Étiquette : Mélissa Fries


  • Patricia Cottron-Daubigné, Femme broussaille, la très vivante

    par Gérard Cartier

    Patricia Cottron-Daubigné, Femme broussaille, la très vivante,
    Les Lieux Dits éditions, Collection 2Rives, 2020.
    Dessins de Mélissa Fries.




    Lecture de Gérard Cartier


    ARCIMBOLDA




    C’est l’un de ces livres enfantés par une rencontre qui pousse un écrivain, confronté à une matière étrangère, à se renouveler. On connaît la large palette de Patricia Cottron-Daubigné, des courtes proses de Croquis-Démolition (La Différence, 2011), récit d’une longue grève ouvrière, jusqu’aux poèmes sur les migrations de Ceux du lointain (L’Amourier, 2017), qui plongent parfois dans le mythe, et aux vers amoureux de Visage roman (L’Amourier, 2014). Elle nous surprend pourtant avec ces poèmes d’une verve sauvage et presque animale, accordés aux œuvres de Mélissa Fries qui les ont inspirés, comme en témoigne le cahier d’une douzaine d’œuvres inséré en tête du recueil : des dessins au crayon gras sur lavis, parfois hybridés de photos, dont les lignes enchevêtrées enserrent des formes végétales, animales, ou humaines, en particulier des fragments de corps féminins.

    Femme broussaille, la très vivante forme un triptyque dont la partie centrale, composée de courts poèmes, est une « naissance du monde ». Étrangement, l’autrice prend la voix de l’amant (« ô chère… ») pour louer le coffret secret, l’œil buissonnant qui troue l’image et qu’on ne peut mettre en mots qu’en le niant. La poésie n’est pas une table à dissection ; on ne peut pas dire l’anatomie crûment : une métaphore y pourvoit. Les blasons féminins du passé abondent en images botaniques ; pour peindre leur maîtresse, les poètes ont longtemps invoqué les roses, les lys et les fruits : toute amante est une Arcimbolda. Ici, au cœur des jardins d’Épicure, c’est un dahlia noir qui fleurit dans les broussailles, parfois hanté par un insecte ou un oiseau :

    noir dahlia

    et quel rouge dans le noir

    plus noir que la nuit

    et rouge venu dans le secret

    émouvant […]

    Quoique relevant de la même thématique, les deux parties latérales du triptyque ont une tonalité assez différente. Ici, c’est la femme qui parle. La dévotion fait place au chant des forces primitives, qui s’exalte parfois jusqu’au délire dionysiaque. Plus que dans le mythe, celui-ci plonge volontiers dans le Moyen Âge : la femme y est cet être étrange et fascinant qui vient « des sorcières / et des sabbats ». Une poésie de l’excès, donc, qui lorgne (sans excès) vers le surréalisme. Le poème est une cérémonie qui accompagne celle de l’amour : « je parle à la lune de / nos ventres gourmands ». On est loin de la sévérité de Ceux du lointain. Portrait de l’autrice en saint Sébastien :

    Je recommence

    je n’épuise pas mes forces

    malgré les clous les flèches

    fichés dans ma chair

    je fraye avec le hasard

    avec les mots avec les sourires

    cachés avec la beauté du jour

    la douceur des chairs femme

    je regarde « l’intraitable beauté du monde »

    la touche la bois m’en saoule

    je remercie l’horizon

    de couler en moi.

    Un aspect original du recueil, au regard du canon de la littérature érotique, est ce qu’il dit de la condition des femmes. Patricia Cottron-Daubigné rappelle l’état de sujétion sociale dans lequel elles ont longtemps été tenues : « ô le petit étouffoir / et le silence comme règle / avec le sang… ». De même, dans l’amour, la femme était montrée essentiellement passive. La littérature érotique a longtemps été l’apanage des hommes : « Tant de fois peintes / au pinceau lascif / du regard… ». Cela a beaucoup changé. C’est même presque aujourd’hui le contraire. Les femmes chantent l’amour physique avec une liberté et souvent, dans la diversité des voix, un bonheur d’écriture qui bouleverse notre vision – qu’on pense à Environs du bouc (Comp’Act, 2005) de Sophie Loizeau ou à Iris, c’est votre bleu (Le Castor Astral, 2008) d’Ariane Dreyfus. La liberté gagnée par les femmes, c’est aussi celle de dire à haute voix la « belle insolence de la chair lumineuse ».



    Gérard Cartier
    D.R. Gérard Cartier
    pour Terres de femmes







    Patricia Cottron-Daubigné  montage





    PATRICIA COTTRON-DAUBIGNÉ


    Patricia_Cottron_Daubigne-2





    ■ Patricia Cottron-Daubigné
    sur Terres de femmes


    Ceux du lointain (lecture d’AP)
    [Je marche seul avec mon fils](extrait de Ceux du lointain)
    Visage roman (lecture de Sylvie Fabre G.)




    ■ Autres lectures de Gérard Cartier
    sur Terres de femmes


    Jean-Pascal Dubost, & Leçons & Coutures II
    Alain Guillard, Quête du nom
    Cécile Guivarch, Vous êtes mes aïeux
    Emmanuel Moses, Ivresse
    Muriel Pic, Élégies documentaires





    Retour au répertoire du numéro de juin 2020
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes