commence au printemps 1962. Pasolini […] s’adresse à Anna Magnani et prend pour acteur principal un serveur dans une
du Trastevere. « Je l’ai découvert l’autre soir et ça a été aussi beau que de trouver le dernier vers, le plus important, d’un poème, que de trouver la rime parfaite. » Le plus étonnant est qu’il fera exercer à son personnage le métier de l’acteur. Il compare, d’ailleurs, cette vision d’Ettore Garofalo [ou Garofolo] avec son plateau à un tableau célèbre de Caravage
L’intrigue est inspirée d’un fait divers : la mort en prison d’un garçon de dix-huit ans, Marcello Elisei. Pasolini avait prévu de raconter cette histoire dans un roman, abandonné,
Il devait regretter d’avoir fait appel à Anna Magnani, à laquelle il reprochait son éducation petite-bourgeoise et non prolétaire. Mais Elsa Morante lui écrit à ce propos : « D’après moi, tous autant qu’ils sont avaient décidé
dès le départ que Magnani devait être
trop parmi les autres personnages, sans avoir le courage de juger à partir des faits mêmes. En fait, d’après moi, Magnani est splendide et son histoire n’aurait pu être mieux réussie, même dans ses rapports avec son fils. » Elsa Morante, elle-même, s’inspirera du personnage d’Ettore pour
La Storia et
Le Monde sauvé par les gamins.
En réalité, s’il y a un problème Magnani dans Mamma Roma, ce n’est pas à cause de l’actrice, mais du personnage. Mamma Roma est un personnage symbolique et fantasmatique, ce que n’est pas Ettore. Et Pasolini a eu un certain mal à insérer dans une intrigue « naturaliste » deux personnages dont les fonctions sont aussi différentes à l’intérieur de son système de représentation de la réalité poétique. Il est évident qu’Ettore est le condensé de tous les garçons que Pasolini a aimés lorsqu’il enseignait dans le Frioul, puis quand il s’est installé dans les « borgate ». C’est le personnage qui, avec plus de tragique, annonce en partie celui qui sera son compagnon, Ninetto Davoli (qu’il rencontrera dans moins d’un an, en tournant La Ricotta). Il filme donc poétiquement et tragiquement Ettore : poétiquement quand il le montre errant dans les terrains vagues, tragiquement lorsqu’il le suit de dos (comme il filmera dans deux ans le Christ dans L’Évangile, selon son style indirect libre ou semi-direct) ou encore au moment de sa mort en représentant la « perspective en raccourci » du Christ de Mantegna. Alors qu’il filme beaucoup plus conventionnellement Anna Magnani : il a recours à deux conventions ; la convention populiste, lorsqu’elle est à son stand au marché — c’est ainsi qu’on filmait Sophia Loren à Naples — et une autre convention, elle, si l’on peut dire, beaucoup plus originale, la convention symbolique : les deux plans — séquences travelling — arrière où elle raconte sa vie aux souteneurs et aux clients. Il a été contraint d’inventer ce style qui n’est qu’en partie le sien : il sera réutilisé sur un mode comique, mais avec la même force symbolique, dans Uccellacci e uccellini. Mais il y a, heureusement, la scène d’ouverture, complètement géniale, la « cène de mariage » où il rejoint immédiatement le grand style pasolinien, celui qui s’épanouira dans Porcherie ou dans les Contes.
René de Ceccatty, Sur Pier Paolo Pasolini, Éditions du Rocher, 2005, pp. 171-172.