Étiquette : Michel Diaz


  • Michel Diaz | [de tourbe]



    Olivia Rolde 2
    Olivia Rolde, Road movie underground
    in Michel Diaz, Offrandes Olivia Rolde,
    Thi lùu éditions, 2020, page 24.
    Source








    [DE TOURBE]




    de tourbe
    de cailloux de sable
    de racines d’écorce de sève
    de ronces d’arc-en-ciel de nuages

    de rameaux convulsifs
    de feuilles pourrissantes sous des lunes amères
    et de miroitement d’étangs éblouis de clarté
    de flexion d’âme d’agonie glaciaire

    de lichen de vase d’eaux sales
    de noces indécises et d’oiseaux de glaise
    de soleil blanc d’étoiles mortes
    de plaintes telluriques
    et de pierres vives

    de chemins traversés
    de vent et de vols de ramiers
    d’éclairs calligraphiques et de songes furtifs
    de moellons muets et de remparts aveugles

    d’échos de mer
    d’algues visqueuses
    de stridences de sauterelles
    de chants barbares et de cris d’exil

    d’appels de fond d’entrailles
    d’yeux coulés dans la chaux
    de nerfs de sang et d’os

    — être devant
    et être tout ce qui est


    comme un pauvre parmi les pauvres
    dans l’offrande du jour immense

    comme une branche est dans le feu



    Michel Diaz, « écrire, peindre », Offrandes Olivia Rolde, Thi lùu éditions, 37540 Saint-Cyr-sur-Loire, 2020, page 25. Préface de Daniel Leuwers.





    Michel Diaz Offrandes




    MICHEL DIAZ


    Michel Diaz
    Source




    ■ Michel Diaz
    sur Terres de femmes


    Comme un chemin qui s’ouvre (lecture d’AP)
    Ce qui gouverne le silence (extrait de Comme un chemin qui s’ouvre)
    clair-obscur (extrait de Lignes de crête)
    Le Verger abandonné (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    le site de Michel Diaz
    le site d’Olivia Rolde




    ■ Notes de lecture de Michel Diaz
    sur Terres de femmes


    Jeanne Bastide, La nuit déborde
    Alain Freixe, Contre le désert
    Françoise Oriot, À un jour de la source





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  • Michel Diaz, Le Verger abandonné

    par Angèle Paoli

    Michel Diaz, Le Verger abandonné,
    éditions Musimot,
    03800 Le Mayet d’École, 2020.
    Préface de David Le Breton.



    Lecture d’Angèle Paoli


    UN CHANT NOUVEAU DE LA DISPARITION





    Quel Éden hors d’atteinte se cache derrière Le Verger abandonné ? Le titre qu’a choisi Michel Diaz pour la porte d’entrée de son dernier recueil ne laisse rien augurer de ce que le poète a imaginé. Pas davantage l’illustration de la première de couverture. Une photo de Pierre Fuentes. Une photo en noir et blanc de troncs décharnés entourés d’herbes folles. En arrière-plan, en fond grisé, un horizon marin ou peut-être une mer de nuages. Le mystère reste entier. En feuilletant ce bel ouvrage de format 18 x 14 cm (à l’italienne), le regard roule sur les titres : « Première lettre à Pénélope » ; « Troisième lettre à Laërte » ; « Quatrième lettre à Télémaque »… Aucun autre patronyme ou toponyme n’arrête le regard. Pas même celui d’Ulysse. Pourtant ces lettres sont bien les siennes. C’est lui qui raconte, c’est de lui qu’il parle, et c’est aux siens qu’il s’adresse. Dix-huit lettres au total, sans réponse aucune ni signature. Ulysse écrit successivement à son épouse (sept lettres), à son vieux père (six lettres), à son fils (cinq lettres).

    « Ô mon épouse aimée » / « Quand je serai là, devant toi, mon vieux père » / « Mon cher fils ».

    L’objet de ces différentes lettres, non datées, porte sur l’annonce du retour prochain d’Ulysse dans son île natale. Toutes s’organisent autour du « verger », du souvenir que le héros grec en a gardé. Il est le lieu unique auquel Ulysse abordera avant que de rencontrer les siens, le métacentre qui occupe les rêves du navigateur, l’« axis mundi » dont parle David Le Breton dans sa préface. Ainsi, dans la première lettre qu’il adresse à Pénélope, Ulysse, revenant sur le passé des amants qu’ils furent, évoque-t-il le souvenir édénique du verger, analogon d’une passion amoureuse partagée, allégorie d’un bonheur lumineux qui s’étire dans la lenteur :

    « Nous les aimions, oliviers, amandiers et figuiers, ces troncs déjà robustes aux branches surchargées de fruits quand s’annonçait l’automne. Dans leur ombre tu te couchais, abandonnée comme une barque neuve et creuse dans laquelle je me glissais ».

    Dans la seconde lettre qu’il adresse à Laërte, Ulysse imagine leur prochaine rencontre au verger. Rencontre au cours de laquelle le voyageur, absent de l’île depuis vingt longues années, devra affronter la défiance paternelle et prouver son identité. Puis, dictant son désir à son vieux père, il l’enjoint de faire ce qu’il lui demande :

    « Je te demanderai ensuite, plus simplement, de me suivre au verger ».

    « Tu viendras avec moi. Tu devras venir, je t’y aiderai en te soutenant de mon bras. Tu verras ».

    Se remémorant les souvenirs partagés avec le vieux Laërte – dont il ignore s’il est toujours de ce monde —, par trois fois Ulysse s’immisce dans la tête du vieillard et imagine ce que sera son propos :

    « Tu me demanderas ce que je sais… » / « Tu me demanderas ce que tu veux savoir et ce que tu attends de moi… » / « Tu me demanderas, pour autre preuve, les paroles que nous disions quand nous restions sur place jusqu’à la tombée de la nuit, et je te les dirai. »

    Pour ce qui est de Télémaque, c’est dans la seconde lettre, confiée « au rouleau de la vague », qu’Ulysse en vient à évoquer le verger. Ce lieu de l’intime, tout à la fois ouvert et clos, offert jadis par Laërte, jadis entretenu par Ulysse, laissé à l’abandon en l’absence de son propriétaire, est désormais envahi d’herbes folles et à l’état sauvage. C’est là qu’à son retour Ulysse veut se ressourcer. Là qu’il aspire à venir méditer et à se recueillir avant que de se présenter à Pénélope. Viennent ensuite les ordres, agencés à partir d’impératifs ou de verbes au futur à valeur impérative. « Voilà la mission que je te confie ». Ce que Télémaque devra faire avant l’arrivée de son père, c’est nettoyer le verger, le débroussailler afin qu’y pénètre la lumière, abattre et élaguer les arbres. Reconnaître les « signes » incisés jadis par Ulysse. Préparer la couche « de feuilles sèches » ; déposer tout autour les libations propres aux rituels auxquels Ulysse désire se consacrer. Puis, une fois le retour accompli, et achevé le rituel des retrouvailles avec les siens, Télémaque aura pour mission d’abattre tous les arbres, afin qu’Ulysse puisse « tourner la dernière page du livre. » Sacrifice nécessaire pour que puisse advenir le nouveau verger.

    N’est-ce pas là un préambule déguisé de l’inévitable disparition d’Ulysse ? Peut-être l’aventurier sait-il au fond de lui-même que, pour que puisse véritablement advenir le fils, il est nécessaire que le père s’efface. Ulysse pressent-il que son retour en l’île n’aura pas lieu ? Que ses lettres précédentes ne sont en définitive qu’un leurre ? Il a beau essayer de se convaincre de son retour imminent en ordonnançant, pour chaque destinataire, les stratégies de son discours, ne sait-il pas intimement que, quoi qu’il fasse, sa seule vérité demeure le mensonge ? Il a beau se décrire comme l’homme qu’il est devenu aujourd’hui, harassé par d’interminables errances, corps et visages burinés par les vents et le sel, il n’en demeure pas moins toujours le chatoyant Ulysse, sans cesse louvoyant, toujours enclin à céder aux sirènes du moment, toujours insatisfait dès qu’il prolonge son séjour sur une terre hospitalière. Mais aussi bien, saisi par la sempiternelle nostalgie qui le taraude, n’est-il pas prompt à reprendre la mer en direction d’Ithaque ? Une destination jamais nommée par Michel Diaz.

    « Nostos ». Le retour. Et la douleur qui l’accompagne. Ce pincement inexplicable qui toujours pousse le navigateur à revenir sur son passé. À emprunter en sens inverse les mêmes sillages. À imaginer que la terre qu’il a quittée depuis si longtemps l’accueillera à bras ouverts. Tel est le mal qui ronge Ulysse, celui-là même qu’il confie à Laërte :

    « Je n’ai de lancinante nostalgie que pour ce point d’attache que me sont ma terre et les miens. »

    Et, dans la seconde lettre qu’il adresse à Pénélope, ne donne-t-il pas priorité aux arbres, témoins de leurs tendres épousailles d’antan et témoins par anticipation narrative de leurs prochaines retrouvailles ? Car, écrit-il,

    « mon impatience à les revoir […] est toujours devant moi, sculptée comme une proue de bois massif dans la certitude de mon retour » .

    C’est donc là, au cœur du verger, qu’Ulysse le vaillant et l’infatigable a ancré ses racines. C’est là, entre les arbres du verger, que s’arrime le désir acéré du « nostos ».

    Le retour en l’île aura-t-il vraiment lieu ? La lectrice que je suis en doute. Même si le récit homérique de l’Odyssée met en scène ce retour. Le récit poétique de Michel Diaz est tout en nuances et subtilités, et se joue des obstacles. À commencer par ceux qui agitent l’âme d’Ulysse.

    « Quand allons-nous nous retrouver » ? écrit-il à Pénélope dans sa troisième lettre. Submergé par les doutes et par les questionnements, peut-être retrouvera-t-il sous les grands arbres le réconfort dont il a besoin. Et l’assurance que le désir de Pénélope pour son époux est toujours aussi ardent :

    « Eux me raconteront les interminables travaux de tes doigts solitaires, qui brodent et débrodent sous la cape ténébreuse de l’absence, leurs caresses intimes dans la grotte veuve de ton désir. »

    Avec Télémaque, les interrogations sont plus directement formulées :

    « Quelle raison, dis-moi, ai-je de revenir ? Et d’ailleurs, le pourrais-je encore quand bien même je le voudrais ? ».

    Ainsi évolue le tourment d’Ulysse, en proie à mille questions. Mais il y a bientôt, réel ou imaginaire, le surgissement inattendu d’une terre inhospitalière qui s’interpose entre son désir et les craintes qui le réfrènent. Cette terre volcanique, inquiétante et déserte, livrée au soufre, aux vapeurs infernales et à la cendre. C’est à la cinquième lettre à Pénélope que survient, inconnu de tous, ce « théâtre de fumerolles ». Ulysse est-il vraiment sincère, lorsque, dans sa sixième lettre à Pénélope il écrit ?

    « Ainsi, j’avance… sans me laisser gagner pourtant par le renoncement. »

    Ne s’est-il pas déjà engagé sur la voie du repli et de la résignation ?

    À Laërte, Ulysse confie :

    « Je t’écris d’un lieu triste, inaccessible aux larmes ».

    Puis ajoute, quelques phrases plus loin :

    « En vérité, ici, en marche vers nulle part, nous sommes dans les mains du temps qui, redevenu pierre, a gardé souvenir des corps ensevelis. On ne sait plus quand, ni par qui. »

    Plus loin, dans sa troisième lettre à Télémaque, Ulysse confie :

    « Il n’est d’ailleurs pas difficile d’imaginer que nous avons ici touché la fin du monde. Tout autant physique que temporelle. Que tout est consommé. »

    Voici donc Ulysse parvenu « du côté des fantômes », dans un entre-deux où il n’est plus tout à fait vivant mais pas non plus tout à fait mort. Déjà la voix de Laërte tremble dans sa mémoire, ramenant avec elle les « images fulgurantes de l’enfance ». Déjà la mort s’avance. Et c’est vers elle qu’Ulysse s’achemine. Vers l’unique rencontre qui tienne. À la rencontre de lui-même.

    « Sur ce chemin qui ne serait rien d’autre que la voie des dieux. »

    Ainsi, plus le temps des retrouvailles approche et plus s’éloignent le « verger abandonné » et les promesses ardentes du retour. C’est qu’en cours de route et en cours d’écriture, Ulysse a compris qu’il était la proie des illusions chatoyantes qui lui servaient jadis de carapace. Aujourd’hui, avec le temps et l’expérience, la carapace est ébréchée et il n’y a plus aucun projet qui vaille. Revenir sur ses pas est impossible. Étranger à lui-même, comment pourrait-il convaincre les siens que c’est bien Ulysse qui s’avance devant eux ? Lui-même ne se reconnaît pas. Plus. Ni dans ce qu’il fut jadis ni dans ce qu’il est aujourd’hui devenu. Que faire alors, sinon « disparaître » ? « Disparaître de tout et de soi. » Sage résolution. Inévitable issue. Dont Ulysse tente de convaincre Pénélope du bien-fondé. Ainsi écrit-il dans son ultime lettre :

    « Vivre, après tout, n’est sûrement rien d’autre que suivre ce chemin qui va de nulle part à nulle part. Dans le dépouillement et le délaissement progressifs de soi-même. »

    Reste l’amour qu’il leur a été donné de vivre, et c’est déjà beaucoup. Reste aussi le récit, trace douloureuse d’un narrateur tourmenté qui assume désormais le bilan d’une vie. Un récit envoûtant que ce Verger abandonné. Un récit de magicien à la manière d’Ulysse, dont les lecteurs de l’Odyssée savent quels secrets il détient. Des secrets dont le héros grec semble avoir transmis à Michel Diaz la beauté et le talent cachés. Un art hérité des aèdes. Même si le poème du Verger abandonné est, pour qui l’écoute vraiment, un « chant qui rend un son nouveau ». Comme la figure mélodique d’un lamentu, un chant de la disparition.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Michel Diaz  Le Verger abandonné





    MICHEL DIAZ


    Michel Diaz
    Source




    ■ Michel Diaz
    sur Terres de femmes


    Comme un chemin qui s’ouvre (lecture d’AP)
    Ce qui gouverne le silence (extrait de Comme un chemin qui s’ouvre)
    clair-obscur (extrait de Lignes de crête)
    [de tourbe] (extrait d’Offrandes Olivia Rolde)




    ■ Voir aussi ▼


    le site de Michel Diaz




    ■ Notes de lecture de Michel Diaz
    sur Terres de femmes


    Jeanne Bastide, La nuit déborde
    Alain Freixe, Contre le désert
    Françoise Oriot, À un jour de la source





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  • Léon Bralda, À l’aube de la voix

    par Michel Diaz

    Léon Bralda, À l’aube de la voix,
    éditions Donner à Voir,
    Collection / Série Petits Carrés, 2020.
    Gravures de Lionel Balard.



    Lecture de Michel Diaz



    À l’aube de la voix, nous dit la quatrième de couverture, est un texte qui répond à « l’impérieuse nécessité pour ce poète […] de toujours revenir par le travail d’écriture à la maison natale, en ces abords de la jeunesse qui ont irrémédiablement façonné sa perception du monde ».

    Ce livre, dédié à un vieil ami de l’auteur, et aux parents du premier, évocation de leur maison et de jours d’insouciance, est bien une tentative de retour amont sur les terres d’enfance, comme le souligne aussi, au dos de la page de faux-titre, l’annonce en exergue :

    « Au plus loin de ma vie, dans le vacarme incessant où se déchirent les matins jeunes, il fut un lieu clos, un jardin où le ciel reposait dans la douceur de vivre et le bonheur d’une famille ».

    La notice de présentation de l’auteur, en fin d’ouvrage, qu’accompagnent neuf gravures, nous rappelle que le poète Léon Bralda et le plasticien Lionel Balard ne sont qu’une seule et même personne.

    Si le plasticien illustre les textes du poète et s’en fait l’écho dans de sobres et belles images que le seul recours au noir et blanc contribue efficacement à « dramatiser », le poète laisse deviner le plasticien qu’il est en même temps. En ce sens, la publication de ce livre par les éditions Donner à Voir nous semble on ne peut plus pertinente ! En effet, et davantage, nous semble-t-il, que dans ses autres textes, le côté « visuel » de cette écriture semble s’y inviter avec plus de prégnance encore. C’est aussi bien, en éclairs de réminiscence, la silhouette de « la mère aimante et sombre derrière les volets », que « le long trottoir d’asphalte et de poussière », « le chat maigre endeuillé par la nuit pourpre », « l’éclat fulgurant du jour sur le corps des fenêtres », ou encore « la porte endeuillée où rouillent quelques clous ». Mais c’est aussi le ciel « lourd d’un orage  », « un jour de pluie posé sur les carreaux de la fenêtre », « ces fronts de vigne dans leur parfaite géométrie »… Images de la langue poétique dont la référence explicite à l’environnement ou à ce qu’en fait la mémoire, suscite aussitôt les images d’un monde dont s’empare l’esprit du lecteur et qui parlent à l’œil de son imaginaire, lui laissant tout loisir de les faire siennes.

    Cette « perception du monde » évoquée plus haut est ici d’ordre « expérimental », celle que façonnent les sens d’un enfant qui découvre et s’imprègne du monde, s’y avance pour s’y inscrire ou, plus exactement, s’y aventure, déjà lourd des questions qu’il ne cessera plus de se poser face à cette ouverture d’inconnu qu’est l’énigme de l’existence.

    L’expérience sensorielle du monde, c’est ce qui emplit le champ du vacant, y plante ses repères, y sème ses possibles, en nourrira sa nostalgie. C’est, en premier lieu, bien sûr, le regard et ce qui s’y est déposé, « la déraison d’un ciel de mai, quand saignent les lilas », « le blé révélé par un soleil latent » et « court au terme des moissons », « l’herbe qui jaillit comme le sein de lait offert à la terre natale », « les thuyas de l’allée, au pied d’un mur d’enceinte », la pluie « sur les rosiers, les iris et les statues de ciment qui peuplaient le jardin », c’est « la beauté d’une lueur pendue loin derrière les bâtisses ». Ce qui s’invite à cette faim de monde, ce sont aussi les bruits, partition en fond de mémoire, le murmure des fontaines qui « prendront dans l’herbe et jusque sur les vitres », les mêmes thuyas qui « se font encore entendre », qui « chuchotent parfois sous le débord du vent », les volets et les portes qu’on ouvre, le ciel « avec ses grondements et ses râles de bête ». Partition où s’accrochent encore des éclats de voix humaines, ce si lointain « à tout à l’heure, mon garçon », « ces mots, depuis toujours, pour prendre l’heure dans le matin, sur le chemin des écoliers », ceux des leçons jadis apprises et qui ânonnent, dans le souvenir, « les siècles de l’Histoire que gouvernent les cartes, les lois aux temps écrits qui accordaient le verbe », ces voix qui, plus tard, « viendront broder aux pas de la marmaille le moindre souffle d’air », les cris accompagnant « les jeux qui auront germé dans l’heure vagabonde de la récréation », le cri d’appel au « chien échappé de l’enclos depuis la veille ». Images visuelles et sonores, olfactives encore, puisque ces « terres avaient l’odeur des romarins, des menthes et des tilleuls », qu’au creux de la cave régnait « l’odeur du jour mourant de trop de solitude », que flottait parfois cette odeur sur les « terrains vagues dans lesquels ont brûlé, à chaque canicule, les ronces et les chardons ». Mais aussi odeurs de la mort dont on fait, à cet âge, la première expérience, celle de la bête « crevée depuis longtemps déjà », des eaux qu’elle a souillées, qu’on enfouit au fond d’une fosse tandis que « des enfants s’étaient assis sur le bord du talus et jetaient leur visage dans l’ordinaire des immeubles ». Expérience parmi les plus décisives puisque « le jardinier venait de retourner un peu de terre et [que] nous savions quelle énigme se formait à l’endroit du labeur ».

    Expérience que forgent les jeux de l’enfance : jeux de l’apprentissage de la vie, en même temps que jeux de guerres et de mort, les uns étroitement mêlés aux autres puisque, comme l’écrit l’auteur, « [n]ous mimions l’agonie et l’horreur des batailles, et nos mots étaient ceux des gorges incendiées ». Puisque, ajoute-t-il, « [n]ous mourions aux confins de nos joies […] Nos guerres avaient le poids du jour et l’heure de nos cris », et que « dans les jeux de l’enfance, nous jetions les désastres d’autrefois ».

    Mais Léon Bralda est l’un de ces poètes auxquels la lumière n’est pas spontanément et naturellement accordée. Il serait plutôt de ceux-là qui travaillent à la gagner, s’efforçant d’habiter poétiquement le monde comme nous le conseillait Hölderlin, et qui peuvent revendiquer ce qu’ils en ont conquis sur le sombre et la terre des jours. Il est de ceux sur qui le ciel de l’existence fait peser son poids de pénombre, ceux pour qui leur ciel de poète est quelquefois lourd à porter (je cite inexactement de mémoire ces mots de lui écrits ailleurs). Parce que « le ciel est lourd de n’être au fond qu’un jeu pour l’enfance profonde ».

    Pour Léon Bralda, les territoires de l’enfance ne sont pas exclusivement ceux des « verts paradis » baudelairiens. Pour ce qui le concerne et qui remonte en ses écrits, de façon récurrente, « il y avait l’enfant et toutes les ténèbres qui mordaient l’œil sous le trop-plein de la jeunesse ». Et si, pour cet enfant qui inventait l’enfance, le monde s’ouvrait sur son secret, il y avait aussi pourtant « les sauts allant à la lumière et le soleil éteint derrière chaque allée ». Car lumière et ombre vont de pair dans l’apprentissage du monde, comme elles vont de pair, et s’épaulant, sur les chemins rugueux des hommes. Parce que, écrit le poète, « on n’a pas dix ans quand les cris mordent aux portes closes, que jaillissent les branches hideuses du regard ». Car aussi l’enfance « laisse l’enfant venir dans le silence pour des rires épars et des bruits sourds de chairs que mange la colère ». Premiers bonheurs glanés dans l’innocence des rires et des jeux, alors que déjà la nuit rôde, que se font mordantes les peurs, que s’ouvre au fond de l’insouciance cette « chambre effrayée par le bruit de la nuit. Une mort qui tissait du sang au ventre noir, qui se faisait pressante et avide de tout ». Puisque encore l’enfant a peur, « dans le mystère de l’enfance » et que, du monde qui le cerne, comme de celui qui l’attend, il observe déjà et pressent ce que ce monde contient de violence irréductible et d’irrémédiable incompréhensible. Saison d’enfance, « impudique saison soumise à la question, vieille âme enchevêtrée dans l’hystérie du monde », saison d’une innocence provisoire où l’on entend déjà « battre le pouls de tous les morts ». Saison où l’être en devenir, prêtant l’oreille, serait capable d’entendre aussi, et sans chercher à les comprendre, dans le bruissement du vent dans les arbres et les murmures des statues, tous les secrets de la terre, sans encore savoir que « c’est de là que les rêves surviennent… » Et avec eux, une fois pris par les soucis des jours et dans les tenailles du temps, « des lendemains d’étoiles et des restes d’orties […] De là qu’advient le doute, ou la parole pour le dire ».

    Car à l’enfant succède le poète, qui n’a que sa parole pour tisonner parmi les mots, en ressusciter quelque braise, essayer de sauver ce qu’ils ont oublié et ne savent plus dire. Se souvenir, c’est prendre aussi le risque d’écorcher ses pas sur les pierres vives du temps, de blesser sa mémoire aux ronces de la nostalgie, en tout cas de se confronter à la perte de tout et de tous, d’endosser la tristesse. Tourner son regard en arrière, mais avancer pourtant (que faire d’autre ?), ce poids d’ombre sur les épaules, dans l’ornière des heures.

    « Mon pas est lent », écrit Léon Bralda, dans l’incipit de son livre, « [e]t je suis de ceux-là qui passent comme tant d’autres, par habitude ! Qui sarclent le rêve au fond de la ravine […]. Ils sont passés comme je passe : le corps lourd et douloureusement fermé sur ce peu de bonheur qui l’habite ».

    Lumière et ombre, avons-nous dit, se partagent ces pages, sans que la seconde pourtant prenne décisivement le pas sur l’autre. « Je buvais l’instant doux de la vie douce », lit-on. « J’allais le cœur halant jusqu’à la paix des âmes. » Mais l’ombre aussi, parfois, est accueillante et douce. Pour preuve, ces lignes qui évoquent, dans une lumière de clair-obscur qui pourrait nous faire penser à quelque peinture de Georges de La Tour, un intérieur paisible et amical :

    « Il y avait l’enfant et le soir survenu, l’ombre d’un cerisier cassant la nuit derrière la baie vitrée et le téléviseur qui racontait le monde ».

    Scène complétée par cette autre :

    « Sur le couvre-lit rouge : un chat dormant de son sommeil de chat et d’autres nuits à faire au-delà de la nuit. Un miroir ciselé d’ombres imparfaites, quelques éclats chauds des phares de voitures jetés depuis la route à travers la fenêtre ».

    Scène qu’évoque ce poète qui est aussi bien plasticien, sans effets dramatiques ni théâtraux, scène de la vie quotidienne qu’en peinture on appelle scène de genre. Qui n’est, en l’occurrence, ici, qu’une scène de bonheur simple, mais de celles dont les racines s’enfoncent au tréfonds de l’âme, de celles que l’oubli ne saurait prendre à la mémoire et que le corps « tient d’un amour infaillible, à l’étroit de l’humain ».

    Que faire d’autre qu’avancer, espérer qu’une aube se lève à l’horizon du jour ? Et espérer, comme l’enfant, se rassurant contre la peur du noir, que le jour revienne. « Et le jour reviendrait. » Parole de poète aussi, qui quête sa lumière :

    « Le soir, c’est sûr ! Il se fera d’argile à l’aube de la voix… Et le jour reviendra, c’est sûr ! Et le jour reviendra ».

    Comment d’ailleurs ne pas revendiquer cette espérance dans (et contre) le désespoir du monde ? Que peut promettre d’autre un homme debout, et en marche, qui n’avance qu’en faisant corps avec la poésie ? Parole de poète encore : c’est ainsi que Léon Bralda donne à ses mots la force douce et vigoureuse des images afin qu’ouverts à ce qu’il attend d’eux, ils libèrent cela qui en eux-mêmes cherche à aller plus loin que leur toujours trop étroite détermination, et qu’allégés du poids des vaines nostalgies, ils remontent vers un de ces clairs de terre dont la poésie nous éclaire.



    Michel Diaz
    D.R. Texte Michel Diaz
    pour Terres de femmes
    [13 mai 2020]






    Leon Bralda  A l'aube de la voix





    LÉON BRALDA


    Léon Bralda
    Source




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Semaine de la poésie)
    une notice bio-bibliographique sur Léon Bralda





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  • Michel Diaz, Comme un chemin qui s’ouvre

    par Angèle Paoli

    Michel Diaz, Comme un chemin qui s’ouvre,
    L’Amourier éditions, Collection Fonds Poésie,
    Collection dirigée par Alain Freixe, 2019.



    Lecture d’Angèle Paoli




    « DANS LA COMPLICITÉ DES ARBRES ET LA CONFIDENCE DU FLEUVE »




    Il est des proses qui sont de vrais joyaux de poésie. Des proses nourricières, riches en réflexions et en images ; aussi belles qu’émouvantes. Telle est la prose de Michel Diaz, tissée de métaphores singulières qui constituent l’essence même de son écriture. Soumises aux fluctuations continues de la pensée, poésie et ontologie s’inscrivent dans un même continuum d’images partagées. Ainsi des textes qui composent le dernier recueil du poète, paru sous le titre Comme un chemin qui s’ouvre. L’ensemble des proses — réparties en cinq chapitres en forme d’itinéraire et de parcours ascendant — est dédié aux sentiers douaniers qui longent les côtes de France et « traversent les pays de Loire », ainsi qu’à Lola, la chienne du poète, « compagne de ces jours ». L’œuvre dans son entier est consacrée à la marche, laquelle va l’amble avec la réflexion sur l’écriture. Et avec le cheminement intérieur auquel se livre le poète. Entre sommeil et rêve, sur des sentiers hors frontières, s’élabore une poésie du seuil, ancrée dans la nature, portée par la « lenteur de l’air » et la lenteur du ciel. Une poésie en marge. En marge du monde et de la fureur qui le mine. En marge de toute certitude. C’est là, arrimé aux monticules des dunes et aux criaillements des sternes, que le poète « se défait doucement de la douceur d’appartenir au temps. »

    Qui est-il ce marcheur solitaire et têtu, qui va son chemin d’un paysage à l’autre et poursuit sa route à l’intérieur de lui-même ? Pour quelle quête, pour quelle poursuite se met-il en marche, sinon pour celle qui s’enharmonise au vent et à la lumière ? Pour saisir au passage le clapotis d’une source ? Et, en définitive, au terme d’une descente dans le puits du labyrinthe, pour se convaincre d’une unique vérité, « [c]elle d’appartenir à tout, comme un maillon, même fourbu de rouille, appartient à la chaîne de l’ancre » ?

    Il faudra en cours de route renoncer à céder au « désir infini de se perdre au bout de soi-même, dans le vent frais du soir et les odeurs de pierre sèche. » Renoncer à la tentation de l’autolyse. Et, en amont de ce geste ultime, se délester. Se déprendre de ce qui obsède ; déposer à ses pieds le fardeau de soi-même. Se délivrer de sa pesanteur. Et se couler dans un corps autre.

    « Un corps flottant dans la lumière en brumes, pareil à un éclat de rire du soleil après la pluie. »

    Telle est la philosophie du marcheur. Corrélée à un rêve de légèreté. En osmose avec la nature. C’est sur la nature, en effet, que bâtit son credo le poète incroyant. Mais là où le credo de l’ermite se hausse en prière, celui du poète libéré de Dieu s’élance vers la dénonciation de ce qu’il réprouve et de ce contre quoi il lutte. Ce credo se dit dans une page sublime où le poète se définit lui-même par l’affirmation anaphorique de ses convictions :

    « Je suis pour ce qui s’arme contre le pain noir de l’hiver, pour la pierre claire du givre, pour la neige aux seins odorants ».

    « Je suis ici sans pouvoir bouger ni guérir, lourd du plomb d’un secret qui ne se révèle jamais, seulement sidéré par la clarté du jour. »

    Sidération. Qui s’accompagne d’un flot d’interrogations sur ce qui entoure l’homme et qui va son chemin d’indifférence, laissant le poète à ses incertitudes et à « sa douleur d’être ». L’abandonnant à un permanent et solitaire face-à-face avec son propre naufrage et à un sentiment taraudant de débâcle. Sidération toujours d’être là, encore, lorsque le poète se laisse prendre par « la rumeur du monde ». Sidération d’avoir franchi les tortures que lui infligent les questionnements multiples qui accompagnent toute vie livrée au vide de l’existence ; livrée à la révolte qui nourrit ce vide ; livrée à l’inanité de toute chose, y compris de l’être et de soi. Être là, pourtant, jour après jour, à devoir se renouer sans cesse à « la blessure de l’inconsolable » et au « froid pétrifiant des étoiles ».

    Chaque jour se renouer. À la blessure et au consentement qui la tisonne. Chaque matin retrouver, arrimée à l’aube et à la lumière, une tristesse indéracinable ; une tristesse à peine sensible à la beauté éphémère, et néanmoins vitale, de l’infime.

    Revient alors la nécessité de la marche. Qui fait du poète rescapé un pèlerin sans autre finalité que celle de prendre la route :

    « J’ai marché, aujourd’hui encore, comme on peut s’égarer dans le labyrinthe de ses pensées ».

    Pourtant, marcher ne délivre pas toujours des questionnements essentiels.

    « Marcher, marcher encore, et pour quoi faire, quoi ?… Aller où ? Vers quoi ?… » Il en est de même pour l’écriture. « Pourquoi écrire, dira-t-on ?… Ne serions-nous nés que pour être oubliés ? Pour ne laisser place qu’aux terres désolées, aux os calcinés de lumière et aux divers ingrédients du désert ? ».

    Ainsi va le poète Michel Diaz, en proie à ses doutes, à sa douleur inguérissable, à la plaie ouverte qui le met à la torture. Quoi alors ? Que reste-t-il ? Que reste-t-il « pour se consoler de l’obscure origine du monde, de la nuit indéchiffrable d’où l’on est venu ? ».

    Le poète détient pourtant les réponses à ses propres questions. Et il en a de multiples. Celle-ci, par exemple : « En vérité, les seuls comptes à rendre sont à ce qui engage le corps dans l’affrontement à lui-même ».

    Le poète héberge ses rêves de poucet, réunis en « un galet poli par la vague ». En cet ami qui l’accompagne, à la fois « conseiller » et « protecteur », il découvre celui qui l’aide à trouver la voie, celle qui le conduit sur « le chemin de sa vérité singulière […], unique, celle que chaque être est le seul à pouvoir secréter. »

    Une fois retourné à la mer, le galet laisse de sa présence le souvenir d’un rêve ancien. « Comme un rêve de délivrance ». Et la conviction profonde que chaque chose, rêvée ou non, a l’existence à laquelle elle est destinée.

    « Le galet retourne à la mer, et l’esprit à sa veille. » Le poète, à son adéquation avec le monde. « Dans la complicité des arbres et la confidence du fleuve. »


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Michel Diaz  Comme un chemin qui s'ouvre





    MICHEL DIAZ


    Michel Diaz
    Source




    ■ Michel Diaz
    sur Terres de femmes


    Ce qui gouverne le silence (extrait de Comme un chemin qui s’ouvre)
    clair-obscur (extrait de Lignes de crête)
    [de tourbe] (extrait d’Offrandes Olivia Rolde)
    Le Verger abandonné (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de L’Amourier éditions)
    la fiche de l’éditeur sur Comme un chemin qui s’ouvre
    le site de Michel Diaz




    ■ Notes de lecture de Michel Diaz
    sur Terres de femmes

    Jeanne Bastide, La nuit déborde
    Alain Freixe, Contre le désert
    Françoise Oriot, À un jour de la source





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  • Michel Diaz | Ce qui gouverne le silence




    CE QUI GOUVERNE LE SILENCE
    (extrait)





    Le mot est, dans l’eau ronde du puits, ce jus noir de voyelles que vient froisser, comme un caillou, la chute des consonnes.

    Au seuil du souffle, à l’orée de tout bruit, quelque chose soudain se déplace, furtif, que l’on ignorait être là, ou qu’on croyait perdu.

    Et la parole devient geste, s’étire dans l’effort hélicoïdal de s’arracher à sa matrice, s’anime, marche, épouse l’or du jour, s’aventure au-devant de la nuit qu’elle brave, au-delà de ses ombres.

    C’est l’heure d’engranger le bois, les moissons récoltées avant la venue de l’hiver.

    Avant que la parole se dégrade, crispée dans son manteau de givre, ou se recroqueville dans le paysage, arbuste mal nourri de sécheresse, olivier mal inscrit dans le ciel, que le soleil colère parce qu’il a su étirer devant lui quelques rameaux qui saignent et peinent horriblement.

    Il nous faudrait combler tant de distance encore !

    On s’avance alors, tâtonnant, dans un champ de paroles, tout l’alphabet autour du cou, pesante et inutile cartouchière, comme dans un champ de bataille après la défaite.

    À la lumière des étoiles, on reconnaît ses morts.

    Et on se sent mourir aussi, à chaque mot que l’on arrache.





    On avance, de mot en mot, à travers les pages du livre, celui-là qui s’écrit à mesure, comme on erre parmi les tombes.

    Stèles gravées de mots inertes. Pierres de lune sèches que l’on arrose, en vain, de son crachat et de l’aigre sueur de son front.

    La pierre est phrase encore, à l’angle où s’écorchent les doigts. Où l’on peut adosser sa fatigue. Hommage à qui nous prête encore son épaule ! Mais combien de pierres mal transcrites la mort emportera dans son giron de femme enceinte ?

    Que nous restera-t-il alors à déchiffrer quand, du plain-chant du monde, il ne demeurera qu’un silence de neige et pas de place pour un mot de plus ?




    Michel Diaz, « I – Ce qui gouverne le silence » in Comme un chemin qui s’ouvre, L’Amourier éditions, Collection Fonds Poésie, dirigée par Alain Freixe, 2019, pp. 40-41.






    Michel Diaz  Comme un chemin qui s'ouvre




    MICHEL DIAZ


    Michel Diaz
    Source




    ■ Michel Diaz
    sur Terres de femmes


    Comme un chemin qui s’ouvre (lecture d’AP)
    clair-obscur (extrait de Lignes de crête)
    [de tourbe] (extrait d’Offrandes Olivia Rolde)
    Le Verger abandonné (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de L’Amourier éditions)
    la fiche de l’éditeur sur Comme un chemin qui s’ouvre
    le site de Michel Diaz




    ■ Notes de lecture de Michel Diaz
    sur Terres de femmes

    Jeanne Bastide, La nuit déborde
    Alain Freixe, Contre le désert
    Françoise Oriot, À un jour de la source





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  • Michel Diaz | clair-obscur




    CLAIR-OBSCUR





    aller
    du crépuscule à l’inconnu
    dans un cortège de présences
    et de souffles

    ces souffles
    d’au-delà des âges
    charrieurs des limons du temps
    portant leur jarre d’ombre
    sur l’épaule

    ces passeurs d’une voix
    toujours à l’aube d’elle-même
    dans les frissons du sable
    et l’attente de l’eau

    comme une lampe dans la nuit
    met en scène son clair-obscur
    en bord de monde et de regard
    mais toujours à la proue
    de la terre

    on écoute pour voir
    et l’on regarde pour entendre
    cette clé d’un songe qui fouille

    les serrures de la lumière



    Michel Diaz, « I. Chemin sans retour, à Walter Benjamin » in Lignes de crête, Éditions Alcyone, Collection Surya Poésie, 2019, page 18.







    Lignes de crête





    MICHEL DIAZ


    Michel Diaz portrait
    Source




    ■ Michel Diaz
    sur Terres de femmes


    Comme un chemin qui s’ouvre (lecture d’AP)
    Ce qui gouverne le silence (extrait de Comme un chemin qui s’ouvre)
    [de tourbe] (extrait d’Offrandes Olivia Rolde)
    Le Verger abandonné (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Alcyone)
    la fiche de l’éditeur sur Lignes de crête
    le site de Michel Diaz




    ■ Notes de lecture de Michel Diaz
    sur Terres de femmes


    Jeanne Bastide, La nuit déborde
    Alain Freixe, Contre le désert
    Françoise Oriot, À un jour de la source





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  • Alain Freixe, Contre le désert

    par Michel Diaz

    Alain Freixe, Contre le désert,
    L’Amourier éditions, Collection “Fonds Poésie”, 2017.



    Lecture de Michel Diaz


    Freixe contre
    « [L]a fenêtre qu’ouvre Alain Freixe (ou plutôt qu’il fracture
    en en brisant les vitres) donne […] sur des paysages
    dont les fragments perçus nous arriment à notre raison
    de vouloir exister. »
    Ph., G.AdC








    Dans sa note liminaire du recueil d’Alain Freixe, Contre le désert, et faisant référence à une toile de Magritte, Pierre Legendre écrit (voir aussi La Fabrique de l’homme occidental) :

    « […] La lunette d’approche découvre ce qu’il y a derrière les emblèmes, les images, les miroirs : un vide, le gouffre, l’Abîme de l’existence humaine. C’est cet Abîme qu’il nous faut habiter. La raison de vivre commence là. »

    Elle commence là. Et puisque, dit l’un des textes, « c’est toujours le soir » et « la venue des ombres sur ce que l’on croit », puisque « le monde, ce qu’on en voit, on l’ignore », c’est cet Abîme d’ombre menaçante que la parole d’Alain Freixe s’efforce d’investir. Mais parole qui est présence au plus près de son être et des choses contre l’Abîme de notre existence humaine.

    Car, face à cet Abîme qui s’ouvre devant nous et qui nous cerne de toutes parts, nous n’avons que bien peu de choix : celui de nous y abandonner et de nous laisser engloutir, de nager quelque temps dans sa nuit, nous débattant comme nous le pouvons, entre deux goulées d’air, ou celui de nous y appuyer, comme on peut appuyer son épaule à un mur, ou appuyer son front au miroir obscurci de soi-même, pour ne pas être dans le contre qui oppose, mais bien plutôt pour nous tenir contre ce qui nous résiste et qui nous garde debout dans cet effort d’étreindre nos faiblesses et la lancinante douleur de nos désespérances.

    Cette parole d’homme que rend lisible celle du poète est présence qui sonde le vide et son gouffre, s’avance « sur les bords du monde » *, se donnant tâche de s’y confronter et, pareil au « rôdeur de crêtes, qui se penche ici, chancelle là », prend parti d’habiter son vertige pour mieux l’apprivoiser. Mais si, dans le tableau de Magritte, comme l’écrit encore Pierre Legendre, « [l]e battant qui s’ouvre emporte avec lui le paysage, un ciel et des nuages », la fenêtre qu’ouvre Alain Freixe (ou plutôt qu’il fracture en en brisant les vitres) donne, elle, sur des paysages dont les fragments perçus nous arriment à notre raison de vouloir exister, au désir d’une faim partageable, pour approcher ce que l’on croit saisir du monde. Celui que la réalité sensible nous donne à regarder, à explorer, à déchiffrer, à interroger sans relâche, nous incitant à défier le vide de l’Abîme et à tenir la dragée haute à tout son incompréhensible. Car Alain Freixe est homme de ce monde, et son écriture terrienne mais inspirée, en droite prise avec les éléments, feu et eau parfois confondus dans la même brûlure, en prise avec le minéral, le végétal, ce qui murmure dans les feuilles, ce qui parle dessous les pierres, en prise encore avec le ciel et l’abrupt de son bleu, avec les forges de l’été, les crépuscules de l’automne et « le vent qui balaie les chemins », avec ce qui s’éloigne dans la transparence du jour et ce qui, dans la cécité qui pèse toujours sur nos yeux, témoigne de la nuit dans laquelle s’égarent nos pas.

    « Oui, écrit-il, j’ai besoin d’images

    de prises de sang

    sur le monde

    de prises de vue

    de cadrage

    et de leur hors-champ. »

    Dans cette écriture, il y a le panthéisme qu’on trouve à l’œuvre dans celle de Giono, un monde où quelque chose passe mais demeure dans le même mouvement vital, son élan archaïque, un « évanouissement qui dure » et qui nous renoue avec les vieilles forces de nos origines, les voix des profondeurs du monde et de nos forêts ancestrales. Ce monde-là, vivant, toute notre conscience d’hommes semble s’y être noyée, mais tout y est « comme en réserve », à portée d’yeux, de mains, de mots, mais toujours ailleurs, et plus loin, dans cet écart toujours ouvert au sens mais qui toujours se tient « dans la grande nuit des pages ». Si l’on ignore ce que l’on voit du monde, il en « reste un contour qui se perd dans les clairs de jour ». Le travail du poète consiste alors à s’introduire dans ces « clairs de jour » et à rêver, obstinément, « certains soirs de mettre le ciel des mots à l’orage, d’y sertir la foudre, cet éclair qui n’a de cesse. » La tâche du poète est « de guider cette lumière jusqu’aux serrures des mots et [de] faire voler en éclats toutes les portes de la réalité. » De faire aussi voler en éclats ce miroir obscurci de soi-même dont il est question plus haut, « et s’y voir enfin. » C’est-à-dire accéder aux territoires du réel, qui recule sans doute à mesure qu’on y avance, mais qui est territoire de la parole poétique et de sa vérité. Face à cet au-delà du sens qui règne sous l’apparence des choses, au revers du regard, il faut que « fermer les yeux soit comme déchirer la page, briser la surface, ce piège à regards. » C’est à ce prix « que l’arrière passe devant ! Le dessus dessous ! » Et le travail de l’écriture poétique est de faire en sorte que l’œil voie « au-delà de l’œil ». Car la parole poétique est celle qui jette ce pont du regard intériorisé au-dessus de l’abîme, pour que « le cœur vole au profond. » Habiter ainsi la parole, c’est habiter « la langue des secrets » qui ouvre à l’on ne sait « quel jour », mais dépose sur notre langue « cette saveur de terre », nous permet d’espérer «&nbsp quelques poignées de ciel ». C’est sur ces terres, que les mots défrichent, que le poète installe ses quartiers, pour que le monde glisse depuis sa nuit jusqu’en ses mots et ses images. Terres que la parole fertilise et dont Edmond Jabès nous dit, en y posant ses pierres et y levant ses murs : « J’y bâtis ma demeure. » Mais l’expérience du langage est rude épreuve, la demeure est maison de paille soumise au moindre coup de vent « des ciels bouleversés ». Et les chemins qui y conduisent sont bien plus qu’hasardeux.

    « On s’y égare. Se perd. On a peur, parfois. On remonte. On est vivant. »

    Vivant, voilà l’enjeu. Rester vivant. Avant même de pouvoir nourrir l’espérance de bâtir sa demeure, et peut-être d’y habiter, la première raison de vivre serait de travailler à « rester vivant. » Dans la grâce du temps accordé sur lequel, comme sur un étang d’eau lisse, «  certains jours / la montagne se pose », où « il advient quelquefois, ainsi que l’écrit Marcel Alocco dans son Laërte ou la confusion des temps (L’Amourier éditions, 2002) qu’un matin d’eau pure naisse des sueurs de la nuit. » Une aube claire, semble lui répondre Alain Freixe, «  fidèle comme cette lumière qui a besoin de tous les mots pour porter son miel, l’amertume de sa douceur jusqu’à nous. » Mais à quel prix ?… L’inlassable répétition, l’inlassable tourment du recommencement, l’usure des minutes, du retour inéluctable au même point d’incertitude, toujours forçat de son inépuisable inaccomplissement et du doute perpétuel, puisque tout recommence, toujours, quand on croit que cela continue. Puisqu’il est vrai qu’en poésie on marche seul, on se cogne à sa solitude, on s’écorche à ses ronces, qu’à mesure le but s’estompe. Qu’il nous faut rester là,

    « à attendre

    dans le muet du monde

    les mots

    qui portent le soleil

    et se rient de tous les froids. »

    Il faut pourtant continuer, toujours, et s’incorporer au chemin que seul, toujours, génère son inachevé. Puisque, sur les chemins de poésie, on n’avance qu’en se perdant, qu’en ne sachant rien du pays de leur destination. On sait juste qu’on est plus loin quand « l’étoffe des mots se déchire » et « quand se dérobent les pas. » Il faut aller pourtant « contre le vide, le gouffre, l’Abîme de l’existence humaine », pour reprendre une fois encore les mots de Pierre Legendre. Rester vivant et s’attacher à cette faim, comme les ongles de la vague creusent le rocher solitaire. Faim si essentielle «&nbsp que le désir y risque sa chanson perdue », et faim de ce désir « pour qu’au bout ce soit enfin le jour, quelque chose comme un matin et ses braises où suspendu un feu tremble dans l’absence des flammes. » Aller alors. Creusant sa voix. Traçant ses rides. « Avant », comme l’écrit Alain Freixe dans les dernières lignes du recueil, « avant de tomber. À genoux. Comme on tombe comme on est amoureux. » Oui, tomber. Mais pour se relever encore. Se relever. Toujours. « Et dans la marche qui s’en suit saluer du coin des yeux le passage du cœur. Cela suffit pour une joie ! » Rester vivant ! Les poèmes d’Alain Freixe nous y invitent, plus même, nous y incitent. En dépit de la pluie et du soir qui tombent sur ces pages, et de l’ombre portée qu’y jettent nos détresses et les sombres étoiles du ciel, il y a l’espérance toujours de ces joies fugitives que nous réservent les chemins du cœur et notre acquiescement au monde. Cette insistance d’une lumière à se glisser sous la paupière et sous l’apparence des choses. Comme une lumière de résistance, la clarté d’un volet qui s’entrouvre ou le rai de lumière qui tombe à travers un vitrail.



    Michel Diaz
    D.R. Michel Diaz
    pour Terres de femmes
    5 octobre 2017




    _____________________________________
    * Titre d’un poème in le recueil Comme des pas qui s’éloignent.






    Alain Freixe  Contre le désert




    ALAIN  FREIXE


    Alain Freixe par Marc Monticelli




    ■ Alain Freixe
    sur Terres de femmes

    Contre le désert (lecture d’AP)
    Bleu plié au noir
    Septième pas (extrait de Comme des pas qui s’éloignent)
    Vers les riveraines (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Vers les riveraines (lecture d’AP)
    À l’étrangère (extrait de Vers les riveraines)
    [on serait à couvert sous les arbres] (autre extrait de Vers les riveraines)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de L’Amourier éditions)
    une page sur Contre le désert
    → (sur Terres de femmes)
    Alain Freixe & Raphaël Monticelli | Chère
    P/oésie, le blog d’Alain Freixe : La poésie et ses entours





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  • Françoise Oriot, À un jour de la source

    par Michel Diaz

    Françoise Oriot, À un jour de la source,
    Éditions de L’Amourier, Fonds Poésie,
    Collection dirigée par Alain Freixe,  2015.



    Lecture de Michel Diaz





    Bien sûr les pierres dressées
    Ph., G.AdC







    C’est sous forme d’hommage discret à René Char (auquel sont empruntés les mots de son titre) que se présente cet ouvrage divisé en quatre chants, « Guetter les signes », « Bien sûr les pierres dressées », « J’ai jeté ma pierre » et « Perdue choisie ».


    À un jour de la source, mais combien de pas pour l’atteindre ?… Impossible distance à combler pour qui marche les pieds meurtris et l’âme fatiguée, vers un là-bas qui est ce que nous y faisons advenir, impossible distance, mais la seule à franchir pour qui veut étancher la soif de son désir et y goûter, du bout des lèvres, « la fragile raison de la vie ».

    Car la vie est ici, maintenant, en deçà de toute illusion d’un monde transcendant, puisque « aucun mystère / ni d’ici ni là-bas ne (nous) requiert », et l’on peut se risquer à entendre ainsi (comme on jette une pierre à l’éternel silence du Très-Haut), cet « oasis là-bas / vous ne l’atteindrez pas », puisque encore en dépit de tous nos mensonges, de nos mythes et paraboles, cette oasis « n’existe pas ».

    Nous voici en tout cas dans la contingence, dans un monde sans dieux, responsables uniques de nos caprices, livrés à notre seule solitude humaine et aux entreprises de sa folie, sous l’œil indifférent des astres, n’ayant sous le soleil des jours que la flamme de l’espérance à toujours inventer pour obstinément témoigner de l’infinité du réel, en approcher la source, et « pour retenir le rythme du chant ».

    C’est bien la vie, et sa multiple profusion, dans ce qui se murmure à notre oreille du lourd secret des choses et que masquent nos mots sur nos lèvres, que le poète invite dans ses pages et exalte à voix retenue, même métaphoriquement, sous la forme du végétal, de l’animal, du minéral, comme dans ses aspects les plus élémentaires — ceux de l’eau et du feu, de la terre et du vent, l’arbre, la lune, la pie ou l’araignée. Ces textes, habités des diverses présences du monde, nous en proposent une approche sensible, une re-connaissance qui nous le restitue intense mais fiévreux, où s’exerce l’enjeu le plus grave qui soit, celui d’appartenir en bonne intelligence à la communauté des êtres et des choses dont nous ne sommes que les douloureux, fragiles, mais indispensables maillons de la chaîne.

    Car vivre est, en effet, expérience mortelle, épreuve de douleur qui « jette la tête contre les murs », mais ne nous laisse d’autre choix, souvent, puisque « souffrir c’est vivre encore », c’est-à-dire essayer de persévérer dans notre être. Être au monde, c’est être du monde, mais otages non consentants de la finitude de notre temps terrestre qui ne nous nourrit de lui-même que pour autant qu’il nous dévore. Être du monde fait de nous des « êtres-pour-la-mort », figurants d’une pièce où s’imposent « la pluie cinglante / la montagne qui crache ses laves / le froid mortel / l’océan qui engloutit ».

    Françoise Oriot sait que le drame de l’espèce humaine et son désordre permanent, insulte à l’ordre impermanent des choses, ont aussi pour décor la mise à feu et à sang des espérances, et la violence du monde, les crimes et massacres organisés, « le mépris / la délation », et ce qui fait de nous des égarés sans boussole ni horizon. Et l’on peut se permettre de penser à Shakespeare qui estimait que le « malheur du temps [était] que les fous guident les aveugles ». Sommes-nous devenus plus sages ?

    Ces textes ne font pas silence sur ce qui fonde le tragique de notre présence au temps et au monde, un monde où « il faudrait », nous dit l’auteure, « réveiller la moitié de l’humanité / et consoler l’autre moitié ». La voix est souvent douce, mais surtout ferme et grave, et cela lui suffit, comme on chante dans la pénombre ou qu’on prie à voix basse, à se faire l’écho de ces cris dont l’horizon rougeoie et qu’ils peuplent, là-bas, tout autour, de « colonnes de cendres ».

    Dans ces pages, c’est l’aujourd’hui du monde qu’elle invite, et dont elle nous demande d’en « guetter les signes » avec elle. Et contre le silence de l’indifférence ou la peur, avouée ou masquée, qui nous jette toujours à la gorge de l’Autre, elle se fait devoir humain et fraternel de n’avoir pas, sous les bourrasques, « hurlé avec les loups ».


    Et c’est dans ce compagnonnage fraternel que nous avançons à travers ces chants qui interrogent le mystère d’être de ce monde, l’énigme que nous sommes à nous-mêmes « entre deux gouffres d’inconnu », ayant toujours à faire avec ce qui nous hante et au plus profond nous tourmente, et qui sont nos propres démons.

    Vivre, c’est cheminer sur l’étroite ligne de crête qui relie ces deux bords de nous-mêmes qui ne se rejoignent qu’à l’horizon, à l’endroit même où nous ne sommes plus qu’un nom, vide de toute présence, mais qui à lui seul nous résume pour l’infini des temps. Vivre, nous dit Françoise Oriot, c’est s’avancer, face offerte au soleil, essayer de capter cette « intelligible lumière » dont nos yeux aveuglés ne peuvent rien saisir, sinon cette brûlure où se consume toute vérité. Mais malgré l’inquiétude qui traversent ces pages, ces mots de désenchantement face à ce monde dont nous sommes de très mauvais gérants et de bien ingrats locataires, et face au Mal dont nous ne sommes que les seuls artisans, l’auteure nous confie encore que, parfois, lui « revient sans colère », et aux heures de grâce, le sentiment « que le tragique avive au plus vif / l’humain dans l’humain ».

    C’est bien cette notion « d’humanité », mais éclairée de grave bienveillance et de lucide compassion, qui constitue la trame de ce livre, car demeure toujours ce qui, en toute poésie, mot contre mot comme font pierre contre pierre, embrase la parole et lui donne son sens : atteindre le bord de la source, « atteindre le rivage » pour « s’agenouiller sur la plage/sauve ».

    Le dernier chant de cet ouvrage, qui en fait son point d’orgue, le prolongeant dans ce qu’il a d’intime et de plus personnel, évoque l’entrelacs dans lequel, s’exaltant, se fortifient d’eux-mêmes et s’abîment les rapports amoureux. Succédant aux ivresses des sentiments et aux « rires d’après le plaisir », cette ascension, à l’empyrée du cœur et des corps confondus dans l’étreinte, de cette « étoile double / au centre de gravité commun », surviennent, comme en tout amour qui s’achève, le déclin et la solitude, la perte et ce que l’on devine de la mort quand ne demeure plus en nous que « le fantôme de la fuyante jouissance ». Mais là aussi, comme en toutes les pages qui précèdent, l’auteure se rassemble pour ne pas céder aux mots de la douleur, et pour que ne vienne plus l’entamer la souffrance, fait des cris retenus la parole qui la libère. Ainsi, « la pierre devient socle » sur lequel elle assoit la « force assoiffée des mots qui consolent des cris ».


    « L’eau est lourde à un jour de la source », écrivait René Char. Françoise Oriot nous montre ici que marcher vers la source, en usant de persévérance et de force d’insoumission, peut nous aider, qui la lisons, à la rendre un peu plus légère. Contre l’infortune des temps et le questionnement anxieux sur ce qu’à nous-mêmes nous sommes, comme contre les voix discordantes du cœur, il lui reste, tenace, ce qui reste au « chèvrefeuille harassé / contre le mur de la cour », la volonté fervente de rester en éveil et de traduire en mots ce que nous conservons en nous, vivant, de la beauté du monde, qui se traduit ici, dans le partage, par « le grand bonheur de savoir donner / au printemps / des fleurs blanches et parfumées ».



    Michel Diaz
    D.R. Texte Michel Diaz
    pour Terres de femmes
    [Tours, 1er octobre 2015]







    Françoise Oriot, A un jour de la source





    FRANÇOISE  ORIOT


    Françoise Oriot NB
    Source



    ■ Françoise Oriot
    sur Terres de femmes

    Combat à recommencer (poème extrait d’À un jour de la source)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions de L’Amourier)
    la fiche de l’éditeur sur À un jour de la source
    → (sur le site des éditions de L’Amourier)
    une notice bio-bibliographique sur Françoise Oriot





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