Étiquette : Marilyne Bertoncini


  • Anne-Marie Zucchelli | [Sûrement un ciel s’éveille dans mes yeux]


    [SÛREMENT UN CIEL S’ÉVEILLE DANS MES YEUX]




    Sûrement un ciel s’éveille dans mes yeux
    quand mes yeux s’ouvrent.
    Et ce ciel élève au-dessus du jardin
    les cartes de territoires
    tous inconnus.


    Di certo un cielo si sveglia nei miei occhi
    quando si aprono.
    E questo cielo, sopra il giardino, alza
    mappe di territori
    totalmente sconosciuti.




    ***



    L’heure la plus haute
    improvise un refrain
    et nous métamorphose
    en pulsations.
    Nous voilà traversés,
    rendus à notre densité.

    Ainsi, les deux notes chantées par un oiseau
    remuent dans l’air la matière.


    L’ora più alta
    improvisa un ritornello
    e ci trasforma
    in pulsazioni.
    Eccoci attraversati,
    tornati alla nostra densità.

    Così, le due note cantate da un uccello
    muovono nell’aria la materia.




    ***



    Une pie tourne sur le toit.
    Elle jacasse en haut du cerisier.
    Cris et bonds
    Portent les nouvelles du monde.

    Je crie aussi

    et

    je

    m’envole.


    Una gazza gira sul tetto.
    strida in cima al ciliegio.
    Gridi e salti
    portano le notizie del mondo.

    Grido anch’io

    e

    volo

    via.



    Anne-Marie Zucchelli, « Mouvements », Espace d’un instant | Nello spazio di un istante, éditions Pourquoi viens-tu si tard ?, Collection Poésie n°30, 2020, pp. 52, 53, 56, 57, 58, 59. Traduction en italien : Marilyne Bertoncini. Textes et photos : Anne-Marie Zucchelli.





    Anne-Marie Zucchelli 2



    ANNE-MARIE ZUCCHELLI






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  • Marilyne Bertoncini, La Noyée d’Onagawa

    par Angèle Paoli

    Marilyne Bertoncini, La Noyée d’Onagawa
    Jacques André éditeur, collection Poésie XXI N° 58,
    2020. Préface de Xavier Bordes.



    Lecture d’Angèle Paoli


    L’AMOUR PLUS FORT QUE LA MORT ?





    Le petit port de pêche d’Onagawa porte secrètement en lui, dans l’arrondi d’une voyelle, les eaux furibondes qui l’ont anéanti. Les eaux d’Onagawa. Onagawa celait pourtant en elle les promesses du printemps même si les derniers signes de l’hiver hésitaient encore à se dissoudre dans les brumes.

    Les signes avant-coureurs de la féerie printanière couvent. Le chant d’Onagawa rythme le premier poème. On pourrait se laisser prendre par la beauté de ces images évocatrices du Japon traditionnel si le titre du recueil de Marilyne Bertoncini – La Noyée d’Onagawa – ne venait faire obstacle à l’apparente sérénité de ces images millénaires. Dès la deuxième page de titre (celle qui précède la page d’incipit), l’éventuelle ambiguïté est levée, la poète annonçant qu’il s’agit là d’une « rêverie poétique inspirée d’une dépêche de l’AFP. »

    Le réel va donc faire irruption. Comment la poète va-t-elle parvenir à concilier ce que tout oppose ? Sous le beau chant initial d’Onagawa va poindre La Catastrophe. Parmi les milliers de morts emportés par le tsunami, Marilyne Bertoncini exhume l’ombre de Yuko. L’inconnue d’hier rassemble dans sa silhouette fugace tous les noyés d’Onagawa. Elle devient la figure mythique de la tragédie. La roue vient de tourner. Les prémices du printemps sont brutalement englouties sous les coups de butoir du séisme. Un séisme d’une telle violence qu’il déclenche le même jour la catastrophe nucléaire de Fukushima. Le monstre Océan en furie avale tout sur son passage.

    La poète s’attache à reconstituer le fil des événements, mettant en relief les faits et les moments les plus marquants. Un récit prend forme dans une temporalité anéantie, laquelle fait passer de la vie à la mort en un temps foudroyant ; la rêverie de la poète réunit temps et espace stratifiés pour l’éternité dans une même coquille. Un rapide retour en arrière sur elle-même lui permet de se remémorer ce que fut pour elle cette journée-là. Quels en furent les jalons depuis le jour naissant jusqu’à la fin du jour ? Son œil de photographe/cinéaste s’arrête sur les lignes, opère un cadrage sur les formes. Au « triangle des grues dans leur vol printanier » d’Onagawa répondent « les grues avant la gare » qui « engloutissent/le ciel » de Villefranche. À cet autre vers concernant Onagawa – « et l’attente rose des pétales fleurissait les nuages » – répond en simultané « une petite chaîne de nuages gris-bleu à l’horizon d’où suinte l’ocre-rose du matin ». Des correspondances très fines s’établissent d’un bout du monde à l’autre. On pourrait relever bien d’autres exemples qui se font écho aux extrémités du globe. Bruits et rumeurs, couleurs et lumière, oiseaux et flore… Le regard clairvoyant de la poète s’attache aux moindres détails qui habitent l’instant. Le temps s’écoule sur la Côte d’Azur et porte en lui les signes d’un obstacle. « Les barres d’immeubles », et tout ce qui alentour contribue à engloutir le ciel, sont-ils la marque insoupçonnée de ce qui se produit au même instant de l’autre côté de l’océan ?

    Si je m’attarde autant sur ce poème (qui met en évidence une concomitance temporelle – le temps de la poète et celui de la « noyée d’Onagawa »), c’est que cette réflexion sur le temps se coule à merveille dans ma propre sensibilité. Elle me renvoie notamment au très beau roman de Laurent Mauvignier Autour du monde. Même si le traitement diffère – mais aussi l’écriture –, je ne peux m’empêcher de me poser à nouveau la question du « où étions-nous ce jour-là ? » « Que faisions-nous ? » Mais aussi : « Comment rendre compte de cette concomitance ? Comment la dire ? Et quelle nécessité y a-t-il à la dire ? ».

    Sans nul doute, la poète a été durement ébranlée par le récit de cette tragédie. Traumatisée peut-être. D’où la nécessité pour elle de s’approprier celle-ci par l’écriture. D’accueillir dans son cimetière intérieur Yuko et ses semblables. De l’intérioriser. En réintégrant les étapes du récit qui la constituent. Car il y a un récit dans cette « rêverie poétique ». Un récit qui s’appuie sur des faits inexorables.

    Ainsi La Catastrophe d’Onagawa s’inscrit-elle dans une réalité géographique dénommée avec soin : « un petit port de pêche sur la côte orientale /du Japon – préfecture de Miyagi… ». Elle s’inscrit aussi dans une temporalité précise. « C’était un vendredi, ce onze mars 2011… ». En un moment chronométriquement identifié : « 14h46 minutes 23 secondes. » Plus loin est indiquée nommément la force du « séisme d’intensité neuf point un sur l’échelle de Richter ». Vient aussi l’ultime message que Yuko adresse à son mari depuis son téléphone portable. Message de terreur devant la mort qui arrive au galop et qui tient en deux mots : « Tsunami énorme ». Un portable « relique » qui parvient à son mari trois ans après le raz-de-marée ; « une moderne/bouteille à la mer », rescapée du naufrage. Tout ce qui subsiste de Yuko dont l’histoire est comme le dernier témoignage de tant d’autres disparitions anonymes, englouties et anéanties sans laisser de traces autres que celles de décombres mêlés aux décombres. Dans son avidité monstrueuse, la mer tentaculaire a tout arraché sur son passage, elle a fusionné les éléments, les a broyés et malaxés pour en faire une pâte immonde. Plus rien n’a de forme. Tout est sens dessus dessous. Le chaos règne en maitre :

    « plus rien ne distingue

    fluide vivant ou minéral ».

    De ce bouleversement de « noire Apocalypse », la poète rend compte, qui imagine « les blêmes corps des noyés de pleine terre », « à la dérive dans l’eau froide ». Trois ans plus tard persistent les visions d’un broiement qui a dissipé les frontières du réel, créant un gigantesque fatras de terre d’épaves de ciment.

    Au sein de ce chaos un homme attend. Qui espère retrouver le corps de Yuko. C’est Yasuo. Il s’est lancé dans une quête éperdue. Il espère retrouver sa femme au fond des eaux glacées d’Onagawa. C’est là qu’il la cherche, « évanescente comme / le blanc fantôme d’Oyuki », parmi les enchevêtrements des algues et « les carcasses rouillées d’improbables vestiges », fouillant et écumant les fonds marins d’Onagawa. Obstination insensée que celle de l’époux ? Peut-être. Mais Yuko, avant d’être emportée du toit où elle s’était réfugiée, s’était écriée : « je veux rentrer chez nous ». Et Yasuo, nouvel Orphée, n’a de cesse que de soustraire la « noyée » de son « enfer marin ». L’amour plus fort que la mort ? C’est ce que laisse entrevoir le très émouvant recueil de Marilyne Bertoncini.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Marilyne Bertoncini  La Noyée d'Onagawa





    MARILYNE   BERTONCINI


    Marilyne Bertoncini
    Source




    ■ Marilyne Bertoncini
    sur Terres de femmes


    [Je l’imagine] (extrait de La Noyée d’Onagawa)
    À l’ombre du mûrier (extrait de L’Anneau de Chillida)
    La Dernière Œuvre de Phidias (lecture d’AP)
    [Ici… Là] (extrait de La Dernière Œuvre de Phidias)
    Labyrinthe des nuits (lecture d’AP)
    Mémoire vive des replis (lecture de Sophie Brassart)
    [En nageant jusqu’au bout de ton rêve] (extrait de Mémoire vive des replis)
    Sable (extrait)



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  • Marilyne Bertoncini | [Je l’imagine]



    [JE L’IMAGINE]




    Je l’imagine, infime signe noir
    sur la page de l’océan refermée
    sur les naufrages, les blêmes corps des noyés de pleine terre
    arrachés jusqu’à dix kilomètres de la côte,
    flottant entre deux eaux,
    entre les bancs argentés ondulant dans les zébrures sombres
    des courants
    comme pétales au vent,
    écartant la chevelure fluorescente des méduses,
    caressant les rideaux d’algues sur les restes d’étranges épaves
    où rampent des étoiles,
    frôlant d’improbables poissons aux yeux vitreux
    dans les cavernes
    de ciment brisé
    et le flanc de colline des étraves couchées
    où nidifie la pierre arborescente des coraux,
    cerisiers inversés

    à la dérive dans l’eau froide,
    avec l’espoir en fil d’Ariane.




    Marilyne Bertoncini, La Noyée d’Onagawa, Jacques André éditeur, collection Poésie XXI N° 58, 2020, page 30. Préface de Xavier Bordes.






    Marilyne Bertoncini  La Noyée d'Onagawa





    MARILYNE   BERTONCINI


    Marilyne Bertoncini
    Source




    ■ Marilyne Bertoncini
    sur Terres de femmes


    La Noyée d’Onagawa (lecture d’AP)
    À l’ombre du mûrier (extrait de L’Anneau de Chillida)
    La Dernière Œuvre de Phidias (lecture d’AP)
    [Ici… Là] (extrait de La Dernière Œuvre de Phidias)
    Labyrinthe des nuits (lecture d’AP)
    Mémoire vive des replis (lecture de Sophie Brassart)
    [En nageant jusqu’au bout de ton rêve] (extrait de Mémoire vive des replis)
    Sable (extrait)



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  • Marilyne Bertoncini, Mémoire vive des replis

    par Sophie Brassart

    Marilyne Bertoncini, Mémoire vive des replis,
    éditions Pourquoi viens-tu si tard ?,
    Collection Poésie n° 20, novembre 2018.
    Texte et photos de Marilyne Bertoncini.
    Préface de Carole Mesrobian.



    Lecture de Sophie Brassart




    Souvenez-vous de l’étoffe portée par William Shakespeare, celle « dont les rêves sont faits », qui soulève tout ou partie la question de notre existence ? C’est la profondeur de cette matière, dans les replis de l’étoffe enrichie du fil dénudé des souvenirs, que le recueil de Marilyne Bertoncini, Mémoire vive des replis, nous convie à parcourir superbement de l’œil, et dans tous les sens.

    « J’erre au labyrinthe sans fin

    d’un palais des glaces et du souvenir ».

    L’ouvrage, dans son élégant format à l’italienne, est composé de quatre éléments qui s’accordent avec le mouvement même de l’intériorisation : en premier chef, c’est l’image qui noue toutes les acceptions du motif du « repli », grâce à la présence des photographies réalisées par la poète. Sous la main, nul élément trop personnel qui se donnerait à voir ; il s’agit bien d’une entrée en matière, celle de la révélation des souvenirs, favorisée par les jeux de drapés en principe d’alternance, dans l’affirmation d’une vie où se déterminent pour chacun l’espace et la lumière — réminiscence qui appartient à son auteure aussi bien qu’à nous tous.

    La vibration des couleurs est intense, la matière imposant elle aussi une véritable présence, forme intégrant tout à la fois le présent et le passé. Ces strates existentielles savamment tissées dans les fibres naturelles ou végétales trouvent écho dans les mots qui « crissent comme le sable dans l’infini du sablier », convertissant à leur tour chaque étape de l’âge et du témoignage.

    « et ce mot faillirait au moment de le dire

    toujours              au dernier souffle              au dernier

    éclat

    du cri ».

    Les trois parties du recueil constituent les lignes de sauvegarde comblant les zones où meurent les motifs : voici « Sous la carte d’amnésie », « les Distilleries idéales », enfin les « Conseils de survie pour le monde à l’envers ».

    Les « replis » résident dans la moire du sable transportant sous les mots micellaires les traces d’un chemin, du « Sahara de mon enfance » jusqu’à « quelle porte de l’Enfer » : « portes muettes désormais », « derrière les rideaux », s’élève « l’air un peu flou d’un lointain paysage » dont nous n’avons que peu d’indications topographiques, hormis « les plages de Wissant », « le port de Dunkerque » ainsi que la « rue Blanche ».

    Car la poète tisse fil à fil et mot à mot le lien métaphorique entre le blanc de l’oubli et l’origine, entre souvenir réel et souvenir rêvé. Du « serpent sinuant sur la croix d’émeraude », aux « longues jambes du pont », à la « tiède caverne », encore les « tendres rhododendrons », « boutons de nacre / comme des yeux sans vie », ce sont aussi nos souvenirs qui sont évoqués dans leur délicatesse comme dans leur première frayeur : qui n’a pas eu peur des majuscules du « Loup » ? Qui n’a pas rêvé des « Antipodes » ? Et nous replongeons intacts lecteurs et enfants dans le langage des choses muettes et des fleurs, ce « miraculeux bouquet de myosotis […] à l’abri du temps ».

    L’étoffe du poème se convertit alors en fragments d’histoire, transcendant l’ordre du quotidien :

    « Dans le sommeil je reprends

    libre

    mon cours de fleuve enfant ».

    L’auteure œuvre ici pour le terme d’un double trajet, celui de l’accès au souvenir, ce dernier étant sublimé par « la porte prohibée » qu’elle franchit à la suite d’un long parcours initiatique, et l’aboutissement, à l’issue duquel le lecteur s’en trouve lui-même transformé, puisqu’il est invité à opérer son propre retour :

    « En nageant jusqu’au bout de ton rêve

    tu parviens

    outre la porte des songes

    sous les algues flottantes du sommeil

    dans l’aurore de blancs coquillages ».

    Privilégiant la relation dynamique au mythe orphique, Marilyne Bertoncini renoue avec l’energeia antique en s’appuyant sur la force créatrice de l’expérience du rêve, qui rend possible le surgissement de la vérité. Savoir irrévélé jusque-là, qui établit avec minutie le rapport de l’homme au « jadis / j’ai vécu d’autres vies », comme à l’émerveillement premier de « l’Aube originelle ».

    Mais il y a une responsabilité à avoir quant à la nature hypnagogique du souvenir ; en effet il s’agit d’accueillir le mouvement même de son apparition avec la plus extrême vigilance, au risque de tout perdre :

    « Sois attentif alors à ne jamais fixer

    la lumière

    sinon l’ombre minuscule d’échardes de soleil

    lacèrerait la peau du monde ».

    Alors chacun, à commencer par la poète, peut choisir un sens à travers les volutes de la mémoire… C’est dire combien ce très beau recueil nous renvoie à une infinité de dialogues, comme au mystère de tous nos possibles.



    Sophie Brassart
    D.R. Sophie Brassart
    pour Terres de femmes







    Marilyne Bertoncini  Mémoire vive des replis




    MARILYNE  BERTONCINI


    Bertoncini
    Source




    ■ Marilyne Bertoncini
    sur Terres de femmes


    [En nageant jusqu’au bout de ton rêve] (extrait de Mémoire vive des replis)
    À l’ombre du mûrier (extrait de L’Anneau de Chillida)
    La Dernière Œuvre de Phidias (lecture d’AP)
    [Ici… Là] (extrait de La Dernière Œuvre de Phidias)
    Labyrinthe des nuits (lecture d’AP)
    La Noyée d’Onagawa (lecture d’AP)
    [Je l’imagine] (extrait de La Noyée d’Onagawa)
    Sable (extrait)




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  • Marilyne Bertoncini | [En nageant jusqu’au bout de ton rêve]





    [EN NAGEANT JUSQU’AU BOUT DE TON RÊVE]



    En nageant jusqu’au bout de ton rêve
    tu parviens
    outre la porte des songes
    sous les algues flottantes du sommeil

    dans l’aurore de blancs coquillages



    Là comme aux tout premiers temps
    les choses espèrent être
    dites
    et dans l’attente d’un destin
    balbutient d’éphémères formes



    En ce lieu inversé sous l’eau de ton sommeil
    les étoiles en mourant filent vers leur désastre
    et les ramiers picorent leurs miettes de
    lumière
    dans les prairies du ciel



    Sois attentif alors à ne jamais fixer
    la lumière
    sinon l’ombre minuscule d’échardes de soleil
    lacèrerait la peau du monde

    Qui le rapiècerait ?



    Marilyne Bertoncini, « Conseils de survie pour le monde à l’envers », Mémoire vive des replis, éditions Pourquoi viens-tu si tard ?, Collection Poésie n° 20, 2018, pp. 77-80. Texte et photos de Marilyne Bertoncini.






    Marilyne Bertoncini  Mémoire vive des replis




    MARILYNE  BERTONCINI


    Bertoncini
    Source




    ■ Marilyne Bertoncini
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    À l’ombre du mûrier (extrait de L’Anneau de Chillida)
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    La Noyée d’Onagawa (lecture d’AP)
    [Je l’imagine] (extrait de La Noyée d’Onagawa)
    Sable (extrait)



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  • Marilyne Bertoncini | À l’ombre du mûrier



    À L’OMBRE DU MURIER




    Translucide et mouvante grotte de jade,
    le mûrier-platane aux feuilles ciselées
    t’offre l’abri amphibole
    de ses ombres tremblantes

    d’où jaillit l’éclat sourd des mûres

    couleur d’encre

    de Chine




    Assise dans son ombre

    tu les guettes
    Elles brillent puis disparaissent selon
    le rayon qui les frappe sous le frisson des feuilles
    et leur soie sombre

    au fiévreux vent d’été




    Noires et longues comme
    des scarabées —

    naguère, l’un s’envola,

    ombre sur ombre, entre les doigts

    surpris —
    et poisseuses et sucrées,
    elles tachent les doigts
    et les coins de la bouche
    d’une encre parfumée




    Encore une, puis une —
    sur la pointe des pieds
    tu moissonnes des doigts un infini stellaire
    sous la voûte nocturne du mûrier-platane
    bruissant de guêpes blondes
    tournant autour du tronc comme un mât de navire,

    l’axe d’un monde qui t’englobe

    t’emporte

    dans un voyage à rebours

    un voyage en soie

    un retour au fond

    de soi




    Le mûrier est ancre

    de Chine
    et le poète-cueilleur d’ombre

    cueillant les mûres

    couleur d’escarbot —
    plonge
    aux antipodes de ce monde où les mots
    sont univoques
    saisit l’escarboucle
    flottant dans les grands fonds où le rêve
    le porte





    dans la Chine du mûrier aux infinies ramures
    les mots
    — comme des granules
    du fruit entre tes doigts
    s’agglomèrent

    morula

    l’embryogenèse du poème

    dans l’hyperlien

    fondant

    encre

    et sucre
    noire

    æncre

    de

    Chine.




    Marilyne Bertoncini, « Le tombeau des Danaïdes » in L’Anneau de Chillida, L’Atelier du Grand Tétras, 2018, pp. 36-37-38-39. Illustration de couverture de Sophie Brassart.






    Marilyne Bertoncini  L'Anneau de Chillida




    MARILYNE  BERTONCINI


    Bertoncini
    Source




    ■ Marilyne Bertoncini
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    La Dernière Œuvre de Phidias (lecture d’AP)
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    [En nageant jusqu’au bout de ton rêve] (extrait de Mémoire vive des replis)
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    Sable (extrait)




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  • Marilyne Bertoncini | Sable (extrait)



    SABLE
    (extrait)




    La dune mime l’océan
    les nuages y dessinent de fuyants paysages
    dont l’image s’épuise dans l’onde vagabonde
    d’un récit ineffable

    et femme Sable nage dans le ciel des centaures
    à l’envers
    où sa robe poudreuse ondoie dans les nuages

    sa bouche ouverte dans le sable
    crache la cendre des mots
    flocons arrachés au silence

    dans la mer où

    peut-être

    puis se noie ou se perd en rumeur indistincte

    Commencements




    Marilyne Bertoncini, « Sable » (extrait d’un travail inédit) in Phoenix, Cahiers littéraires internationaux, « Partage des voix », numéro 27, 2017, page 57.




    MARILYNE  BERTONCINI


    Bertoncini
    Source




    ■ Marilyne Bertoncini
    sur Terres de femmes


    À l’ombre du mûrier (extrait de L’Anneau de Chillida)
    La Dernière Œuvre de Phidias (lecture d’AP)
    [Ici… Là] (extrait de La Dernière Œuvre de Phidias)
    Labyrinthe des nuits (lecture d’AP)
    Mémoire vive des replis (lecture de Sophie Brassart)
    [En nageant jusqu’au bout de ton rêve] (extrait de Mémoire vive des replis)
    [Je l’imagine] (extrait de La Noyée d’Onagawa)




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  • Marilyne Bertoncini | [Ici… Là]




    [ICI… LÀ]




    Ici
    tout en bas de la falaise
    le noir granit creuse une vasque si profonde qu’à
    marée basse on y entre
    à mi-corps

    Entre deux roches se cachent les tourteaux
    aux carapaces vernissées
    de transparentes chevrettes
    les mouvantes anémones
    et la fine dentelle des laminaires
    sur l’écran de l’eau

    Flottants comme ces algues entre deux profondeurs
    tendant leurs rets doux et luisants dont la main ne saisit
    que fuite coulissante

    les lieux m’échappent






    […]






    sur l’étroite avancée rocheuse
    ignorant la guipure d’écume au pied
    de la falaise
    et le point où la mer à l’horizon
    se coupe
    il est le centre d’une sphère
    où sa pensée
    se perd
    dans des scintillements d’azur cuisant
    comme le cri des sternes

    Phidias ! Phidias !

    L’enfant marche comme l’on danse
    dans la poussière du chemin
    que soulève
    son talon…



    Marilyne Bertoncini, La Dernière Œuvre de Phidias suivi de Invention de l’absence, version augmentée, Jacques André Éditeur, Collection Poésie XXI, 2017, pages 19 et 26.







    Bertoncini Phidias





    MARILYNE  BERTONCINI


    Bertoncini
    Source




    ■ Marilyne Bertoncini
    sur Terres de femmes

    À l’ombre du mûrier (extrait de L’Anneau de Chillida)
    La Dernière Œuvre de Phidias (lecture d’AP)
    Labyrinthe des nuits (lecture d’AP)
    Mémoire vive des replis (lecture de Sophie Brassart)
    [En nageant jusqu’au bout de ton rêve] (extrait de Mémoire vive des replis)
    La Noyée d’Onagawa (lecture d’AP)
    [Je l’imagine] (extrait de La Noyée d’Onagawa)
    Sable (extrait)



    ■ Voir aussi ▼

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  • Marilyne Bertoncini, La Dernière Œuvre de Phidias

    par Angèle Paoli

    Marilyne Bertoncini, La Dernière Œuvre de Phidias,
    Encres vives, n° 453, avril 2016.
    Réédition (enrichie) Jacques André éditeur, 2017.



    Lecture d’Angèle Paoli



    UN POÈME AU RYTHME HAUTURIER



    Rêverie crépusculaire, La Dernière Œuvre de Phidias remonte du royaume des ombres le grand sculpteur grec du siècle de Périclès : Phidias. Dans le poème-méditation qu’elle lui consacre, la poète Marilyne Bertoncini appelle sous l’intimité de sa lampe ce nom qui lui est caresse douce. En le suscitant à elle, la poète recrée par l’ampleur de ses chants un monde méditerranéen que l’on imaginait à jamais disparu. Elle le fait revivre — couleurs rumeurs images  —, lui restituant par le rythme qu’elle insuffle à ses vers, cette tonalité homérique qui berce la lecture. Deux syllabes — Phi-dias — suffisent à entraîner dans leur sillage « la sourde rumeur des vagues », le « vacarme de[s] sonnailles », les troupeaux retournant au bercail sous la houlette bienfaisante des pâtres. Tout l’univers pastoral et marin de Phidias est là, qui s’écrit dès le chant d’ouverture, dans le calme de son « ombre immense ».

    La rêverie prend chair, qui prête sa voix à l’enfant dans l’appel qu’il adresse au sculpteur. À quatre reprises, les deux syllabes retentissent dans les strophes : Phi-dias ! Phi-dias ! Une voix qualifiée par trois épithètes : « Chantante et pure et claire ». Est-ce la voix d’enfance de la poète, cette voix amie qui cherche à tirer le sculpteur du royaume des ombres, sa demeure depuis si longtemps ? Peut-être faut-il en effet retrouver cette voix qui s’immisce en nous, s’insinue dans les profondeurs, puis émerge, pour que remontent à la surface les noms de ceux qui ont nourri notre mémoire au fil du temps. L’unité des poèmes, la récurrence de certains indices le laissent entendre. Le « je » de la narratrice et le présent de l’écriture en sont la preuve explicite dans le questionnement qu’elle adresse à Phidias :

    « Te prendras-tu au piège

    des signes que je trace

    mailles d’encre tissées à l’heure où je

    disparais »

    Peu à peu, la rêverie se dilue aux abords du sommeil tandis que surgit, ancrée dans nos souvenirs, la trilogie analogique « île » / « fantôme » / « navire » :

    « Du large

    comme un fantôme

    l’île est un frémissant navire

    bateau des Phéaciens pétrifiés dans la rade »

    Avec le poète Homère et l’Odyssée du « chatoyant Ulysse », les drames de la mer ne sont jamais loin. Combats contre les Géants, anéantissement des flottes, châtiments volcaniques imprévus, attendent les héros. Les hommes de l’Antiquité ne sont pas à l’abri des fureurs cosmiques. Empruntés au chant XIII de l’Odyssée, les vers en italique rappellent l’épisode violent qui met aux prises Poséidon « [é]branleur de la terre » et Zeus « assembleur des nuées ». De leur lutte divine naît l’épisode du chant de « la catastrophe silencieuse », reléguant la sérénité d’antan à des commencements bucoliques qui n’ont désormais plus cours. Ainsi en témoignent les deux vers répétés qui encadrent le long poème :

    « La catastrophe silencieuse fige

    la voile faseyante. »

    […]

    « La catastrophe silencieuse

    fige la voile faseyante. »

    D’autres images refont surface — liées à ce moment tragique où le croiseur s’« enracina au fond des eaux / comme un rocher » — qui traversent la mémoire. Marilyne Bertoncini interroge, associant entre elles toutes les images qui frappent l’esprit par leur connivence de « fantômes sidérés / arrêtés au vif d’un mouvement… ». « Gestes à jamais suspendus / fixés / sous la pierre ». Alliance des contraires, oxymores évocateurs — « tumulte immobile », « silencieux appels » —, accompagnent ces évocations anciennes, connues de chacun :

    « Momies de Pompéi

    muettes abandonnées à la cime du cri »

    […]

    « silencieux appels […]

    ceux de la femme de Loth

    le pleur de Méduse blessée

    la plainte d’Orphée

    aux Ménades livré […] »

    Soudain, au moment de retrouver Phidias, dans cet instant où « l’île scintille / spectrale dans le soir », la rêverie immobile glisse vers un ailleurs. Phidias se refuse, laissant place au présent, à « l’écran béant son vide », à la page en train de s’écrire. L’esprit revient à la vie d’aujourd’hui, à ce qu’il reste de la modernité, villas qui « s’écaillent », habitudes chaotiques, architectures hybrides. Avec les toponymes d’Ostende et de Brighton, ce sont les plages du Nord qui surgissent, paysages noyés de brumes balayés par les vents, stations balnéaires abandonnées aux pluies mauvaises d’automne. En quelques strophes, Marilyne Bertoncini brosse toute la beauté de ces terres qui se dissolvent dans les eaux. Les rendant à leur mélancolie poétique. Que devient Phidias ?, s’interroge la poète, dans cet espace temporel où le récit de son poème se trouve interrompu par les caprices de l’écriture.

    Marilyne Bertoncini poursuit sa quête, toujours tressant le présent au passé, toujours donnant en filigrane la voix (en italiques) à Homère et à Héraclite, ses auteurs de prédilection, toujours cherchant à travers mots et mailles à retrouver la trace de Phidias, à le surprendre dans le geste ultime qui conduit à la création ; celle-là même qui se réalise à l’instant de l’apparition d’une forme jusqu’alors enclose et silencieuse dans la matière primitive. Toujours arrimant son vers au souffle de la poésie homérique, la poète guette le sculpteur jusqu’à ce chant final où l’artiste révèle à la déesse son ultime conquête :

    « Déesse

    me voici

    j’ai enfin sculpté

    ton absence

    […]

    je porte ton signe

    je t’appartiens

    j’ai entendu

    vibrer

    l’appel

    du vide. »

    Ainsi parle Phidias, empruntant à Héraclite ses mots et sa vision existentielle. Maintenant que se sont révélés les chemins de la perfection esthétique, le grand sculpteur peut disparaître. Sans laisser trace de sa dernière œuvre.

    Et, lisant les chants de La Dernière Œuvre de Phidias, je me surprends à songer au Chef d’œuvre inconnu de Balzac, ou même, par-delà toutefois les divergences de vision métaphysique, à la nouvelle de Marguerite Yourcenar, Comment Wang-Fô fut sauvé. Une même thématique bouleversante baigne chacun de ces textes — récits et poème. Une même quête relie Marilyne Bertoncini à ses prédécesseurs, qui habite en profondeur la poète. Un très beau poème en vérité. À lire à haute voix pour en savourer en bouche le rythme hauturier.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



    _____________________________________
    NOTE d’AP : une version enrichie de La Dernière Œuvre de Phidias a paru en février 2017 chez Jacques André éditeur.






    Marilyne Bertoncini, Phidias.jpg 2







    Bertoncini Phidias





    MARILYNE  BERTONCINI


    Bertoncini
    Source



    ■ Marilyne Bertoncini
    sur Terres de femmes


    À l’ombre du mûrier (extrait de L’Anneau de Chillida)
    [Ici… Là] (extrait de La Dernière Œuvre de Phidias)
    Labyrinthe des nuits (lecture d’AP)
    Mémoire vive des replis (lecture de Sophie Brassart)
    [En nageant jusqu’au bout de ton rêve] (extrait de Mémoire vive des replis)
    La Noyée d’Onagawa (lecture d’AP)
    [Je l’imagine] (extrait de La Noyée d’Onagawa)
    Sable (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur La Cause Littéraire)
    Marilyne Bertoncini, La Dernière Œuvre de Phidias (lecture de Murielle Compère-Demarcy)
    → (sur La Cause Littéraire)
    Marilyne Bertoncini, La Dernière Œuvre de Phidias (lecture de Pierre Perrin)
    → (sur Recours au poème)
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  • Marilyne Bertoncini, Labyrinthe des nuits

    par Angèle Paoli

    Marilyne Bertoncini, Labyrinthe des nuits,
    Recours au poème éditeurs, 2015.



    Lecture d’Angèle Paoli



    « SUR LA COURBE DU MONDE »



    De jolis nuages volatils et légers ponctuent Labyrinthe des nuits. On peut feuilleter le livre de nuage en nuage comme un enfant sauterait à cloche-pied sur un gué ponctuant un ruisseau. Nuages promesses d’une lecture vagabonde aérienne subtile ? Peut-être.

    À sauter de page en page sans s’attarder à la lecture, on est frappé par la diversité des formes que prennent les poèmes dans l’espace, tantôt très brefs, tantôt constitués de strophes de trois ou de quatre vers. Tantôt déployés sur une pleine page. C’est dans ces irrégularités — baroques  ? — que Maryline Bertoncini construit sa propre régularité dans l’inventivité poétique qui est la sienne. Des mots immédiatement visibles/lisibles reviennent, comme autant de points perceptibles ourlés dans la trame du poème. Lilas / Leyla / Lavande / Lave / Lacets / Inlassable / Lacis / Flamme… « Là ». La tonalité musicale du recueil serait-elle en « la » ?

    Parfois, des inserts en italien (et en italiques) se glissent entre les mailles, qui apportent à la broderie du poème un motif nouveau, musique douce à l’oreille, vol de guêpes dans la première lumière, « ronzio che precede la prima ora del mattino ».

    Dès la lecture de « Nuit de Lilas », un univers d’« outre-monde » s’ouvre. Lié à la nuit d’avant l’aube, au silence suspendu qui la caractérise, à peine interrompu par le chant flûté d’un oiseau. Quelque chose de léger s’anime, d’incertain, un cillement ténu, pris dans l’entre-deux des formes. Ainsi de la couleur qui domine, cette couleur lilas, qui draine avec elle ses variantes d’ivresses violines — mauve lie-de-vin lavande — dans un poème ciselé avec art. Les pierres précieuses — quartz obsidienne améthyste — mêlent leurs veines aux entrelacs des plantes, efflorescences et parfums. Inscrit sous le signe d’Orphée, le poème d’ouverture frissonne de ses allitérations en « f ». C’est dans cet univers onirique de pierres et d’acanthes, mélange d’ivresse lumineuse et de nuit, que survient, « nageur inconscient », celui qui « aborde aux grèves du silence ».

    Le lilas lie-de-vin, corolles cruciformes, prépare l’arrivée de Leyla. Un « je » regarde et voit. Leyla à la fontaine, est-ce rêve vision apparition biblique ? Leyla dans ses voiles – voile perse — survient au verger dans un poème aux accents du « Mai » de Guillaume Apollinaire, allure régulière où alternent alexandrins et hexasyllabes :

    « À travers le verger bondissant

    Dans les voiles légers des nuages de mai. »

    Évanescente Leyla qui réapparaît plus loin, en d’autres vers, lacis et lianes du lilas. « Nuit-Femme dans le jour vert », amante de Majnûn. Violine couleur de la Passion, l’écriture solaire de Maryline Bertoncini est aussi écriture secrète, qui résiste au dévoilement et à la révélation. Langue légère en même temps que recherchée, qui inscrit Leyla-au-lilas dans un univers de couleurs orientales tout autant que méridionales, arabesques et azulejos, chant de cigales et de fifres, ifs lierre et comptines de l’enfance, rouge sang de la grenade que vient interrompre le vert des feuillages. Des images affleurent qui évoquent patios et jardins aux « jaseuses fontaines ». Des toiles d’Henri Matisse semblent s’y superposer, mélanges de lumières de couleurs où exultent, dans un entrelacs de lianes, le midi et l’orient. Un amour secret s’ébauche qui tend sa toile d’un poème à l’autre.

    Dolce      sorella

    nella mia lingua

    segreta

    Soudain, dans le poème qui met le « Là » en relief, le monde bascule dans un univers autre. Celui des jardins ouvriers du Nord, terres d’abandon aux lisières des villes. Tout un paysage de cabanes à outils terrains vagues carrés potagers grilles et parcelles s’organise, empli de promesses d’ailleurs de rires et de jeux. Paysage des origines d’une même légèreté, d’une même luminosité.

    Leyla revient. « Tambour des pâtres », la mémoire. Et les vers de Nerval affleurent sous ma plume :

    « C’est encor la première ;

    Et c’est toujours la Seule, ― ou c’est le seul moment »…

    Elle revient, Leyla, associée à la nuit dans un poème de haut lyrisme. Un sonnet irrégulier, rythmé par le roulement du « Et » d’appui, anaphorique :

    « Et tu es le tambour

    Et le pâtre

    Et le monde

    Et ma douleur qui chante

    O Leyla »…

    Leyla est-elle « l’inlassable noueuse », qui tisse, dans le balbutiement des labiales, les « merveilles du jardin perdu » ?

    Les années passent. Leyla s’efface pour laisser place à l’absence. D’autres images prennent corps dans l’éclat vibrant du vitrail. Survient le Roi-Cerf, joyaux des couleurs sertis de plomb, blasons de formes entrelacs de figures mythiques flammes et chasses, feux. Le rêve se nourrit de ses propres images. Voratrices, elles sont images puisées à la source d’un « labyrinthe de pensées », d’où surgit une langue subtile. Par deux fois la poète « s’abreuve à ce fleuve où » ses « pensées se mirent ». S’offrant en pâture aux années, à leur « meute » insatiable, elle se voue tout entière à ses « Ménades intimes ». Pourtant, si la douleur christique du cerf l’habite et la saisit, l’assomption n’est pas loin. Qui se résout dans l’apothéose mystérieuse des constellations. Sous l’onirisme incantatoire des étoiles :

    « Altaïr Antarès Enif Eli Sadalmelek

    ton gréement dans le vent stellaire scintille au rythme des

    constellations

    et ta blanche carène est une nébuleuse

    qui m’entraîne en son erre. »

    Imprégné du symbolisme « fin-de-siècle », le recueil Labyrinthe des nuits est un ouvrage d’art, où pépitent « émaux et camées » des grandes voix poétiques du passé ― Nerval, Aloysius Bertrand, Baudelaire, Laforgue… Mais la voix que fait entendre Maryline Bertoncini dans ce recueil est une voix singulière, sensible à tous les effluves de vie ; à toutes les veinules odoriférantes et colorées qui irriguent une vie ; comme aux menus accents des moindres cruautés. Même si les mots ne peuvent atteindre les cendres des morts ; même si le poème se clôt sur une impossibilité, les souvenirs poursuivent leur ronde. « Clameurs désaccordées »… « sur la courbe du monde ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Labyrinthe des nuits






    MARILYNE  BERTONCINI


    Bertoncini




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    [Ici… Là] (extrait de La Dernière Œuvre de Phidias)
    La Dernière Œuvre de Phidias (lecture d’AP)
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    La Noyée d’Onagawa (lecture d’AP)
    [Je l’imagine] (extrait de La Noyée d’Onagawa)
    Sable (extrait)



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