Étiquette : Matthieu Gosztola


  • Matthieu Gosztola | [Les masques | Nous parlent]



    Villa d'Este  Tivoli
    Ph., G.AdC
    Les masques | Nous parlent | À chaque instant








    [LES MASQUES | NOUS PARLENT]




    Les masques
    Nous parlent

    À chaque instant
    Ils nous disent

    Nous parlant
    Ils parlent de nous

    Nous parlant
    Ils nous font advenir

    Qu’advient-il de nous ?
    Qu’advient-il de vous ?

    Chaque « je » est un « nous »
    Chaque « je » est un « vous »

    *

    Vous vous retournez
    Pour parler

    Vous parlez

    Vous vous taisez

    Vous faites
    Quelques pas

    Vous ouvrez
    La première porte

    Vous entrez
    Dans le jardin

    Vous effleurez
    Les ruines
    Avec votre émotion

    (Votre émotion
    Est une main
    Frémissante)

    Ce que vous voyez
    Partout
    C’est ce qui redonne

    (Ces ruines
    Ce ne sont pas des ruines)

    À notre langue
    À nos mœurs

    Leur mystère
    Et leur sensibilité

    Chaque fois
    Que vous lisez Hypnerotomachia Poliphili
    Vous en êtes convaincu

    Davantage



    Matthieu Gosztola, « III. Les masques » in Ce masque, éditions des Vanneaux, 2017, pp. 163-164.






    Matthieu Gosztola  Ce masque.jpg 2







    MATTHIEU GOSZTOLA


    Matthieu-gosztola
    Source



    ■ Matthieu Gosztola
    sur Terres de femmes

    15 juillet 1925 | Matthieu Gosztola, lettre-poème (extrait de Lettres-Poèmes | Correspondance avec Gaudí)
    Matthieu Gosztola, Lettres-Poèmes | Correspondance avec Gaudí (lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    le site de Matthieu Gosztola





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  • Gabrielle Althen, Soleil patient

    par Matthieu Gosztola

    Gabrielle Althen, Soleil patient,
    Arfuyen, Collection Les Cahiers d’Arfuyen n° 225, 2015.



    Lecture de Matthieu Gosztola




    « Ce livre, même s’il dit aussi la complexité ordinaire de l’expérience existentielle, voudrait évoquer un trajet, avance l’auteure dans un éclairant « En guise d’argument ». Un trajet qui aille du gris, peut-être erroné, du moment à quelque visite furtive du meilleur. Trouver manque, son premier titre, était une expression de ma mère. Bretonne, transplantée en Algérie, elle pouvait dire qu’elle trouvait manque des ciels mobiles de sa Bretagne natale. La langue lui eût permis de dire tout simplement qu’elle en manquait. Mais l’expression – venue d’où ? – qu’elle employait, dans le paradoxe qu’elle institue entre le fait de trouver et celui de manquer, possède un caractère actif qui me touche. Il y a une initiative dans trouver manque. Falloir, le second titre, correspond à une autre initiative. Celle de répondre. Continuer et se battre pour secouer la grisaille ? Sans doute. Bien davantage cependant s’appliquer, comme on entretient un feu, à mériter son désir. »

    « [L]a poussière […] commençant à nos cœurs », la peine, la douleur apparaissent bien en premier (mais c’est pour que puisse avoir lieu – ensuite – la consolation) : « Choses noires avec choses blanches / Dans l’heure qui se tourmente / Le monde debout près de la peur […] ». « Tu appartiens à ta douleur ». « [A]imes-tu encore ton corps qui se délabre ? » « Il n’y a là aucun salut / C’est un oubli de la lumière ! »

    « La lumière est certaine mais elle est en voyage ». Quelle posture adopter, en conséquence ? Faire pousser des ombres ! « Je traversai la vitre et me baignai dans la couleur / Dans le jardin je fis pousser des ombres ». « Que la couleur me pardonne / J’ai fait pousser des ombres ! » « J’avais besoin de fleurs ». « J’étais venu pour du lilas ». « On a coupé tous les lilas ».

    « Le soleil dort encore / Et la fleur tient son cœur ». Puis la lumière paraît, cette enfant. « Dans les bois de la lumière, marche un ange à la rencontre du moment, sceau sur le jour qui fléchit, sourire à l’ombre dans l’inattendu que d’aucuns croient blessure. » « Les pentes sont très douces et la clarté aussi ». « Amen dit la lumière de la lumière ». « Car chacun, vois-tu, habite son ogive. Malgré l’ombre, une musique s’y concentre et des soleils s’entrecroisent. On cherche des accords. Sans murmures, rayonnement pour rayonnement, le tout reste secret. »

    Des larmes à la joie, des larmes au mystère : vivre ce trajet intérieur, jusqu’à l’amour (« Repère les crissements de la neuve aventure, et si parfois l’espace manque, c’est que le cœur y est futur. » « La limpidité n’épelle pas ses chemins, bien que les signes ni ne manquent ni ne mentent. Vous parcourrez ainsi beaucoup de passerelles, puis ce sera l’amour. »)

    Cela nous est possible grâce à la parole poétique (qui est notre « imperceptible clef de voûte »). Grâce à ce feu. Grâce aux doigts fous, amoureux, du vent (notre sensibilité), qui jouent, tendres, dans la chevelure de ce métaphorique (mais non moins vécu) feu.

    Si le feu qu’est la parole poétique est vécu, c’est parce qu’il n’est pas donné. Il est à construire. C’est-à-dire à recevoir (activement), avec une disposition d’accueil de tout l’être, avec une écoute sans limites données à la profondeur de cette dernière. « Nous avions il est vrai revêtu d’implacables prisons / Dans l’anfractuosité de nos phrases banales ». « Il n’y a pas encore de mots à l’horizon. » « Un mot / Pour attirer la foudre / Dans le gris sans éperons du moment ». « Des perles manquent au chapelet de la parole ». « J’ai prié / Pour que / Chaque jour la parole m’éveille ».

    Cette parole poétique, Gabrielle Althen (dont il faut lire également les très beaux essais que sont Proximité du Sphinx, Intertextes, 1991 –, Dostoïevski, le meurtre et l’espérance, Le Cerf, 2006 – et La Splendeur et l’Écharde, Corlevour, 2012), Gabrielle Althen l’abreuve au moyen (la liste n’est point exhaustive) de la mythologie, de l’Antiquité, des contes, d’une forme réinventée de la ballade, d’allusions faites à Rimbaud (« Autres saisons, autres châteaux. », « Au-dessus de la chance perdue des saisons de l’offense, la danse surélevant ses lignes où des ponts se parlaient. »…) ; elle l’abreuve et l’ouvrage (écrire : « nous étions la table où s’enfante le jour » ; « [l]a liberté fut nue sur la table du jour ») en se servant des outils de haute valeur et fort difficiles à manier que sont la formule (sa justesse, sa précision) et la beauté onirique, imprécise du rêve, se situant ainsi bellement, et de frappante manière, en ce recueil, à mi-chemin entre René Char (qu’elle a connu dès 1974) et Georges Schehadé.




    Matthieu Gosztola
    D.R. Texte Matthieu Gosztola
    pour Terres de femmes







    Gabrielle Althen, Soleil patient 2




    GABRIELLE ALTHEN


    Gabrielle Althen
    Source



    ■ Gabrielle Althen
    sur Terres de femmes

    Soleil patient (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
    Corps à corps (poème extrait de Soleil patient)
    La Cavalière indemne (note de lecture d’AP)
    L’isole (extrait de La Cavalière indemne)
    Sans titre
    Vie saxifrage (extrait)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Une fois le gris devenu l’autre versant du bleu
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un poème extrait de Vie saxifrage



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    la page de l’éditeur sur Soleil patient
    le site personnel de Gabrielle Althen
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Gabrielle Althen
    → (sur La Pierre et le Sel)
    Gabrielle Althen, entre splendeur et écharde






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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • 15 juillet 1925 | Matthieu Gosztola, lettre-poème

    Éphéméride culturelle à rebours




    Ces instants de nacre irisés Parc Guell - Barcelone - Architecte Gaudi
    Ph., G.AdC







    LETTRE-POÈME DU 15 JUILLET 1925 (extrait)



    Dans mon rêve, cette nuit, j’étais
    entourée de très nombreuses

    personnes, dans un hall de gare.
    Elles parlaient fort, ensemble, et

    pourtant j’arrivais à distinguer
    chaque voix, chaque voix

    séparément, à en suivre
    le sens. Il n’y avait aucune

    cacophonie. Je songeais
    à Mozart, à la façon dont

    il entrelace les individualités
    sonores, dans ses opéras,

    pour concevoir une unité
    qui à aucun moment les fait

    mourir en tant qu’individualités
    pour les faire se muer dans un

    tout qui serait l’indistinction.
    Des voix, comme toute voix,

    aussi frêles que plumes couchées
    par le vent sur un panier de coquillages

    (cette image s’impose à moi, je ne sais
    pourquoi, je ne cherche pas à le savoir : la

    gratuité du ressac des images en moi me
    suffit ; la vie qui traverse dans sa

    gratuité

    avec son lot d’images me suffit) eux-mêmes
    fêlés par une main enfant qui a cru attraper

    la mer au vol, mais n’a retenu que ces

    instants
    de nacre irisés (que l’on porte à l’oreille

    quand

    cela se peut, pour écouter, quoi ? Pas la

    mer,
    pas le vent. L’envie de mer, l’envie de vent,

    qui nous tenaille, et fait advenir notre cœur
    au-dehors de nous, et non plus en dedans.)


    Matthieu Gosztola, Lettres-Poèmes, Correspondance avec Gaudì, Abordo, Bordeaux, 2014, pp. 47-48-49.






    Lettres-poemes-correspondance-avec-gaudi-matthieu-gosztola-editions-abordo-2







    MATTHIEU GOSZTOLA


    Matthieu-gosztola
    Source



    ■ Matthieu Gosztola
    sur Terres de femmes

    Lettres-Poèmes | Correspondance avec Gaudí (lecture d’AP)
    [Les masques | Nous parlent] (extrait de Ce masque)



    ■ Voir aussi ▼

    le site de Matthieu Gosztola





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  • Matthieu Gosztola, Lettres-Poèmes | Correspondance avec Gaudí

    par Angèle Paoli


    Matthieu Gosztola, Lettres-Poèmes
    Correspondance avec Gaudí,

    Collection “Quan Garona monta”,
    Éditions Abordo, Bordeaux, 2014.
    Illustrations réalisées par l’auteur.




    Lecture d’Angèle Paoli


    Je suis très touchée par la façon dont les lieux naissent au bout de vos doigts  .  La Sagrada  Familia  - Barcelone - Architecte Gaudi
    Diptyque photographique, G.AdC







    UNE PARFAITE ADÉQUATION DE LA MAISON ET DU CORPS




    Étrange petit opus que ce recueil de lettres-poèmes présenté par Matthieu Gosztola comme une correspondance avec Gaudí. Étrange par l’ambiguïté formelle qui établit d’emblée une identité étroite entre deux genres habituellement distincts ; combinaison, visible/lisible, de la lettre et du poème. Étrange par l’apparition inattendue, en sous-titre, du nom de Gaudí, architecte catalan universellement connu. Correspondance avec Gaudí. Gaudí, destinataire de dix-sept lettres-poèmes non signées, dont le nom de la scriptrice n’est donné que dans l’avant-propos. Antonia Maria Arellano. Étrange, enfin, par toutes sortes de petites étrangetés qui surgissent en cours de lecture, comme autant de pièces imbriquées les unes dans les autres, démultipliant à l’infini les angles d’approche et les interprétations ainsi que les champs poétiques explorés par Matthieu Gosztola, poète.

    Poèmes, les textes en vers libres se rapprochent de la prose narrative. Si, dans sa lecture silencieuse, le lecteur s’abstient de respecter les rejets et les coupes inattendus. Tantôt longs tantôt brefs, les vers déclinent leur variété formelle — du distique au quatrain en passant par des strophes plus denses, du pentasyllabe à l’hendécasyllabe — selon un rythme syncopé inhabituel. Non signés, mais portant la marque du féminin, les poèmes s’apparentent à des lettres par leur présentation : chaque poème est en effet précédé et introduit par une date en lettres italiques. Vient ensuite le ton adopté par la voix de celle qui s’adresse à Antoni. Le ton de la lyrique amoureuse, qui joue habilement des deux registres, épistolaire et poétique :


    « Je t’écris entre deux
    vitesses, laissant mon

    attention vagabonder,
    non, retrouver son

    chemin vers toi. Nos
    lettres. Le temps

    d’attente qu’elles
    construisent autour

    d’elles, dont elles
    s’entourent. »

    (14 avril 1926)


    Dans Lettres-Poèmes, les frontières entre genre épistolaire et poésie semblent s’estomper pour donner naissance à une correspondance onirique et poétique : celle qu’Antonia Maria Arellano adresse à Antonio Gaudí y Cornet, décédé à Barcelone en 1926. Correspondance réelle ou pseudo-correspondance ? À qui convient-il d’attribuer ces poèmes d’amour qui jonglent avec les pronoms personnels ? À Antonia Maria Arellano ou à Matthieu Gosztola ?


    « Et toi, vous, dans la réalité, dans toutes
    les réalités, tu surpasses, vous surpassez

    aussi
    toute imagination. Je vis avec tes phrases
    même quand tu ne parles pas (je veux dire

    dans
    mes

    rêves — ne vous moquez pas). »

    (5 décembre 1925)


    Pourtant l’omission (volontaire ou non) de quelques accords — adjectif qualificatif ou participe passé laissés au masculin — laisse supposer la présence palimpseste d’un épistolier prêtant sa voix à l’épistolière :


    « Je suis moi aussi habité[e] par l’amour de la

    Catalogne. […]
    Je suis très touchée par la façon dont les

    lieux naissent
    au bout de vos doigts […] »

    (10 mars 1924)

    ou encore :

    « Pas un mot que nous
    aurons, je l’espère, j’en

    suis sûr[e], à bousculer
    sur la page… »

    (6 mai 1926)


    Le sous-titre, Correspondance avec Gaudí, suffit-il à authentifier l’échange entre une amante éprise de « l’écriture de l’espace », telle qu’elle l’a découverte dans les créations du grand architecte, et cet amant dont elle loue l’immense talent ? L’avant-propos de Matthieu Gosztola fait explicitement allusion à « des lettres écrites par Antonia Maria Arellano » ; lettres que l’amante (fictive ? réelle ?) « avait adressées à Antoni Gaudí ». Lettres « soigneusement glissées dans des pochettes de plastique » et appelées par la jeune femme « lettres-poèmes ».

    Rien de plus tentant que de prendre pour réelle cette correspondance. Pourtant la lectrice que je suis se plaît aussi à imaginer qu’il n’en est rien. Sans doute parce que me vient spontanément à l’esprit, en surimpression avec l’avant-propos, le souvenir de lettres fictives, maillons inoubliables de nombre d’œuvres romanesques des siècles passés. Comment ne pas songer, par exemple, aux Lettres d’une religieuse portugaise (1669), œuvre du vicomte de Guilleragues ? Et comment ne pas se laisser séduire par les propos du narrateur qui se dit, dès l’incipit, sous l’emprise (le « charme ») des textes d’Edgar Allan Poe ? Comment, dès lors, ne pas le suivre dans les cheminements de son imagination ?

    De cette assertion première découle en effet toute une série de circonstances/péripéties qui entraînent le lecteur dans le sillage du grand romancier américain. À commencer par la fameuse correspondance trouvée au fond d’une malle, mêlée à toutes sortes de papiers de famille sans grand intérêt ; dissimulée de longue date dans le grenier de la maison, cette malle est soudain découverte par un jeune homme qui vient tout juste d’hériter de la vieille « bâtisse délabrée ». Ce préambule, tout imprégné d’un romanesque que l’on savoure jusque dans le style et dans la tonalité, évoque tout aussitôt une famille d’auteurs et un ensemble de récits où fiction et réalité s’entremêlent, piégeant (non sans délices) le lecteur aux prises avec ses interrogations. Cette histoire d’héritage inattendu, venant d’un oncle lointain et à peine entrevu, est-elle le fruit d’une invention ? Un prétexte littéraire propre à donner à l’imagination toutes les chances de tenir sous son emprise le lecteur avide de rebondissements et d’anecdotes à tiroirs ? La lourde malle cadenassée, emplie de trésors, est-elle une pure invention d’écrivain ? Que penser des lettres-poèmes, découvertes par un jeune héritier qui se sent soudain investi du devoir de révéler ces lettres à un public ? Et donc de celui de se soumettre à tout un travail préalable — de relecture et de choix, d’organisation et de traduction — dans le but de confier ces lettres à un éditeur ? Matthieu Gosztola est-il le héros de sa propre fable ? Le créateur de son personnage féminin ? Tout est envisageable. Il est possible même qu’il se rêve, semblable en tous points, dans son travail d’écriture et de création, à ce qu’Antonia dit de Gaudí :


    « Vous
    restituez à merveille ce mouvement par

    l’entrelacs sensible des éléments de votre
    écriture si sensible, si torsadée, de l’espace,

    qui

    donnent à ressentir les myriades de

    sonorités
    et de cahots d’images à quoi peut aussi

    parfois,

    et fort heureusement, se résumer

    l’architecture… »


    Peut-être y a-t-il une part de vrai dans l’enchaînement des circonstances. Et, en définitive, quelle importance cela a-t-il, hors le plaisir de se livrer au jeu de détective dans lequel l’auteur entraîne son lecteur ? De Matthieu Gosztola, je ne connaissais que les écrits critiques. Par cette lecture, je découvre l’auteur et le poète. J’avoue ne pas être déçue. J’avoue même être très séduite par la mise en abyme des différentes thématiques imbriquées dans ce livre et la part de mystère qu’il distille. Écriture / architecture / musique / poésie / amour. Autant de formes qui entrelacent leurs arabesques d’un poème à l’autre, proches en cela du « dessin de l’auteur, sans titre, encre / papier », en illustration de la première de couverture. Une danse. Qui s’imprime en creux, émaillée de silence.

    Ces lettres-poèmes relevant d’un choix éditorial (comme il est dit dans l’avant-propos), il ne peut s’agir d’une correspondance exhaustive. Chacune d’elles est un extrait, daté. Les dates s’échelonnent entre 1924 — soit deux ans avant la disparition de l’architecte, survenue le 10 juin 1927 — et 2000. Six lettres portent la date de 1924 ; les trois suivantes s’inscrivent dans l’année 1925. Sept lettres occupent l’année 1926, interrompue par un saut en avant jusqu’au 27 avril 1927. Ce bond est suivi d’un retour en arrière sur l’année 1926. Ce premier ensemble se clôt sur une reprise de la lettre-poème du 27 avril 1927. Reprise du même poème avec variation (musicale ?) et enrichissement de la thématique amoureuse :


    « Quand je
    pense à

    nos corps
    ensemble,

    je pense à
    la cathédrale

    de Majorque.
    S’aimer, c’est

    comme juxtaposer
    trois verres ayant

    chacun le visage
    d’une couleur

    primaire, en
    prenant (bien)

    soin de varier
    l’épaisseur du

    cristal afin que
    puisse être graduée

    l’intensité de la lumière. »

    (27 avril 1927, p. 62)


    Et, plus loin :


    « Quand je
    pense à

    nos
    corps

    en
    semble,

    je pense…
    Mais avant,

    J’aimerais te
    dire une chose.

    Une seule
    chose.

    […]

    quand je pense
    à nos corps

    ensemble,
    je pense à

    la
    cathédrale

    de Majorque.
    Celle-là, dont tu

    me parles toujours
    avec tes larmes.

    S’aimer,

    c’est

    comme juxtaposer
    trois verres ayant

    chacun le visage
    d’une couleur

    primaire, en
    prenant
    (bien)
    soin

    de varier
    l’épaisseur

    du cristal

    afin que
    puisse être

    graduée
    l’intensité

    de la
    lumière. »

    (27 avril 1927, pp. 85-89-90)


    Cette dernière lettre-poème clôt la première partie du recueil, de loin la plus importante. Suivent deux extraits d’un journal-poème daté de 2000. Antoni Gaudí est mort depuis longtemps. Antonia Maria Arellano, âgée de 103 ans, raconte dans ces pages ses différents voyages. Elle est en relation avec Jean-Paul Michel (Je lis Hölderlin comme on reçoit des coups ?) « tout à la fois le/fils caché d’Hölderlin et le dernier des/grecs illustres », dont elle reçoit des courriels. Elle n’en n’oublie pas pour autant son illustre amant, qui lui avait appris, au travers de son art de la dentelle et du silence, l’art de conjuguer le dedans et le dehors, de les mettre au diapason l’un avec l’autre. Pour lui, elle a inventé, animée par la ferveur de Matthieu Gosztola, un art poétique de l’amour. Idéalement conçu, dès la première lettre-poème, dans la parfaite adéquation de la maison et du corps.


    « Nous construirons des maisons. Nous
    construirons des maisons comme des corps.

    Les maisons seront nos corps. Il y aura le

    dehors.
    Il y aura le dedans. Le dedans du corps sera

    l’exact

    prolongement de l’intérieur des maisons… »

    (2 mars 1924)


    Un petit bijou de livre « qui nous emporte,
    et nous ravit (dans le sens de : nous enlève
    à l’aveuglement auquel nous contraint le

    réel,

    trop souvent) […] »

    (10 mars 1924)



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Lettres-poemes-correspondance-avec-gaudi-matthieu-gosztola-editions-abordo-2







    MATTHIEU GOSZTOLA


    Matthieu-gosztola
    Source



    ■ Matthieu Gosztola
    sur Terres de femmes

    15 juillet 1925 | Matthieu Gosztola, lettre-poème (extrait de Lettres-Poèmes | Correspondance avec Gaudí)
    [Les masques | Nous parlent] (extrait de Ce masque)



    ■ Voir aussi ▼

    le site de Matthieu Gosztola





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  • Jean-Paul Michel, « Quand on vient d’un monde d’Idées, la surprise est énorme »

    par Matthieu Gosztola

    Jean-Paul Michel :
    « Quand on vient d’un monde d’Idées, la surprise est énorme »,
    `When One Comes from a World of Ideas, Vast is the Surprise…´,

    quarante poèmes choisis, traduits et post-présentés par Michael Bishop,
    Halifax-Bedford/Bordeaux, Editions VVV Editions/William Blake & Co. édit.,
    édition bilingue, janvier 2013.
    __________________________________
    `Placing being before itself´, Sicilian Diaries (Summer 1994),
    « Placer l’être en face de lui-même », Carnets de Sicile (été 1994),
    traduction anglaise de Michael Bishop, Halifax-Bedford,
    Editions VVV Editions, édition bilingue, 2010, rééd. janvier 2013.
    __________________________________
    `Stupour and Joy of Fresh Duties´,
    « Stupeur et joie de devoirs nouveaux »,

    traduction anglaise de Michael Bishop, Halifax-Bedford, Editions VVV Editions,
    édition bilingue, juillet 2009, rééd. janvier 2013.




    Note de lecture de Matthieu Gosztola


    [« QUAND ON VIENT D’UN MONDE D’IDÉES… »]



    Michael Bishop a fait un très remarquable travail de traduction, où il parvient à rendre constamment sensible, dans la musicalité et la concision propres à la langue anglaise, le feu de la vie que porte en son sein, pour le faire rejaillir constamment dans ses lueurs les plus denses, les moins apprêtées, la poésie de Jean-Paul Michel. Des lueurs comme des lames nues.

    Ce feu tient du miracle, et nous pousse tout à la fois à l’assentiment et au remerciement, tant il est vrai qu’en nous étant donné comme un surcroît de force et de beauté mêlées, il nous donne à nous-même, à cette part la plus nue de nous-même, ayant des racines communes avec les arbres, avec le frisson du ciel et avec le ballet immuable des saisons.

    Mais si ce feu est un miracle nous enchaînant (pour nous délivrer dans le même instant) à l’éclat de la beauté, à sa répétition qui n’est jamais répétition mais toujours éclosion du neuf, il n’est pas sans danger, partageant logiquement avec chaque part du vivant son destin de flamme, et être poète est d’abord pour Jean-Paul Michel assumer tout à la fois le miracle et le danger que représente ce feu, comme le résume Michael Bishop dans son article intitulé « Jean-Paul Michel : l’art de l’être » paru dans Dalhousie French Studies (volume ninety-six, fall 2011), écrivant qu’« [ê]tre poète, pour Michel, écrire n’importe quel vers, c’est tout d’abord assumer son immersion dans ce feu, cette chaleur et cette illumination, cette brûlure et cette destruction inséparablement, à bien des égards indistinctement. En en étreignant la totalité, la caressant, fatalement » (nous soulignons).

    Tout à la fois accepter (et, par cela-même, refuser tout ce qui étouffe ce feu, tout ce qui le contraint, l’infléchit dans une direction qui, même lorsqu’elle semble en rehausser la couleur et l’intensité, le distrait, pour apparemment brillante qu’elle soit, de son cours originel et sauvage), assumer et remercier, autrement dit vivre vraiment – dans le vrai de l’étant. Et d’un même mouvement écrire, pour Jean-Paul Michel.

    Vivre dans le vrai d’un étant en proie aux signes. Car vouer sa vie aux signes comme à la vie.

    Et lire vient, bien sûr, prolonger ce mouvement. Lisant Jean-Paul Michel, on éprouve dans la fibre nue de sa chair l’impact de la musique du monde, de la musique des signes et de la musique d’une pensée qui, d’une intense rigueur, cherche à élever l’homme vers les hauteurs les moins propices à son encerclement dans la rumeur sourde ou criante du socialisé.

    Et il n’est ainsi nullement étonnant de constater, lisant les proses de Jean-Paul Michel, combien il se tient, dans sa vie transmuée en signes, à la suite de Nietzsche et de Pascal, conjuguant la force de frappe et la recherche d’une musique de la vérité de ces deux êtres – avec une prise de risque à chaque fois maximum, à l’abri de ce qui constitue un abri.

    S’il y a force de frappe, c’est d’abord parce que chaque texte de Jean-Paul Michel nous amène, sans rhétorique aucune, à « [v]oir », et cela pour que nous puissions « mieux éprouver notre aveuglement » (Michael Bishop). L’art de voir que Michel décline (1) peut être, pour être parfaitement compris, rapproché de celui du cinéaste Antonioni, tel qu’analysé par Alain Bonfand dans Le Cinéma saturé, Essai sur les relations de la peinture et des images en mouvement : « L’art de voir ne procède pas de la maîtrise, fût-elle absolue, d’une technique ou d’un savoir-faire, mais d’un perpétuel apprentissage de la vision qui, lorsqu’elle est sidérée par ce qu’elle voit, sait le viser et l’atteindre à son tour pour le rendre visible. Quand Antonioni dit que faire un film est pour lui vivre, il propose et s’impose cet état de vigilance, d’attention et de veille où le visible, tout le visible, « parce qu’il chante », est une proie. »

    Relire Jean-Paul Michel, en français et en anglais (dans ces trois livres de très belle facture), c’est se rendre compte indistinctement à chaque vers et à chaque phrase combien sa poésie est « [p]oème du mouvement de l’être incarné, de la terre, poème de cela qui illumine, ne cesse de révéler l’être-comme-il-est-dans-sa-flagrance-si-facilement-oubliée […] », comme l’écrit si justement Michael Bishop.

    Aussi, relisons Jean-Paul Michel.


    Matthieu Gosztola
    D.R. Texte Matthieu Gosztola
    pour Terres de femmes






    Michel terres de femmes scann couverture





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    (1) Voir ainsi notamment « Stupeur et joie de devoirs nouveaux » – texte publié initialement dans le numéro 595 (octobre 2010) de la Nouvelle Revue Française – et « Placer l’être en face de lui-même » – texte initialement publié quant à lui dans le numéro 584 (janvier 2008) de la même revue et édité en octobre 2008 à Bordeaux par William Blake & Co. sous le titre Placer l’être en face de lui-même, Carnets de Sicile (été 1994), « Neuf états d’une gravure » (livre d’artiste avec Farhad Ostovani).



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    NOTE d’AP : Jean-Paul Michel est lauréat 2013 du Prix Léopold Sédar Senghor de poésie.





    JEAN-PAUL MICHEL


    Jean-Paul Michel
    Source
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    ■ Jean-Paul Michel
    sur Terres de femmes

    <Meditatio italica (extrait du Plus réel est ce hasard, et ce feu)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur La Cause Littéraire) entretiens (février 2012) de Mathieu Gosztola avec Jean-Paul Michel (
    → I) (→ II)
    → (sur temporel)
    un entretien (avril 2011) de Michèle Duclos avec Jean-Paul Michel
    → (sur remue.net)
    <Par tous ses chemins (un article de Serge Airoldi, Sud-Ouest Dimanche)





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