Étiquette : Mémoire »


  • Maurice Kamto | Phénix


    PHÉNIX





    C’est une terre des confins où se contredisent les rêves.
    À chaque réveil je me retrouve dans le champ des énigmes.

    Je sonderai ton âme tels les lamantins du lac Ossi
    Pour me nourrir des temps primordiaux.
    Je reviens d’une aube qui gémit
    Où se languit la princesse des mangroves,
    Œuvres du Mont des dieux et de l’Océan.
    Sa couronne est sertie des braises qui consumèrent l’aurore
    Écoute ses plaintes inépuisées

    Ses larmes emperlent nos infortunes
    La mort a dédaigné ses faveurs et l’a punie d’une vie frivole

    En elle une violente gésine
    Terre mienne née au croisement des routes
    Forêt de poudre et de dédain
    Voici que tu renais dans nos mémoires
    Sylphide entraînant ses grâces à d’antiques souverains
    Tu aimantes baroudeurs et soupirants frénétiques
    Qui rêvent des nuits d’accomplissement
    Je t’emporte avec moi partout où je vais
    Dans l’intime de mes luttes et déroutes
    Terre séchée à mes semelles de pèlerin

    Je te dessine à la crête de mes rêves d’homme
    Plus haut que le sommet de l’esprit plus délirant que les fastes de Danakil
    Le doute s’est enfui du jour et de sa parole claire
    Et voici que s’inaugure la marche des soleils

    Je veux être présent au couronnement de l’audace
    Quand du sein de l’azur elle repoussera les persiflages
    Les aspergeant d’une joie sertie d’or et de notre volonté d’être
    Elle arbore un blason damasquiné aux armoiries des héros

    Elle a lâché la main de la défaite
    Escaladé les nuées dans un ciel sans limites
    Et nourri les songes

    C’est ainsi que je te rêve
    Buissonnant du monde à venir.





    Maurice Kamto, « Mémoire », Sous la cendre les étoiles, éditions Obsidiane, Collection Le Manteau & la Lyre dirigée par Nimrod, 2021, pp. 78-79.






    Maurice Kamto  Sous la cendre les étoiles 7




    MAURICE KAMTO


    Maurice Kamto denim
    Photo ©D.R.




    Avec Sous la cendre les étoiles, Maurice Kamto nous dévoile « l’aube primordiale » d’un très grand chant où se mélangent l’enfance du poète et celle d’une nation. D’un côté, l’insouciance et le geignement de l’enfant bousculé par l’absence brève mais profonde des figures de l’amour. De l’autre, la difficile parturition d’un nouveau pays. Alors se déploie un panorama où l’attention du poète se manifeste aussi bien à l’égard des enfants des rues, des femmes, des arbres que pour la geste continentale. Lais, laisses et versets du prisonnier recueillis à la lucarne de sa geôle, à l’aurore, lorsque s’aiguisent les déchirures, Maurice Kamto sublime une douleur pudique et une espérance certaine. Son attitude pourrait être la définition même de l’acte poétique. Sous la cendre les étoiles est son troisième recueil de poèmes.
    Avec Maurice Kamto, Léopold Sédar Senghor trouve une digne émule de la poésie épique, mais réinventée, transfigurée (note de l’éditeur).




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de Cameroon Radio Television)
    une fiche biographique sur Maurice Kamto





    Retour au répertoire du numéro de mars 2021
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Pascal Commère, Mémoire, ce qui demeure

    Pascal Commère, Mémoire, ce qui demeure,
    Tarabuste, Collection Reprises,
    Saint-Benoît-du-Sault (Indre), 2012.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Images entraperçues à travers la vitre embuée d'une fenêtre
    Ph., G.AdC






    « OUBLI, SAVANTS DÉCOMBRES »




    Voix sans tain échos sans voix, Mémoire, ce qui demeure est poésie du silence. Partition pour voix éteintes, voix des êtres et voix seules, interrogation sur le chevauchement et le glissement des unes sur les autres, le recueil de Pascal Commère est une lente et longue litanie d’hommes de la campagne de bêtes et de « choses » appartenant à un passé depuis longtemps révolu. De ce monde muet, douloureux, et comme absent à lui-même, Pascal Commère tente de restituer les contours et les bruits à travers les trois sections réunies sous un même titre qui oriente la lecture, du côté de la mémoire, « pédalier grippé » qui laisse trace dans la poussière. De sorte que coucher des mots sur ce silence est entreprise délicate, voire improbable. Essayons, tout de même, sotto voce, de couler notre voix dans les « brisures » ouvertes par le poète.

    Emprunté aux deux premiers vers du poème d’ouverture de la troisième section ― « D’une voix tue, brisures » ―, le titre de l’ouvrage ― Mémoire, ce qui demeure ― ancre la poésie de celui qui revient en ses terres, dans un cheminement patient le long du sentier de halage de la mémoire.

    « Mémoire ― ce qui demeure,
         tremblante main.
     »

    De ces deux vers se diffuse le mystère d’une poésie née du tremblé des mots, images entraperçues à travers la vitre embuée d’une fenêtre. S’ouvre alors un monde rural aux tesselles indistinctes, « Fragments d’espace, détachés / d’un cadastre en soi connu de tous. » Un univers de guingois prend place de page en page, villages aux maisons penchées où hommes et bêtes se meuvent dans leur ombre, femmes vouées à leurs travaux de lingères et à leurs sangs. Monde obscur, replié sur ses gestes et ses silences : « (les fenêtres sont petites servent si peu) ». Qui sont-ils ? – « corps de femme sur la brique / corps de ferme ». D’où issus ? Les anciens sans doute, tous ces êtres familiers qui ont précédé en ce lieu-même celui qui parle et qui revient, ce fils à qui la mère écrit, au seuil du recueil, « d’une encre qui retient la cendre / d’une blessure. » Lui, dont le retour ajoute une ombre aux autres ombres.

    Pourtant, « d’un angle mort sous le papier » surgissent les « mots qui serrent ». Pour nommer quoi, interroge le poète, sinon « le crépitement chuinté du lait / contre la paroi du seau. ― La cloche de sept heures, sans beaucoup plus de sens. » Et le poète s’obstine : « Les répéter, ciel et salive ensemble. » Ainsi, qu’il s’agisse des poèmes de « Terre – Alors, et Alentours » (première section), « D’une voix tue, brisures » (troisième section) ou des courtes proses de la seconde section ― « Fenêtres La Nuit vient » ―, le poète tire-t-il de l’enfouissement – « oubli, savants décombres » ― le monde qui fut celui des siens. Par fragments et par variations autour du même, il recompose le monde passé. Comme suspendue entre les parenthèses qui émaillent chaque poème, la vie est là, à l’identique, dans ses formes simples :

    « (Les enfants ne pèsent pas, l’averse / les soulève des marelles) » ou encore « (Les saisons sont des femmes / en froid avec leurs sangs) ». Plus loin : « (il pleut. Des mains de cuir manœuvrent / près des ― salines) » ou bien : « (Leurs voix-cassées, maisons les ramassent) ». Ou encore : « (Les villages pendent derrière les pluies) ».

    Ailleurs, dans la seconde section, solitaires sur la page de gauche (en bas de la page), les phrases en italiques semblent une fenêtre ouverte sur la page de droite :

    « Fagots d’écorce une ficelle autour, rien
    ne se perd le soir les façades penchent
     »

    ou encore :

    « Une femme appuyée en bas
    sur la brouette de son ventre
     »

    Les mêmes menus objets, les mêmes marques sur le visage – « les verrues sous les paupières » ―, le même chien jaune, la même vacuité, traversent le recueil. Au long de cette variation sur l’identique, quelque chose bouge, un tremblé à peine, qui passe par l’inventaire des formes et des lieux, trouve ses liens dans la couleur (rouge, jaune, bleu, noir) ainsi que dans la présence obsédante des mains et des yeux. Vides, absents ou aveugles, pareils à des boutons cousus, les yeux se détachent du visage, vivent leur vie propre :

    « Leurs yeux alors, / sortent-rentrent plus tard qu’eux ». De même les mains. Bleuies par les lessives et par le froid, les mains « s’occupent seules ». Elles « vont devant dans les journées », indépendantes, « remisées / dans la pièce aux outils. », le soir. « La nuit, retour au ventre. » Un même détachement gagne peu à peu le poète, signe sans doute de son appartenance à ce monde, de sa grande proximité avec lui :

    « Tes yeux, se couchent loin de toi. »

    Une même étrangeté le questionne et l’étreint :

    « Où commencent
    les yeux. S’ils finissent ?

    Ce qui reste étranger malgré soi,
    Cette part de nous.

    Les mains.
     »

    Des « yeux germés » aux « mains serrées », « l’os règne », impose son ordre, identique pour tous, hommes et bêtes, liés qu’ils sont « au destin des bêtes de boucherie. »

    Dans cet univers immobile et rude où hommes et bêtes se rejoignent (« Les hommes ont rentré leur bêtes leur visage »), le temps est à la lenteur, au presque rien qui s’amenuise dans la brisure, voix et visage cassés. Brisées, elles aussi, les phrases se serrent sur leurs ellipses :

    « Chemin lentement, les choses / un peu de gris le soir – ou rien, mouchoir bleu. »

    « En quoi/ se reconnaître ? » interroge Pascal Commère. « Où être ? » Et que faire de tout cela qui tourmente la mémoire, blessure et « cicatrice, déjà » ? Quel sens donner à ce qui persiste encore « dans les intervalles »?

    Peut-être oser les mots, même si la phrase trébuche, puisqu’on revient toujours et que les mains, gardiennes de la mémoire, « savent » ? Se remettre à l’ouvrage et, patiemment,

    « crocher dans le bris des
    phrases les mots, qui
    tiennent chaud

    sans brûler. 
    »

    Et de cette geste humble de poète, aborder doucement « le sommeil long, l’hiver ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    PASCAL COMMÈRE


    Commere
    Source




    ■ Pascal Commère
    sur Terres de femmes

    Lettre de la mère (extrait de Mémoire, ce qui demeure)
    [La courbe des fumées là-bas] (poème extrait de Territoire du Coyote)
    Territoire du Coyote (note de lecture d’AP)
    [Blanche, la gelée aux quatre coins] (poème extrait de « Songe du petit cheval déplacé en terre franque »)
    Sur la poussière
    [Crayonné paysage] (poème extrait de « Sur une ligne de crête en Toscane »)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Terre à ciel)
    une page consacrée à Pascal Commère (nombreux extraits + notice bibliographique)
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Pascal Commère
    → (sur le site de France Culture)
    Pascal Commère dans Ça rime à quoi de Sophie Nauleau (émission du 13 mai 2012)





    Retour au répertoire du numéro de novembre 2012
    Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »
    Retour à l’ index des auteurs


    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Pascal Commère | Lettre de la mère



    C'est écrit, que les cours des fermages s'en vont grimper
    Ph., G.AdC







    LETTRE DE LA MÈRE



    C’est presque le printemps, c’est écrit
    dans la lettre


    que les poulains sevrés (qui vont prendre
    une année) ont des poux dans le poil
    et de mauvais aplombs.


    C’est écrit,


    que les cours des fermages s’en vont
    grimper ― qu’il faut compter,


    économiser l’eau, préserver
    l’herbe. Livrer combat.


    (Mais où le fils ?)


    Inventorier les créances passées,
    refaire l’enclos, payer le scieur


    et donner sciure aux chattes
    qui mettent bas au fond des coffres.


    (― Et parti sur quelles routes,
    comme si c’était utile)


    Près du lavoir caler la planche,
    est-ce donc si difficile, l’empreinte
    des genoux restée marquée depuis le gel.


    Tout ça,


    d’une encre qui retient la cendre
    d’une blessure.― Ou si c’est colère,


    cette part de nous que
    n’éteint pas la neige.




    Pascal Commère, « Lettre de la mère » in Mémoire, ce qui demeure, Tarabuste Éditeur, Collection Reprises, 2012, page 13.





    PASCAL COMMÈRE


    Commere
    Source



    ■ Pascal Commère
    sur Terres de femmes

    [La courbe des fumées là-bas] (poème extrait de Territoire du Coyote)
    Territoire du Coyote (note de lecture d’AP)
    Mémoire, ce qui demeure (note de lecture d’AP)
    [Blanche, la gelée aux quatre coins] (poème extrait de « Songe du petit cheval déplacé en terre franque »)
    Sur la poussière
    [Crayonné paysage] (poème extrait de « Sur une ligne de crête en Toscane »)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Terre à ciel)
    une page consacrée à Pascal Commère (nombreux extraits + notice bibliographique)
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Pascal Commère
    → (sur le site de France Culture)
    Pascal Commère dans Ça rime à quoi de Sophie Nauleau (émission du 13 mai 2012)





    Retour au répertoire du numéro d’octobre 2012
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes