Étiquette : Marie Ginet


  • Marie Ginet | [Être de quelque part. Ou juste en venir]




    [ÊTRE DE QUELQUE PART. OU JUSTE EN VENIR]




    Être de quelque part. Ou juste en venir. Quand tout a tellement changé. L’odeur du pays minier qui s’attarde dans la mémoire, dissoute et comme amputée. L’industrieuse effilochée qui lance des cailloux dans l’eau, des bulletins de vote impensables. Une corde au cou du passé. Un chiffon rouge oublié par les arrière-petits enfants de la Silésie.

    Qui se souvient que l’aimé-e parlait une langue inconnue ? Que les peaux sales se ressemblaient. Que le mot peuple était possible.

    Notre idéal a fait plouf. On n’a plus grand-chose à se dire. Un écran qui bave au café ? Des zones commerciales horizon ?

    Le vert phosphorescent entre lumière et pluie. Nous suivons des prairies d’herbe haute et de sève. Les naseaux d’un poulain se dressent à notre approche.

    Je rêve alexandrins pour consoler le monde, pour caresser les flancs du soir qui va venir, pour clarifier le verbe à défaut de la vie.



    Marie Ginet, Dans le ventre de l’Ange et autres cachettes, Éditions Henry, Collection La main aux poètes, 2016, pp. 38-39.






    Marie Ginet, Dans le ventre de l'Ange et autres cachettes





    MARIE GINET


    Marie Ginet. 2
    Source




    ■ Marie Ginet
    sur Terres de femmes

    Invasion de nuages (+ notice bio-bibliographique)
    Une scie contre les barreaux (extrait de Pulsation)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Plus vaste que nous





    Retour au répertoire du numéro de septembre 2016
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Roselyne Sibille, Ombre monde

    par Marie Ginet

    Roselyne Sibille,
    Ombre monde, Les éditions Moires,
    Collection Clotho, 2014.



    Lecture de Marie Ginet



    [QU’EST-CE QU’ÊTRE EN VIE ?]




    J’ai acheté Ombre monde l’été dernier à Sète, mais j’ai tardé à m’y plonger parce que la quatrième de couverture m’avait fait un peu peur :

    « En février 2011, mon père a eu un accident vasculaire qui l’a laissé paralysé et aphasique pendant quatorze mois jusqu’à sa mort […] nous l’avons accompagné en soins palliatifs à domicile […]. Durant tous ces mois j’ai écrit des poèmes qui sont devenus ce recueil. »

    Il y a tant de raisons d’être triste en ce monde constellé d’injustices et de perte, fallait-il en rajouter ? Je suis donc entrée dans ce recueil avec méfiance, à petits coups de pages feuilletées, d’abord rassurée de n’être pas plombée, puis de plus en plus présente aux mots. J’en suis devenue lectrice réelle et attentive, prenant le temps de lire et de relire, de poser le livre, d’en recevoir l’écho : de pauser, de penser, revenir.

    « Quand je me promène dans les jardins noirs

    je ne sais comment passent les chemins

    les maisons s’appuient sur leur toit

    pourquoi les impasses ont fermé leurs entrées

    si la lumière au loin mène au lac ou se brise

    ni quand les verticales s’arrondiront. »

    Ombre monde ouvre des questions à la fois connues et inconnues. Comment peut-on aimer son père ainsi ?

    « Je tombe où il trébuche ».

    J’ai pensé au recueil de Sophie G. Lucas : Nègre blanche, et je l’ai relu. Elle aussi raconte comment elle a veillé son père dans ses dernières semaines de cancer, elle dit le fil de rancœurs et de haine les ligotant l’un à l’autre, les laissant incapables de communiquer. Ici, dans Ombre monde, malgré l’aphasie du père,

    « Il y a      dans sa bouche

    de petits blocs cassés entre les dents

    qu’il ne peut dire     ni déglutir

    des bégaiements     des bris »,

    il m’est apparu que le lien entre Roselyne Sibille et son père restait possible et lumineux. Inlassablement revient le mouvement de la main qui touche :

    « On sait pourtant

    par en dedans

    qu’il faut monter

    ou descendre le long de ta main

    très soigneusement et lentement

    apaiser ton corps ».

    Quel choix, quel geste feriez-vous face au père mourant ? Ce n’est là que l’une des innombrables questions que pose Ombre monde aux lecteurs :

    « Faut-il que je devienne sable ? »

    « Que deviennent les mots perdus »

    « Quand l’ombre se tend vers la fumée

    offre-elle

    des ailes

    au vide ? »

    « En mâchant l’interrogation majuscule

    on peignera peut-être sur les vagues

    On essaiera ».

    Elle essaie en effet, faisant naître des fragments de beauté. « L’autre moitié de l’ombre est granulée de neige bleue », malgré la présence de la peur. « La peur se balance à l’intérieur ». Avec l’injonction qu’on adresse aux enfants, aux aimé-e-s : « N’aie pas peur ».

    Ombre monde pose à chaque lecteur et chaque lectrice une question fondamentale : Qu’est-ce qu’être en vie ? Non dans l’agitation, les gloires et déboires sociaux, les distractions, les cache-peurs, les blablas, mais dans la nudité même.

    Ombre monde est un livre métaphysique même si — et peut-être aussi parce que — le corps y est éminemment présent, fragile et mis en suspension. Ce n’est donc pas une publicité mensongère que de prétendre que ce recueil est porté par ce que Roberto Juarroz nommait la verticalité de la transcendance. Mais on y trouve aussi chair et réel, révolte de l’esprit qui aime. Et c’est cette proximité d’humanité qui émeut le lecteur.




    Marie Ginet
    D.R. Texte Marie Ginet
    pour Terres de femmes
    (Lille, novembre 2015)








    Ombre monde





    ROSELYNE SIBILLE


    Roselyne Sibille
    Source



    ■ Roselyne Sibille
    sur Terres de femmes


    [L’ombre est une ligne de crête] (poème extrait d’Ombre monde)
    Les Langages infinis (extrait)
    [Pose ton visage dans une brèche] (poème extrait de Lisières des saisons)
    Lisières des saisons (lecture de Florence Saint-Roch)
    Roselyne Sibille | Liliane-Ève Brendel, Lumière froissée (note de lecture d’AP)
    Nuit ou montagne (poème extrait de Lumière froissée)
    La tendresse me racine (poème extrait du recueil Versants)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Le souffle des mondes
    Sabine Huynh | Roselyne Sibille, La Migration des papillons (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Moires)
    une page sur Ombre monde





    Retour au répertoire du numéro de janvier 2016
    Retour à l’ index des auteurs


    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Marie Ginet | Une scie contre les barreaux



    MARIE-MADELEINE




    UNE SCIE CONTRE LES BARREAUX



    Quelque fois un ange squelettique
    me volubile heurté
    sa traversée de l’enfer
    ensemble
    rires et guérilla
    nous parvenons presque à lobotomiser la laideur
    une scie contre les barreaux du monde




    Des passants quelquefois
    venus de pays lointains
    montagnes aux noms imprononçables
    leurs manteaux de laine sentent la sueur et la neige
    ils ont des graines au fond des poches
    et la pensée tenace d’une terre à venir




    Quelquefois je m’assois près d’un vieil homme
    qui regarde les hirondelles dans le ciel virginal
    il pose sa main tachée sur la mienne
    et la lumière coule entre nous comme une larme

    Nous n’avons connu
    ni berceau
    ni cachot jaloux
    ni alliance
    que le goût de la liberté
    qui grandissait dans nos murmures

    Je sais que tremblera
    intacte et juvénile
    jusqu’au dernier instant
    son étrange révolte qui ressemble à la soif
    et jusqu’à son dernier battement
    mon cœur lui restera fidèle

    Quelque fois il n’y a personne que la solitude
    dont l’aile immaculée tournoie
    le bourdonnement de l’été
    l’ombre des figuiers dans le vent
    les ramures qui dansent
    l’écorce friable

    Une adolescente se baigne à mes pieds
    elle connaît les sources et le goût du silence

    Tout ce qui respire
    transpire et rayonne
    tout ce qui s’agite
    qui parle et qui danse
    tout s’effacera

    Il n’est pas de prière au-delà des eaux
    et rien ne m’exauce que la création
    fébrile présence pénétrant l’instant
    comète aux dents de lumière
    charge de plaisir au rebours des nuits



    Marie Ginet, Pulsation, Éditions L’agitée, 2014, pp. 56-57-58. Préface de Dominique Sampiero.





    MARIE GINET


    Marie Ginet. 2
    Source



    ■ Marie Ginet
    sur Terres de femmes

    [Être de quelque part. Ou juste en venir] (extrait de Dans le ventre de l’Ange et autres cachettes)
    Invasion de nuages (+ notice bio-bibliographique)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Plus vaste que nous






    Retour au répertoire du numéro d’avril 2014
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Marie Ginet | Invasion de nuages




    Marseille en dérive cette pluie qui t'étreint d'où vient-elle
    Ph., G.AdC








    INVASION DE NUAGES




    Marseille haute pression
    la pluie mouille tes rues
    tes collines tes tuiles
    tes stades bleus et blancs
    tes vieilles peaux de la corniche
    tes amandiers tes grues tes abribus

    Des migrants se tassent
    dans tes entrepôts de béton perforés
    taules qui suintent gouttes à gouttes

    Des femmes gibier marchent dans tes rues
    une petite fille qui les bras tendus dans la solitude
    tourne plus vite que la terre…
    une autre qui danse au lavoir de la rue de Rome

    Marseille en dérive
    cette pluie qui t’étreint d’où vient-elle ?

    A-t-elle connu Dunkerque
    toutes fumées dehors ?

    S’est-elle levée du terrain vague,
    à la lisière de la falaise et des dunes balayées de vent ?

    Est-ce ma pluie de frontière belge qui ce matin
    mouille tes églises et les voiles de ton vieux port ?

    Le présentateur météo le prétend…
    qui raconte invasion de nuages
    survolant dans la nuit : Versailles somptueuse
    Nevers mousse lente Orcival indicible
    Valence Vallée du Rhône via le golfe du Lion

    J’épouse les gouttes d’eau
    pour agrandir ton silence humide




    Marie Ginet, Marseille terrain vague, La Revue des Archers (publication littéraire semestrielle), n° 23, décembre 2013, page 126.





    MARIE GINET


    Marie Ginet. 2
    Source



          Marie Ginet alias Ange Gabriel.e se passionne pour la poésie et pour l’oralité, et a rejoint le mouvement slam en 2001. Elle a animé des rencontres littéraires avec Bernard Noël, Charles Juliet, Salah Stétié, Valérie Rouzeau, et propose depuis septembre 2009 une émission radiophonique hebdomadaire « Les voix du slam », diffusée sur dix-huit radios du Nord de la France. En mars 2010, les éditions de l’Agitée ont publié Souffles nomades, un livre album préfacé par Jean-Pierre Siméon. Formée à l’animation d’ateliers d’écriture à l’ALEPH de Paris, elle a animé des dizaines d’ateliers auprès de détenus, de jeunes en difficulté, de retraités et de passionnés de littérature,… Elle s’attache à faire découvrir et aimer la poésie contemporaine, et encourage la création et la prise de parole par/pour toutes et tous.





    ■ Marie Ginet
    sur Terres de femmes

    [Être de quelque part. Ou juste en venir] (extrait de Dans le ventre de l’Ange et autres cachettes)
    Une scie contre les barreaux (extrait de Pulsation)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Plus vaste que nous



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Recours au poème)
    une recension de Souffles nomades de Marie Ginet, par Dominique Sorrente





    Retour au répertoire du numéro de janvier 2014
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Marie Ginet | Plus vaste que nous





    En contrebas des songes déjà s’éveillaient les moteurs
    Ph., G.AdC






    PLUS VASTE QUE NOUS




    Glisser dans le sommeil et m’en échapper
    pour demeurer là
    dans la pure et entêtante présence d’un être
    dont la voix murmurait : je suis là…


    Scruter le souffle d’un sommeil


    Dans la chambre de linge blanc
    porte numérotée
    nacelle chaude sur la nuit


    Tandis que les yeux ouverts sur l’instant
    qui se prolongeait
    j’écoutais la ville
    passage d’averse
    vent sur la vitre


    Une fontaine de douceur
    luxe de pensées lentes en manège friable
    une fontaine de douceur pour un inconnu


    Si proche fleuve sombre aux veines de la pleine nuit


    En contrebas des songes déjà
    s’éveillaient les moteurs
    et plus tard dans l’à peine montée du gris sous les rideaux noirs
    tel un chant du coq à la vibration des fatigues
    la lointaine scansion d’un marteau piqueur
    des hommes en bleu de travail
    dans le matin froid d’octobre question


    Mais nous étions là
    et tout était vaste
    plus vaste qu’octobre
    avec ses chandails
    ses langes linceul
    ses sanglots secrets


    Plus vaste que nous
    comme un fleuve en souffle
    à scruter matin.




    Marie Ginet
    poème inédit pour Terres de femmes (D.R.)





    MARIE GINET


    Marie Ginet. 2
    Source



          Marie Ginet alias Ange Gabriel.e se passionne pour la poésie et pour l’oralité, et a rejoint le mouvement slam en 2001. Elle a animé des rencontres littéraires avec Bernard Noël, Charles Juliet, Salah Stétié, Valérie Rouzeau, et propose depuis septembre 2009 une émission radiophonique hebdomadaire « Les voix du slam », diffusée sur dix-huit radios du Nord de la France. En mars 2010, les éditions de l’Agitée ont publié Souffles nomades, un livre album préfacé par Jean-Pierre Siméon. Formée à l’animation d’ateliers d’écriture à l’ALEPH de Paris, elle a animé des dizaines d’ateliers auprès de détenus, de jeunes en difficulté, de retraités et de passionnés de littérature,… Elle s’attache à faire découvrir et aimer la poésie contemporaine, et encourage la création et la prise de parole par/pour toutes et tous.





    ■ Marie Ginet
    sur Terres de femmes

    [Être de quelque part. Ou juste en venir] (extrait de Dans le ventre de l’Ange et autres cachettes)
    Invasion de nuages
    Une scie contre les barreaux (extrait de Pulsation)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Recours au poème)
    une recension de Souffles nomades de Marie Ginet, par Dominique Sorrente





    Retour au répertoire du numéro de janvier 2013
    Retour au Sommaire de l’anthologie poétique Terres de femmes
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes