Étiquette : Marianne Moore


  • 15 novembre 1887 | Naissance de Marianne Moore

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 15 novembre 1887 naît à Kirkwood, dans le Missouri, Marianne Craig Moore.





        Marianne Moore, dont la notoriété remonte à 1921, date de la publication (sur les conseils d’Ezra Pound et à l’insu de l’auteure) de vingt-quatre de ses poèmes, sous le titre Poems chez Egoist Press, à Londres, est l’auteure d’un singulier « curriculum poetae », une « note autobiographique » écrite le 7 octobre 1951 pour la New York Herald Tribune Book Review, l’année même où elle reçut trois des plus hautes récompenses en matière de poésie (le Pulitzer de poésie, le National Book Award et le Bollingen Prize). Une autobiographie « à l’image de la poésie de Marianne Moore, tout en exubérance, en fantaisie et en espièglerie ».







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    Ph., G.AdC







    NOTE AUTOBIOGRAPHIQUE


        « Je suis née dans le Missouri en 1887, j’ai été diplômée de Bryn Mawr en 1909 et je vis à Brooklyn dans un immeuble de six étages en brique jaune et en pierre à chaux dans un lieu connu sous le nom de La Colline.

        Mes loisirs sont le théâtre, le tennis, la navigation, la lecture et le cinéma ― des documentaires animaliers, des documentaires touristiques, de temps à autre un film français et les actualités.

        J’aime les foires à la campagne, les montagnes russes, les manèges, les expositions canines, les musées, les avenues d’arbres, les vieux ormes, les véhicules, les expériences concernant le temps comme les deux roulements à bille en chute gravitationnelle, en synchronisation avec un rouage tournant verticalement que l’on trouvait dans notre ex-Musée de la Science et des Inventions. J’adore les animaux et montre un intérêt démesuré pour les mangoustes, les écureuils, les corbeaux, les éléphants. Je lis peu de magazines mais serais perdue sans journaux. Mes auteurs favoris, je crois, sont Chaucer, Molière et Montaigne. Je suis attachée au Dr Johnson ; j’aime aussi Xénophon, Hawthorne, Landor et Henry James. Je nourris un intérêt particulier pour les récits de voyage, les livres pour enfants et ne me lasse jamais de Béatrix Potter. Ma lecture préférée est presque n’importe quel type de biographie- Ellen Terry, Cellini, les mémoires de guerre de Churchill, Le Mangeur d’Hommes de Kumaon du Cap. Corbett, Eimi de E.E. Cummings, Pantomime de Wallace Fowlie, Fuir avec Moi de Sir Osbert Sitwell.

        Je travaille mieux le matin mais il m’arrive de poursuivre, rarement, l’après-midi et le soir. Je me sers très peu de mon bureau (j’écris sur un bloc ou un portfolio). À mes yeux, je me fais l’effet d’une observatrice, un plumitif intéressé plutôt qu’un auteur, mais je suis une extrémiste en ce qui concerne l’affirmation précise ; on a dit de moi que j’avais dit : « J’écris des exercices de composition » ; peut-être ai-je dit : « Je considère mes vers comme des exercices de composition. » Quand j’ai fini une chose c’est, pour autant que je sache, la dernière chose que j’écrirai ; mais si ce qui me charme ou m’émeut me fait l’oublier, je puis la récrire.

        C’est un coup dur pour moi qu’il y ait dans le monde peu de vrais ennemis de l’esclavage et que certains d’entre eux soient des généraux ― le Général Eisenhower, le général MacArthur et le Général de Tassigny ; qu’il y ait peu d’hommes à la sagesse socratique parmi nous, comme le Professeur Macmurray, le Professeur Niebuhr, le Professeur Hocking ; que peu de vrais artistes soient vivants aujourd’hui ― Casals, Soledad, E. McKnight Kauffer, Hans Mardersteig, Alec Guinness, les cavaliers de Lipizzan. »


    Marianne Moore, Poésie complète, Licornes et sabliers, Éditions José Corti, 2004, pp. 386-387. Édité et traduit par Thierry Gillybœuf.





    MARIANNE MOORE


    Marianne Moore
    Source



    ■ Marianne Moore
    sur Terres de femmes

    5 février 1972 | Mort de Marianne Moore



    ■ Voir aussi ▼

    → la
    fiche des éditions José Corti sur : Marianne Moore, Poésie complète, Licornes et sabliers
    → (sur Poezibao) une
    fiche bio-bibliographique sur Marianne Moore (+ deux extraits)
    → (sur Terres de femmes)
    Elizabeth Bishop | Invitation to Miss Marianne Moore
    → (sur le site de la photojournaliste Esther Bubley)
    trois photographies de Marianne Moore, dont une dans son appartement de Brooklyn en 1953





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  • 5 février 1972 | Mort de Marianne Moore

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 5 février 1972 meurt à New York la poète Marianne Moore, née le 15 novembre 1887 à Kirkwood (Missouri).






    Marianne_moore_1
    Source






                                                         SON BOUCLIER


    Le torque-épine ou porc piquant
               (le porc hérissé appelé à tort hérisson) avec tous ses tranchants dehors,
           échidné et échinoderme en manteau
    de fourrure d’épines de pelote d’épingles, le porc épineux ou porc-épic,
               le rhinocéros au museau cornu ―
           tout est paré pour la bataille.

    La fourrure de porc n’ira pas, je me
               ceindrai de peau de salamandre comme Jean Presbyteros*.
           Un lézard au cœur des flammes, un brandon
    qui est la vie, aux yeux d’asbeste**, aux oreilles d’asbeste, au pelage tatoué
               et au cochon permanent sur
           le cou-de-pied ; il peut résister au

    feu et ne se noiera pas. Dans son
               pays inconquérable au sobre enthousiasme,
           l’or était si banal que nul ne s’y intéressait ; la cupidité
    et la flatterie étaient inconnues. Bien que des rubis gros comme des balles
               de tennis s’agrégeassent dans les ruisseaux de sorte
           que la montagne semblait saigner,

    la salamandre
               inextinguible ne se faisait appeler que presbytère. Son bouclier
    était son humilité. En manteau de lin
    carpasien, flanquée par sa maisonnée de lionceaux et son cortège
               sable, elle révéla
    une formule plus sûre que

    celle de l’armurier ; le pouvoir de renoncer
               à ce qu’on voudrait garder ; c’est ça la liberté. Deviens crâne de
    dinosaure, garni de piquants ou de laine de salamandre, plus chaussé de métal
    et vêtu de javelines qu’un bataillon de hérissons en acier, mais sois
               terne. Ne sois pas envié ni
    armé d’un mètre d’arpenteur.


    Marianne Moore, Nouveaux Poèmes (1951) in Poésie complète, Licornes et sabliers, José Corti, 2004, pp. 168-169. Édité et traduit par Thierry Gillybœuf.



    *Jean Presbyteros : Jean l’Évangéliste (mort v. 100), un des douze apôtres, auteur du quatrième Évangile et à qui l’on attribue aussi l’Apocalypse.
    ** Asbeste : Minéral du groupe des Silicates, à structure filamenteuse, assez souple et résistante, dont on se servait autrefois pour fabriquer des tissus, des mèches de lampes et des explosifs.





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    EN REGARDANT MISS MOORE…


        Miss Moore portait une longue robe crépusculaire à mince col blanc, et sa chevelure s’enroulait autour de sa tête en une tresse lustrée. Elle essayait de me sourire ; mais sourire lui était fort difficile avec ces petites lèvres tristes et ces grands yeux tourmentés.
         En regardant Miss Moore, je me sentais entraîné dans un âge révolu, peut-être le quinzième siècle, voire le onzième. Elle évoquait les grottes ombreuses d’une abbaye carolingienne, ou l’agate éclairée par une lampe d’une chapelle de Ravenne. Ses fins cheveux translucides semblaient de verre filé, et ses lèvres étaient ciselées dans de petits coraux timides.
         ― Vous préférez les choses aux gens, n’est-ce pas, Miss Moore ?
         ― J’aime bien les choses, oui, en effet ; il est si rare qu’elles aient un aiguillon perfide, comme en ont si fréquemment les gens avec leurs étiquettes et leurs attitudes ! Toutes les attitudes ont un certain aiguillon perfide ; mais hélas ! il est malaisé de vivre sans attitudes, n’est-ce pas ?
         ― Pourtant, les objets ont aussi des attitudes, vous ne croyez pas, Miss Moore ?
         ― Les objets ont souvent quelque chose d’humain aussi bien que l’animal. J’avais autrefois un panier en peau de tatou. Il m’avait été donné par un prêtre qui arrivait du Mexique. C’était un animal, voyez-vous, mais également humain puisqu’il s’agissait d’un panier. Les zébrures, l’étrangeté du dessin, la texture rêche, tout cela m’enchantait. L’odeur de la bête demeurait intacte en dépit de l’attitude humaine.
         ― Avez-vous écrit un poème sur le tatou ?
         ― Oh ! c’était beaucoup trop bonnet blanc et blanc bonnet !
    Les gens disaient : « Elle a donc enfin écrit un poème sur un tatou. Il était inévitable qu’elle écrivît un poème sur un tatou ! »
        Les curieux poèmes pareils à des crabes que j’avais de longue date découverts dans un livre intitulé Observations m’avaient plongé dans un ravissement perplexe. Ils se mouvaient avec une oblique délicatesse en remuant leurs antennes annelées, et semblaient rôder vers quelque exactitude sous-marine. Les motifs changeants de leurs assonances évoquaient des algues marines balancées dans l’eau. « Son bouclier » me plaisait surtout, qui parlait d’une salamandre à laquelle il donnait tout un spectre de couleurs changeantes :

    Des rubis gros comme des balles
    de tennis avaient beau s’unir en coulées telles     
    que la montagne semblait saigner,         

    l’inextinguible
        salamandre ne se qualifiait que d’ancienne. Son bouclier,
    c’était son humilité.


        Miss Moore essaya de sourire : elle sentait peut-être que je la considérais comme une salamandre ; mais le sourire s’évanouit dans l’air, et elle dit :
        ―…Maintenant, il faut que je rentre.


    Frederic Prokosch, Voix dans la nuit, 10/18, Librairie Arthème Fayard, 1984, pp. 190-191. Traduit de l’anglais par Léo Dilé.




    Salamandre
    Image, G.AdC





    MARIANNE MOORE


    Marianne Moore
    Source



    ■ Marianne Moore
    sur Terres de femmes

    15 novembre 1887 | Naissance de Marianne Moore



    ■ Voir aussi ▼

    → la
    fiche des éditions José Corti sur : Marianne Moore, Poésie complète, Licornes et sabliers
    → (sur Poezibao) une
    fiche bio-bibliographique sur Marianne Moore (+ deux extraits)
    → (sur Terres de femmes)
    Elizabeth Bishop | Invitation to Miss Marianne Moore
    → (sur le site de la photojournaliste Esther Bubley)
    trois photographies de Marianne Moore





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  • Elizabeth Bishop | Invitation to Miss Marianne Moore

    «  Poésie d’un jour  »



    Invitation_to_miss_marianne_moore
    Source






    INVITATION À MISS MARIANNE MOORE



    From Brooklyn, over the Brooklyn Bridge, on this fine morning,
           please come flying.
    In a cloud of fiery pale chemicals,
           please come flying,
    to the rapid rolling of thousands of small blue drums
    descending out of the mackerel sky
    over the glittering grandstand of harbor-water,
           please come flying.


    Whistles, pennants and smoke are blowing. The ships
    are signaling cordially with multitudes of flags
    rising and falling like birds all over the harbor.
    Enter: two rivers, gracefully bearing
    countless little pellucid jellies
    in cut-glass epergnes dragging with silver chains.
    The flight is safe; the weather is all arranged.
    The waves are running in verses this fine morning.
           Please come flying.


    Come with the pointed toe of each black shoe
    trailing a sapphire highlight,
    with a black capeful of butterfly wings and bon-mots,
    with heaven knows how many angels all riding
    on the broad black brim of your hat,
           please come flying.


    Bearing a musical inaudible abacus ,
    a slight censorious frown, and blue ribbons,
           please come flying.
    Facts and skyscrapers glint in the tide; Manhattan
    is all awash with morals this fine morning,
           so please come flying.


    Mounting the sky with natural heroism,
    above the accidents, above the malignant movies,
    the taxicabs and injustices at large,
    while horns are resounding in your beautiful ears
    that simultaneously listen to
    a soft uninvented music, fit for the musk deer,
           please come flying.


    For whom the grim museums will behave
    like courteous male bower-birds,
    for whom the agreeable lions lie in wait
    on the steps of the Public Library,
    eager to rise and follow through the doors
    up into the reading rooms,
           please come flying.
    We can sit down and weep; we can go shopping,
    or play at a game of constantly being wrong
    with a priceless set of vocabularies,
    or we can bravely deplore, but please
           please come flying.


    With dynasties of negative constructions
    darkening and dying around you,
    with grammar that suddenly turns and shines
    like flocks of sandpipers flying,
           please come flying.


    Come like a light in the white mackerel sky,
    come like a daytime comet
    with a long unnebulous train of words,
    from Brooklyn, over the Brooklyn Bridge, on this fine morning,
           please come flying.




    Elizabeth Bishop, « Invitation to Miss Marianne Moore », in Poems of Brooklyn, New York University Press, 2007, pp. 53-54.







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    Ph. Angèle Paoli







    INVITATION À MISS MARIANNE MOORE


    De Brooklyn, au-dessus du pont de Brooklyn, par cette belle matinée,
          venez à tire-d’aile.
    Dans une nuée d’ardentes substances pâles,
          venez à tire-d’aile,
    au rythme du rapide roulement de milliers de petits tambours bleus
    descendant du ciel pommelé
    sur l’estrade miroitante de l’eau du bassin,
          venez à tire-d’aile.


    Sifflets, enseignes et fumée jaillissent. Les navires
    agitent en signaux cordiaux des multitudes de pavillons
    ondoyant comme des oiseaux partout au-dessus du port.
    Entrez : deux fleuves, portant avec grâce
    d’innombrables petites gelées pellucides
    dans des surtouts en cristal taillé draguant avec des chaînes d’argent.
    Le vol est sans danger, le climat garanti.
    Les vagues avancent en vers par cette belle matinée.
          Venez à tire-d’aile.


    Venez, avec le bout pointu de chaque soulier noir
    traçant un sillage de saphir,
    avec une cape noire emplie d’ailes de papillons et de bons mots,
    avec Dieu sait combien d’anges tous à califourchon
    Sur le large bord noir de votre chapeau,
          venez à tire-d’aile.
    Arborant un inaudible abaque musical,
    une moue un peu caustique, et des rubans bleus,
          venez à tire-d’aile.
    Faits et gratte-ciel luisent dans les flots ; Manhattan
    est inondé de morale par cette belle matinée,
           alors venez à tire-d’aile.


    Chevauchant le ciel avec un héroïsme naturel,
    au-dessus des accidents, des films malveillants,
    des taxis et des injustices en liberté,
    tandis que les klaxons résonnent à vos belles oreilles
    qui écoutent en même temps
    une musique tendre inédite, digne du porte-musc,
          venez à tire-d’aile.


    Vous pour qui les austères musées se conduiront
    en galants oiseaux de paradis,
    vous que les lions affables guettent
    sur les marches de la Bibliothèque publique,
    impatients de se lever et franchir les portes,
    pour vous suivre dans les salles de lecture,
          venez à tire-d’aile.
    Nous pourrons nous asseoir et pleurer; nous pourrons faire des emplettes.
    ou jouer au jeu de nous tromper sans cesse
    en maniant un fabuleux vocabulaire,
    ou nous pourrons gémir bravement, mais venez,
          venez à tire-d’aile.


    Avec des dynasties de constructions négatives
    qui s’assombrissent et meurent autour de vous,
    avec une grammaire qui soudain vire et brille
    comme des bandes de bécasseaux en vol,
          venez à tire-d’aile.

    Venez comme une lumière dans le ciel blanc pommelé,
    venez comme une comète diurne
    avec un long cortège de mots sans nébulosité,
    de Brooklyn, au-dessus du pont de Brooklyn, par cette belle matinée,
          venez à tire-d’aile.




    Elizabeth Bishop, Un printemps froid [A Cold Spring, 1953], Circé, 2003, pp. 63-67. Traduit de l’anglais par Claire Malroux.





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    Ph. Angèle Paoli




    Note : En 1948, The Quaterly Review of Literature demanda à Wallace Stevens, William Carlos Williams, mais aussi à Elizabeth Bishop – dont les liens qui l’unissaient à Marianne Moore étaient bien connus – un essai pour un numéro spécial consacré à celle-ci. Elizabeth Bishop y joignit L’Invitation ci-dessus qui parut en août 1948.
    Les « jellies » évoquent bien évidemment des méduses.






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    Source





    ELIZABETH BISHOP


    Elizabeth bishop
    Source



    ■ Elizabeth Bishop
    sur Terres de femmes

    8 février 1911 | Naissance d’Elizabeth Bishop (notice bio-bibliographique + un poème extrait de North & South)
    Crusoe in England (poème extrait de Géographie III)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    5 février 1972 | Mort de Marianne Moore
    → (sur Terres de femmes)
    Acrossing the river
    → (sur Terres de femmes)
    Claire Malroux | Soleil de jadis



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