Étiquette : Milano


  • Anna Maria Ortese | « Les Petites Personnes »





    « LES PETITES PERSONNES »
    (extrait)





    Mais je reviens au point important. Je considère que les animaux, à cause de leur visage, de leur sensibilité et de leur compréhension évidente, appartiennent à la même famille que celle dont est venu, terriblement armé de la faculté de raisonnement, l’homme : à celle de la vie. Ce que l’animal ne possède pas, c’est uniquement la faculté de raisonner, la férocité de vandale poussée à l’extrême, l’orgueil ridicule de la faculté de raisonner, la capacité de désacraliser et d’exploiter la vie : c’est pourquoi il n’est pas considéré comme un peuple, alors qu’il devrait l’être, ni comme un être différent, une personne appartenant à la vie, mais considéré comme une chose, et traité en tant que telle.

    Nous croyons tout savoir sur les élevages, les abattoirs et la chasse, les expériences et les jeux, qui ont pour cible, depuis un temps immémorial, les Petites Personnes. Nous ne savons rien. Et si nous savions vraiment, nous mourrions de douleur et de honte, et nous frapperions irrémédiablement les cœurs humains qui existent pourtant, parmi nous. C’est donc une entreprise que je ne tenterai pas. Mais gare, a-t-on envie de dire, gare à l’homme qui accepte et pratique ces choses-là, et gare aux pays qui n’ont jamais eu scrupule à les faire, gare à tous ces garnements qui s’en lavent les mains et qui répètent stupidement : cela a toujours existé et cela doit continuer à exister. Au fond, ce ne sont que des animaux. Seul l’homme est important.

    Quel homme ! aurais-je envie de répondre. Sans fraternité, il n’y a pas d’hommes, mais des contenants de viscères, et un peuple constitué de contenants n’existe pas, ce n’est pas un peuple. L’homme est fait de fraternité, qui dit « homme » dit essentiellement « fraternité ». Et un homme — ou un peuple — qui se place au centre de la vie en disant « Moi », en frappant fort sa poitrine, n’est qu’un singe dégradé (alors que le singe ne l’est pas).

    J’écris tout cela sans ordre. C’est que mon caractère est méchant, il n’est pas bon, il n’est pas tendre, et dès que je rencontre de la présomption et de la lâcheté, qui entrent en maîtres dans le territoire de l’innocence et de la faiblesse, je voudrais prendre les armes, m’emparer d’un sabre, et faire tomber des têtes infectées. Mais je me transformerais alors en l’une d’elles, et donc, chassons ce désir.

    C’est juste une manière de dire. À partir du jour où j’ai commencé à comprendre certaines choses (et c’est un jour d’il y a longtemps, il appartient à ma première jeunesse), je n’ai plus aimé l’homme sincèrement, ou je l’ai aimé avec tristesse.

    Je dirais que je me suis efforcée de l’aimer, j’ai été émue par lui et j’ai tenté de comprendre l’origine de sa dégradation, d’être humain en maître. Ce serait trop long à raconter, et je ne peux pas le faire ici. Mais j’ai compris que plus l’homme (et la femme) ignore les Petites Personnes, plus il est indigne de s’appeler « homme », et que son autorité, lorsqu’il l’a gagnée, est mortelle pour les hommes.



    Anna Maria Ortese, « Les Petites Personnes » in « Frères différents » in Les Petites Personnes, En défense des animaux et autres écrits [Le Piccole Persone, Adelphi edizioni, Milano, 2016], Actes Sud, Collection « un endroit où aller », 2017, pp. 148-149-150. Traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli.






    Anna Maria Ortese  Les Petites Personnes  Actes Sud





    ANNA MARIA ORTESE


    Anna Maria Ortese





    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site des éditions Actes Sud)
    la fiche de l’éditeur sur Anna Maria Ortese
    → (sur YouTube)
    un entretien avec Marguerite Pozzoli, traductrice du livre Les Petites Personnes. En défense des animaux et autres écrits par Anna Maria Ortese. Entretien réalisé par Michele Canonica pour le site L’Italie en direct. Février 2017.





    Retour au répertoire du numéro de septembre 2017
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Fabio Pusterla | Corps d’étoiles




    CORPO STELLARE




    Mi segui con un pensiero, sei un pensiero
    che non devo nemmeno pensare, come un brivido
    mi strini piano la pelle, muovi gli occhi
    verso un punto chiaro di luce. Sei un ricordo
    perduto e luminoso, sei il mio sogno
    senza sogno e senza ricordi, la porta che chiude
    e apre sulla corrente di un fiume impetuoso. Sei una cosa
    che nessuna parola può dire e che in ogni parola
    risuona come l’eco di un lento respiro, sei il mio vento
    di foglie e primavere, la voce che chiama
    da un punto che non so e riconosco che è mio.
    Sei l’ululato di un lupo, la voce del cervo
    vivo e ferito a morte. Il mio corpo stellare.




    Fabio Pusterla, Corpo stellare, Marcos y Marcos, Collana Gli Alianti, 178, Milano, 2010, pagina 106.






    Corpo-stellare-cop







    CORPS D’ÉTOILES




    Tu me suis comme une pensée, tu es une pensée
    que je ne dois même pas penser, comme un frisson
    tu me roussis doucement la peau, bouges les yeux
    vers un point clair de lumière. Tu es une chose
    qu’aucun mot ne peut dire et qui dans chaque parole
    résonne comme l’écho d’une respiration lente, tu es
    mon vent de feuilles et de printemps, la voix qui appelle
    d’un lieu inconnu que je reconnais et qui est mien.
    Tu es le hurlement d’un loup, la voix du cerf
    vivant et blessé à mort. Mon corps d’étoiles.




    Fabio Pusterla, Pierre après pierre, anthologie de poèmes, édition bilingue, éditions MétisPresses, Genève, 2017, page 85. Traduit de l’italien par Mathilde Vischer.






    Fabio Pusterla  Pierre après pierre






    FABIO PUSTERLA


    Fabio Pusterla
    Source




    ■ Fabio Pusterla
    sur Terres de femmes

    Arte della fuga
    Au-delà des vagues
    Caparìca
    Due rive
    Entre-deux
    Esquisse en poudre de gypse, 6
    La fugitive
    Une vieille (+ bio-bibliographie)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de culturactif.ch)
    une notice bio-bibliographique sur Fabio Pusterla







    Retour au répertoire du numéro de mai 2017
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Claudia Azzola | Venezia

    « Poésie d’un jour

    Topique : Venise


    Traduction dédiée à Constance Hesse-Asplanato




    Giudecca
    « Alla Giudecca […] ho invenuto vicoli di teatro povero »
    © Ph. Constance Hesse-Asplanato







    VENEZIA


    Alla Giudecca



    Alla Giudecca, tra le Zitelle e il Redentore,
    ho invenuto vicoli di teatro povero,
    del salmastro, ma non svendo voce
    in descrizioni, desolazioni, notazioni,
    bastava rinvenire l’ancestrale
    battere dei gabbiani in picchiata,
    battere delle ali e ventre,
    e intero il canale da qui alle Zattere
    è acqua che scuote, fa energia,
    la secca non affioca le caviglie,
    non può prevalere, è solo terra
    di risulta ; i palazzi furono sontuosi,
    lontano da San Marco e dai Dogi,
    decrepitezza è bellezza,
    nei vicoli, là, c’è tutto, ab origine

    …fino al dipinto veneziano puro





    Quando i monumenti gli altari ornate
    ingialliscono in mente, e pure quelli
    che voltano la schiena
    per dipartita o per silenzio,
    a imperare si stende un mare
    fin a Campo San Polo, alla Giudecca
    luce processore delle cose
    suggestione del planisfero,

    Tintoretto, Tiziano, Tiepolo,

    deus incontaminato
    unico connettore astrale.


    …fino al dipinto veneziano puro



    Claudia Azzola, Il mondo vivibile, Poesie, La Vita Felice Editore, Collana Le Voci Italiane, 65, Milano, 2016, pp. 28-29.






    Claudia Azzola, Il mondo vivibile








    VENISE



    À la Giudecca



    À la Giudecca, entre les Zitelle et le Rédempteur,
    j’ai découvert des ruelles de théâtre pauvre,
    des eaux saumâtres, mais ma voix je ne la brade pas
    en descriptions, annotations et lamenti,
    il suffisait de retrouver le séculaire
    battement en piqué des mouettes,
    battement d’ailes et du ventre,
    et le canal entier d’ici jusqu’aux Zattere
    c’est de l’eau qui bat, qui s’agite,
    le sec n’alourdit pas les chevilles,
    il ne peut l’emporter, c’est juste une terre
    de dérive ; les palais furent somptueux.
    Loin de Saint-Marc et des Doges,
    décrépitude est beauté,
    là, dans ces ruelles, il y a tout, depuis les origines

    …jusqu’au pur tableau vénitien





    Quand dans l’esprit s’enjaunissent
    les monuments les autels ornementés, et même ceux
    qui tournent le dos
    pour dépérir ou pour se taire,
    une mer s’étend impérieuse
    jusqu’au Campo San Polo, à la Giudecca
    lumière d’où procède toute chose
    évocation du planisphère,

    Le Tintoret, Titien, Tiepolo,

    dieu immaculé
    unique intercesseur astral.


    …jusqu’au pur tableau vénitien



    Claudia Azzola, Dove vola l’airone bianco, Cahiers de l’Approche, septième été, 16000 Angoulême, 2018. Traduit par Angèle Paoli.






    CLAUDIA AZZOLA


    Claudia Azzola
    Source




    ■ Claudia Azzola
    sur Terres de femmes

    Saltimbanques de rue (poème extrait du même recueil)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de La Vita Felice Editore)
    une fiche bio-bibliographique (en italien) sur Claudia Azzola
    → (sur Terre à ciel)
    d’autres poèmes extraits d’Il mondo vivibile traduits par AP
    → (sur Margutte)
    un entretien (en italien) avec Claudia Azzola





    Retour au répertoire du numéro d’ avril 2017
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Claudia Azzola | Saltimbanques de rue



    STREET JESTERS
    SALTIMBANCHI





    Street jesters seem to have long long
    Arms that in an instant could touch
    The skies, their jests and puns being
    Eyed high above by magpies,
    The longtime plotted plunge into
    Deep celestial waters of folly and stars,
    Acme of their weariness,
    The comedians’ outlandishness,
    The life they lead, that dragonflies.





    SALTIMBANCHI DI STRADA




    Saltimbanchi di strada lunghe lunghe braccia
    pare abbiano, che in un istante potrebbero toccare
    i cieli, giochi di parole e capriole sono osservati
    dall’alto dalle gazze,
    il tuffo a lungo progettato dentro
    celestiali acque profonde di follia e di stelle,
    acme della loro stanchezza,
    lo spaesamento dei teatranti vaganti,
    la vita che conducono, quella delle lucciole.



    Claudia Azzola, Il mondo vivibile, Poesie, La Vita Felice Editore, Milano, 2016, pages 19 et 71.






    Claudia Azzola, Il mondo vivibile







    SALTIMBANQUES DE RUE



    Saltimbanques de rue
    ont, dirait-on, des bras longs, longs, longs,
    qui pourraient toucher les cieux
    en un instant, jeux de mots et cabrioles
    sont observés d’en haut par les agasses,
    leur plongeon tête en avant, de loin dans
    les profondes eaux célestes de folie et d’étoiles,
    apogée de leur épuisement,
    le déracinement des comédiens ambulants,
    la vie qu’ils mènent, celle des lucioles.



    Traduction inédite d’Angèle Paoli







    CLAUDIA AZZOLA


    Claudia Azzola
    Source




    ■ Claudia Azzola
    sur Terres de femmes

    Venezia (poème extrait du même recueil)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de La Vita Felice Editore)
    une fiche bio-bibliographique (en italien) sur Claudia Azzola
    → (sur Terre à ciel)
    d’autres poèmes extraits d’Il mondo vivibile traduits par AP





    Retour au répertoire du numéro de février 2017
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Sonia Lambertini, Danzeranno gli insetti (textes choisis)

    « Poésies d’un jour

    choisies par Silvia Guzzi



    DANZERANNO GLI INSETTI, VI
    (extrait)





    Quando nulla ti è dovuto e non sai come
    conosci il cerchio nero che ti assedia chiedi
    quale strano progetto ha preso i tuoi occhi
    per riempirli di colore giallo ocra e rosso


    senti il passo della libella lo sfregare delle antenne
    la resa in volo desiderio del maschio sul filo d’erba
    e l’aria che sposta la curva il segmento che unisce
    trovarsi dal nulla negli occhi del nostro calvo inverno.



    *



    Ascolta padre gli occhi negli occhi del padre
    non puoi sbagliare le parole verranno semplici
    i piedi bianchi e nudi leggeri alla tua bocca
    con petali parola bianchi che usciranno
    dalla tua bocca padre, si poseranno sui miei occhi
    rosso stanco, sporcali di giallo ocra e il verde
    della libella sul filo d’erba si guarda nell’acqua
    gioca nei cerchi scolorano i tuoi occhi.



    *



    Sento il tempo e la testa nel ritmo il tamburo
    i colpi nel muro e il fosso l’ora in cui mi arruolo

    non ho nastrini sulla divisa sia chiaro

    una linea di gambe e braccia senza radici per stare
    avvolti le foglie del calvo inverno cerchiamo

    (sotto la coltre di terra, stesi)



    Sonia Lambertini, Danzeranno gli insetti, Marco Saya Edizioni, Collana Poesiaoggi, N. 32, Milano, 2016, pp. 40-41-42. Prefazione di Mario Fresa.






    Sonia Lambertini, Danzeranno gli insetti









    Quand rien ne t’est dû et tu ne sais comment
    tu connais le cercle noir qui te hante tu demandes
    quel étrange projet a pris tes yeux
    pour les emplir de couleur jaune ocre et rouge


    tu sens le souffle de la libelle le frottement des antennes
    la chute en vol désir du mâle sur le fil d’herbe
    et l’air qui déplace la courbe le segment qui unit
    passer de rien aux yeux de notre hiver chauve



    *



    Écoute père les yeux dans les yeux du père
    tu ne peux ployer les mots viendront simples
    les pieds blancs et nus légers à ta bouche
    avec des pétales       mot       blancs qui sortiront
    de ta bouche père, ils se poseront sur mes yeux
    rouge fatigué, salis-les de jaune ocre et le vert
    de la libelle sur le fil d’herbe se regarde dans l’eau
    joue dans les cercles tes yeux décolorent.



    *



    Je sens le temps et la tête dans le rythme le tambour
    les coups dans le mur et la fosse l’heure où je m’enrôle

    je n’ai pas de ruban sur l’uniforme je l’affirme

    une ligne de jambes et de bras sans racines pour rester
    enveloppés les feuilles de l’hiver chauve nous cherchons

    (sous la chape de terre, étendus)



    Traduit de l’italien par Silvia Guzzi







    SONIA  LAMBERTINI


    PhotoSonia Lambertini@Pier Francesco De Iulio
    Ph. ©Pier Francesco De Iulio




    Née à Terracina (Latium) en décembre 1967, Sonia Lambertini vit à Ferrare. Elle est licenciée en Sciences de l’Éducation. Ses poèmes ont paru à de nombreuses reprises dans des anthologies, revues, blogs et sites littéraires en ligne. Certains poèmes ont été publiés dans la revue La Clessidra (n. 1, 2015) et d’autres textes dans la revue Illustrati (Logos Edizioni), dans la rubrique « Poemata », dans le catalogue d’art Chi non si maschera? ( dir. Associazione Liberi Incisori, Bologne, 2014), et dans le catalogue Menzogna de l’artiste Raffaele Fiorella (Pietre Vive Editore, 2015).



    ■ Voir aussi ▼

    le blog de Sonia Lambertini
    → (sur Traductions.it, le site de Silvia Guzzi) d’autres poèmes de Sonia Lambertini traduits en français par Silvia Guzzi :
    (Sul ramo del ciliegio) (Il maledetto vizio ) (Provvisoria io ) (Certi giorni) (Ho perso il filo che ho nascosto in tasca)
    → (sur Terre à ciel)
    cinq poèmes extraits de Danzeranno gli insetti (traduits par Silvia Guzzi) suivis d’une note de lecture par Giacomo Cerrai
    → (sur Traductions.it)
    « Un hiver chauve », note critique de Giulio Maffii autour de trois poèmes inédits de Sonia Lambertini
    → (sur Poesiaoggi)
    une recension (en italien) de Danzeranno gli insetti par Elio Grasso





    Retour au répertoire du numéro d’ avril 2016
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Giorgio Caproni | Lasciando Loco



    LASCIANDO LOCO
    (1972)




    Sono partiti tutti.
    Hanno spento la luce,
    Chiuso la porta, e tutti
    (Tutti) se ne sono andati
    Uno dopo l’altro.

    Soli,
    Sono rimasti gli alberi
    E il ponte, l’acqua
    Che canta ancora, e i tavoli
    Della locanda ancora
    Sgombri – il deserto,
    La lampadina a carbone
    Lasciata accesa nel sole
    Sopra il deserto.

    E io,
    Io allora, qui,
    Io cosa rimango a fare,
    Qui dove perfino Dio
    Se n’è andato di chiesa,
    Dove perfino il guardiano
    Del camposanto (uno
    Dei compagnoni più gai
    E savi) ha abbandonato
    Il cancello, e ormai
    — Di tanti — non c’è più nessuno
    Col quale amorosamente
    Poter altercare ?



    Giorgio Caproni, Tema con variazioni, Il muro della terra (1964-1975), in Tutte le Poesie, Garzanti, I grandi libri, Milano, 2016, pagina 365.







    EN QUITTANT LOCO



    Ils sont tous partis.
    Ils ont éteint la lumière,
    Fermé la porte, et tous
    (Tous) s’en sont allés
    L’un après l’autre.

    Seuls
    Sont restés les arbres
    Et le pont, l’eau
    Qui chante encore, et les tables
    De l’auberge encore,
    Encombrées — le désert,
    La petite ampoule à carbone
    Qu’on a laissée allumée dans le soleil
    Au-dessus du désert.

    Et moi,
    Moi alors,
    Je reste ici pour quoi faire,
    Ici où même Dieu
    S’en est allé de l’église,
    Où même le gardien
    Du cimetière (un
    Des bons vivants les plus gais
    Et sages) a quitté
    La grille, où désormais
    — d’eux tous — il n’y en a plus aucun
    Avec lequel amoureusement
    Je puisse me quereller ?



    Giorgio Caproni, Poesie 1932-1986 in Anthologie bilingue de la poésie italienne, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1994, pp. 1360-1363. Traduction de Philippe Renard et Bernard Simeone.




    __________________________
    NOTE d’AP : Loco est des hameaux de Rovegno (au nord de Gênes, dans la vallée de la Trébie), où Giorgio Caproni a longtemps enseigné, et où il a fait la connaissance de celle qui, en 1937, est devenue son épouse, Rina Rettagliata.




    GIORGIO CAPRONI


    Portrait_de_Giorgio_Caproni
    Image, G.AdC




    ■ Giorgio Caproni
    sur Terres de femmes

    7 janvier 1912 | Naissance de Giorgio Caproni
    Giorgio Caproni | Quando ti vidi accesa



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site des éditions Verdier)
    une page consacrée à Giorgio Caproni
    → (sur le site de la Rai.tv)
    Giorgio Caproni – La poesia ?






    Retour au répertoire du numéro de janvier 2015
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)

    Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Amelia Rosselli | [Filtre entre moi et toi dans la sous-marine une clarté]



    Laisse l’innocence et reviens à l’obscurité, laisse |  la rencontre et reviens à la lumière.
    Ph., G.AdC







    [FLUISCE TRA ME E TE NEL SUBACQUEO UN CHIARORE]



    Fluisce tra me e te nel subacqueo un chiarore
    che deforma, un chiarore che deforma ogni passata
    esperienza e la distorce in un fraseggiare mobile,
    distorto, inesperto, espertissimo linguaggio
    dell’ adolescenza! Difficilissima lingua del povero!
    rovente muro del solitario! strappanti intenti
    cannibaleschi, oh la serie delle divisioni fuori
    del tempo. Dissipa tu se tu vuoi questa debole
    vita che non si lagna. Che ci resta. Dissipa
    tu il pudore della mia verginità; dissipa tu
    la resa del corpo al nemico. Dissipa la mia effige,
    dissipa il remo che batte sul ramo in disparte.
    Dissipa tu se tu vuoi questa dissipata vita dissipa
    tu le mie cangianti ragioni, dissipa il numero
    troppo elevato di richieste che m’agonizzano:
    dissipa l’orrore, sposta l’orrore al bene. Dissipa
    tu se tu vuoi questa debole vita che si lagna,
    ma io non ti trovo e non so dissiparmi. Dissipa
    tu, se tu puoi, se tu sai, se ne hai il tempo
    e la voglia, se è il caso, se è possibile, se
    non debolmente ti lagni, questa mia vita che
    non si lagna. Dissipa tu la montagna che m’impedisce
    di vederti o di avanzare; nulla si può dissipare
    che già non sia sfiaccato. Dissipa tu se tu
    vuoi questa mia debole vita che s’incanta ad
    ogni passaggio di debole bellezza; dissipa tu
    se tu vuoi questo mio incantarsi, — dissipa tu
    se tu vuoi la mia eterna ricerca del bello e
    del buono e dei parassiti. Dissipa tu se tu puoi
    la mia fanciullaggine; dissipa tu se tu vuoi,
    o puoi, il mio incanto di te, che non è finito:
    il mio sogno di te che tu devi per forza assecondare,
    per diminuire . Dissipa se tu puoi la forza che
    mi congiunge a te: dissipa l’orrore che mi ritorna
    a te. Lascia che l’ardore si faccia misericordia,
    lascia che il coraggio si smonti in minuscole
    parti, lascia l’inverno stirarsi importante nelle
    sue celle, lascia la primavera portare via il
    seme dell’indolenza, lascia l’estate bruciare
    violenta e incauta; lascia l’inverno tornare
    disfatto e squillante, lascia tutto — ritorna
    a me; lascia l’inverno riposare sul suo letto
    di fiume secco; lascia tutto, e ritorna alla
    notte delicata delle mie mani. Lascia il sapore
    della gloria ad altri, lascia l’uragano sfogarsi.
    Lascia l’innocenza e ritorna al buio, lascia
    l’incontro e ritorna alla luce. Lascia le maniglie
    che coprono il sacramento, lascia il ritardo
    che rovina il pomeriggio. Lascia, ritorna, paga,
    disfa la luce, disfa la notte e l’incontro, lascia
    nidi di speranze, e ritorna al buio, lascia credere
    che la luce sia un eterno paragone.






    [FILTRE ENTRE TOI ET MOI DANS LA SOUS-MARINE UNE CLARTÉ]



    Filtre entre moi et toi dans la sous-marine une clarté
    qui déforme, une clarté qui déforme chaque expérience
    du passé et la distord en un phrasé mobile,
    distordu, inexpérimenté, expertissime langage
    de l’adolescence ! si difficile langue du pauvre !
    mur brûlant du solitaire ! arrachantes intentions
    cannibalesques, oh la série des divisions hors
    du temps. Toi dissipe si tu veux cette faible
    vie qui ne se plaint pas. Qui nous reste. Toi
    dissipe la pudeur de ma virginité ; toi dissipe
    la capitulation du corps à l’ennemi. Dissipe mon effigie,
    dissipe la rame qui bat sur le rameau en contrebas.
    Toi dissipe si tu veux cette vie dissipée dissipe
    toi mes changeantes raisons, dissipe le nombre
    trop élevé de requêtes qui m’agonisent :
    dissipe l’horreur, déplace l’horreur au bien. Toi
    dissipe si tu veux cette faible vie qui se plaint,
    car je ne te trouve pas, et je n’ose me dissiper. Toi
    dissipe, si tu peux, si tu sais, si tu en as le temps
    et l’envie, si c’est le moment, si c’est possible, si
    sans faiblir tu te plains, cette vie mienne qui ne
    se plaint pas. Toi dissipe la montagne qui m’empêche
    de te voir ou bien d’avancer ; rien ne se peut dissiper
    qui déjà ne se soit raffaissé. Toi dissipe si tu
    veux cette faible vie mienne enchantée à
    chaque passage de faible beauté ; toi dissipe
    si tu veux cet enchantement mien, — toi dissipe
    si tu veux mon éternelle recherche du beau et
    du bon et des parasites. Toi dissipe si tu peux
    mon enfantinage ; toi dissipe si tu veux,
    ou peux, mon enchantement de toi, qui n’est pas fini :
    mon rêve de toi que tu dois forcément seconder,
    pour diminuer. Dissipe si tu peux la force qui
    me conjoint à toi : dissipe l’horreur qui me revient
    vers toi. Laisse que l’ardeur se fasse miséricorde,
    laisse que le courage se délite en tout petits
    bouts, laisse l’hiver s’étirer important dans
    ses cellules, laisse le printemps emporter la
    graine de l’indolence, laisse l’été brûler
    violent et sans prudence ; laisse l’hiver revenir
    défait et carillonnant, laisse tout — reviens
    à moi ; laisse l’hiver reposer dans son lit
    de fleuve à sec ; laisse tout, et reviens à la
    nuit délicate de mes mains. Laisse la saveur
    de la gloire à d’autres, laisse l’ouragan se déchaîner.
    Laisse l’innocence et reviens à l’obscurité, laisse
    la rencontre et reviens à la lumière. Laisse les poignées
    qui recouvrent le sacrement, laisse le retard
    qui ruine l’après-midi. Laisse, reviens, paie,
    défais la lumière, défais la nuit et la rencontre, laisse
    des nids d’espoirs, et reviens à l’obscurité, laisse croire
    que la lumière est une éternelle comparaison.



    Amelia Rosselli, La Libellule [La libellula, Sellerio Editore, Milano, 1985 ; Garzanti Editore, Milano, 1997], Ypsilon Éditeur, 2014, pp. 38-39-40-41-42. Traduction et postface de Marie Fabre.




    ______________________________________
    NOTE d’AP : l’ouvrage dont est issu l’extrait ci-dessus (La Libellule d’Amelia Rosselli) est disponible en librairie depuis le 12 avril 2014.





    AMELIA ROSSELLI


    Amelia_rosselli
    Ph. © Dino Ignani – Tous droits réservés
    Source



    ■ Amelia Rosselli
    sur Terres de femmes

    Amelia Rosselli | Adolescenza (+ notice bio-bibliographique)
    [La tua debolezza è la mia vittoria] (poème extrait de Variazioni Belliche + traduction française par Marie Fabre)
    T’aimer et ne rien pouvoir faire d’autre que t’aimer (poème extrait de “Dialogo con i Poeti”, Serie Ospedaliera 1963-1965)
    11 février 1996 | Mort d’Amelia Rosselli (article de Marie Fabre + extraits de Variazioni Belliche, dans une traduction de Marie Fabre)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site des éditions Ypsilon)
    la page de l’éditeur sur La Libellule (+ un autre extrait)
    → (sur t-pas-net.com)
    une chronique de Jean-Nicolas Clamanges sur La Libellule d’Amelia Rosselli
    → (sur le site des éditions Ypsilon)
    un extrait du Dossier Amelia Rosselli de la Revue Europe (n° 996, avril 2012, pp. 197-201)[PDF]
    → (sur YouTube)
    Amelia Rosselli lisant en français trois des neuf poèmes d’Adolescence
    → (sur YouTube)
    Amelia Rosselli lisant un court extrait de La libellula
    → (sur Rai-TV Radioscrigno)
    d’exceptionnelles archives sonores, dont l’étonnante lecture d’un extrait de Sleep par Amelia Rosselli
    → (dans l’anthologie permanente de Poezibao)
    un extrait de Documento 1966-1973 d’Amelia Rosselli (traduction inédite d’Angèle Paoli)
    → (sur le site de l’Unità)
    « Amelia Rosselli, rivoluzionaria della poesia » par Lello Voce
    → (sur trickster)
    « La traduction chez Amelia Rosselli | Entre désappropriation et appropriation linguistique », par Sarah Ventimiglia





    Retour au répertoire du numéro d’avril 2014
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Wisława Szymborska | Complicités avec les morts



    800 x 532
    Ph., G.AdC







    KONSZACHTY Z UMARŁYMI



    W jakich okolicznościach śnią ci się umarli?
    Czy często myślisz o nich przed zaśnięciem?
    Kto pojawia się pierwszy?
    Czy zawsze ten sam?
    Imię? Nazwisko? Cmentarz? Data śmierci?

    Na co się powołują?
    Na dawną znajomość? Pokrewieństwo? Ojczyznę?
    Czy mówią, skąd przychodzą?
    I kto za nimi stoi?
    I komu oprócz ciebie śnią się jeszcze?

    Ich twarze czy podobne do fotografii?
    Czy postarzały się z upływem lat?
    Czerstwe? Mizerne?
    Zabici czy zdążyli wylizać się z ran?
    Czy pamiętają ciągle, kto ich zabił?

    Co mają w rękach – opisz te przedmioty.
    Zbutwiałe? Zardzewiałe? Zwęglone? Spróchniałe?
    Co mają w oczach – groźbę? Prośbę? Jaką?
    Czy tylko o pogodzie z sobą rozmawiacie?
    O ptaszkach? Kwiatkach? Motylkach?

    Z ich strony żadnych kłopotliwych pytań?
    A ty co wtedy odpowiadasz im?
    Zamiast przezornie milczeć?
    Wymijająco zmienić temat snu?
    Zbudzić się w porę?



    Wisława Szymborska, Ludzie na moście (1986) [Les Gens sur le pont] in Wisława Szymborska, La gioia di scrivere, Tutte le poesie (1945-2009), Adelphi Edizioni, Milano, 2012, pagina 460.







    COMPLICITÉS AVEC LES MORTS



    En quelles circonstances rêves-tu des morts ?
    Penses-tu souvent à eux avant de t’endormir ?
    Qui t’apparaît le premier ?
    Est-ce toujours le même ?
    Nom ? Prénom ? Cimetière ? Date de la mort ?

    À quoi en appellent-ils ?
    À l’amitié lointaine ? La parenté ? La patrie ?
    Est-ce qu’ils disent d’où ils viennent ?
    Qui se cache derrière eux ?
    À qui d’autre que toi apparaissent-ils en rêve ?

    Leurs visages ressemblent-ils à leurs photos ?
    Ont-ils vieilli avec les années ?
    Sont-ils frais ? Pâles ?
    Les tués ont-ils eu le temps de soigner leurs blessures ?
    Se souviennent-ils encore qui les a tués ?

    Qu’ont-ils dans leurs mains – décris ces objets.
    Pourris ? Rouillés ? Carbonisés ? Vermoulus ?
    Que lit-on dans leurs yeux – la menace ? La prière ? Laquelle ?
    Vous ne parlez que de la pluie et du beau temps entre vous ?
    Des oiseaux ? Des fleurs ? Des papillons ?

    De leur part nulles questions gênantes ?
    Et toi, que leur réponds-tu alors ?
    Au lieu de prudemment te taire ?
    De passer évasivement à un autre sujet de rêve ?
    De te réveiller à temps ?



    Wisława Szymborska/Ewa Lipska, Deux poétesses polonaises contemporaines, L’Ancrier Éditeur, Collection Littérature polonaise, 1996, page 31. Traduction d’Isabelle Macor-Filarska avec la participation de Grzegorz Splawinski.





    WISŁAWA SZYMBORSKA


    Wislawa_Szymborska
    Source




    ■ Wisława Szymborska
    sur Terres de femmes

    Discours au bureau des objets trouvés (poème extrait de Wszelki wypadek [Cas où, 1972])
    Mouvement (poème extrait de De la mort sans exagérer (Cent blagues [Sto pociech, 1967])
    3 octobre 1996 | Wisława Szymborska, Prix Nobel de littérature (notice bio-bibliographique)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Wisława Szymborska (+ un poème extrait de Vue avec grain de sable et un autre extrait de Dans le fleuve d’Héraclite)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Esprits Nomades)
    Wislawa Szymborska, Une poésie simple comme un bonjour
    → (sur FrancoSemailles)
    plusieurs poèmes de Wisława Szymborska
    → (sur poets.org)
    une notice bio-bibliographique (en anglais) sur Wisława Szymborska
    → (sur lyrikline blog)
    Readings to remember: Wisława Szymborska
    → (sur Recours au poème)
    Sur la disparition de Wislawa Szymborska, ou l’être poème, par Antoine de Molesmes





    Retour au répertoire du numéro de février 2014
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes