Retour au répertoire du numéro de mars 2020
Retour à l’ index des auteurs
Étiquette : Mo(r)t
-
Marie-Claire Bancquart | [Ces gants anciens]
» Retour Incipit de Terres de femmes -
4 novembre 2012 | Mort d’Anne-Marie AlbiachÉphéméride culturelle à rebours
Le 4 novembre 2012 meurt à Neuilly-sur-Seine la poète Anne-Marie Albiach.
Image, G.AdC
[« UN POÈTE CONTEMPORAIN MAJEUR »]
(extrait de Laure Limongi, « Seul contre tous, Toujours indociles », Le Chant du monstre n° 3)
[L]’œuvre d’Anne-Marie Albiach constitue l’activation contemporaine d’une certaine poésie dite « blanche », c’est-à dire — pour en décrire brièvement l’aspect immédiat — spatialisée sur la page à la manière d’une partition de mots. Ses livres majeurs : État (Mercure de France, 1971), Mezza voce (Flammarion, 1984), Anawrata (Spectres Familiers, 1984), « Figure vocative » (Fourbis, 1991), Figurations de l’image (Flammarion, 2004) dont le titre pourrait résumer le projet d’ensemble de l’œuvre : un lyrisme objectif, une littéralité baroque. Écriture physique. Soustraction et emportement.
[…]
Sa violence émeut, trouble, altère. J’ai moi-même vécu cette commotion, ses livres dans les mains, démunie, presque aphasique. Mon rythme quotidien, effréné, contraint par l’en-cours des choses a soudain hoqueté comme une vieille machine dérisoire. Comme un corps qui ne saurait plus coordonner ses mouvements, égaré. Pourtant. Je connais la poésie d’Anne-Marie Albiach. Je connais même sa voix. Je suis censée être armée de quelques outils efficaces pour la décrire, en dénouer certains fils… Et je me retrouve atteinte, arrêtée par une parole frontale, abrupte — car verticale —, résistante. Jean Tortel, dans Rature des jours (André Dimanche Éditeur, 1994) parle de « combat du tracé avec le blanc ». Une telle expérience de lecture est une ouverture brutale, presque une blessure. Une rencontre opaque et extrémiste. Un impact dont l’intensité ne peut être enfermé en quelques lignes. Et je pense qu’énoncer ce trouble fait partie du processus de lecture d’Anne-Marie Albiach et doit donc être décrit. Il n’y a pas beaucoup d’œuvres qui peuvent prétendre à un tel effet sur le lecteur.
La poésie d’Anne-Marie Albiach pose la question de sa propre lecture et de toute lecture. Sa possibilité, son degré d’appréhension du sens, sa vitesse. Imposant une scansion par la spatialisation des mots, un rythme (une pulsation ? Rappelons qu’État, par exemple, a été travaillé au magnétophone), elle offre au lecteur la possibilité d’une recréation permanente du texte tout en le heurtant dans ses habitudes linéaires, le ronron des flots de proses quotidiennes, l’enchaînement logique des énoncés.
la loi de la succession la blancheur des signes unedistance vertébrale ils
blêmissaient et brisaient telle logiquein Figurations de l’image, p. 20
C’est sans doute l’un de ses gestes les plus iconoclastes. Invitant le lecteur à écrire le texte en même temps qu’il le lit, Anne-Marie Albiach ruine toute possibilité de constitution d’une figure hégémonique de l’écrivain. […]
Laure Limongi, « Seul contre tous, Toujours indociles » [extrait], Revue Le Chant du monstre, n° 3, Création littéraire & curiosités graphiques, Éditions Intervalles, février 2014, pp. 70-71.
Ci-dessous un extrait d’une des pages fondatrices de l’œuvre poétique d’Anne-Marie Albiach, « Haie interne », parue pour la première fois en novembre 1966 dans le No. 1 de la revue Nothing Doing in London, éditée par Anthony Barnett (London: Oficyna Stanislawa Gliwy).
HAIE INTERNE
[…]
saveur de la mémoire
haie interne du jardin
un serpent piqua entre les cuisses haut ouvertes
Tel[le] une lame qui retrouve son fourreau
les épines rose dru blessent le regardsève de la mémoire encore ses mains sur mes hancheset son sexe
dans ces fleurs pesantes
pluie sur le jardin
(tristesse)
un autre soleil renaît quelques secondes plus tarddans une nouvelle lumière
ventre des marguerites arrondies comme un soleil
pétale du verre posé comme un des précipices
soudain la feuille morte depuis longtempsdressée contre les pieds vifs
ceinture
chair de fer à la taille chaude
fraîcheur du persil tiède en un souffle qui rase la terresèche
au cil ras — sur la chute des reins le soleil couchant
avec le fardeau du mâle dans ses hanches
comme si dans un geste cambré elle portait le monde
Retour au répertoire du numéro de novembre 2014
Retour à l’ index des auteurs
Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle
» Retour Incipit de Terres de femmes -
13 octobre 2004 | Heather Dohollau, Après la mort de Jacques DerridaÉphéméride culturelle à rebours
Source
APRÈS LA MORT DE JACQUES DERRIDA
à Dublin, le 13 octobre 2004.
Trinity College le soir — déjà le treize
après the long room et le réfectoire
le bénédicité et la prière pour la reine
nous sommes ici avec images et mots
de Thomas Jones à Naples deux tableaux
sont projetés sur le mur le premier
est d’une façade blanche où par les creux
le trop-plein de la nuit se coupe au jour
cet instant soudain où chacun est l’autre
le second est d’un mur où tout est clos
le noir se cache dedans personne ne sort
au balcon où les vêtements sont à l’air
la chevelure de la vigne enlace la main
la face du monde est là en entre-deux
plus tard on m’a suggéré et j’ai lu
les lignes d’avant sur Psyché et le rien
où l’ailleurs en son corps en crée l’espace
« et sous les arbres le toucher d’une brise »
Et ce fut notre présence at the wake
Aimer c’est quoi ?
se voit devant un homme
qui veut vous voir
qui nie des causes d’oubli
et là où cette attention
est le chemin une ombre
maintient le soleil sur la terre.
Heather Dohollau, « Présences » in Un regard d’ambre, Éditions Folle Avoine, 2008, pp. 93-94.
_________________________________________
NOTE : Jacques Derrida est mort à Paris le 8 octobre 2004.
HEATHER DOHOLLAU
Source
■ Heather Dohollau
sur Terres de femmes ▼
→ Chemins
→ Deux choses qui sont peut-être une (autre poème extrait de Chemins)
→ Point de Venise 7
→ Voir en avant ce qui est derrière nous
→ Villa Adriana
■ Voir aussi ▼
→ (sur Lucarne de Nathalie Billecocq) d’autres poèmes de Heather Dohollau extraits des recueils Seule enfance et Pages aquarellées
→ (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Heather Dohollau
→ (sur Lettres de la Magdelaine) Heather Dohollau : des lignes de vie à l’évidence lumineuse
→ (sur remue.net) « Heather Dohollau / La beauté est un bien », par Ronald Klapka
Retour au répertoire du numéro d’octobre 2014
Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle
Retour à l’ index des auteurs
» Retour Incipit de Terres de femmes -
18 octobre 2011 | Mort d’Andrea Zanzotto
Le 18 octobre 2011 meurt à l’hôpital de Conegliano (province de Trévise, région de Vénétie), des suites de complications respiratoires, Andrea Zanzotto. Il venait de fêter ses 90 ans le 10 octobre 2011.
Source
AL MONDO
Mondo, sii, e buono;
esisti buonamente,
fa’ che, cerca di, tendi a, dimmi tutto,
ed ecco che io ribaltavo eludevo
e ogni conclusione era fattiva
non meno che ogni esclusione;
su bravo, esisti,
non accartocciarti in te stesso in me stesso
Io pensavo che il mondo cosí concepito
con questo super-cadere super-morire
il mondo cosí fatturato
fosse soltanto un io male sbozzolato
fossi io indigesto male fantasticante
male fantasticato mal pagato
e non tu, bello, non tu « santo » e « santificato »
un po’ piú in là, da lato, da lato
Fa’ di (ex-de-ob- etc.)-sistere
e oltre tutte le preposizioni note e ignote,
abbi qualche chance,
fa’ buonamente un po’;
il congegno abbia gioco.
Su, bello, su.
Su, münchhausen.
Andrea Zanzotto, La Beltà, Mondadori, 1968, in Andrea Zanzotto, Tutte le poesie, Oscar Mondadori, Collezione Oscar poesia del Novecento, 2011, pagina 267.
AU MONDE
Monde, sois, et sois bon ;
existe bonnement,
fais que, cherche à, tends à, dis-moi tout,
et voici que je renversais, éludais
et toute inclusion n’était pas moins
efficace que toute exclusion ;
allez, mon bon, existe,
ne te recroqueville pas en toi-même, en moi-même
Je pensais que le monde ainsi conçu
dans ce super-choir, super-mourir,
le monde ainsi adultéré,
était seulement un moi mal décoconné,
que j’étais indigeste, mal imaginant,
mal imaginé, mal payé
et non pas toi, mon beau, pas toi, « saint » et « sanctifié »,
un peu plus loin, de côté, de côté
Fais en sorte d’(ex-de-ob, etc.) ― sistere
et au-delà de toutes les prépositions connues et inconnues,
aie quelque chance,
fais bonnement un peu ;
que joue le mécanisme.
Allez, mon beau, allez.
Allez, münchhausen.
Andrea Zanzotto, La Beauté | La Beltà, édition bilingue, Maurice Nadeau, 2000, pp. 80-81. Texte français de Philippe Di Meo, préface d’Eugenio Montale.
_____________________________________
* NOTE D’AP : est sorti en octobre 2011 en Italie le dernier titre d’Oscar Mondadori (collection Oscar poesia del Novecento) : Tutte le poesie d’Andrea Zanzotto (1 312 pages), qui rassemble l’intégralité de la production poétique de son auteur. Introduction de Stefano Dal Bianco.
Retour au répertoire du numéro d’octobre 2011
Retour à l’ index des auteurs
Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle
Retour à l’ index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)» Retour Incipit de Terres de femmes