Retour au répertoire du numéro de décembre 2019
Retour à l’ index des auteurs
Étiquette : Marie-Ange Sebasti
-
Marie-Ange Sebasti | Rue natale
» Retour Incipit de Terres de femmes -
Marie-Ange Sebasti | [On voudrait partager sans parole]
Ph., G.AdC
[ON VOUDRAIT PARTAGER SANS PAROLE]
On voudrait partager sans parole
quelques cailloux
quelques talus
un rêve à l’endroit
un rêve à l’envers
la lumière vorace
la lumière déçue
Plus tard, bien plus tard
nous conviendrons de descendre
dans les mines d’or, de rubis
de lapis lazuli
nous rendrons la terre moins désinvolte
plus précieuse
De l’autre côté du fleuve
il abandonne aux rives
ses bagages de mots
Comment y accéder
Avant l’inondation ?
On l’a perdu de vue
On cherchera l’empreinte
de sa silhouette
on épiera
le froissement de son passage
Il s’est encore posté
au bord de l’univers
Par où passer pour le rejoindre ?
Je ne peux trouver trace
de ses sentiers
sur ma carte routière
Mais voudrait-il qu’on le rejoigne ?
Sa solitude est intouchable
Marie-Ange Sebasti, La Connivence du marchand de couleurs, Jacques André Éditeur, Collection Poésie XXI n° 36, 2016, pp. 46-47-48-49-50-51.
Retour au répertoire du numéro d’avril 2016
Retour à l’ index des auteurs» Retour Incipit de Terres de femmes -
Marie-Ange Sebasti, Cette parcelle inépuisableMarie-Ange Sebasti, Cette parcelle inépuisable,
Jacques André éditeur, Collection Poésie XXI, 2013.
Lecture d’Angèle Paoli
« Pourtant, malgré la faille, le bleu, toujours,
s’instaurait, me rattrapait »
Ph., G.AdC
EN SORTANT DE SA RÉSERVE…
Poète sensible, qui garde au secret les sentiments qui l’habitent, Marie-Ange Sebasti se livre ici, dans les pages de Cette parcelle inépuisable, par menus lests. Et c’est d’abord la Terre, — « terre sienne » — qui inaugure, dans les contrastes d’ombre et de clarté qu’elle engendre, l’ouverture de ce nouveau recueil poétique.
Cela commence avec le « rose chair » de l’enfance du poème inaugural. Par cette exploration d’une « parcelle inépuisable » d’où surgit l’enfant de jadis dans toute l’impulsivité de sa jeunesse. L’enfant à qui la poète d’aujourd’hui confie le pouvoir de s’emparer de l’adulte, de le secouer de son « long sommeil », de le bousculer dans ses certitudes, de le confondre avec ses souvenirs.
Soudain l’enfant est là, dans toute sa puissance créatrice — « Il démonte les lucarnes / et défie les étoiles » —, présence troublante qui dérange par son inventivité.
« Pourquoi cesser d’avoir faim / de sa turbulence », interroge la poète.
Le monde de l’enfance est au cœur des poèmes, qui ramènent avec eux, dans le chalut des mots, leurs bons génies et leurs comptines. Les formules magiques ouvrent les portes des jeux mais aussi celles des petites cruautés d’enfants, celles qui excluent et tiennent à l’écart celui d’entre eux/elles qui n’a pas les clés de « colegram ».
Dans son désir de se faire « archiviste » des gestes du passé, la poète recherche le lien qui l’unit à la petite fille qu’elle fut, afin de renouer avec elle ses pactes d’enfance. Dans son désir de se faire christophore, elle se dicte ses ordres :
« Soulève cet enfantAssieds-le fermement sur tes épaules
Rapproche-le du ciel »
Lui confiant ainsi une part de pouvoir :
« Il saura bien te décrire l’horizon ».
Dès cet instant, toujours mimant les inventions de l’enfance, la poète oscille entre incertitudes, menus échecs, impatiences à vivre, recommencements et reprises. Mais toujours rebondit sur la frange d’écume et toujours se remet à ravauder les « images » sur lesquelles elle s’élance. Elle retrouve alors cette « part des anges » qui lui donne l’élan vital propre à soulever le « mortier des heures grises » et à délivrer le monde de ses emmurements.
À travers la série des infinitifs — « Préparer / lancer / délivrer / libérer / rebâtir… » — qui sont comme les jalons de son programme d’actions poétiques, la poète s’invective avec douceur et fermeté. Parfois, au cœur de ces défis, d’autres silhouettes surgissent, qui avaient emporté avec elles, dans de lointaines expéditions, des rêves de retours victorieux. Et s’en reviennent, chargées d’images cahotantes. Dans des vers brefs, la parataxe fait surgir les étapes d’un « interminable western ». Archiviste puis calligraphe, la poète se sait impatiente à adoucir le monde. Même si sa « palette s’emporte / s’éloigne », l’acrobate qu’elle se dit être, « exerce ses pinceaux / à rattraper la joie / sur la ligne de fuite ». Le doute pourtant l’assaille dont elle repousse les brûlures. Aux interrogations qui se font jour, elle oppose le silence, celui-là même qui « a gonflé » son « chargement de mots ».
Quant aux morts, la poète les nimbe d’un même optimisme que les vivants, accordant à leurs fantômes une vie propre et parfumée :
« Bientôt ils sentiront la lavandedes armoires bien rangées ».
Optimiste ? Oui. Parce que profondément croyante ? Sans doute. Quoi qu’il en soit, exploratrice infatigable du temps et des blessures que celui-ci inflige, la poète se refuse à tout repli dans la douleur, à toute négation de la joie. Ainsi, confie-t-elle : « Pourtant, malgré la faille, le bleu, toujours, / s’instaurait, me rattrapait ». Toujours en chemin, « elle monte lentement / en tenant bon la rampe / de l’escalier trop raide ». Elle progresse, décidée, « vers ce rai de lumière / qui patiente serein… »
Lucide sur elle-même et sur les traits qui fondent sa personnalité, la poète évoque sa réserve — « Hier / en sortant de ma réserve / j’ai cru voir […] ». Et pour qui a le privilège de connaître un peu Marie-Ange Sebasti, cette expression polysémique fait sourire. Car sa réserve est sans nul doute son plus fidèle atout, celui qui conduit la poète sur la ligne de fuite d’un humour et d’une espièglerie qui la rendent très attachante. Ainsi surprend-elle par les façons d’oiseau qu’elle a de déplacer les images à cloche-pied. Ou à petits coups de pinceaux furtifs.
Retour au répertoire du numéro de décembre 2013
Retour à l’ index des auteurs
Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »
» Retour Incipit de Terres de femmes -
Marie-Ange Sebasti |
[Un chemin de silence a gonflé ton chargement de mots]
[UN CHEMIN DE SILENCE A GONFLÉ
TON CHARGEMENT DE MOTS]
Un chemin de silence a gonflé
ton chargement de mots
Tu rêves de l’étape
où tu le poseras
Voici la place
qui retiendra tes mots
Voici le lieu bruissant
qui les allègera de tous leurs sens
pour agrémenter ses palabres
Mais vient le vent qui t’en détourne
Marie-Ange Sebasti, Cette parcelle inépuisable, Jacques André éditeur, Collection Poésie XXI, 2013, page 34.
Retour au répertoire du numéro d’octobre 2013
Retour à l’ index des auteurs» Retour Incipit de Terres de femmes -
Marie-Ange Sebasti | Plage d’encre
Retour au répertoire du numéro de juin 2011
Retour à l’ index des auteurs» Retour Incipit de Terres de femmes -
Marie-Ange Sebasti | Ils étaient partis
Ph., G.AdC
ILS ÉTAIENT PARTIS
Ils étaient partis naviguer
autour du monde
sous d’autres yeux
postaient distraitement quelques missives
oblitérées d’oubli
sur d’autres îles
Ils s’étaient assoupis burinés
dans les bras tendres d’escales au long cours
Juste retour des mots
Ils sont à quai
Marie-Ange Sebasti
D.R. Texte inédit
Marie-Ange Sebasti pour Terres de femmes
Retour au Sommaire de l’anthologie poétique Terres de femmes
Retour au répertoire du numéro de novembre 2009
Retour à l’ index des auteurs
» Retour Incipit de Terres de femmes -
Monique Pietri, Marie-Ange Sebasti, Bastia à fleur d’eau
BASTIA À FLEUR D’EAU
Terre étroite, éclatante
obstinée
jusqu’à ses bords extrêmes
d’où je déloge sans crier gare
tous les navires
Marie-Ange Sebasti, Bastia à fleur d’eau, photos de Monique Pietri, JA éditeur, Collection La marque d’eau, 2008, page 9. Préface de Marie-Jean Vinciguerra.
Tarra stretta, rilucenta
muvrogna
sinu à li so limiti stremi
Da duva diloghju senza mancu briunà
tutti li navi
Traduction inédite de Nurbertu Paganelli
Achemine la nasse des mots
vers l’autre versant du silence
sans te retourner sur la veille
sans craindre la rumeur hâtive
du port d’attache
id., p. 11.
Incamina la nassula di li parolli
versu l’altru pughjali di u silenziu
senza vultati versu l’arimani
senza tema u scarafaghju affuriatu
di lu to portu
Traduction inédite de Nurbertu Paganelli
L’envers du monde nous importait
quand les toits déversaient
dans le port ébahi
toutes les malles de nos greniers
bruissant de lettres inouïes
id., p. 14.
L’inversu di lu mondu ci impurtaia
quand’è li tetti sbarsaiani
in lu portu stùpitu
tutti sti valisgioni di li nosci suladia
fremendu di letari incridibuli
Traduction inédite de Nurbertu Paganelli
Certains voudront jeter
aux quatre vents
la chronique indiscrète
de nos affrontements
les pages secrètes
de nos connivences
fermer à temps tous nos volets
à leur approche !
id., page 16.
Les oiseaux migrateurs
ont fait escale sans savoir
qu’ils ne partiront plus
et tournoieront infiniment
imbus de nouvelles couleurs
id., page 35.
Retour au répertoire du numéro de septembre 2008
Retour à l’ index des auteurs
Retour à l’ index de mes Topiques» Retour Incipit de Terres de femmes -
Marie-Ange SebastiBIO|BIBLIOMARIE-ANGE SEBASTI
Image, G.AdC
À la voir si menue et si réservée, on ne saurait imaginer que derrière tant de modestie se cachent à la fois un chercheur et un poète ! Eh bien oui, Marie-Ange Sebasti mène de front ses propres travaux d’écriture et ses activités d’ingénieur au CNRS ! Avec sa formation supérieure de Lettres classiques, elle aurait pu se consacrer à l’enseignement. Elle a préféré mettre à profit sa formation pour fouiller d’autres champs d’investigation… et d’autres lointains.
Marie-Ange a une passion. Une passion qui va bien au-delà des simples savoirs, pourtant très pointus, qu’exige la recherche. Elle se passionne pour l’écriture : écriture épistolaire et écriture oratoire, dont elle décortique la rhétorique et analyse les fonctions. Et cette passion prend corps chez les Pères de l’Eglise. Dans la littérature patristique. Côté épistolaire, les Lettres de Firmus de Césarée, évêque de Cappadoce. Côté discours, le théologien Grégoire de Nazianze, « philosophe » chrétien du IVe siècle de notre ère. L’art oratoire de ce prédicateur, dont elle traduit et commente les Discours (Discours, 6 à 12), Marie-Ange en exhume les clés proprement « littéraires ».
Marie-Ange, yeux pétillants de malice et petit sourire fin au fil des lèvres, est une femme sensible et fière. Fierté sauvage qui est le sceau des femmes insulaires. La terre de Marie-Ange, c’est Kallistè, la Corse. Et le sol de ses ancêtres, Sartène. C’est dans cette sève-là, faite des lumières et des senteurs de son île, que sa plume puise sa source. Délicatement empreinte des nostalgies des montagnes ancestrales, sa poésie regorge d’images bouleversantes. Une écriture des profondeurs, scandée par une rythmique forte, nourrie des alternances de dactyles et spondées. C’est cela, l’écriture poétique de Marie-Ange. Une écriture de chair et d’âme. Car Marie-Ange Sebasti vit dans la poésie et pour la poésie. Une poésie à plein temps qui se nourrit aussi de sa vie de « continentale ». Et de ces échanges nourris et incessants entre l’être-dans-l’île et l’être-hors-de-l’île.
Marie-Ange vit la poésie comme une injonction à vivre et à saisir tous les instants. Avec le temps, ses textes s’amenuisent, se condensent, se densifient. Elle va vers le moins-de-mots avec toujours plus de rythme, toujours plus de souffle. Et dans ce souffle-là, il y a comme une traînée de poudre légère mais volontaire qui court d’un poème à l’autre, comme un trait de révolte qui suit sa trajectoire assurée. La poésie de Marie-Ange, c’est une poésie qui ébranle et dérange, décentre, oblige au déplacement celui qui croise ses textes. Une poésie de la traque, alors ? Oui, c’est cela, une poésie de la traque – dure et tendre à la fois – à laquelle il faut se laisser prendre pour en savourer toutes les traces !
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
Marie-Ange Sebasti a notamment publié :
– Effleurements, Regain, 1963.
– Paroles pour une île, Promotion et Édition, 1967.
– Contours apparents, Collection « Les Poètes de Laudes », n°12, Cahier 95, 1989.
– Presque une île, La Marge Édition, 1997. Préface de Charles Juliet ; rééd. Colonna Édition, mars 2010.
– Corse dans le chalut des jours, avec des photos de Monique Pietri, Éditions de l’Envol, 2001.
– Seuils, poème, avec une gravure de Bernadette Planchenault, Empreintes, Paris, juin 2002.
– Demain, poème, avec une gravure de Bernadette Planchenault, Empreintes, Paris, juin 2004.
– Les Marges arides, in Friches/Cahier de poésie verte n° 85, hiver 2004.
– Ouvrage collectif, Ougarit, la terre, le ciel, La Part des Anges édition, 2004. Textes réunis par Marie-Ange Sebasti et Joël Vernet.
– Marges arides, Jacques André Éditeur, Lyon, mars 2006 ; rééd. Jacques André Éditeur, collection Poésie XXI, janvier 2009.
– La Porte des lagunes, Editions Sang d’encre, Collection Opuscules, illustration de Colette Milly, juin 2006.
– Permis fluvial, 17 poèmes, Poésie rencontre, bulletin spécial, juin 2006.
– (Monique Pietri), Villes éphémères, Jacques André Éditeur, Lyon, 2007.
– (Monique Pietri), Bastia à fleur d’eau, Jacques André Editeur, 2008.
– (Monique Pietri), Venise février, Jacques André Éditeur, 2010.
– Haute Plage, Jacques André Éditeur, collection Poésie XXI, 2011.
– Cette parcelle inépuisable, Jacques André Éditeur, collection Poésie XXI, 2013.
– Heures de pointe (récits courts), éditions Le Pont du Change, 2014.
– La Connivence du marchand de couleurs, Jacques André Éditeur, collection Poésie XXI, 2016.
– La Caravage de l’orage, Jacques André Éditeur, collection Poésie XXI, 2019.
■ Marie-Ange Sebasti
sur Terres de femmes ▼
→ une petite anthologie poétique de Marie-Ange Sebasti
→ Rue natale (extrait de La Caravane de l’orage)
→ Cette parcelle inépuisable (note de lecture d’AP)
→ [Un chemin de silence a gonflé ton chargement de mots] (extrait de Cette parcelle inépuisable)
→ Demain (extrait de Marges arides)
→ « Notre héritage n’est pas forteresse »
→ [On voudrait partager sans parole] (extrait de La Connivence du marchand de couleurs)
→ Parlemente (extrait de La Porte des lagunes)
→ Plage d’encre (extrait de Haute plage)
→ Quand les îles pouffent de rire (extrait de Presque une île)
→ Une petite vieille en noir (extrait de Paroles pour une île)
→ Monique Pietri, Marie-Ange Sebasti, Bastia à fleur d’eau
→ Monique Pietri, Marie-Ange Sebasti, Villes éphémères (note de lecture)
→ Monique Pietri, Marie-Ange Sebasti Garder infatigablement les yeux ouverts (extrait de Villes éphémères)
→ (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) Ils étaient partis
→ (dans la galerie Visages de femmes) le Portrait de Marie-Ange Sebasti (+ un extrait de Paroles pour une île et de Corse, dans le chalut des jours)
-
Monique Pietri | Marie-Ange Sebasti,
Garder infatigablement les yeux ouverts
Retour au répertoire du numéro de janvier 2008
Retour à l’ index des auteurs
