Étiquette : Maram al-Masri


  • Maram al-Masri, Métropoèmes

    par Michel Ménaché

    Maram al-Masri, Métropoèmes,
    éditions Bruno Doucey, collection « L’autre langue », 2020.
    Préface de Murielle Szac
    [en librairie le 5 mars 2020].



    Lecture de Michel Ménaché



    Maram al-Masri est bouleversée à vie par la tragédie syrienne. En exil depuis plus d’une vingtaine d’années, elle est partout au cœur du monde, en empathie avec les solitaires et les exclus qu’elle sort de leur anonymat pour les avoir croisés dans le métro parisien. Cela vibre dans Métropoèmes, son dernier recueil écrit directement en français. Murielle Szac saisit l’intention avec justesse dans sa généreuse préface : « Maram est poète et de cet univers souterrain, parfois glauque, parfois triste mais toujours fascinant, elle a ramené des textes qui, soudain, par la magie du poème, habillent chaque être d’un manteau d’humanité. » L’auteure emprunte toutes les lignes du métro, mentionne les directions et les stations d’arrêt sur image. De l’une à l’autre, elle ouvre ses divers itinéraires d’instantanés-poèmes par une citation en pleine page. Poésie dans le métro avec Nazim Hikmet, Guillaume Apollinaire, Michel Baglin ou Nikos Kazantzakis : « Si le cœur de l’homme ne déborde pas | d’amour ou de colère, | rien ne peut se faire en ce monde » (Le Christ recrucifié).

    L’exclusion et la déréliction se montrent ou se dissimulent avec plus d’intensité dans les méandres du métro qu’au grand jour. L’isolement et le manque génèrent pour certains le sauve-qui-peut permanent.

    À Barbès-Rochechouart, mendiants, « vendeurs à la sauvette »…

    « […] disparaissent

    comme des souris »

    […]

    « Marché des pauvres

    pauvres clients

    pauvres marchands. »

    À Montparnasse-Bienvenue, l’auteure n’ayant pas de monnaie dans son sac ne trouve qu’un chewing-gum à déposer dans la paume ouverte d’un passager pauvre. Comme dans une scène de Buñuel, la chute est tristement comique :

    « Il le porte à sa bouche qui s’ouvre comme un parapluie souriant.

    Il n’a pas de dents. »

    Parmi les instantanés recueillis, elle s’émeut, à République, non sans une touche d’humour, devant un SDF endormi sous le grand panneau publicitaire présentant

    « la photo d’un lit

    et d’une chambre aménagée

    par IKEA ».

    À Château d’Eau, elle porte ce même regard d’humour et de tendresse sur des migrants de la capitale sublimant leur dure réalité dans un imaginaire métissé :

    « L’eau des paroles

    court dans la rue

    L’eau du fleuve Congo

    roule dans Paris

    L’eau a un château

    où les rois et les princesses

    couverts de bagues et de chaînes dorées

    marchent pieds

    nus. »

    À Gare d’Austerlitz, la beauté triomphe quand le métro s’élève à ciel ouvert. La poésie de Maram al-Masri, avec une concision extrême, ré-enchante aussi le monde :

    « Dans le métro aérien

    j’ai vu

    les arbres qui saignaient

    des gouttes de sang blanc

    Personne ne s’est douté

    que l’assassin

    était le printemps. »

    L’auteure n’est pas extérieure aux scènes qu’elle donne à voir. À Châtelet, sa sensibilité émotionnelle réagit à la simple observation d’un couple qui la renvoie à elle-même :

    « J’ai vu un homme qui te ressemble

    dans un wagon du métro

    et en face de lui

    une femme

    qui ne me ressemble pas

    Et j’ai été triste. »

    Syrie au cœur, Maram al-Masri reste bouleversée par les tragédies qui déchirent et endeuillent effroyablement les pays du Moyen-Orient. À la station Pont-Neuf, place Mahmoud-Darwich, elle est captive d’un écran animé de toute la violence du conflit armé :

    « je me vois gémissante sur un trottoir

    je vois ma mère qui hurle

    […]

    je vois Abraham, Moïse, Jésus, Mohamed

    blessés, orphelins, cadavres

    je vois Dieu

    […]

    N’oublie pas la Syrie

    n’oublie pas le Yémen

    n’oublie pas

    le monde

    m’a dit la poésie. »

    Maram al-Masri retient la leçon de Victor Hugo : « Tout a droit de cité en poésie » (préface des Orientales).




    Michel Ménaché

    D.R. Texte Michel Ménaché
    pour Terres de femmes







    Maram al-Masri  Métropoèmes





    MARAM AL-MASRI


    Maram Morges
    Ph. : angèlepaoli
    Morges, avril 2015





    ■ Maram al-Masri
    sur Terres de femmes


    Un furesteru mi feghja (extrait de Cerise rouge sur un carrelage blanc)
    [elle a légué à ses enfants une mère qui rêve] (extrait de Je te regarde)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Bruno Doucey)
    la fiche de l’éditeur sur Métropoèmes
    → (sur Babelmed)
    Rouge poétique sur grisaille quotidienne
    → (sur Interromania, Centru culturale Università di Corsica)
    plusieurs pages sur Maram al-Masri (+ vidéo)




    ■ Autres lectures de Michel Ménaché
    sur Terres de femmes


    Anne-Lise Blanchard, Les jours suffisent à son émerveillement
    Mireille Fargier-Caruso, Comme une promesse abandonnée
    Paola Pigani, Le Cœur des mortels
    Florentine Rey, Le bûcher sera doux





    Retour au répertoire du numéro de mars 2007
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Marilyse Leroux, Le Sein de la terre

    par Angèle Paoli

    Marilyse Leroux, Le Sein de la terre,
    éditions La Lucarne des Écrivains, 2018.
    Prix Maram al-Masri 2018.



    Lecture d’Angèle Paoli




    LE CONTRE-CHANT DES AMANTS




    C’est au cœur de la terre, en son sein le plus secret, que s’abrite, intact, le voyage. Le voyage auquel nous sommes conviés dans ces pages est celui de l’amour. Marilyse Leroux en est l’égérie, et la coryphée qui conduit le dialogue poétique avec l’être aimé.

    Le Sein de la terre est un très bel ouvrage, superbement accompagné des peintures et aquarelles de Véronique Durruty. L’artiste compose un voyage onirique qui va l’amble avec les poèmes. Pluriel, coloré, léger, aérien. Dansant. L’échange entre les amants se joue sur le fil ténu d’horizons, floraux et végétaux, bercé par le mouvement des vagues et par celui des lèvres et des corps. Chaque page est une découverte. Un arrêt sur image. Un suspens. Poème et dessin alternent ; caractères romains et italiques également. Masculin/féminin. Sous les italiques se tissent les mots de la poète.

    La voix est assurée, mais elle est douce. Avec elle renaît l’espoir. D’un ailleurs, d’un autrement. L’autre voix est celle de l’amant que rend inconsolable la perte de la femme aimée. D’un poème à l’autre, la plainte sourd. Elle déroule au fil des pages son long ruban de désarroi. Ainsi dans la complainte ci-après où semblent devenus insaisissables mots et gestes de l’amant et tant perdu :

    « Je ne sais plus rien

    ton rire n’atteint plus

    le lit de la mer

    je ne l’entends plus rouler

    sur les pentes

    la peau de l’eau a changé

    ma langue ne la reconnaît plus. »

    Et l’amante de répondre par des mots qui ouvrent sur d’autres possibles :

    « Il faut partir

    sans te détourner du feu

    qui consuma nos corps

    Ce qui a été vécu

    tourne encore

    dans les chambres

    Autre magie autre rituel

    le silence reprend les gestes

    dans un autre phrasé. »

    Car l’amour est multiple, lui aussi — comme le voyage —, qui va de la passion jusqu’à la dissolution. Il laisse les amants désemparés, chacun cherchant l’autre à son aune. Un « filament » léger continue pourtant de courir de l’un à l’autre, d’unir les amants, par-delà les souffrances de la séparation.

    « Une force nous relie

    à tout le bleu en dessus ».

    À chaque souvenir évoqué dans la mélancolie d’un bien perdu, l’amante répond par des images énigmatiques. À chaque plainte, elle dispense un conseil. Le ton est souvent celui de l’injonction, tendre et confiante :

    « Laisse mûrir ta voix

    à l’ombre des portes

    tu connaîtras le voyage

    où les signes s’épousent »

    ou encore, plus loin :

    « Ouvre les yeux

    la lumière est ton collier ».

    Marilyse Leroux a placé son recueil sous l’égide du poète latin Ovide : « Omnia mutantur, nihil interit » | « Tout change, rien ne meurt. » Avec ces vers « lampedusiens » tirés des Métamorphoses s’entreprend la longue marche vers un inconnu dont seule la poète, comme jadis les pythonisses au temps des oracles, semble posséder les clés d’un renouveau :

    « Va ne crains rien

    la beauté rattrapera

    le long de la route

    à la lisière d’un bois

    d’une prairie ou d’un lac ».

    L’amant égaré s’obstine. Il se perd dans l’envers du miroir. Toute tentative de changement se mue en son contraire. De son côté, la sibylle poursuit la voie qui est sienne. Elle dans la clarté de la lumière ; lui dans la nuit qui l’obsède. Lui dans une errance sans boussole ; elle dans une sagesse inaccessible ; lui dans les mots du reproche ; elle dans la parole prophétique :

    « Tu avais un cœur de prophétie

    sur des lèvres d’amante

    pourquoi as-tu brisé mon chant

    me voici ombre avec mon ombre

    mon chemin reste long de toi. »

    L’aruspice répond en écho :

    « Je vois ton visage

    en découpe sur la grève

    le moment est venu

    de te retourner

    Rien n’est perdu

    si tes mots s’accrochent

    à d’autres pointes

    laisse le nuage

    confondre l’énigme. »

    Le dialogue amoureux se poursuit en un contrepoint continu de voix qui se cherchent et s’effleurent sans vraiment se rejoindre. Comme si les amants se situaient sur des courbes opposées d’une même ligne mélodique. Usaient de langages irréconciliables. Dans des univers de pensées si irréductibles que nulle image ne peut les ressouder.

    L’amante semble détenir un savoir antique, bâti sur une expérience unique, acquise de longue date. Lui, au contraire, poursuit son rêve bâti sur l’écume. L’impalpable éphémère dont il est impossible de se délivrer. Là où l’amant progresse en ressassant le passé, l’amante répond en regardant le futur.

    « Tu me disais

    jamais sans toi

    et je le croyais ».

    À quoi l’amante répond :

    « Avance amour

    lorsque tu me retrouveras

    ce ne sera pas le halo de la lune

    ce ne sera pas l’éclat de la mer

    mais ce qui brille de moi

    à l’intérieur de toi. »

    Ainsi se poursuit le dialogue des amants. Jusqu’au détachement ultime qui est celui de l’absolu de l’amour. Un superbe contre-chant que cette chanson mythique des amants.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Marilyse Leroux  Le Sein de la terre






    MARILYSE LEROUX


    Marilyse Leroux





    ■ Marilyse Leroux
    sur Terres de femmes

    [Autour de nous le mouvant devient cercles] (extrait d’Ancrés)
    [Livre ouvert] (extrait de Nés arbres)
    [Une goutte est la mer] (extrait du Temps d’ici)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [Tu ouvres une brèche]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Terre à ciel)
    une page consacrée à Marilyse Leroux






    Retour au répertoire du numéro de janvier 2019
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »


    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Maram al-Masri | [elle a légué à ses enfants une mère qui rêve]



    Une mere qui...
    Ph., G.AdC





    [ELLE A LÉGUÉ A SES ENFANTS UNE MÈRE QUI RÊVE]




    Elle a légué à ses enfants

    une mère qui rêve

    qui danse,

    qui sourit…

    Une mère qui pleure,

    qui désire…

    Une mère sans argent,
    qui ne reprise pas les chaussettes

    Une mère qui écrit des poèmes,
    dans une langue qu’ils ne comprennent pas…




    Perdante,
    comme une pouliche
    montée par un
    mauvais cavalier…




    Maram al-Masri, Je te regarde, Al Manar, Collection Méditerranées, 2007, pp. 75-76. Préface de Salah Stétié. Traduit de l’arabe (Syrie) par François-Michel Durazzo en collaboration avec l’auteur. Dessins de Youssef Abdelké.





    Maram al-Masri, Je te regarde
    Source





    MARAM AL-MASRI


    Maram Morges
    Ph. : angelepaoli
    Morges, avril 2015





    ■ Maram al-Masri
    sur Terres de femmes


    Un furesteru mi feghja (extrait de Cerise rouge sur un carrelage blanc)
    Métropoèmes (lecture de Michel Ménaché)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Babelmed)
    Rouge poétique sur grisaille quotidienne
    → (sur Interromania, Centru culturale Università di Corsica)
    plusieurs pages sur Maram al-Masri (+ vidéo)



    Retour au répertoire du numéro de mai 2015
    Retour à l’ index des auteurs


    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Nada Menzalji | La paix virtuelle




    LA PAIX VIRTUELLE
    (extrait)




    Cette maigre fumée
    dessine sur le miroir un nuage
    Aujourd’hui, comme hier, il n’y a pas de pluie
    Il n’y a pas sur le ventre de la terre
    une fleur pour séduire l’abeille
    et le silence n’est pas digne de la prière.
    Une mouche vient de terminer sa randonnée
    autour du globe terrestre.
    Je veux dire que par-delà des mers virtuelles
    il doit y avoir des jeunes virtuels
    ils sont très pris par un jeu
    comme s’ils venaient de le découvrir
    ses rôles sont simples :
    des poitrines nues
    des armées
    et des balles
    L’armée tire des balles
    et les jeunes courent pour tomber par terre
    et leurs ailes
    palpitent vers le ciel
    sans que soit coupé
    leur long cri de liberté.




    Nada Menzalji [Syrie], in Femmes poètes du monde arabe (anthologie), édition préparée, présentée et traduite en français par Maram al-Masri, Le Temps des Cerises, 2012, pp. 21-22.







    Maram al-Masri, Femmes poètes du monde arabe





    NADA MENZALJI



    Originaire de Lattaquié (Syrie), où elle a fait ses études à la Tishreen University, la poète Nada Menzalji vit actuellement à Londres.



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Le Temps des cerises)
    une page consacrée à l’anthologie Femmes poètes du monde arabe





    Retour au répertoire du numéro de septembre 2012
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes