Étiquette : Michel Baglin


  • Michel Baglin | À quai


    À QUAI




    Désormais j’entre dans les gares
    par effraction, par l’arrière,
    du côté des grelots des passages à niveau,
    du côté des friches rebelles,
    des voies déposées,
    des wagons à l’abandon
    sombrant dans les herbes folles
    et les souvenirs qui s’éteignent.

    J’avance en me demandant
    à qui peuvent bien parler
    la maison du garde-barrière
    et son jardin en jachère,
    à qui tout ceci saurait-il en secret
    raconter encore
    des histoires de trains fous,
    ou pousser des gosses
    à se tordre les pieds
    sur les cailloux du ballast
    jusqu’au dépôt déserté,
    jusqu’aux carcasses de la casse
    où l’on s’initie à tout âge
    au grand voyage.

    Sous les horloges des quais,
    j’avance dans le silence
    des horaires suspendus.
    Faute de remonter le temps,
    je remonte les trains.
    Je n’attends rien.
    Plus personne n’en descendra.
    Ma vie est faite.




    Michel Baglin, « Faux départs », Un présent qui s’absente, éditions Bruno Doucey, 2013, pp. 43-44.





    Michel Baglin  Un présent qui s'absente




    MICHEL BAGLIN (1950-2019)


    Michel Baglin
    Ph : David Bécus
    Source





    ■ Michel Baglin
    sur Terres de femmes


    Sentier d’automne (poème extrait de L’Obscur Vertige des vivants et autres approches)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Recours au poème)
    Un présent qui s’absente, Entre les lignes (lecture de Philippe Leuckx)
    → (sur La Pierre et le Sel)
    un entretien avec Michel Baglin (17 mai 2013)
    → (sur Terre à ciel)
    une page sur Michel Baglin
    → (sur Esprits Nomades)
    une page sur Michel Baglin





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  • Michel Baglin | Sentier d’automne




    SENTIER D’AUTOMNE
    Ph., G.AdC





    SENTIER D’AUTOMNE




    Je n’ai que ce rêve à vous offrir : descendre dans le paysage. Vers le réel trouver passage par les ornières et les bourbiers, les ronces, les haies, les branches basses, l’arbre au travers du chemin. Par les talus, les ravins, les fossés.


    Trouver passage par le crachin, le vent, l’orage aussi. Par ce qui mouille, essouffle et griffe, surprend, se défend, se dérobe ou promet.


    Trouver passage par les odeurs d’humus et le chemin frayé dans le parfum des baies. Par la brume flâneuse et le soleil frileux, la clairière surprise à son bain de lumière, l’envol d’un cri dans le fourré voisin.


    C’est un rêve modeste qui s’incarne dans le froissement d’aller, si près de la caresse, le bois qui craque sous le pied, la feuille tombée dans le trou d’eau d’un pas.


    Je n’ai que ce sentier d’automne à vous ouvrir à travers tant de vacillements et d’immobilité. Il passe par la source discrète, aux lèvres martelées sous le sabot des bêtes. Par la souche et l’écorce, l’acacia vermoulu des clôtures oubliées, l’escargot, la limace, l’étonnement de l’effraie.


    Il passe par la main qui tâtonne aussi, le pied qui se risque, le geste qui épouse, par la pente et la faille, le détour et la halte. Par le vertige, la fatigue et la faim.

    Et par le corps engagé dans le bois tendre du monde comme un coin.


    Il passe par le vieux Pan sommeillant en tout marcheur frustré.

    Pour descendre dans le paysage, vers le réel trouver passage, je n’ai rien à vous offrir d’autre que l’étreinte d’un sentier.

    Seilh, octobre 1992.



    Michel Baglin, L’Obscur Vertige des vivants et autres approches, éditions L’herbe qui tremble, 2019, pp. 57-58.





    Michel Baglin  L'Obscur Vertige des vivants





    MICHEL BAGLIN


    Michel Baglin
    Ph : David Bécus
    Source





    ■ Michel Baglin
    sur Terres de femmes


    À quai (poème extrait d’Un présent qui s’absente)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions L’herbe qui tremble)
    la fiche de l’éditeur sur L’Obscur Vertige des vivants
    → (sur Terre à ciel)
    une recension de L’Obscur Vertige des vivants





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