois sœurs, fervemment, se mettent à l’ouvrage et renvoient leur recueil à MM. Aylott et Jones, éditeurs à Londres.
    Et le miracle a lieu.
    Les éditeurs répondent favorablement, c’est à ne pas y croire. Leurs prières pressantes ont été exaucées. Et le livre Poems paraît en 1846 sous les pseudonymes de Currer, Ellis et Acton Bell.
    Les trois filles éprouvent une joie insensée, une joie comme en n’en connaît que deux ou trois dans une vie, une joie qu’elles doivent contenir parce que la chose à Haworth doit demeurer secrète mais que la contention, délicieusement, exaspère.
    Des colloques par signes, de petits rires entendus, des regards échangés qui flambent de malice, une inflexion enjouée imperceptible à qui n’est pas dans la confidence, des parlotes chuchotées dans la cuisine où Branwell et le père ne pénètrent jamais, telles sont les seules manifestations qu’elles s’autorisent.
    Mais dans leur cœur, c’est l’Amérique.

    Deux exemplaires de Poems sont vendus la première année. C’est peu, mais c’est suffisant pour ranimer les rêves et les folles espérances des trois sœurs qui vont dès lors se jeter avec toute la fougue (ou si l’on veut toute la libido) de leur jeunesse dans l’écriture romanesque.
    Charlotte va écrire Le Professeur, Anne Agnes Grey, et Emily, Les Hauts de Hurlevent, dont le héros inoubliable répond au nom de Heathcliff.
    Heathcliff, heath bruyère et cliff falaise,
    Heathcliff, le ciel et l’enfer, le Bien et le Mal, la grâce et la laideur.
    Heathcliff passionné, excessif, sexy à mort (dans mes imaginations lubriques, je lui prête les traits de Laurent Terzieff, mon idole du moment), dont le seul regard fait tomber les femmes en catalepsie (James Dean peut aller se rhabiller) et qui renvoie à leur fadeur tous les personnages romanesques faits de pâte molle, comme il en pleut.
    Heathcliff intransigeant, comme moi me dis-je. Solitaire, comme moi me dis-je. Dur à la douleur, comme moi. Orgueilleux, comme moi. D’une sensibilité si vive qu’elle peut sembler une arrogance. Comme moi, comme moi.
    Heathcliff c’est moi. Sa nature est la mienne. Révélation.
    Du coup je me coiffe à la diable.
    Je fais la gueule.
    Je traumatise mes camarades de classe en déclarant que Gilbert Cesbron : c’est de la merde.
    Je me souviens qu’un samedi soir, alors que je me suis préparée pour aller à la fête d’Auterive avec mon amie Monique Mascarin, mon père m’interdit de sortir. Je m’enferme dans ma chambre, ouvre la fenêtre et menace de me jeter dans le vide. Mon père cède. Heathcliff c’est moi.
    En partant, je déclare, théâtrale, que je ne refoutrai plus les pieds dans sa baraque (j’envisage de m’enfuir à Cadaqués dont ma cousine m’a chanté les louanges).
    Durant la semaine, à l’étude du soir, je me mure dans un silence plein de mélancolie. Ou j’écris des horreurs sur un cahier que je ne montre à personne.
    Je m’exagère considérablement le malheur d’être née dans une famille pauvre et qui, pire encore, s’exprime dans une langue lamentable, charabia de français mâtiné d’espagnol dont il m’arrive à ma grande honte de reproduire les incorrections (d’où une angoisse à parler en public qui ne m’a jamais quittée).
    Heathcliff c’est moi.



    Lydie Salvayre, « Emily Brontë », Sept femmes, éditions Perrin, 2013 ; Collection Points, 2014, pp. 40-43.





    Lydie Salvayre  Sept femmes



    EMILY JANE BRONTË


    Emily Brontë
    Patrick Branwell,
    Portrait of Emily Brontë
    oil on canvas, circa 1833
    (546 mm x 349 mm)
    National Portrait Gallery, London
    Source





    ■ Emily Jane Brontë
    sur Terres de femmes


    30 juillet 1818 | Naissance d’Emily Jane Brontë (+ un extrait de Wuthering Heights)
    27 juillet 1839 | Mild the mist upon the hill (poème d’Emily Jane Brontë)







    LYDIE SALVAYRE


    Lydie Salvayre Guidu
    Image, G.AdC




    ■ Lydie Salvayre
    sur Terres de femmes


    2 septembre 1969 | Lydie Salvayre, BW





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  • 2 septembre 1969 | Lydie Salvayre, BW

    Éphéméride culturelle à rebours



    PORTRAIT DE LYDIE SALVAYRE
    Image, G.AdC






    PARTONS EN QUÊTE DU VRAI BONHEUR


    Je pars. Toujours il dit Je pars, je me tire.
    Il aime le mouvement de partir. Il se fout de l’endroit à atteindre, ce qu’il aime c’est partir, c’est déclarer qu’il part. Il dit qu’il va écrire, un jour, l’éloge de la fuite. Cet éloge lui paraît d’autant plus justifié qu’il a appris, hier, que le verbe partir, en espagnol, signifiait aussi partager […]

    Le matin du 2 septembre 1969, il fait du stop à la sortie de Clermont-Ferrand. Sur lui, un sac qui contient quelques effets de première nécessité, un livre dont je reparlerai, quelques cassettes de musique et un lecteur de cassettes. Il fait halte à Milan où vivent des amis anarchistes de la mouvance de Valpreda, puis file sur Trieste où commence, pour lui, l’inconnu. A Ljubljana, il vend dans la rue des caricatures de De Gaulle, et engage la conversation avec des hippies qui le conduisent, le soir venu, dans leur communauté sur laquelle règne un illuminé qui se fait appeler Feo. BW en repart sur-le-champ. L’idée de vivre, ne serait-ce qu’un jour, ne serait-ce qu’une heure, sous l’emprise d’un prophète, fût-il le plus inoffensif, lui fait horreur.

    Partons en quête du vrai bonheur


    Il prend le train pour Zagreb, traverse en camion la Bulgarie, reprend le train vers la frontière turque. Dans le compartiment qu’il occupe, un Anglais lui offre une boîte de sardines. C’est l’époque où les voyageurs étrangers fraternisent. Le train s’arrête. L’Anglais jette négligemment la boîte usagée par la fenêtre. Des flics font aussitôt irruption et embarquent sans ménagement le Pakistanais qui partageait leur compartiment. Les protestations des deux Européens ne serviront à rien. Premier chagrin de BW. Première violence. Première injustice à laquelle BW assiste, impuissant. Il y en aura bien d’autres. Dont il sera, quelquefois, l’objet.


    Lydie Salvayre, BW, Éditions du Seuil, Collection « Fiction & Cie », 2009, pp. 7, 17-18.




    LIVRE BW




    LYDIE SALVAYRE


    Lydie Salvayre





    ■ Lydie Salvayre
    sur Terres de femmes


    30 juillet 1818 | Emily Brontë & Lydie Salvayre




    ■ Voir| écouter aussi ▼


    → (sur Mediapart)
    un entretien de Lydie Salvayre avec Sylvain Bourmeau à l’occasion de la publication de BW





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