Étiquette : Maddalena Rodriguez-Antoniotti


  • Corse_3 Maddalena Rodriguez-Antoniotti, Corse, Éloge de la ruralité


    Maddalena Rodriguez-Antoniotti, Corse, Éloge de la ruralité,
    Images en Manœuvres Éditions, Marseille, 2010.



    Lecture d’Angèle Paoli




    Tmp_3133 (1)
    Maddalena Rodriguez-Antoniotti,
    Capicorsu, circondu di Patrimoniu,
    Corse, Éloge de la ruralité, page 51
    Source








    DE LA FRAGILITÉ ORIGINELLE DE LA CORSE



    Serait-ce là, dans cet album de photographies signé Maddalena Rodriguez-Antoniotti, que se dévoile, cachée à nos vies empressées, la Corse insolite-secrète susceptible de déranger les habitudes de nos regards ?

    Rien dans Corse, Éloge de la ruralité qui entraîne l’imaginaire du côté des paysages grandioses qui font d’ordinaire la renommée de l’île. Rien de la beauté pure des montagnes ni des beautés fulgurantes de la mer. Rien de ces somptueuses découpes qui s’imposent d’elles-mêmes et que nul — autochtone ou touriste de passage — ne résiste à immortaliser dans ses prises de vue. Maddalena Rodriguez-Antoniotti s’est délibérément détournée des clichés qui font de la Corse sa réputation de joyau de la Méditerranée. Kallisté. La très belle.

    Tournant le dos aux plages de rêve, aux calanche, aux montagnes prisées pour leurs à-pics vertigineux et leurs piscines émeraude, la photographe débusque pour nous, au hasard de ses marches, de tout autres terroirs. Corse, Éloge de la ruralité est un univers de silence et de calme paisible. Qui offre de l’île un paysage insolite de champs et d’enclos enserrés dans un écrin de collines verdoyantes. Un univers qui parle sans tapage de la modestie agreste de terres cultivées, de vignobles, d’étendues (où paissent, depuis toujours, les troupeaux), de tombes anciennes que jouxtent les pacages. À l’abri de la turbulence du monde et loin des hommes pressés. Un univers virgilien fait de douceur, habillé de tendresse ; un monde du passé qui affleure encore, du nord au sud de l’île et d’est en ouest ; un monde qui parle de ce qui demeure de la ruralité d’antan. Ici et là, une barrière, des murets de pierre sèche, d’anciennes bergeries, des enclos entretenus. Le temps est suspendu entre les rondeurs boisées des collines, les miroitements d’un ruisseau, les feuillages roussis de l’automne, les prairies couvertes de fleurs des champs, les rangées de vignes bien alignées. Personne. Seul le regard pénétrant et doux de la marcheuse révèle la présence. La vie est impalpable mais la terre respire et la Corse se livre, dans sa simplicité et dans son authenticité.

    Infatigable, la photographe arpente les chemins creux de la plaine orientale ; s’arrête sur les enchevêtrements des sous-bois, capte la lumière dans la blondeur des châtaigneraies de la Castagniccia, surprend notre regard avec les « steppes » de la Balagne, ponctuées de troupeaux. Les arrondis toscans de la Conca d’Oro n’ont pas de secret pour elle ni les bocages du Sartenais ; pas davantage les oliveraies de Balagne. Tout dans ces paysages dit le lent et patient travail des hommes, leur obstination à dompter une nature rebelle. Bel ordonnancement des champs qui parle d’un lieu à vivre en accord avec le ciel et les nuages. En accord avec la respiration et la lumière. Loin de l’invasion anarchique des lotissements qui gagnent du terrain et imposent une uniformité d’une accablante laideur, là où jadis tout n’était que beauté naturelle et harmonie.

    Parfois l’œil accroche au passage la silhouette estompée d’un village arrimé à son piton rocheux. Vergers traversés par un chemin de terre, traces de sillons et traces des tracteurs, palmiers en bordure de propriétés patriciennes. Douceur saisie à la volée par un regard attentif à débusquer l’esprit du lieu, attentif aussi à ne pas le trahir ni le dénaturer.

    Rien dans ces photographies qui cherche à séduire au-delà de la beauté naturelle des champs des vignes des pâturages ; rien qui vienne détourner l’attention de l’authenticité du lieu. Le souci de la photographe de préserver cette authenticité se lit jusque dans le choix de l’appareil photo, un vieil argentique hérité d’un cousin du Niolu, « un Voigtländer datant de 1938 ». Émerveillée par le miracle que constitue pour elle la révélation de l’existence de tels paysages, la photographe se contraint à capter dans l’instant la fragilité originelle de la Corse. Pour accompagner chacune des prises de vue, un simple titre : « Plaine de la Casinca  / Piaghja di a Casinca » ; Région de Sartène, non loin de Mola / Rughjone di Sartè, vicinu à Mola ; Nebbio, plaine d’Oletta / Nebbiu, piaghja d’Oletta »… La déclinaison des images révèle l’esprit de l’ouvrage. Un éloge silencieux et profond. L’écriture d’une mémoire habitée par le respect. Une esthétique liée à la vie.

    « Tant qu’il y aura des paysages… » (tel est l’intitulé de l’avant-propos rédigé par Maddalena Rodriguez-Antoniotti) subsistera l’émerveillement. Un émerveillement qui transporte celui encore capable d’ouvrir les yeux et protège son regard de la sombre colère qui souvent gagne à la vue du désastre imminent qui mine la Corse. Si nul n’y prend garde.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli







    Corse Maddalena







    MADDALENA RODRIGUEZ-ANTONIOTTI


    Maddalena Rodriguez-Antoniotti




    ■ Maddalena Rodriguez-Antoniotti
    sur Terres de femmes

    Bleu Conrad (note de lecture d’AP)





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  • Kenneth White | Conrad sur L’Île-Grande

    « Poésie d’un jour »
    dédiée à Denise Le Dantec
    et à Maddalena Rodriguez-Antoniotti





    Joseph_Conrad-757496
    Source







    CONRAD ON ÎLE-GRANDE




    In the spring of 1896, Joseph Conrad was looking for
    a quiet place to live and work. He finally found it on  
    Brittany’s north coast.                                                      




    1.

    Outside an Atlantic wind was blowing hard
    flecking the sea in rough patches
    over by the Triagoz

    inside the rude granite dwelling
    his mind was wandering
    among the isles of the Malay archipelago

    the Otago
    out from Bangkok
    crossing the shadow line…

    Tuan Jim
    reduced to a white point
    in a turbulence of darkness…

    beginnings and endings he could see
    both with lyrical intensity
    and he was overwhelmed by inexplicable atmospheres
    the tiresome thing
    was to tell the story.


    2.

    Let it be told by intermediaries
    spinning yarns
    while he floated above them
    a man of vision rather than just another storyteller

    if the sea had meant dogged slogging
    cargo by cargo from harbour to harbour
    it had also meant a vastness of meditation

    the ocean a pure metaphor
    for panic, anarchy and chaos…


    3.

    Rain had begun spattering on the window pane
    and was becoming stronger

    like those ghost voices in the cabin

    that was when he began to write
    and went on without a pause
    for six timeless hours

    « He kept to seaports
    because he was a seaman in exile from the sea
    and had ability in the abstract…
    thus in the course of years
    he was known successively
    in Bombay, Calcutta, Rangoon and Batavia… »


    4.

    Late afternoon
    a cool blue in the sky
    he went for a walk around the island

    watching gulls
    flying wilfully
    over by Crow Rock

    seeing
    scattered at the tide’s edge
    lines of wrack

    then the sun set
    a seal of incandescence
    and night descended
    like a benediction.






    CONRAD SUR L’ÎLE-GRANDE




    Au printemps de l’année 1896, Joseph Conrad était à
    la recherche d’un lieu tranquille pour vivre et travailler.
    Il finit par trouver sur la côte nord de la Bretagne.         




    1.

    Dehors le vent atlantique soufflait fort
    parsemant la mer d’éclats d’écume
    au loin, vers les Triagoz

    dans la rude maison de granit
    son esprit vagabondait
    parmi les îles de l’archipel malais

    l’Otago
    parti de Bangkok
    traversant la ligne d’ombre…

    Tuan Jim
    réduit à un point blanc
    dans une obscure turbulence…

    il pouvait voir les commencements et les fins
    avec une intensité lyrique
    et il était submergé d’atmosphères inexplicables
    l’ennui
    était de raconter l’histoire.


    2.

    La laisser conter par des intermédiaires
    qui en dérouleraient le fil
    tandis que lui flotterait au-dessus
    homme de vision plutôt que simple conteur

    si la mer avait été dur labeur
    cargaison après cargaison de port en port
    elle avait aussi été une immensité de méditation

    l’océan, pure métaphore
    pour panique, anarchie et chaos…


    3.

    La pluie fouettait maintenant la fenêtre
    et s’intensifiait

    comme ces voix fantômes dans la cabine

    c’est alors qu’il se mit à écrire
    et poursuivit sans répit
    pendant six longues heures

    « Il ne quittait pas les ports
    marin en exil de la mer
    et possédait des capacités virtuelles…
    ainsi au fil des années
    on le croisa successivement
    à Bombay, Calcutta, Rangoon et Batavia… »


    4.

    En fin d’après-midi
    ciel d’un bleu froid
    il sortit faire le tour de l’île

    regarda les mouettes
    voler fougueusement
    là-bas vers le rocher du Corbeau

    vit
    dispersées sur l’estran
    des traînées de goémon

    puis le soleil se coucha
    sceau d’incandescence
    et la nuit descendit
    comme une bénédiction.


    Kenneth White, Les Archives du littoral, édition bilingue, Mercure de France, 2011, pp. 150-155. Traduit de l’anglais par Marie-Claude White.




    Note d’AP : dans le cadre de la semaine spéciale « Bleu Conrad » qui se tient jusqu’au 16 mars à l’espace Diamant d’Ajaccio, Kenneth White donnera le 16 mars, à 18h00, une conférence sur les « Nomades intellectuels en Corse : Rousseau, Boswell, Conrad ». Entrée libre. Renseignements Espace Diamant : 04 95 50 40 80. Pour en savoir plus, cliquer ici.





    Bleu Conrad





    ■ Kenneth White
    sur Terres de femmes

    La Corse est un cosmo-poème
    Ici, sur l’île aux oiseaux
    Lettre à un vieux calligraphe


    ■ Joseph Conrad
    sur Terres de femmes

    Maddalena Rodriguez-Antoniotti, Bleu Conrad (note de lecture)
    3 février 1921 | Joseph Conrad. En partance pour Ajaccio (incipit de Bleu Conrad de Maddalena Rodriguez-Antoniotti)
    14 juillet 1900 | Joseph Conrad, Lord Jim


    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    29 avril | Denise Le Dantec, L’Estran (extrait de L’Estran Autour d’Île Grande)
    le site officiel de Kenneth White
    → (sur Dailymotion)
    un entretien de Kenneth White avec Bernard Pivot (2006)[première partie]
    → (sur Dailymotion)
    un entretien de Kenneth White avec Bernard Pivot (2006)[deuxième partie]

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  • Corse_3 3 février 1921 | Joseph Conrad. En partance pour Ajaccio

    Éphéméride culturelle à rebours





    « […] Il y a de ces traversées qui semblent êtreIberia

    choisies pour servir d’illustration à la vie et

    qui pourraient bien faire office de symbole

    de l’existence. »

    Joseph Conrad (Jeunesse).



    EN PARTANCE POUR AJACCIO


        Dans la discrétion d’une journée d’hiver, un navire s’apprête à quitter le port de Marseille. Ciel et mer sont à l’unisson. Couleur d’absinthe. Parmi les passagers, un étranger, arrivé à l’âge où l’on sait bien ce que l’on perd à chaque heure qui passe. À sa démarche, on décèle un marin pour qui la terre ferme, après des années dans le balancement de la houle, semble ne jamais devoir être un terrain familier. Aujourd’hui, nul gros temps à l’horizon et la marche du vapeur se prévoit lente mais sûre. La traversée a toutes chances, pourtant, d’être inconfortable. Il est accompagné de Jessie et de l’infirmière dont elle a grand besoin. La cabine est minuscule et malodorante. Et point de champagne à bord. De bonnes raisons, s’il en fallait, pour rester sur le pont. Jusqu’à ce que le soleil se retire. Et même après. Sur le bateau, le remue-ménage alors cessera. Il fera encore gris. Assez clair pour voir le phare du Planier puis la côte filer. Telle une énigme à laquelle on réfléchit. Énigme d’une vie, énigme d’une rencontre. Quand « il reste ce fil ténu de lumière qui vous poursuit jusque dans votre sommeil et qui vous avertit qu’autrefois*… »

        Visage recuit, rides aux coordonnées féroces, tout en lui est prématurément entamé par une ligne d’ombre. Sauf son regard, pur. Indéchiffrable comme la mer étale. On le devine pourtant étrangement capable de passions violentes et de tempêtes. Mais dans l’ingratitude présente des travaux et des jours, il ne cesse de craindre, non sans raisons, que la fatigue de son corps ne se communique à sa mémoire inquiète.

        Sa vie, il l’a commencée comme il la finira : au milieu des livres. Si l’homme de la rue l’ignore, il a cependant perdu toute chance de mourir inconnu. Non seulement il a acquis, en Angleterre, le statut de grand écrivain, mais sa notoriété a gagné les États-Unis et la France. Il écrit donc toujours. Que faire d’autre désormais ? C’est une habitude. C’est son métier. « Il faut écrire, écrire, écrire, confie-t-il dans une de ses Lettres françaises. On se demande si cela vaut la peine ― car enfin, on n’est jamais satisfait et on n’a jamais fini. » D’un livre l’autre, c’est bien sur sa déception qu’il travaille. Sur cette insatisfaction sans cesse reconduite. Avec le désespoir en embuscade. Confusément conscient de côtoyer une vérité qui, depuis toujours, le hante. Il a mis en chantier ce qui deviendra Suspense [L’Attente]. Il s’y épuise. Sa chair est triste, sa vie s’est alourdie. Perdu, le paradis ?

        Ainsi souffrant, s’apprêtant même à rédiger son testament, c’est le moment qu’il choisit pour venir en Corse. Une tentation constante. Une obsession selon Jessie. Sur ce pont du navire en partance pour Aiacciu, le rêve ancien devient soudainement proche. Instants battants où le désir est près d’être satisfait. Ultime résonance d’un destin, cette mer qui lui est si chère et qu’il va traverser pour la dernière fois, est-elle associée à quelque âpre et lointaine saison, aux prémisses d’une aberration, à quelque défaite connue de lui seul, à quelque lancinante absence ? « Peut-être était-ce une impulsion de loyauté inconsciente, ou l’accomplissement d’une de ces nécessités ironiques qui se dissimulent dans les faits de l’existence. Je ne sais. Je ne puis dire, mais j’y allais », avait-il écrit à un tout autre moment. Si un lieu, c’est aussi une lumière, va-t-il alors chercher en Corse ― cet ouvrage du soleil qui semble une colossale incarnation du silence ― un signe, un rien, une poignée de main, un bruit de fraternité ? Une ferveur de l’air, pour enfin s’éveiller accordé à l’horizon ? Et s’il avait besoin d’un lendemain ruisselant de bleu…

        À soixante-trois ans, Joseph Conrad a plus de souvenirs que s’il avait mille ans. Nous sommes le 3 février 1921. Dans les mots de la Méditerranée.


    Maddalena Rodriguez-Antoniotti, « Un 3 février 1921 », Bleu Conrad, Le Destin méditerranéen de Joseph Conrad, Albiana, 2007, pp. 17-18.



    * Jean Grenier, Les Îles, Éditions Gallimard, Collection L’Imaginaire, Paris, 2003, page 92.





    Conrad en Corse
    Ph. D.R. Claudine Lesage
    Source





    ■ Joseph Conrad
    sur Terres de femmes

    → Maddalena Rodriguez-Antoniotti,
    Bleu Conrad (note de lecture)
    14 juillet 1900 | Joseph Conrad, Lord Jim
    Kenneth White | Conrad sur L’Île-Grande



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  • Maddalena Rodriguez-Antoniotti, Bleu Conrad

    Topique : Bleu
    Maddalena Rodriguez–Antoniotti, Bleu Conrad,
    Le Destin méditerranéen de Joseph Conrad,

    Albiana, 2007.


    Maddalena R-A
    Image, G.AdC








    BLEU CONRAD, UNE « MÉTAPHORE DE L’ABSENCE »



    Quelle couleur donner à l’absence ? Quelle couleur donner au manque que suscite l’absence ? Lorsque, comme Joseph Conrad, l’on a connu les mers lointaines et que la favorite a pour nom Méditerranée ; lorsque, après y avoir fait ses armes en pleine adolescence, la mer est soudain confisquée, la couleur de l’absence est le bleu, l’indéfiniment bleu du ciel et de la mer.

    « Métaphore de l’absence », la couleur qui taraude la vie de Joseph Conrad depuis l’âge de ses dix-sept ans est aussi celle que Maddalena Rodriguez-Antoniotti a choisie pour titre de son dernier ouvrage. Bleu Conrad. Métaphore à ce point essentielle que le bleu est intimement uni au nom de Conrad, intimement associé à lui. Et, selon Maddalena Rodriguez-Antoniotti, suffit à définir l’homme d’exception que fut le Polonais d’Angleterre. Ainsi le bleu, couleur de l’absence et du manque, court en filigrane de chapitre en chapitre, d’une page à l’autre de cette vaste somme biographique. Consacrée au grand navigateur et au grand écrivain que fut Joseph Conrad. La métaphore du bleu tisse au cœur de l’ouvrage Bleu Conrad un vaste réseau de sens, et guide la lecture. Une lecture dense et foisonnante, à l’image de l’ouvrage lui-même. Dont le titre concis et énigmatique de Bleu Conrad est explicité par le sous-titre : Le Destin méditerranéen de Joseph Conrad.

    Car c’est bien le destin d’un homme hors pair que celui de cet exilé de Pologne qui choisit très tôt de quitter la terre des origines pour des cieux infinis et pour une vie d’errance en mer plus conforme avec sa vision de l’homme libre. C’est le récit de ce destin que l’historienne Maddalena Rodriguez-Antoniotti a voulu nous faire partager. Un récit qui commence à rebours, à partir de la date du 3 février 1921. Date du début du dernier voyage en Corse. Joseph Conrad a soixante-trois ans lorsqu’avec Jessie, son épouse, le navigateur effectue, à bord de l’Iberia, celle qu’il sait être sa dernière traversée. L’occasion pour Maddalena Rodriguez-Antoniotti de retracer dans le moindre détail les rêves les plus fous, les attentes et les espoirs déçus de Conrad. Et pour le plus « débritannisé » des auteurs, de faire le point sur sa vie. L’ultime rêve de Conrad est de profiter du séjour dans l’île pour rendre visite une dernière fois à celui qui fut l’irremplaçable ami, Dominique Cervoni. Après un long séjour à Ajacciu où Conrad ne trouve de bien-être qu’auprès des vieux loups du port, l’auteur de Nostromo – nom inspiré à Conrad par la figure hauturière de l’aventurier-navigateur Capcorsin – entreprend le voyage dans le Cap Corse et se rend à Luri, sur la tombe où repose Cervoni. Le bleu de la nostalgie ne quittera plus Conrad, car c’est aux côtés de Cervoni que le jeune homme a vécu, jadis, ses premières expériences exaltantes de la mer. En route vers les Amériques, à bord du Saint-Antoine ou du Tremolino. Une exaltation inoubliable dont Joseph Conrad ne guérira jamais. Sauf à la transcender par l’écriture. Ce dont témoigne son œuvre immense.

    Si le bleu est la couleur du manque et de la nostalgie pour Joseph Conrad, la couleur de « la passion selon M. R.-A. », c’est Joseph Conrad. Une rencontre qui s’est faite par effraction, confie l’auteure dans son Post-scriptum. Mais une rencontre fondamentale à trois dimensions. Conrad, la Corse, Maddalena. Passion pour une terre – la Corse – et passion pour un homme qui a adulé cette terre.

    À mi-chemin entre biographie et essai, entre littérature et Histoire, la passion de Maddalena Rodriguez-Antoniotti se lit dans le foisonnement débordant – presque trop ? – de l’écriture et dans celui, très riche, des références multiples – musicales (Debussy), picturales (Van Gogh, Matisse), historiques, littéraires. Un beau travail d’érudition, nourri des lectures les plus diverses – documents d’archives, articles de revues,… – sans oublier l’œuvre romanesque de Conrad et ses Lettres françaises.

    Préfacé par Kenneth White – qui souligne « le champ de pensée » ouvert par Maddalena Rodriguez-Antoniotti, Bleu Conrad est un bel ouvrage qui allie qualités d’écriture et qualités artistiques. Au bleu qui court en filigrane de chapitre en chapitre répond le bleu des « diptyques photographiques » réalisés par l’auteure elle-même. Mais pas seulement. Aux très belles photos de Maddalena Rodriguez-Antoniotti viennent s’ajouter les clichés d’archives, « délibérément traités en sépia ».

    Hommage à l’écrivain épris d’absolu, Bleu Conrad est aussi hymne vibrant à la Méditerranée.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli




    ________________________________________________________
        Historienne de formation, Maddalena Rodriguez-Antoniotti est peintre, photographe et essayiste. Elle a publié en 2005 chez Albiana Comme un besoin d’utopie, le Parcours du Regard, un parcours d’art contemporain en Corse, et, en 2010, chez Images en Manœuvres Éditions, Corse, Éloge de la ruralité. Elle a également écrit dans diverses revues dont la Revue fora ! (« Faire trace, faire signe », N° 2, Hiver-printemps 2008).





    ■ Joseph Conrad
    sur Terres de femmes

    3 février 1921 | Joseph Conrad. En partance pour Ajaccio (Incipit de Bleu Conrad)
    14 juillet 1900 | Joseph Conrad, Lord Jim
    Kenneth White | Conrad sur L’Île-Grande



    ■ Maddalena Rodriguez-Antoniotti
    sur Terres de femmes

    Corse, Éloge de la ruralité (note de lecture d’AP)





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