Étiquette : Michel Deguy


  • 6 novembre 2014 | Mort d’Abdelwahab Meddeb

    Éphéméride culturelle à rebours




    MICHEL DEGUY, PROSE DU SUAIRE



    Le 6 novembre 2014 meurt à Paris le poète soufi Abdelwahab Meddeb. Né à Tunis en 1946, Abdelwahab Meddeb a été une figure majeure de la pensée franco-tunisienne. Passionné de littérature française, cet islamologue, également romancier, dramaturge, homme de radio et universitaire, a contribué par son travail éditorial – il dirigeait les éditions Sindbad — à faire connaitre les maîtres du soufisme ainsi que nombre de poètes et grands écrivains contemporains de langue arabe. Parmi lesquels figurent Naguib Mahfouz et Adonis.

    Abdelwahab Meddeb 2
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    Au lendemain de la mort d’Abdelwahab Meddeb, le poète Michel Deguy a rendu hommage à son ami franco-tunisien, auteur de Portrait du poète en soufi, en lisant Prose du suaire à l’Institut du Monde Arabe. La particularité de cette prose, hymne liturgique composé en l’honneur du défunt, est qu’elle a été traduite, selon le désir de Michel Deguy, en vingt langues. Dont le latin. Le recueil publié par Alain Gorius pour les éditions Al Manar constitue donc un « tour de Babel en vingt poèmes de ce monde ». Une « Œuvre ouverte », selon les mots de Michel Deguy, fidèle à la pensée du poète soufi. À quoi vient s’ajouter la calligraphie. Tour du monde babélien selon Rachid Koraïchi pour la première de couverture ainsi que pour les différentes calligraphies de l’intérieur de l’ouvrage, chacune des langues bénéficiant de sa typographie propre (accents, signes, cédilles, pictogrammes…). Un parcours séduisant pour l’œil et pour la langue.

    Poème en sept strophes (de 4, 5, 6 ou 3 vers) sur la mort, Prose du suaire dialogue pour nous avec le défunt. J’ai choisi de présenter ici les strophes 4 et 5 du poème, en respectant l’ordre des langues retenues pour ce recueil. Sont toutefois ici absents (pour des raisons pratiques de mise en ligne dans cet espace) les textes de : Mohammed Bennis (arabe) ; JIN Jia et XU Min (chinois) ; Veltsos Georgos (grec) ; Moses Emmanuel (hébreu) ; Anand Beena (hindi) ; Nishiyama Yuji( japon) ; Royaï Yadollah (persan) ; Holter Julia (russe) ; Doan cam Thi (vietnamien).




    Pour Abdelwahab Meddeb




    [1.]Prose du suaire



    « D’où que tu sois » tu es ici
    Tu parles tes poèmes dans la nuit de nos jours
    Un nous peut te jurer une fidélité

    Maintenant le voile puis le suaire de nos pages
    Appliqués sur ta vie
    Ta vie passible de la transcendance qui la configurait
    Relèvent mes traces de cette transe
    Qui la transfigura



    Michel Deguy






    [3.] Prosa des leichentuchs



    ,,Wo du auch bist » du bist hier
    Du sprichst deine Gedichte in die Nacht unserer Tage
    Ein Wir kann dir eine Treue schwören

    Jetzt der Schleier dann das Leichentuch
    Unserer auf dein Leben angewandten Seiten
    Dein Leben offen der Transzendenz die ihm Gestalt gab
    Heben die Spuren dieser großen Angst hervor
    Die es verklärte



    Dans l’allemand de Joachim Sartorius






    [4.] Prose of the shroud



    « Wherever you are» you are here
    You speak our poems in the night of our day
    A we can swear you fidelity

    Now the veil and then the shroud of our pages
    Applied to your life
    Your life liable with the transcendence that configured it
    Roll up the traces of this trance
    That transfigured it



    Dans l’anglais de Richard Rand






    [6.] Prosa del sudario



    « De donde seas » aquí estás
    Hablas tus poemas en la noche de nuestros días
    Un nosotros puede jurarte una fidelidad

    Ahora el velo después el sudario de nuestras páginas
    Plagados sobre tu vida
    Tu vida pasible de la transcendencia que la configuraba
    Relevam las huellas de este trance
    Que la transfiguró



    Dans l’espagnol de Jean-Paul Iommi-Amunategui






    [10.]Szöveg szemfedőre



    ,,Bárhol is légy », de itt vagy
    Közös napjaink éjjelébe mondva verset
    Közös — és ez a hűség záloga

    A lapok leplek, aztán szemfedők
    Létedet lefedők
    A létet, amely a túlnant fordította
    Az ittbe át, keresztül—
    Lépve rajta



    Dans le hongrois de Kristian Toth






    [11.]Prosa del sudario



    « Da dovunque tu sia » tu sei qui
    Tu parli le tue poesie nella notte dei giorni nostri
    Un noi ti può giurare una fedeltà

    Adesso il velo poi il sudario delle nostre pagine
    Applicati sulla tua vita
    La tua vita passabile della transcendenza che la configurava
    Rilevamo le tracce di questa trance
    Che la transfigurò



    Dans l’italien de Martin Rueff






    [14.] Prosa del sudário



    « De onde você estiver » você está aqui
    Você diz seus poemas na noite de nossos dias
    Um nós pode jurar—lhe uma fidelidade

    Agora o véu o sudário de nossas páginas
    Estendidos sobre sua vida
    Sua vida oferecida à transcendência que a configurava
    Relevam os trços deste transe
    Que a transfigurou



    Dans le portugais de Marcos Siscar






    [15.] Proză al giulgiu



    « De oriunde-ai fi » tu eşti aici
    Poemele ţi le rosteşti în noaptea zilelor noastre
    Un noi poate să-ţţjure credinţă

    Mai întâi vălul apoi giulgiul paginilor noastre
    Pe viaţa ta pasibilă de transcendenţa ce o configura
    Marcată e de urmele acelei transe
    Care-o transfigura



    Dans le roumain de Sorin Marculescu






    [17.] Mrtvaški prt v prozi



    »Od koderkoli si «, si tukaj,
    v noči naših dnevov nam govoriš svoje pesmi
    In naš mi ti lahko obljubi večno zvestobo

    Tančica zdaj, zatem mrtvaški prt popisanih strani,
    ki smo jih nanesli na tvoje življenje,
    tvoje življenje, zavezano lastni presežnosti, ki ga je razmestila,
    izrišejo sledi zanosa,
    ki je to življenje zaneslo v drugo obliko



    Dans le slovène de Barbara Pogacni






    [18.] Kefenin nesri



    « Nereden olursan ol » buradasin
    Günlerimizin gecesinde şiirlerinle konuşuyorsun
    Sana biz diyerek bağliliğimizi gösterebiliriz ancak

    Şimdi yüz örtüsü ve sayfalarumizin kefeni
    Yaşamina uyarlanmiş senin
    Aşkinlik gerektiren yaşamini biçimlendiren
    Onu cezbenin izleriyle güzelleştiren



    Nedim Gürsel’in Türkçesiyle
    Dans le turc de Nedim Gürsel






    [20]. Prorsa sindon



    Hic ades undecumque sis
    Carmina canis per dies nocturnos nobis
    Quidam nos te recordaturus iuret fidelis

    Nunc in his paginis ut linteo denique sidone
    Applicatis uitae tuae
    Vitae passurae studium transcendi eoque configuratae
    Legimus eius exsultationis uestigia
    Qua transfigurata est uita



    Dans le latin de Bénédicte Gorrillot



    Michel Deguy , Prose du suaire, un poème en vingt langues pour Abdelwahab Meddeb, Al Manar, 2015.






    Prose-du-suaire001





    MICHEL DEGUY


    Deguy
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    ■ Michel Deguy
    sur Terres de femmes

    Cap sur l’agora des biens
    De l’attachement
    ô folle déclaration d’amour
    Pour la poésie aujourd’hui
    Quand il n’y aurait…





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  • Michel Deguy | De l’attachement



    DE L'ATTACHEMENT
    Ph., G.AdC







    DE L’ATTACHEMENT
    (extrait)




         Attachés de toutes les manières, et à chaque fois par amour, par obligation, et par contraintes, nous sommes autres qu’à l’attache, et par l’attachement nous mesurons ce à quoi nous ne pouvons nous arracher, ce qui n’en finit pas de se révéler et de nous retenir. L’Ulysse d’Homère est nostalgique ; nous le connaissons attaché à Ithaque ; celui de Dante est sans retour, et s’il quitte tout, s’il quitte le chemin ― qui attache le lieu à un autre, nous dit le dictionnaire ― il ne quitte pas « cet amas de merveille », ni l’énigme du virement de l’être au compte du monde. Nous le préférons, ce monde, à tout autre c’est son privilège. Il nous faut y aller sans retour ; c’est la tâche. Et nous accepterions la mort pourvu qu’il nous restât un œil vivant, une vue de fantôme sur ici-bas depuis l’outre-tombe.



    Michel Deguy, « De l’attachement », Poèmes en Pensée, 2002, in Comme si comme ça, Poèmes 1980-2007, Éditions Gallimard, Collection Poésie, 2012, page 375.





    MICHEL DEGUY


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    ■ Michel Deguy
    sur Terres de femmes

    Cap sur l’agora des biens
    ô folle déclaration d’amour
    Pour la poésie aujourd’hui
    Quand il n’y aurait…
    6 novembre 2014 | Mort d’Abdelwahab Meddeb (extrait de Prose du suaire de Michel Deguy)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site Université de tous les savoirs)
    la conférence de Michel Deguy (L’attachement) du 31 décembre 2000





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  • Michel Deguy | Pour la poésie aujourd’hui



    Deguy
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    POUR LA POÉSIE AUJOURD’HUI


        Pour la poésie aujourd’hui, trois propositions

         1. La poésie prend l’AIR. L’air, c’est trois choses :
         a. la vie ; b. l’aspect ; c. la mélodie.
        Ne pas manquer d’air (à respirer) ; ne pas manquer d’air (allure) ; ne pas manquer la mélodie. C’est ce que recherche un poème.

         2. Il y a un AIR du temps. On l’appelle aussi esprit (Weltgeist). Cet esprit n’a rien d’un esprit ; il n’est ni fantôme, ni petite divinité, ni djinn nocturne, ni ni. Cet esprit est le nôtre ― humain. Je veux bien l’appeler saint, pourquoi pas, à condition de traduire la sainteté en sagesse et en âge, en savoir et jugement, en psychologie et en amour du bien.
        La religion a enfanté la théologie. La théologie a appris à l’homme de quoi il est capable. Maintenant il doit reprendre à soi cette capacité (Feuerbach) : anthropomorphose continuée. Je ne dis pas qu’il n’y a rien d’autre, parce que justement, tout est source : la ci-devant nature, le fond de l’univers, l’Être, les « sources chrétiennes » (Simone Weil), et autres.

         3. La littérature, et son mode poétique ― en bref : la poésie, dont la singularité consiste en ceci : elle est audacieuse, elle s’élance, elle ose, elle trace ; elle décide, elle nomme… ― montre, fait voir, cet esprit, en le faisant entendre. C’est sa voyance, ou vision ; jadis devin, maintenant devineuse. Elle le montre à ses compagnes, musique, peinture, formes volumineuses, films, contenances nouvelles plastiques… Elle est entraînante, elle s’allie avec.


    Michel Deguy, « La poésie en France », Confluences poétiques n° 1, Mercure de France, 2006, pp. 44-45.





    ■ Michel Deguy
    sur Terres de femmes

    Cap sur l’agora des biens
    De l’attachement
    ô folle déclaration d’amour
    Quand il n’y aurait…
    6 novembre 2014 | Mort d’Abdelwahab Meddeb (extrait de Prose du suaire de Michel Deguy)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site Université de tous les savoirs)
    la conférence de Michel Deguy (L’attachement) du 31 décembre 2000





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