Étiquette : Manuel Daull


  • Manuel Daull | [je connais depuis longtemps la fragilité des hommes]



    [JE CONNAIS DEPUIS LONGTEMPS LA FRAGILITÉ DES HOMMES]



    je connais depuis longtemps la fragilité des hommes, peut-être je la connais depuis toujours ‒ toujours senti cette chose en leur ventre, tout part du ventre chez les hommes ‒ ils ont beau croire que c’est leur tête qui leur dicte quoi faire, il n’en est rien, tout part du ventre chez eux ‒ les restes d’un cerveau reptilien sûrement ‒ quelque chose que je ne saurais pas nommer, une fragilité ‒ une fragilité que j’ai su reconnaître chez tous les hommes que j’ai connus ‒ des hommes que j’ai aimés

    je savais qu’il ne s’agissait pas d’un homme de plus ‒ qu’il serait mon chef-d’œuvre ‒ la pièce maîtresse d’un puzzle que j’assemble depuis longtemps ‒ depuis si longtemps que je connais par cœur la forme des pièces qu’il me reste à poser, ce qu’elles représentent, leur nombre ‒ à l’image de ces pièces, je connais par cœur les besoins qu’ont les hommes ‒ ce qu’ils sont capables de donner ‒ je sais que rares sont ceux qui donnent vraiment ‒ quand ils donnent ils ont l’impression de s’amputer d’une partie d’eux-mêmes ‒ ils se sentent bancals à l’intérieur quand ils nous sont vraiment présents ‒ les hommes sont des animaux qui ne cessent de construire à l’extérieur ce qu’ils ne peuvent construire à l’intérieur ‒ ils ne sont jamais chez eux en eux ‒ toujours au dehors d’eux-mêmes ‒ toujours dans l’attente de construire quelque chose à la mesure de leur attente ‒ quand ils font des enfants, les enfants viennent à l’intérieur de nous extérieurs à eux ‒ leur rapport à l’amour même tient dans cette construction-là extérieure à eux qu’ils ne maîtrisent pas, ce qui leur rend la vie insupportable ‒ leur besoin de contrôle est plus fort que leur amour pour nous quand il est sincère ‒ la passion est leur chimère ‒ le seul moment de leur vie où ce qui leur échappe les nourrit mieux qu’un sein maternel ‒ ils pratiquent alors de façon archaïque le troc amoureux, de ne pas connaître la petite mécanique des relations humaines ‒ le pouvoir est une autre chimère leur permettant d’accepter la fuite du temps ‒ le sexe chez eux est un besoin vital de possession, comme manger ou dormir ‒ ils baisent comme ils chient, juste une histoire d’appétit et de fréquence ‒ ils ne sont guère doués de don ou de partage ‒ l’idée de réussite est un horizon mouvant pour eux, aussi attirant qu’il les terrorise ‒ ils tentent toute leur vie d’établir une hiérarchie de leurs priorités par peur du vide ‒ puisque l’idée même de priorité est le socle sur lequel ils construisent leur identité ‒ ils sont ainsi leur propre priorité et créent autour d’eux à l’image du rythme qui leur convient, un rapport au monde fait de spirales où tout ce qu’ils touchent devrait s’adapter à la place et au rang qu’ils leur accordent ‒ on n’entre pas dans la vie d’un homme on finit par en faire partie, un fragment élémentaire de plus ‒ un agrégat de son paysage rassurant



    Manuel Daull, Fragiles in Please do not stock flat, suivi de Fragiles, éditions LansKine, 2018, pp. 69-70.






    Manuel Daull  Please do not stock flat






    MANUEL DAULL


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    ■ Manuel Daull
    sur Terres de femmes

    [écrire c’est] (extrait de La Vie à l’usage)




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  • Manuel Daull | [écrire c’est]



    [ÉCRIRE C’EST]



    écrire
    c’est, je
    crois — venir muet
    sur ce territoire-là
    attendre
    que ces voix se révèlent
    pas à moi seulement
    mais c’est moi qui viens là
    pour les entendre
    c’est moi
    qui tente
    de leur faire de la place
    de leur rendre la parole
    qui mets mon attention à leur écoute
    le reste
    n’est qu’une histoire de place
    même ici
    la mienne comme la leur
    une histoire
    d’humilité et de priorité
    de sincérité simplement

    j’aime
    cette idée de parole rendue
    l’Ager Publicus
    de la langue belle en pâture
    en friche
    la belle jachère
    dont on fait
    les plus beaux bouquets de vivaces
    parfois mieux
    que des plantations
    nées de votre main

    je
    viens là faire paître mon troupeau — je
    suis à l’écoute
    j’écris
    l’impersonnel de nos vies
    nos beaux transports de l’intime
    un intime qui n’est pas le mien

    je
    suis cet homme
    dont l’attention, ici
    se traduit juste
    par l’écoute
    et la parole rendue
    un petit homme
    qui regarde
    les choses à la hauteur
    de ses yeux
    et qui le sait



    Manuel Daull, La Vie à l’usage, éditions LansKine, 2016, pp. 58-59-60.






    Manuel Daull  La Vie à l'usage





    MANUEL DAULL


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    ■ Manuel Daull
    sur Terres de femmes

    [je connais depuis longtemps la fragilité des hommes] (extrait de Fragiles )




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site des éditions LansKine)
    la fiche de l’éditeur sur La Vie à l’usage
    le site de Manuel Daull
    → (sur YouTube)
    Manuel Daull lit quelques extraits de La Vie à l’usage





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