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Marie-Hélène Prouteau | [Monde des limbes pris dans les houles]
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Marie-Hélène Prouteau |
Philippe Mathy, l’ombre portée de la mélancolieChroniques de femmes – EDITO
Chronique de Marie-Hélène Prouteau
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Marie-Hélène Prouteau |
Cécile Guivarch, mots et mémoire en doubleChroniques de femmes – EDITO
Chronique de Marie-Hélène Prouteau
CÉCILE GUIVARCH : MOTS ET MÉMOIRE EN DOUBLE
Une dimension frappe dans l’écriture de Cécile Guivarch : c’est cette langue double, français et espagnol, qui fait irruption au fil des pages de ses recueils, de leurs titres et des exergues. Cet agencement verbal fluide se fait naturellement, rien d’étonnant à cela. Entre une mère espagnole et un père français, Cécile Guivarch a, dès l’enfance, été habituée à vivre entre deux langues, à retrouver « l’autre » pays lors des grandes vacances. Au fondement de sa sensibilité, cette curiosité pour un vécu langagier déroutant, hésitant — les maladresses de prononciation sont bien là —, et stimulant tout à la fois :
« Je ne sais pas vraiment rouler les R. Je mets les accents aux mauvais endroits […] Ma langue n’est pas celle de ma mère. Ma langue n’est pas maternelle. Ma langue est paternelle ».
Expérience fortement ancrée d’un écart, aussi bien langagier que spatial, entre deux cultures, entre deux lieux, qui va ouvrir en elle un imaginaire fécond pour la rêverie et la poésie. Les recueils Un petit peu d’herbe et des bruits d’amour, Sans Abuelo Petite, S’il existe des fleurs sont traversés par cette dualité de lieux où la conscience trouve éveil. Jusqu’à créer un sentiment d’étrangeté chez la « petite fille aux questions »…
C’est la scène réitérée de l’enfant auprès de sa mère qui est le moment premier de cet envol sensible :
« Chaque fois que ma mère parle au petit-déjeuner je suis en Espagne. Ma mère parle toujours de là-bas. Et quand elle est là-bas elle parle d’ici en disant là-bas ».
S’y rajoute la fierté d’avoir une mère que les copains de l’école appellent l’Espagnole. L’enfant s’amuse même des défauts de prononciation de sa mère qui déforme les mots coulotte ou guedasses.
Avec les cousins retrouvés aux vacances qui parlent galicien, elle ressent la barrière de la langue. Certes, passées les Pyrénées, la « frontière invisible » est bien là mais, des deux « côtés » de celle-ci, Cécile Guivarch éprouve le même éveil des sens et de la beauté qui va miroiter en elle. Et la certitude d’appartenir à une même lignée. Magnifiquement illustrée dans la scène imaginée avec l’aïeule dans Renée en elle. Celle-ci, morte en 1817, lui parle en breton, l’obstacle entre elles semble total. Et pourtant :
« Il lui faut aussi apprendre ma langue que nous puissions nous comprendre. Cela me demande aussi un grand effort de déchiffrer ses phrases ».
Étonnant rapport d’amour entre des êtres qui ont vécu à deux siècles de distance qui vont finir par se parler, par retrouver les mots empêchés, enfouis dans l’histoire familiale. Ceux de « la langue venue des ancêtres ». Si cette altérité est chez Cécile Guivarch le rapport premier au monde, elle n’est pas vécue sur un mode déchirant. C’est pour la poète un déclencheur : ce qui nourrit une vraie passion de l’autre, de sa langue, de ses douleurs, de son destin.
La complicité à l’œuvre en imagination entre une petite-fille toute à l’écoute et son aïeule se rejoue pareillement avec le grand-père qu’elle n’a jamais connu non plus et qui a quitté l’Espagne pour Cuba dans des circonstances troubles. Un secret de famille. La formule qui interdit à l’enfant l’échange imaginaire avec lui est une trouvaille grammaticale qui bouscule superbement les pronoms :
« On me dit de te taire.Comment puis-je te faire cesser de me parler […]Tu me coulais dans le corps avant même ma naissance ».
Cette forme quasi magique de l’in-corporation d’êtres fantômes dans le moi, le lecteur l’entend dans le texte. Jusque dans la coulée en abyme de bribes de littérature : « Connais-tu les grands cimetières sous la lune ? ». C’est le pouvoir du langage poétique de faire revenir les morts, les oubliés emportés dans les drames de la vie et de l’Histoire.
Spontanément, dans la soudaineté de l’instant, semble fuser la langue de l’origine, celle transmise par la mère, par la grand-mère, la langue espagnole :
« Se muere quien quiere libertad ».
Phénomène de surgissement de l’« autre langue » : comme si celle-ci débordait, se déployait sur la page en français, à peine recadrée par une note de traduction en bas de page — « Se meurt celui qui veut la liberté ».
Déclinaison de la mémoire perdue
Cette expérience de l’altérité langagière est intimement liée à la quête de la mémoire chez Cécile Guivarch. Mémoire meurtrie, enfouie dans l’usage familial où l’on ne parlait ni de l’aïeule devenue folle de désespoir ni du grand-père ayant quitté la jeune mère enceinte. Ce legs de silence, Cécile Guivarch s’en saisit. Elle travaille les données arides des archives du Finistère pour les métamorphoser en matériau poétique. Reconstitue le chemin de souffrances de Renée, sur fond de misère et de sang, de perte des enfants à la naissance. Tant est forte la certitude qu’un accord profond la lie à l’aïeule. Authentique revenance.
Quant à la mémoire douloureuse de son héritage espagnol, il a, pour la poète, un nom précis : « les disparus ». Ce mot désignant les victimes de disparitions forcées dans la guerre civile et peut-être plus intimement ses disparus. Il revient en leitmotiv de recueil en recueil, rappel du destin tragique des personnes réprimées sous le franquisme. Il accompagne le lamento des mères dont les fils ont été fusillés :
« Ce seront toujours des enfants,toujours, même avectrente balles dans le corps ».
Dans la tête de Cécile Guivarch, trop jeune pour avoir connu la Guerre civile, des flashs, quasi surréalistes, font surgir des images d’hommes en armes :
« Ils ont aux piedsles restes de la guerre ».
Histoire encore à vif transmise par chaque génération. Les images de réfugiés, de la Retirada, de familles forcées à passer la frontière, avec pour seul bien quelques valises, ont la simplicité et la beauté des photographies de Gerda Taro, longtemps oubliée de l’histoire elle aussi. En noir et blanc passent des enfants dans les villages, des hommes et des femmes travaillant aux champs. Comme si, en mettant ses pas dans ceux de cet abuelo et de ces parents espagnols, Cécile Guivarch vivait ces moments où elle n’était pas née en même temps que la saveur douce des vacances là-bas. Le regard qu’elle porte sur ces gens est magnifique, plein de tendresse, de tendresse triste. Mais toujours cette douleur est tenue à distance. La mort est très présente. Pas question de s’y laisser enfermer. Et puis il y a ces jeux d’ombres et de lumière qu’elle fait naître des souvenirs de vacances, pleins de saveurs sensorielles, arbres, sourires, jeux de plage :
« Mon abuela joue aux cartes espagnoles avec moi. Ma grand-mère n’aime pas perdre ».
Si, dans sa double langue, la poète se sent chez elle, heureuse, à l’opposé le lien à la mémoire se colore des teintes sombres de l’absence et de la perte. Cécile Guivarch est celle qui a une dette envers ses morts. Le poème prend la forme d’un appel intérieur à ressusciter l’histoire de tous ceux qui lui tiennent à cœur :
« Je ressasse sans cesse l’histoirequ’on avait crue enfouieelle remonte et déborde »
Il est le lieu où l’identité double se réconcilie. Comme le précise la dédicace du recueil Un petit peu d’herbe et de bruits d’amour : « à ma mère/ à la grande famille de ma mère/à l’Espagne, là-bas ». L’appartenance fière aussi à la grande famille espagnole des artistes réprimés sous le franquisme, comme le montre la citation finale de Federico García Lorca qui clôt ce recueil.
Cet élan donne à Cécile Guivarch sa sensibilité plus vaste aux « guerres de partout dans le monde / Au quotidien sang, armes, exil. »
Dans cet entre-deux, c’est le poème qui, en des mots simples, assure une sorte d’ancrage révélateur de tous les possibles. Le superbe final du recueil S’il existe des fleurs est hautement symbolique :
« au milieu de nulle partdeux enfants l’un près de l’autreconservent sous leurs onglesles graines de la terre ».
Vision de deux, unifiée, harmonieuse, surgie de la lyrique même du poème.
Marie-Hélène Prouteau
pour Terres de femmes
D.R. Texte Marie-Hélène Prouteau
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Marie-Josée Christien, Affolement du sang
par Marie-Hélène ProuteauMarie-Josée Christien, Affolement du sang,
éditions Al Manar, collection Poésie, 2019.
Encres d’André Guenoun.
Lecture de Marie-Hélène Prouteau
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Jacqueline Saint-Jean ou l’aventure d’être au monde en poésie
par Marie-Hélène ProuteauJACQUELINE SAINT-JEAN OU L’AVENTURE D’ÊTRE AU MONDE EN POÉSIE
Depuis plus d’une quarantaine d’années, Jacqueline Saint-Jean a écrit une œuvre poétique marquante, une trentaine de recueils aux éditions Encres vives, Le Castor astral, Rafaël de Surtis, Alcyone, La Canopée, Le Dé bleu dont des livres pour la jeunesse et plusieurs livres d’artistes. Sans oublier ses textes publiés dans de nombreux ouvrages collectifs et anthologies. Cet ensemble créatif ne va pas sans un engagement profond pour l’action poétique qu’elle a menée dans diverses revues – membre du comité de rédaction d’Encres vives, co-fondatrice et rédactrice jusqu’en 2009 de Rivaginaires. Pour le recueil Chemins de bord, elle a reçu en 1999 le prix Max-Pol Fouchet. Et pour l’ensemble de son œuvre le prix Xavier Grall lui a été attribué en 2007.
« Je cherche à ma manière, dit-elle dans une interview à la revue Spered Gouez, à ouvrir ma perception du dehors, à accueillir l’imprévu, à sonder le cosmos intime, les forces obscures de la vie… à relier l’espace et le temps, la naissance et la mort, le clair et l’obscur, le pétrifié et le mouvant, le « souffle et la forme », selon la formule de Philippe Jaccottet » 1.
Cette dimension de l’imaginaire est au cœur de son écriture poétique. Être au monde, être en poésie : une même expérience chez Jacqueline Saint-Jean. L’œuvre gravite autour de cette exigence.
Et l’écriture se fixe sur la tension et le chevauchement des oppositions qui nous font passer du sensible au spirituel, comme dans Bleu de l’oubli :
« Mots chuchotésbouche contre nuitencoches contre murau parloir des ombresils attendent le bord du jourébloui d’espace ».
Pour sa recherche intérieure, la poète accueille l’expérience privilégiée de la nuit, de l’ombre. Occurrence étonnante du mot qui se trouve dans les titres eux-mêmes, « L’ombre des gestes », « Brasier des ombres » et irrigue nombre de ses poèmes. Foncièrement ambiguë, telle est l’ombre. Moment de haute tension, elle englobe la fin du jour, l’obscur, la nuit. « L’enfant brûlant s’enfouit sous les grandes robes d’ombre ». Elle désigne aussi les êtres qui la peuplent.
Intrusion associée à la Bête tapie dans le noir de l’enfance, elle conjugue la menace. L’imaginaire du conte s’y mêle. Une part de soi est en vigilance et en rêverie. L’ombre peut au contraire signifier l’élan vital qui se relance : « Renaître, dis-tu, de l’ombre même/de la dernière mue ». Elle est le théâtre où passent en silence de fugaces présences d’hier en un « diaporama voilé des visages ». Cette emprise de l’ombre n’est pas sans évoquer le poète Roberto Juarroz dont Jacqueline Saint-Jean admire la poésie.
On lit ces vers qui, d’un recueil à l’autre, se font écho. Dans Solstice du silence :
« quelqu’un sur le bord s’unit à la nuit ».
Dans Visages mouvants :
« Quelqu’un se tenait dans le noirfrère friable murmurantdans la gravitation secrète des images ».
L’inconscient s’invite. L’ombre est ainsi féconde, favorise le rêve qui traverse chacun des recueils. Elle suscite les visions, telle la couleur rouge récurrente, ainsi « le sang des cerises » évoquant la bouche de l’enfant-sphinx. Son antithèse, la lumière, est évoquée dans deux recueils, Lumière de neige et Au clair d’octobre.
Le fil tendu entre ombre et lumière nous convie à un itinéraire existentiel, celui des mégalithes celtiques de Newgrange qui nous parlent du voyage de l’énergie de l’univers jusqu’au solstice. Ainsi, dans De Brú Na Bóinne :
« Vieux rêve de revivreisthme de lumièreoù se croisentles vivants et les morts ».
Itinéraire des chemins de bord de Bretagne, sa terre d’origine, dont la leçon n’est pas différente : « un alphabet de sable et de sel » dépose des signes où « la vie renaît et s’illumine ». Ce paysage mental s’enracine dans l’enfance, véritable matrice sensible (pierres, algues, « grimoire des marées »), mais aussi affective et spirituelle. Grâce au regard poétique et à son pouvoir, ce paysage s’affranchit de sa matérialité et de sa singularité d’origine. Il en vient à dessiner un rapport au monde essentiel, capable de saisir en surimpression d’autres géologies primordiales, Haut-Atlas, Pyrénées où vit la poète. La part du mystère entrevu met de plain-pied avec des fragments de l’aventure humaine. Qu’il s’agisse de l’un ou l’autre lieu, le paysage est exempt du moindre pittoresque. Intériorisé, il se dilate. Dès lors, « le pétrifié et le mouvant » convoquent des images qui associent la fixité archaïque (fossiles, cairn, grottes) à la fluidité et à l’éphémère, marins le plus souvent. Les contraires s’abolissent en une superbe illumination rimbaldienne dans Solstice du silence :
« La montagne qui flotteen vagues bleuesdans l’eau du ciel »
Les êtres qui traversent le monde de Jacqueline Saint-Jean restent souvent dans l’insaisissable, l’indéfini. Le lecteur passe du « on » à « quelqu’un », à « il » ou « elle » qui désignent rarement une personne précise. Les catégories flottent : le lecteur est ainsi pris dans un mouvement d’incertitude. Qui passe et marche là ? Femmes de l’Atlas, « enfants seuls dans les cendres », le promeneur de haute mémoire, le marcheur du sentier, l’enfant-sphinx, « la fugitive » ? L’identité vacille. Visages mouvants, le titre de ce recueil est éclairant. Dans ce monde en mouvement où s’entrelacent ombre et lumière, des personnages semblent envahir Jacqueline Saint-Jean dans un grand remuement d’être.
Cette pensée de la perte des repères prend souvent la forme du labyrinthe, de la dérive. « Dérive égarée de l’histoire », « terrasses dévastées de l’histoire » : cette dernière et ses tollés s’invitent parfois en flash-back des temps de la guerre.
Dans la rêverie éveillée le moi se tisse de présences qui, toujours, le débordent. Ainsi, dans Visages mouvants :
« Je te retrouve voyageuse aux yeux vaguesVisage de patience sur fond de terre rougeLes traits tirés dans les détroits du tempsLà-bas l’Atlas a des mauves de songeEt tu parles en toutes languesDe trains interminables qui remontent ».
Le « je » est peu présent. Pas d’épanchement qui chanterait l’amour, le bonheur amoureux. La poésie de Jacqueline Saint-Jean a peu à voir avec une poésie de l’intime. Si elle parle des êtres chers disparus, du temps qui passe, c’est à sa manière, impersonnelle, sans effusion. Comme dans Solstice du silence :
« De jour en jour on avancedans la forêt blanchedes disparitions ».
La poète se tient sur ce « Chemin de bord », où l’être se perd entre « je » et « l’autre », dans une identité fluctuante qui revient parfois à la source première d’un vécu d’enfant dans les ruines de la guerre :
« Poupée de maïsQuelqu’un dans les décombres demande en silencePitié pour la lumière ».
Et cette création étonnante de Jelle et les mots, « je » plus « elle » devient celle qui accueille les mémoires de tant d’âges et d’êtres vivant en nous tous. Et singulièrement en la poète qui s’efface, cesse de vivre sur le mode de l’existence séparée. Jelle, sorte de figure gigogne intemporelle qui fait penser à la « Dame de Saint-Sernin ». La porteuse de signes en quête de mots, archaïque, mystérieuse :
« Jelle est d’un âge immenseElle porte en elle les silex et les soiesles feux et les fables »
Ainsi la poésie de Jacqueline Saint-Jean se nourrit d’une double postulation. L’une sensitive, ouverte aux topographies tangibles, tous sens dehors, l’autre méditative et réflexive menant un dialogue avec le monde. Cette tension fait la singularité d’une parole poétique de haute densité. La poète fait sien le propos de Lorand Gaspar : « Le travail sur la langue est un travail sur soi » 2. Exigence éthique des plus élevées, telle est la visée de la poésie à ses yeux. Son trajet d’écriture est accompagné par les poètes Rilke, Reverdy, Guillevic, René Char, Octavio Paz, Claude Esteban, Adonis, Gérard Macé… Il se vivifie autant de la lecture des philosophes Gaston Bachelard, Gilbert Durand, Mikel Dufrenne. Au cœur du sujet poétique qui regarde le monde, comme en chaque être, se tient un philosophe qui retrouve l’esprit et la liberté de l’enfance chers à Nietzsche. Sans surplomb. Il y a dans ses vers une tendresse pour le mot « syllabe », pour sa magie qui ravive la merveille première de l’enfant déchiffrant les mots du monde. C’est le même questionnement qui revient en leitmotiv d’un recueil à l’autre. Dans Chemins de bord :
« On cherche un mot, comme une arche, où passerait le fleuve.Un mot, un lit profond, syllabe de limon, languePour relier la source à l’estuaire ».
Dans Jelle et les mots :
« Elle cherche un mot un mât une amarrepour arrêter la dérive des mondes ».
Dans « Sourdine du soir », titre de la seconde section de Solstice du silence, le beau mot de sourdine m’a arrêtée. Il m’a semblé résumer à lui seul l’unité musicale de toute l’œuvre en suggérant le timbre d’une voix singulière qui nous parvient, assourdie, du grand mystère du monde. Une voix épurée qui irrigue en profondeur les poèmes. L’écriture de Jacqueline Saint-Jean est une expérience de la sourdine, porteuse d’une haute exigence poétique autant qu’éthique.
Marie-Hélène Prouteau (mai 2019)
D.R. Texte Marie-Hélène Prouteau
pour Terres de femmes
________________________
1. Revue Spered Gouez, Jacqueline Saint-Jean entre sable et neige, collection Parcours, 2017. Anthologie, entretien et approches. Textes de Marie-Josée Christien, Bruno Geneste, Jacques Ancet, Silvaine Arabo, Paul Sanda, Michel Baglin…
2. Cité dans la revue Spered Gouez.
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Marie-Hélène Prouteau, Le cœur est une place forte
par Angèle PaoliMarie-Hélène Prouteau, Le cœur est une place forte,
éditions La Part Commune, 2019.
Préface de Dominique Sampiero.
Lecture d’Angèle Paoli
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Dominique Sampiero, Où vont les robes la nuit
par Marie-Hélène ProuteauDominique Sampiero, Où vont les robes la nuit,
éditions la Boucherie littéraire, Collection Sur le billot, 2018.
Prix CoPo 2019.
Lecture de Marie-Hélène Prouteau
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Jean-François Mathé, Prendre et perdre
par Marie-Hélène ProuteauJean-François Mathé, Prendre et perdre,
éditions Rougerie, 2018.
Lecture de Marie-Hélène Prouteau« ÊTRE DANS CE QUI S’EN VA »
Avec Prendre et perdre, Jean-François Mathé interroge la vie qui se défait, qui échappe. Le titre est hautement significatif. Deux verbes nus, à l’infinitif, alliant le geste d’action et celui de la privation. La préhension et le dessaisissement, d’un même mouvement. Voilà qui installe la dissonance au cœur de l’être. L’exergue, une citation d’Anise Koltz, « Marcher sans rien atteindre jusqu’à devenir chemin », vient affermir cette tonalité.
C’est d’amenuisement de la vie qu’il est question dans ce recueil.
« On passe la journée sans la vivre. »
Une vie fatiguée qui, peu à peu, s’étrécit. L’expression « la vie en fuite » revient dans plusieurs vers.
« […] il n’est ni rêve en tes nuits qui passentni lumière dans ta lampe allumée. »
La parole du poète se confronte à l’ombre portée de la mort et à celle de la vie qui s’éloigne. Ce peut être « [U]n reste de lumière ». Ou ces nombreux signes de la disparition qui l’accompagnent au quotidien. Telles les multiples expressions de la négation, « sans », « ne plus », « rien ». Ou les mots « manque », « vide » présents à chaque page. Le monde se capte dans un langage de la disparition.
« Plus aucun appel de ce que tu avais pris d’une voix. »
ou la venue de la mort dans le sommeil avec cette image :
« Comme une barque avec la mort à son bord. »
L’usage fréquent de l’imparfait fait magnifiquement ressortir l’élan, la force vive d’autrefois du poète. Mais aussi l’écart avec le présent :
« Quand le souffle te manquait, le remplaçaitl’indestructible volonté d’atteindre le sommetde la montagne » .
Toujours chez le poète, l’évocation de choses simples se déploie avec une grande économie de moyens. Ainsi en est-il des images :
« Quand l’arbre qui était en automneest désormais en toi ? »
Le recueil constitué de trois parties « Vivre au bord », « Passages entre chien et loup », « Débuts de dénouements » est marqué par une oscillation entre la solitude, l’ennui des jours, et les souvenirs de moments heureux. Plusieurs poèmes sont dédiés à des personnes amies, poètes et créateurs. Irène Duboeuf, Cécile A. Holdban, Isabelle Lévesque, Marie-Josée Christien, Jean-François Agostini, Hervé Martin, Jean-Louis Guitard, Florence Saint-Roch, Lucien Wasselin, Jan dau Melhau, Nicole. Peu de mots et tout un monde :
« Nous aimions regarder le ciel clair de l’été. »
Quelques vers suffisent à évoquer la compagnie de l’ami au bord de la Méditerranée. Ou pour rappeler la présence de la femme aimée. Une simple métonymie, la robe, le corps. Concision et épure de la mémoire. C’est là que l’imparfait donne toute sa mesure. Regard de triste tendresse sur un bonheur de mélancolie, comme dans un film de Claude Sautet :
« On avait versé du café dans les tasseset dans chacune maintenanttremblait un îlot de nuitque tu regardaiscomme quand tu attends les étoilesdans tes ciels nocturnes.Les autres riaient hautforts de la force de midiet de l’immortalité qu’ils croyaient y puiser. »
Comment dire ce qui vient à manquer ? Comment dire ce qui est perdu ?
Que sont devenus les signes du bonheur ? Point d’amertume pourtant, il ne s’agit pas de vouloir qu’ils soient là à nouveau. Mais il s’agit plutôt de demeurer dans un certain attachement à ce qui est perdu. La mélancolie traverse les vers. Les choses sont ainsi, nous n’y pouvons rien :
« Il n’y a malheureusement pas de nuitpour masquer les cheminsque l’on ne prendra plus. »
Le sentiment de la perte inéluctable qui nous attend est présent mais tenu à distance. C’est ce regard lucide, sans pathos, tout de retenue qui est révélateur. Le jeu subtil sur les pronoms, « tu », « nous », vient dire par le menu cette identité fluctuante. Et nous ramène à notre destin commun à tous.
Le paysage mental est restitué avec une grande sobriété. L’arbre. Le jardin. La maison, parfois vidée de ses hôtes.
Les tollés du monde ne disparaissent pas, pour autant :
« les nuits les plus noires maculées de la boue de nos rêves. »
La présence des oiseaux est là comme la basse continue de ce chant. Incarnation vivante, ailée de la vie, ils traversent le poème. Deviennent « ciseaux tendres qui ne se ferment que pour s’ouvrir ». Ils font contrepoint à la mort de l’enfant d’amis du poète. Ou à sa présentation en « Icare déplumé ».
Il s’agit d’apprendre « à vivre légèrement appuyés à la mort », dit Jean-François Mathé. D’entrer en résonance avec ce qui est de l’ordre de la privation. Avec la vie qui, peu à peu, déserte. Mais rien de neuf ici sous le soleil, c’est le lot commun à tous.
Le poète choisit ainsi d’éviter tout éclat, tout débordement lyrique. Élégance et pudeur, tout est là. Pour une mélopée à voix basse.
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Denis Heudré, sèmes semés
par Marie-Hélène ProuteauDenis Heudré, sèmes semés,
Éditions Sauvages, Collection Ecriterres, 2016.
Présentation de Bernard Berrou.
Lecture de Marie-Hélène ProuteauVoici un recueil dont le beau titre, sèmes semés, est, dès l’abord, promesse de lecture heureuse. L’auteur est le poète Denis Heudré, déjà publié aux éditions La Porte et La Sirène étoilée, présent dans plusieurs revues : Décharge, Spered Gouez, Terre à ciel. Un recueil édité par les Éditions Sauvages, dans la collection Ecriterres, créée en hommage au poète critique et peintre Paul Quéré en 2015-2016. Le prix Paul-Quéré a été attribué à Denis Heudré la même année.
Je lis ce recueil, ma main tourne les pages. J’ai l’impression de contempler les images d’un kaléidoscope, de retrouver la joie magique de ce jouet d’enfance qui produit d’infinies variations qui se divisent et se multiplient. Quatre chants pour quatre saisons célébrant la pulsation sensible de la vie :
printemps / rouge-gorgélèvres indécises / d’un étél’automne de ses mains / enflamméesun hiver à découdre / les ombres
Où défile la fluidité d’instants propres à chaque saison, quand passe la rumeur du vivant dans les branches des arbres, dans les mouvements du vent, dans les gestes de jeunes filles à la ville, dans les pas d’hommes de la terre, jardinier ou paysan.
Le recueil est construit de façon très maîtrisée, dans le déroulé des quarante poèmes qui se déploient selon la force des saisons. Chaque poème est un bloc homogène sur fond de page blanche, constitué de 6 à 7 vers de même longueur, tous arrêtés par une barre oblique (slash en anglais) :
« corbeaux bafouant les semailles / l’encre des oiseaux dessine au ciel un vol de mélancolie / d’un tel printemps recueillir le sentiment des pierres des fleurs de la main du jardinier / terre unique et mère aimante / de toutes ses fleurs la nature n’a pas de préférence »
La marque singulière de ce recueil, c’est cette barre oblique, étonnante trouvaille qui fait sens dans le dispositif. Bout de sillon labouré, bout de ligne ou de vers, on ne sait. Et, selon qu’on s’y arrête plus ou moins longtemps, on est dans la scansion d’un vers ou dans le continu d’une prose. Il y a ainsi, dans cet entre-deux de l’écriture, le sentiment du flux même de la vie qui file son énergie dans ses ébauches tremblées. Indissociable du grain de la voix du poète en état de veille devant ces signes multiples, éclosions merveilleuses, sensations, vibrations du plus simple :
« l’été a choisi un fil de couleur (on habille bien les paupières avec de la couleur) / et de senteurs / les cerises nées de la fleur / les pommes nées de la fleur / en les goûtant je regrette leurs pétales au vent »
À vrai dire, ce recueil, par son agencement matériel et verbal, par le timbre de cette voix, offre un plein bonheur sensuel. Qui tient ensemble la terre et les étoiles, le rivage de la mer et les pieds nus sur le sable, les graines qu’on sème comme les mots. Le chant tâtonne, se reboucle, déploie ses figures captées dans la mouvance. J’aime l’inventivité verbale manifeste dans l’audace des néologismes : « le vieux talus jonquillant le printemps », « le soleil se fait décembre » ou « la mer s’équinoxe en son atelier des colères pour quelques bretons semeurs de mers ».
Nous sommes en Bretagne, quelque part, on n’en saura pas plus, dans une campagne et une ville non nommées. Denis Heudré, qui a réalisé les trois illustrations du recueil, est attentif aux couleurs dans le choix de ses images « l’encre des oiseaux » ou « il a tellement bruiné que les goélands n’ont plus assez de larmes pour apprécier ce bleu ». Ou quand les éclats de soleil lui font penser aux joyeux coloriages de l’enfant débordant de leur ligne.
La présence humaine est suggérée, avec une grande économie de moyens, souvent dans la métonymie qui fait rêver : « un violon s’échappera parmi les siestes comme un trait tiré sur l’horizon » ou « le vent dégueule ses morts dans les recoins ».
Le poète, lui, se tient plutôt en retrait, « je » discret, dans un rapport intime aux paysages traversés :
« quelques humains fatigués se cachent de leur propre froidure / j’en viens à semer quelques gouttes de ciel pour en faire des nuages »
Au cœur du regard de Denis Heudré, le titre en atteste, l’essentiel tient au jeu du symbolique entre les sèmes et les graines. Par leur étymologie, par leur petitesse, les unités linguistiques minimales font signe du côté des semences. La nature et l’écriture échangent leurs signes respectifs : « à semer on écrit aussi ». Il y là un tressage omniprésent dans le recueil ; la nature est un ensemble de signes qu’il s’agit pour le poète de déchiffrer comme une poussée de sève. De l’autre, les mots du poème, éclos dans le silence d’une autre germination, sont matériau langagier que le poète peut ensemencer de sa vive parole :
« que peut-il bien semer au-dessus des vagues fatiguées »
La quête de la langue épouse, pour le poète, celle des signes de cette poussée au dehors, flottante, créatrice. Et, à certains moments, le vers s’ouvre à une méditation intemporelle du visible, une sorte d’animisme poétique où la terre devient « le dieu de nos dieux ». Voire s’élargit à une inquiétude sur le présent et l’avenir qui rappelle celle d’Élégie de Lampedusa :
« que nos enfants puissent demeurer ainsi dans notre chance »
La dernière page, en prose poétique, s’amplifie en une sorte de final dédié à la terre, « compagne prévenante » :
« Tant que les hommes auront des mots à échanger, la terre pourra poursuivre sa chanson dans le silence d’un cosmos bienveillant ».
Contre la déroute possible de l’humain, l’acquiescement au monde suppose de sauver d’un même mouvement les graines et les mots, nous dit le poète Denis Heudré.
Ce beau recueil a la grâce d’un Chant de la terre.
Marie-Hélène Prouteau
D.R. Marie-Hélène Prouteau
pour Terres de femmes
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