Étiquette : Muriel Stuckel


  • Muriel Stuckel | [Trop vif le soleil]




    [TROP VIF LE SOLEIL]



    Trop vif le soleil
    au bord de nos yeux

    attendre le crépuscule
    qui bat des cils

    quand la voix veut advenir



    De ses yeux rhénans
    au fond du fleuve
    quand l’or du mythe
    s’est évaporé

    le silence nous dévisage





    Zu grell die Sonne
    in unseren Augen

    die Dämmerung erwarten
    die Wimpern blinzeln

    wenn die Stimme eintreffen will



    Aus ihren Rhein-Augen
    tief im Fluss
    wenn der Mythos Gold
    verdunstet ist

    starrt uns die Stille an




    Muriel Stuckel, Petite Suite Rhénane | Kleine Rhein-Suite, éditions Philonar, 2016.
    Traduction d’Eva-Maria Berg. Eaux-fortes de Liliane-Ève Brendel.




    MURIEL STUCKEL


    Muriel Stuckel 3




    ■ Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Dans la césure de tes poèmes (extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    [Demeure précaire] (autre extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    [Sous le pas d’une ombre vive] (autre extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    La poétique des failles chez Muriel Stuckel (Chronique d’Isabelle Raviolo)
    [Ce n’est pas tant] (extrait d’Eurydice désormais)
    Le risque de la poésie (autre extrait d’Eurydice désormais)
    [Sous la courbe de la phrase] (extrait de Du ciel sur la paume)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    La poésie échappée



    ■ Notes de lecture de Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Jacques Estager, Douceur
    Gunvor Hofmo, Tout de la nuit est sans nom
    Stéphane Sangral, Circonvolutions





    Retour au répertoire du numéro de septembre 2018
    Retour à l’ index des auteurs


    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Stéphane Sangral, Circonvolutions

    par Muriel Stuckel

    Stéphane Sangral, Circonvolutions
    (Soixante-dix variations autour d’elles-mêmes),

    Collection Incises dirigée par Agnès Rauby,
    éditions Galilée, 2016. Préface de Thierry Roger.



    Lecture de Muriel Stuckel



    Mise en question du sens
    « faire nœuds et boucles pour affronter le vacillement
    métaphysique du sens »
    Ph., G.AdC







    CIRCONVOLUTIONS OU LE POÈME-VERTIGE DE LA DÉCONSTELLATION




    « l’unique Nombre qui ne peut pas être un autre »

    Mallarmé





    Publié par les éditions Galilée en avril 2016 et présenté par Thierry Roger dont l’« Anti-préface » s’intitulant « La différance cérébrale » met en exergue deux citations emblématiques de Derrida et de Mallarmé, le dernier livre de Stéphane Sangral, Circonvolutions (Soixante-dix variations autour d’elles-mêmes), exerce sur le lecteur de poésie une force sidérante.

    Vertige spéculaire, voltige typographique, le verbe poétique délie peu à peu ses boucles les plus subreptices pour élaborer une esthétique de la variation autour d’une douleur originelle. Le poème-tombeau esquisse une architecture musicale à peine perceptible, celle du deuil, de la pudeur, de la nécessité intime, mais toujours avec le souci d’une « conscience réflexive » : « Et je l’écris, et je m’écris, et cette boucle / s’écrit, et m’écrit, et ce livre réflexif / la serre […] » (p. 125).

    Une double dynamique ne cesse de se tisser entre l’exigence d’édifier l’œuvre et la tentation de l’effacer, mouvement contradictoire qui semble se résoudre en inscrivant au cœur du livre l’effondrement et sa substance paradoxale « pleine de vide » où vacuité ontologique et plénitude poétique cherchent intensément à faire nœuds et boucles pour affronter le vacillement métaphysique du sens.

    Quand le poète formule l’injonction d’« [é]plucher les édifices et boire / leur pulpe de Néant… » (p. 56), il propose un jeu de variation pour filer la métaphore architecturale et l’enrichir d’un jeu de substitution saisissant entre les deux instruments incisifs que représentent le couteau et la plume. La gestuelle de « [p]lanter / une plume […] dans l’Edifice du Tout » s’accomplit selon un principe d’orchestration numérique annoncé dès le sous-titre et finement décliné au fil des pages, pour faire écho à l’année de naissance du frère défunt (1970), dédicataire de l’œuvre et seul allocutaire réel de cette voix lyrique confinée dans sa solitude de « survivant » (p. 128). En effet, dans le déroulement du poème vertical à déceler dans l’unique texte du « Chapitre 3 » qui se situe au cœur d’un dispositif structurel propre à mimer l’effondrement psychique, le seul « Tu » du livre n’est plus tu. Il se dit, il s’écrit pour se dresser en signe d’« émergence-résurgence » et pour se dé-« crypter » sous le signe de la dislocation syntaxique et de la déconstellation linguistique : « Tu – / viens de mourir- / et je cherche,- / pour y vivre,- / survivre, de solides architectures… » (p. 81).

    Ravivant la « plume solitaire éperdue / sauf » de Mallarmé dans « Un coup de dés jamais n’abolira le hasard », celle de Stéphane Sangral « plante » ses mots sur la page. Proche de l’effet sentencieux, il énonce clairement que « [s]eule la déconstruction véritablement / construit » (p. 65), ce qui l’amène à exhiber le motif majeur du secret tout en avouant se jouer de la dialectique entre la dissimulation et la révélation qui lui est consubstantielle : « Ce texte est un secret ne se révélant que / pour se dissimuler dans la révélation » (p. 61). Aspirant à déconsteller et à disséminer son patronyme, le poète instaure des effets d’échos tant sonores que visuels entre le substantif « sang » et la préposition privative « sans » (p. 61), ou entre le verbe « je sens » et le substantif « sens » (p. 113) : « je / sens qu’émergera par là la tombe du sens… ». Sisyphe du trait d’esprit, il « pousse » le nom propre jusqu’au calembour « Sang… râle » avant que ne se détache la circonvolution clausulaire : « Signe / encrypté d’impossible à la fin nous fait signe » (p. 63). Cette recherche de remotivation cratylienne du signe onomastique primordial et familial, insistant sur les liens de sang qui l’unissent pour toujours à son frère « ab/sent », peut sans doute se déchiffrer comme une tentative d’édifier le sens en le défiant constamment.

    S’effectue sous nos yeux en effet la mise en question du sens, comme face à la reprise incantatoire de l’adverbe « peut-être » qui se déploie avec toute une variation typographique à même de créer un effet d’étourdissement et de disjonction en « peut être » (p. 104). La ponctuation suspensive semble vouloir susciter le rythme dilatoire d’une révélation possible, comme dans nombre de pages du livre. S’opposent le Rien et le Tout, mais aussi le choix de pages vides, d’une intense blancheur abyssale, à peine reliées par des points de suspension comme pour coudre un véritable linceul textuel, et la recherche d’une plénitude architecturale saturant l’espace paginal, parfois avec le souci d’une verticalité symbolique pour dire l’élan imaginatif et le gouffre de « l’horreur » (p. 81), parfois à la limite de la lisibilité avec une typographie délibérément minuscule (pp. 141 à 146). Entre ces deux postulations esthétiques, le poète s’interroge. Dans l’entrelacs de l’édification et de l’effacement de l’œuvre où se risque « un suicide relatif » (p. 73), la question cruciale jaillit : « Comment être au-delà du non-sens trop violent d(u Non-)Être, comment être un poème ? ».

    Serait-ce par une poétique de la « circonvolution » insistante et vibratoire ? L’alliance de l’enroulement lexical et du déroulement phrastique ne manque pas de favoriser l’instillation d’une « musique muette » qui diffuse au bord de l’abîme la « puissance de deux symboles », le dix « logique » et le sept « sensible » (p. 46) pour « pousser… passer du signe au symbole » (p. 63) et tracer ainsi le cheminement heuristique menant à une affirmation troublante, « Et j’écris au bord du (au bord de) n’être pas… » (p. 103), avant le paradoxe suprême qui scelle sur la page l’inscription de l’effacement : « Ceci est un poème absent… » (p. 106).

    « Creuser » la présence de l’absence, telle est la substance originelle, profonde, ontologique de cette poésie dont les boucles verbales esquissent un pas-de-deux vertigineux en ce poème-labyrinthe où, déconstellée, la lyre du « deuil incommensurable » (p. 129) vibre pour murmurer :

    « qu’un sens mort : ce poème… »
    (p. 89).




    Muriel Stuckel
    D.R. Texte Muriel Stuckel
    pour Terres de femmes







    Stéphane Sangral, Circonvolutions






    STÉPHANE  SANGRAL


    Stéphane Sangral
    Ph. © Vincent Macher
    Source





    ■ Stéphane Sangral
    sur Terres de femmes

    [De mes phrases le sens tombe] (extrait de Circonvolutions)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Galilée)
    les pages de l’éditeur sur Stéphane Sangral
    → (sur le site des éditions Galilée)
    les pages de l’éditeur sur Circonvolutions
    → (sur Sitaudis)
    une lecture de Circonvolutions par Christian Désagulier
    → (sur lelitteraire.com)
    une lecture de Circonvolutions par Jean-Paul Gavard-Perret
    → (sur Autre-monde)
    une lecture de Circonvolutions par Marie-Josée Desvignes



    ■ Autres notes de lecture de Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Jacques Estager, Douceur
    Gunvor Hofmo, Tout de la nuit est sans nom





    Retour au répertoire du numéro de septembre 2016
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Muriel Stuckel | [Sous la courbe de la phrase]



    [SOUS LA COURBE DE LA PHRASE]




    Sous la courbe de la phrase
    qui se profile

    j’écoute le tremblement
    pâle des glycines

    une abeille s’y brûle

    une palme chuchote
    son désir de torsion

    point à point

    à chaque extrême
    de la phrase secrète

    mes doigts résistent
    bruissent trament

    dans le silence parfumé
    le contrepoint de l’œuvre





    Spirale de l’obscur
    ces parcelles de mots

    que j’arrache
    à la torture blanche
    de l’indicible

    juste avant la pensée
    et son risque d’embrasement

    entre deux points de suspension



    Muriel Stuckel, « Spirale de l’obscur » in Du ciel sur la paume, Voix d’encre, 2016, pp. 22-23. Encres d’Hélène Baumel. Préface de Pierre Dhainaut.






    Du ciel jpg






    MURIEL STUCKEL


    Muriel Stuckel 3




    ■ Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Dans la césure de tes poèmes (extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    La poétique des failles chez Muriel Stuckel (chronique d’Isabelle Raviolo)
    [Sous le pas d’une ombre vive] (autre extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    [Ce n’est pas tant] (extrait d’Eurydice désormais)
    [Demeure précaire] (extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    Le risque de la poésie (extrait d’Eurydice désormais)
    [Trop vif le soleil] (extrait de Petite Suite Rhénane | Kleine Rhein-Suite)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    La poésie échappée



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Recours au Poème)
    une recension de Du ciel sur la paume par Marilyne Bertoncini
    → (sur Terre à ciel)
    une recension de Du ciel sur la paume par Sabine Huynh
    → (sur le site des éditions Voix d’encre)
    la fiche de l’éditeur sur Du ciel sur la paume



    ■ Notes de lecture de Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Jacques Estager, Douceur
    Gunvor Hofmo, Tout de la nuit est sans nom
    Stéphane Sangral, Circonvolutions





    Retour au répertoire du numéro de mars 2016
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Gunvor Hofmo, Tout de la nuit est sans nom

    par Muriel Stuckel

    Gunvor Hofmo,
    Tout de la nuit est sans nom, édition bilingue,
    Collection « Pour une rivière de vitrail »,
    éditions Rafael de Surtis, 2009. Préface de Ole Karlsen.
    Traduit du norvégien par Pierre Grouix et Grete Kleppen.



    Lecture de Muriel Stuckel



    GUNVOR HOFMO, VOIX D’OMBRE ET DE NEIGE : UNE POÉTIQUE DU MURMURE




    « L’œuvre solitaire du poète
    ciselant la matière précieuse des mots
    est l’acte de débusquer un vis-à-vis. »


    Emmanuel Levinas





    La publication en 2009 de l’anthologie bilingue Tout de la nuit est sans nom (éditions Rafaël de Surtis) a eu le mérite de nous révéler la singularité d’une voix poétique de Norvège, celle de Gunvor Hofmo (1921-1995), une poète du Nord qui, selon Ole Karlsen (dans sa présentation de l’ouvrage), « peut se mesurer à des poètes tels que Georg Trakl, Nelly Sachs et Paul Celan ».

    Élaborant une poétique du murmure, cette œuvre nous touche par son refus de tout effet lyrique. Sous « l’éclat stellaire du deuil », une voix d’ombre, bouleversée par la disparition tragique de l’amie juive Ruth Maier, victime de la grande rafle en Norvège du 26 novembre 1942, s’énonce pour esquisser une dramaturgie de l’intime, dès le poème inaugural « Je veux rentrer » :

    Je veux revenir habiter parmi les hommes-

    tel un aveugle

    transpercé dans l’obscurité

    par l’éclat stellaire du deuil.

    (p. 15)

    Cet oxymore, où se redouble l’idée de lumière cosmique, succède au motif de l’ombre qui, par l’intercession de « l’aveugle transpercé dans l’obscurité », avoue sa force expressive : ne figure-t-il pas la poète constellée par le deuil, source véritable de sa création poétique ? D’autant plus après l’épreuve du silence douloureux qu’elle s’est infligé durant ses longues années d’enfermement, de 1955 à 1971.

    Or, quand elle formule le désir de « revenir habiter parmi les hommes- », le tiret qui crée un effet de suspension à la fin du vers laisse pressentir la mise à l’écart de sa voix poétique :

    mais je suis de l’autre côté, là où les brins d’herbe

    sont des cloches qui sonnent de deuil, d’attente amère.

    Je tiens la main d’un être humain,

    regarde dans les yeux d’un être humain,

    mais je suis de l’autre côté,

    là où l’être humain est une brume de solitude et d’angoisse.

    (p. 17)

    La mise à l’écart, la mise « de l’autre côté », se précise en des termes relevant bien d’une voix d’ombre :

    mais je suis un être humain jeté aux confins,

    et j’entends bruire le silence,

    j’entends crier le silence

    depuis des mondes plus profonds que celui-ci.

    (p. 17)

    Cette voix des profondeurs n’est pas sans révéler ses inflexions orphiques, à l’écoute du silence des confins que l’acte poétique seul pourra métamorphoser en murmure endeuillé :

    J’ai vu mon amie,

    l’unique, je l’ai vue

    partir pour la mort.

    Et depuis, les arbres sont en deuil,

    et depuis, la Mort a tiré

    mon corps, mon âme, ma voix

    dans l’océan du désespoir !

    (p. 25)

    La voix d’ombre et de deuil se fait voix de nuit, même si « la nuit n’est pas assez obscure », pouvant « exploser d’elle-même ». Elle culmine dans un poème dont le titre pose une équivalence métaphorique saisissante : « La nuit est un dieu. » Grâce au mot très doux d’« effleurement » qu’il comporte, on appréhende l’effet de sourdine qu’implique l’effacement de la voix énonciative Je : souvent la voix d’ombre s’inverse en voix de neige.

    Loin de souscrire au symbolisme hyperboréen de la neige plutôt convenu qui chercherait à lire Hofmo seulement comme une poète du Nord, on peut au contraire dégager les ressources signifiantes de cette métaphore pour saisir la singularité de son écriture poétique. Certes, on ne peut nier le symbolisme thématique de la voix de neige : elle émerge d’un paysage de l’entre-deux, entre l’automne et l’hiver, pour dire sa froidure intime, son cœur glacé d’effroi : « Le givre est déjà sous les mains des êtres humains, sous leurs pas ». Mais ne constituant pas toujours un motif concret ou étant seulement perceptible avec les « icebergs sous-marins qui dérivent dans la mer », la neige se présente aussi avec une double valeur d’abstraction et d’altérité, pour symboliser l’aspiration au renouvellement que suggère la blancheur paradoxale de la neige, à la fois virginale et génitrice :

    C’était une autre neige,

    une autre obscurité

    que dans cette nuit-là

    La neige accoucha de ton avenir

    […]

    Mais ensuite tu reconnus

    tout. Tous tes pas

    à travers le Monde

    résonnaient venus d’un enclos

    blanc de neige

    sous une lune qui voit.

    (p. 79)

    Dans le poème « Pas morts », où se proclame dès le titre le refus de la mort, la voix de neige résulte d’une métamorphose originale, subie par les mots eux-mêmes : des mots en neige, puis des mots en bouche, bouche qui aspire à une dimension cosmique, tissant des liens entre la terre et le ciel, pour apaiser sa soif de lumière et d’étoiles : la bouche même du poète au sens universel, ou la bouche de son double spéculaire, comme le suggère le jeu de l’interlocution ?

    Car la poésie de Gunvor Hofmo pose la question de la voix énonciative mise en scène de façon souvent problématique, oscillant entre l’affirmation d’un Je, l’apostrophe d’un Tu, la multiplication des Ils et l’effacement de toute personne, brouillant parfois le cheminement heuristique du lecteur.

    Si l’on relie deux poèmes qui se font écho, un véritable questionnement ontologique se formule : à la triple anaphore qui formule l’interrogation majeure de l’être dans « Suis-je ? » (p. 29) répond celle du dire dans « Testament pour une éternité », où les instances énonciatives entremêlent confusément un Je et un Tu pour réfléchir la scission du moi (p. 35).

    Mais le discours lyrique d’Hofmo élaborant souvent une mise en sourdine du Je, la voix poétique se fait également voix de neige. Cela nous amène à superposer au symbolisme thématique de la neige un symbolisme d’essence lyrique, désignant avec précision cette voix blanche qui s’énonce sans emphase, sans artifice, jusqu’à effacer ses propres notes, voire jusqu’à ensevelir ses propres traces.

    Ainsi le poème « Au sujet de “je” » ne comporte paradoxalement aucune occurrence de la première personne : la voix de neige, qui efface et ensevelit le Je qui la profère, se décrypte sous le subterfuge discret d’une triple tournure infinitive, au cœur du poème :

    Retentir, prendre soi-même forme

    dans les larmes perdues de Dieu,

    à mi-chemin entre agneau et vipère,

    laisser en vain le venin témoigner !

    (p. 21)

    Le lyrisme d’Hofmo propose des variations pour cette procédure d’étouffement du Je poétique, comme dans le poème éponyme « Tout de la nuit est sans nom », où la préposition de valeur privative prend tout son sens :

    Tout de la nuit est sans nom

    Calmes, heure après heure,

    les choses posent

    leur nom

    l’arbre et la pierre

    interprètent la voix de l’univers,

    perdent leur identité

    propre.

    (p. 83)

    À la privation du nom et à la perte de l’identité se conjugue une démarche interprétative qui prend valeur universelle : « la voix de l’univers » se substitue à celle discrète, effacée, blanche, de la poète, ne serait-ce que pour lui conférer de l’ampleur, lui permettre de résonner et de « chuchoter l’éternel », comme dans le poème « La bouche du soir », lui aussi dépourvu de Je.

    Cette voix de neige, à la fois blanche et universelle, sans effets lyriques appuyés mais reconnue de tous comme personnelle, se retrouve dans le poème qui traite symboliquement du motif immémorial des « Pyramides » :

    Patience ! dit le sable.

    Et les pyramides se dressent

    comme d’immenses cyprès

    comme d’éternelles nuques de dieux

    portant le poids du ciel.

    Le monde dont la pierre

    ressemble à celle de la lune

    Le monde dont la soif d’éternel

    Reflète les étoiles

    Les habite

    Et dans le sang des humains

    se confondent dieux et

    mortels.

    (p. 65)

    Effacer les traces du Je poétique grâce au recours à la troisième personne permet de refonder par le verbe l’architecture audacieuse des pyramides qui traverse les âges, miroir de ce « monde dont la soif d’éternel / Reflète les étoiles ». La voix de neige se fait alors discrètement cosmique, pour que « dans le sang des humains / se confondent dieux et / mortels. »

    Mais cet effacement ne permet-il pas de nouer voix d’ombre et voix de neige pour que s’élabore une poétique du murmure, à la fois discrète et intense, se situant entre le silence et le cri, se faisant incantatoire pour faire advenir un chant ontologiquement personnel ?

    Nulle imposture poétique, nul travestissement esthétique, nul déguisement rhétorique : la voix d’Hofmo nous touche par sa recherche d’authenticité, issue d’un entre-deux précaire, fragile, déchirée entre le silence de la douleur et le cri de la révolte : « De mille gorges j’ai parlé à travers la nuit » (p. 35). De même dans « D’une autre réalité » :

    On tombe malade à force d’appeler la réalité

    J’étais trop près des choses,

    à m’en brûler à travers elles

    (p. 17)

    Mais refusant de vibrer « comme un cri allant crescendo », la voix poétique d’Hofmo fait plutôt le choix musical de s’énoncer mezza voce. En harmonie profonde avec la thématique du murmure, elle s’affirme comme une voix de l’entre-deux, une mi-voix, qui entrelace douceur et douleur, comme dans « Les derniers mots », où le murmure se profère par les morts pour dire « trop tard, trop tard » (p. 27), ou dans « Hiver » où il se trouve indissolublement lié à la mort :

    Comme de la cendre, comme des ossements, tu resteras couché, devinant les nuits au-dessus de toi, les hautes maisons murmureront en toi, à jamais. (p. 47)

    Dans le poème consacré à « Vincent van Gogh », le murmure, négation du cri humain, se fait douceur harmonieuse :

    La nuit des ombres est passée

    les couloirs longs

    où les humains ne crient pas

    mais la solitude

    où la beauté du vase

    était encore un murmure

    d’harmonies

    non vécues.

    (p. 61)

    Murmure et solitude s’entremêlent aussi pour s’amplifier dans « Sans cesse murmurent des voix » où s’apprécie la richesse de la palette lexicale pour dire le murmure incessant entre le silence, le bruissement et la voix :

    Sans cesse murmurent des voix dans

    des rues vides d’êtres humains

    on dirait un bruissement de vent

    on dirait un bruissement de pluie

    les voix des humains pénétraient

    des façades, des trottoirs,

    des panneaux

    mais veulent retourner à

    l’humain

    et réclament en silence

    leur propre corps !

    (p. 87)

    Puis, comme dans le poème dédié au poète Henrik Wergeland qui évoque « les profondeurs murmurantes de l’univers » (p. 67), Hofmo associe étrangement le murmure à des instances qui le dépassent ou l’annihilent, comme l’universel ou l’éternel. Ainsi, dans le poème de clôture « La bouche du soir » :

    La bouche du soir se referme

    mais son murmure résonne

    dans les arbres, les rochers

    Elle chuchote l’éternel

    et la nuit qui vient

    où les éclairs, les uns après les autres,

    te montrent les images du Monde !

    (p. 101)

    La voix poétique vibre avec une tonalité véritablement mezza voce, pour restituer sans la compromettre la résonance universelle du murmure, à la fois végétale « dans les arbres » et minérale dans « les rochers ». Mais à cette dimension universelle se superpose l’évocation explicite de l’éternel, avec un jeu de variation lexicale nous faisant passer du nom « murmure » au verbe « chuchoter », pour l’adjoindre de façon oxymorique à « l’éternel ». Il s’agit là d’une belle trouvaille poétique, à même de symboliser toute l’intensité suggestive de la modalité mezza voce.

    Enfin, quand il est question dans « Invité sur la Terre » de « profondeur », d’« incessante création », du « défilé […] de millions d’années », la voix poétique emblématise tout cela par « un murmure neuf du néant », formule magnifique. Ne reflète-t-elle pas la poétique du murmure, parfaite conciliation symbolique de la voix d’ombre avec l’idée de « néant » et de la voix de neige avec l’idée de « neuf » ?

    Ainsi, par sa recherche d’authenticité, la poésie singulière d’Hofmo s’apprécie comme mise à l’épreuve du lyrisme convenu pour avouer sa modernité. Car si l’on compose avec ses plus belles trouvailles poétiques une constellation signifiante, ne peut-elle pas se définir comme « un murmure neuf du néant » désireux de nous dire « sous l’éclat stellaire du deuil », par-delà l’ombre et la neige : « sans un son ta voix atteindra chacun » ? Mieux encore : « À présent ton âme se faufile à travers l’éternel ».

    « Sans un son » ou plutôt avec un murmure mezza voce, sa voix si personnelle parvient bien à « se faufiler à travers l’éternel », à nous atteindre au plus profond par la justesse de sa lyre intime. Ce faisant, elle devient universelle, illustrant la définition que propose Emmanuel Levinas du poème : « Il va vers l’autre. Il espère le rejoindre délivré et vacant ».

    Nul doute qu’Hofmo sache encore « débusquer » en chacun de nous « un vis-à-vis » mais, bien sûr, grâce au talent conjugué de Grete Kleppen et de Pierre Grouix, excellents passeurs de poésie, « ciselant » eux aussi « la matière précieuse des mots », entre la Norvège et la France.



    Muriel Stuckel
    D.R. Texte Muriel Stuckel
    pour Terres de femmes





    ___________________
    NOTE d’AP : une version synthétique de cette note de lecture a paru dans la revue Europe n° 983, mars 2011, pp. 352-354.




    GUNVOR HOFMO


    Gunvor Hofmo




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Les hommes sans épaules)
    une notice bio-bibliographique sur Gunvor Hofmo
    → (sur Recours au Poème)
    Voix d’ombre voix de neige (suite de poèmes de Muriel Stuckel dédiés à Gunvor Hofmo)
    → (sur le site du Ceriel)
    une notice bibliographique sur Muriel Stuckel



    ■ Autres notes de lecture de Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Jacques Estager, Douceur
    Stéphane Sangral, Circonvolutions






    Retour au répertoire du numéro de janvier 2016
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Muriel Stuckel | Dans la césure de tes poèmes



    Pure dessaisie de l’éphémère
    Ph., G.AdC







    DANS LA CÉSURE DE TES POÈMES
    (extrait)


    à Béatrice Douvre              



    Toujours veille derrière toi une ample mélodie tissée
    de mille voix.

    Rilke



    Pure saisie de l’absolu

    Ta parole précaire
    Ton âme incandescente

    Dans ce peu de nuit
    Pour capturer tes nuages

    L’effroi de l’enfance

    De ses couleurs insensées
    De son écume sauvage
    De sa rumeur douloureuse

    L’effroi de l’enfance
    Se griffe
    Dans la chair nacrée

    De ta poésie constellée
    De si hautes larmes

    S’ouvrant à tous vents

    Allégés assoiffés illuminés
    De terre de mer de ciel

    Pure dessaisie de l’éphémère

    Si intense si instante
    Ta musique d’éternité


    […]



    Muriel Stuckel, Dans la césure de tes poèmes in L’Insoupçonnée ou presque, Voix d’encre, 2013, page 59. Peintures de Laurent Reynès. Préface de Bernard Noël.





    Muriel Stuckel, L'Insoupçonnée ou presque, Voix d'encre, 2013.




    MURIEL STUCKEL


    Muriel Stuckel 3




    ■ Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    La poétique des failles chez Muriel Stuckel (Chronique d’Isabelle Raviolo)
    [Sous le pas d’une ombre vive] (autre extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    [Ce n’est pas tant] (extrait d’Eurydice désormais)
    [Demeure précaire] (extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    Le risque de la poésie (extrait d’Eurydice désormais)
    [Sous la courbe de la phrase] (extrait de Du ciel sur la paume)
    [Trop vif le soleil] (extrait de Petite Suite Rhénane | Kleine Rhein-Suite)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    La poésie échappée



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Voix d’encre)
    la fiche de l’éditeur sur L’Insoupçonnée ou presque
    → (sur Terres de femmes)
    Béatrice Douvre | l’Outrepassante



    ■ Notes de lecture de Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Jacques Estager, Douceur
    Gunvor Hofmo, Tout de la nuit est sans nom
    Stéphane Sangral, Circonvolutions



    Retour au répertoire du numéro d’avril 2015
    Retour à l’ index des auteurs


    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • La poétique des failles chez Muriel Stuckel

    par Isabelle Raviolo

    Chroniques de femmes – EDITO

    Lecture d’Isabelle Raviolo


    Muriel Stuckel, Eurydice désormais (ED),
    éditions Voix d’encre, 2011. Œuvres de Pierre-Marie Brisson.

    Muriel Stuckel, L’Insoupçonnée ou presque (IP),
    éditions Voix d’encre, 2013. Peintures de Laurent Reynès.
    Préface de Bernard Noël.




    Muriel Stuckel, Eurydice désormaisMuriel Stuckel, L'Insoupçonnée ou presque, Voix d'encre, 2013.








    LE POÈME AU BORD DE LUI-MÊME

    La poétique des failles chez Muriel Stuckel



    Les deux recueils de Muriel Stuckel ont ceci d’étonnant qu’ils révèlent un chant singulier : la voix du poète semble toujours prête à s’y briser, comme si elle ne tenait qu’à un fil. Son timbre fragile, tremblant, loin de signifier une « soumission » aux phénomènes, est plutôt l’expression d’une attitude poétique où le chant précaire s’allie à une conscience aiguë du « seuil » à ne pas franchir [« À l’instant du frémissement / Nos voix se suspendent » (ED, p. 54)] si bien que le poète est cette « outrepassante aux oiseaux volatilisés » (IP, p. 67). Car, dans cette poésie, « Seules les limites du silence / Lentement se savourent » (ED, p. 54) ; rien n’est saisi, capturé, possédé, mais, toujours, Muriel Stuckel a le souci du détachement qui rend possible l’écoute intérieure des « riens », des « instants », des « vibrations » du monde. C’est l’élan qui donne la mesure — et cet élan fait vibrer les deux recueils comme une onde sismique dont l’ivresse traverse le lecteur attentif, comme jadis Eurydice, sous la conduite d’Orphée, ébauchait une « danse légère / Hors des ténèbres abyssales. » (IP, p. 102) ; « Danse de vie danse de mort / Chorégraphie puissante // Pour secouer la mémoire de l’œil » (IP, p. 107). Le poète se tient ainsi sur « une ligne de faille » (IP, p. 16) qui « creuse le désir d’infini » (IP, id.) et laisse la parole blessée.





    La parole blessée ou le cri sacrifié


    Cette blessure qui signe son essentielle finitude, est aussi sa « grâce » poétique. Car sur ce relief abrupt, la voix de Muriel Stuckel se risque à la vulnérabilité, ose en quelque sorte la nudité [« Tout juste l’ombre de nos lèvres / Pour exalter la source du désir », IP, p. 90]. La parole dépouillée d’elle-même, se fait blessure ouverte, « faille », qui laisse venir à elle les choses du monde comme autant de « merveilles voilées », « Leurs éclats silencieux / Tout près de mes mots » (ED, p. 72). Ici, tout se passe à la surface des grandes profondeurs. Les phénomènes ne se manifestent pas pleinement, comme en transparence, mais ils ne se donnent à nous que pour autant qu’ils se retirent. Leur lumière n’apparaît que sur un fond obscur qui les maintient dans le retrait et creuse notre regard : « À peine si t’anime / Le désir de la durée », nous confie Muriel Stuckel dans un magnifique poème (IP, p. 98), « Seul le jaillissement / Se rêve profondeur / De l’instant perpétuel » (IP, id.).

    Certes le goût de l’absolu est éprouvé, mais il « n’est qu’une intuition » (IP, p. 47). Et l’intuition n’est pas un savoir, un objet de connaissance, mais la saisie immédiate, sensible d’une réalité qui nous échappe. On comprend alors pourquoi c’est « aux confins du silence » que « la poésie palpite » (IP, p. 84), et que le temps « se renverse », laissant « les vagues de ta voix / Sur le sable rauque / De l’immensité heurtée » (IP, p. 67).

    Aussi quelque chose se donne-t-il ici comme un « rien » que l’on n’aurait jamais soupçonné tant il semble venir de plus loin que nous-mêmes. C’est ce « rien » qui, selon nous, forme la ligne de faille « où le corps se fait poème » (IP, p. 15) si bien que l’on pourrait presque dire qu’il s’agit là d’une attitude orante tant le poète se fait tout entière « patiente des mots » insoupçonnés, attentive au « temps d’une musique / Déchirante d’absolu » (IP, p. 102). Le corps orant du poème a conscience d’un seuil à ne pas franchir ; il se tient « à la limite » ou « sur la faille » comme si son être même tenait à sa condition fragile, précaire — comme si sa béance se faisait matricielle [« À l’ombre du silence / Endeuillé / Le murmure bleu / De ma renaissance. » (ED, p. 77)]. C’est ce corps que le poète nous livre comme une voix de fin silence, ce corps qui naît « en ce lieu d’initiale vibration », ce corps enfin qui, en sa précarité même, « cherche le soleil » [« Langue de chair humide glissante / Les mots sont ton destin / Ton humaine fatalité » (IP, p. 97)], car « Le poème est au fort quand il est au bord de lui-même » (IP, l’épigraphe de P. Celan, p. 71).

    Une blessure ontologique traverse cette poésie ; elle est sa condition de possibilité même : en ce creux, en cette faille, a lieu la naissance du poème comme une naissance à soi-même (« L’art est peut-être un chemin vers soi-même » disait Maurice Blanchot cité par Muriel Stuckel dans IP, p. 85). Cette naissance traverse l’œuvre poétique de Muriel Stuckel comme une ligne verticale, la corde d’une lyre qui est la colonne d’air du corps, du poème même : « L’instant de notre lyre / Reconstellée / Orphée » (ED, p. 75). « La page est un lieu qui déborde la page mais que le poème centre autour de sa verticale » (Bernard Noël, préface de L’Insoupçonnée ou presque, p. 3) – une verticale qui se dresse, selon nous, comme un grand « oui » à la vie, aux phénomènes du monde dans leur énigmatique présence entre les blancs et les noirs du poème. Celle-ci vient habiter la page, l’ensemencer presque. Les superbes peintures de Laurent Reynès nous en font sentir la vibration subtile, comme si la matière y faisait transparaître les « frissons de blancheur » qui habitent les suites de poèmes. Un éclat surgit de la nuit même : un quelque chose, un rai de lumière discret naissant de la ténèbre — un infime qui compte infiniment, un presque rien qui est le plus important. Précaire, le souffle du poète, comme les traits de pinceau, expriment l’« obscure ivresse » d’un « babil secret » (IP, p. 72) comme si se jouait ici une sorte d’alchimie, une œuvre au noir. Ainsi, comme le dit Bernard Noël, « la lumière a toujours sa doublure d’ombre comme le sens sa doublure sonore. Cette dualité introduit dans la matière verbale un tremblement qui fait vibrer le halo où se tient la beauté » (IP, préface, p. 3). Le rythme porte alors une vision charnelle, aux abords de l’insoupçonné :


    « Vestige de soie

    À la lisière des mots

    Le temps se plisse

    Jusqu’à silence fendre

    Sous nos pas de neige »

    (IP, p. 71).


    Les mots sont autant de traces pulpeuses du souffle des origines chez Muriel Stuckel, ils sont autant de « vestiges d’un adagio de Malher » (IP, p. 36), éclats d’infini aux confins de l’éphémère :


    « Au bord du temps

    L’instant me fait signe »

    (ED, p. 58).


    Ainsi, la poésie de Muriel prend le risque de la nudité. Sa précarité lui assigne le lieu du silence comme ce « fond » des mystiques rhénans où naît le Verbe lui-même :


    « Bouche dans la nuit

    Je suis le silence

    L’éclat

    Sous mille paupières

    Je suis l’offrande »

    (ED, p. 118).


    Et c’est bien cette « voix des confins » dont le peintre Pierre-Marie Brisson se fait merveilleusement l’écho dans Eurydice désormais, cette voix qui vibre « outre-gorge » et nous livre un « silence infime » (ED, p. 128). « Voix d’ombre / voix de neige » (IP, p. 113), son murmure transcende « notre cri sacrifié ».





    Dans l’éclat du silence : l’éclaircie tremblante du poème


    Chez Muriel Stuckel, la poésie prend racine au bord d’elle-même : « aux limites de la brûlure », elle s’avance « drapée de poussière » (IP, p. 121) ; elle « accuse la fêlure du gouffre » (ED, p. 22) ; mais toujours elle reprend l’impulsion, s’élève jusqu’à l’ivresse :


    « Sous les cils de la mémoire

    Je l’ai vue s’arracher

    Aux torsions de l’obscur

    De son linceul originel »

    (IP, p. 120).


    Cette poésie « au bord d’elle-même », cette poésie précaire, se tient « tout autour de l’énigme » ; elle nous livre le tragique de l’existence sans s’y résigner :


    « Accéder à l’insigne poésie

    Plus vraie que Babel

    Et son mythe démasqué »

    (IP, p. 121).


    Elle dit alors ce peu qui lui est consenti comme ce tant qui déjà frémit en elle, prêt à éclore :


    « Inscrire un pas de mot

    Dans l’éclat du silence

    Pour tracer enfin

    La jouissance du passage »

    (ED, p. 52).


    Tel est peut-être le paradoxe ultime auquel Muriel Stuckel nous confronte : l’épreuve du silence consubstantiel à celui du poème. De la vie même :


    « Sous le souffle virginal

    Du désir renouvelé

    Genèse imperceptible

    Juste avant l’éclat primordial »

    (IP, p. 134).


    En osant se heurter au silence, au vide, au rien, mais aussi à la matière rude et aride, en habitant cette « chair du temps qui danse », le poète fait l’expérience de la joie : elle court le risque de rejoindre « l’orée du désert / où frémit le désir de l’oasis » : la grâce dans la pesanteur où se dessine la violente patience du cri comme l’acte même de la naissance. Naissance du poème dans l’abîme, dans le fond :


    « En ce sanctuaire d’Osiris

    Redoutable maître des morts

    Les ténèbres se font vitales

    Le soleil bleu de nuit

    Peut y reprendre souffle »

    (IP, p. 134).


    Dans ce paradoxe s’exprime la joie comme cet instant de grâce, de transparence en la pesanteur même des choses – des riens qui sont autant d’éclats de lumière, de poésie :


    « En l’acte de créer

    Qui fut le tien

    La vie majuscule

    L’intensité du feu

    En l’acte de nommer

    Qui fut le tien

    La nudité de tes mains

    Plus véhémentes

    Que ta voix d’ange »

    (IP, p. 60).


    Le poète chante ici un chant précaire : enraciné dans une incarnation imparfaite, fragile, incertaine, ce chant ne devient possible que dans l’exigence d’une tenue intérieure, d’une attitude qui est celle de la nudité vigile, de la conscience du seuil. Pauvreté qui veille sans rien demander, mais qui dans ce « rien » se fait aussi tout entière prière, question, et question demeurée sans réponse :


    « Les failles de la phrase

    Ne rehaussent-elles pas

    Le sens volatile des mots

    Dès que s’imprime notre feuille de chair ? »

    (IP, p. 19).


    Aussi le poème sort-il de lui par la question : il s’excède lui-même, outrepassant le seul plan de sa forme, tendant au dehors de ses mots, il fait retentir en eux la musique née du silence intérieur, de la lumière sans peau, celle où « le nénuphar blanc diffuse ses mots de l’aube » (IP, p. 134). Ici, se dessine toute l’exigence de l’écriture poétique de Muriel Stuckel, l’exigence de la faille, des « yeux du silence » (IP, p. 19), de « ce tant d’éphémère » (ED, p. 76) ; exigence même du poète précaire. Car le silence n’est-il pas, chez Muriel Stuckel, le « lieu du vertige inaugural » (IP, p. 18) ? L’œil du poète avoue sa nescience : il ne saisit pas quelque chose, mais « rien », un « bel inaperçu » (IP, p. 21) dans les replis du livre. Alors le ciel se renverse dans l’ombre dépliée de la paupière. C’est dans l’aveu même de cette nescience que se joue toute la musique précaire de L’Insoupçonnée ou presque. Musique qui naît de la perte surmontée, musique précaire en ses silences mêmes comme nous le dit ce très beau poème dédié à Béatrice Douvre (IP, pp. 59-61) :


    « Ta parole précaire

    Ton âme incandescente

    Dans ce peu de nuit

    Pour capturer tes nuages

    L’effroi de l’enfance

    […]

    Lieu de neige écarlate

    Ta page de poésie

    Tu y souffles feu et cendres

    De ta souffrance nue »


    C’est dans la mesure où la prière d’enfance est désormais impriable, où les dieux se sont retirés, que la nostalgie du poème s’ouvre en question, celle même de « l’outrepassante » qui ne sait pas ce qu’elle cherche — double du poète « assoiffée de confins » (IP, p. 114) :


    « Braises murmurantes,

    Tes paroles défilent

    Sur l’autel implacable

    Du néant qui crépite

    Pour mettre à feu notre mémoire

    Là-bas de l’autre côté

    Ta voix de nuit devenue »


    Voix de nuit, prière impriable, elle exprime la précarité même du chant. Ainsi :


    « dans les plis de la pivoine

    La mémoire d’un ciel furtif

    Tout à coup s’élève le babil

    D’une marge pulvérisée

    Dans les plis de la pivoine

    L’évidence de ton désir

    Suppliant l’été proche

    De toutes ses pupilles »

    (IP, p. 119).


    Le poète développe ainsi « une architecture écorchée par les griffes du soleil » (IP, p. 32), une poétique des failles où elle s’engage humblement mais constamment sur la corde raide.





    Une poétique des failles


    Au cœur de l’effort patient qui ouvre la pesanteur, dans le mystère de la vie déhiscente, dans la chambre obscure et lumineuse du poème précaire, soif née de la soif elle-même, désir demeuré désir, le poème prend naissance :


    « Quelques reflets poudrés

    Du soleil de sang

    Qui se gorge de mots

    Pour nous embraser l’âme »

    (IP, p. 133).


    Dès lors, il apparaît comme l’autre de l’âme, le lieu où le temps se défait en nous :


    « Rien sinon le bref passage

    Des eaux sérénissimes

    Rien sinon la promesse

    D’un jardin de cloître

    Gravé d’ombres et d’éclats

    Suspendu entre l’origine

    Et l’accomplissement

    Le silence y préserve

    Les parfums du crépuscule »

    (IP, p. 48).


    comme si l’écoute attentive du poète était requise ici pour que du silence, le chant vivant, incarné, puisse éclore en sa précarité :


    « Groseilles d’ivresse

    Nos paroles épanouies »

    (IP, p. 49).


    Œuvre au noir, L’Insoupçonnée ou presque nous fait entendre le chant précaire des profondeurs, un chant du paradoxe — paradoxe d’une force tenant à la faiblesse, d’une grandeur tenant à la petitesse — paradoxe de la « vérité noire » comme cette vérité du précaire lui-même. Cette vérité qui fut celle même d’Orphée :


    « Refuse-toi la volupté du regard

    Préserve notre silence écartelé

    Sous la voile blanche

    Venue toute me draper »

    (ED, p. 84).


    Muriel Stuckel ne cesse en effet de ranimer son espérance à cette idée qu’au plus démuni, au plus pauvre, au plus fragile sera donné le plus nécessaire, « la splendeur même de l’interstice » où git la quintessence de cette poétique des failles :


    « De toi à moi

    La suspension vitale du regard

    Orphée ne te retourne pas

    Aime-moi sans impatience »

    (ED, p. 87).


    L’exigence du poème tient à sa précarité, et celle-ci rend possible l’amour, la tendresse des âmes et des corps dans ces anneaux du paysage qui réunissent les voix humaines qui se cristallisent : « À l’ombre de la prophétie […] Tout seuil sera lumière » (ED, p. 89). La poésie de Muriel Stuckel est donc ce qui tient de l’impriable. Elle est ce questionnement adressé à l’immanence même de l’existence, dans ses souffrances où se fait promesse de fécondité :


    « Dans la nudité de ma voix

    Je m’avance

    Au plus près

    Entre l’émoi de ton visage

    Et la saveur de tes mots »

    (ED, p. 94).


    Le poème n’appelle aucune transcendance, mais se tient sur la faille, sans réponse comme l’âme est seule ; tout à la fois risible et tragique, il est incertain de soi, vulnérable, démuni de puissance, et c’est en cette pauvreté essentielle qu’il exprime toute sa beauté :


    « Silence de l’écume première

    Spirale voluptueuse

    Mémoire de tes yeux

    Qui ont su refuser

    Orphée

    La tentation du regard »

    (ED, p. 97).


    Ainsi, la poétique des failles chez Muriel Stuckel est bien celle qui refuse « la tentation du regard » pour se faire conscience du seuil, cet œil qui, détaché de toute volonté captatrice, se fait pure écoute aux confins du silence. Sa beauté naît de sa précarité même, de sa fulgurance comme la percée d’une lumière incréée dans l’obscurité de l’existence, à l’heure même où « tout devient regard » :


    « L’éclat de lumière

    Serti de nuages »

    […]

    « Voûte stellaire

    Si toute précaire

    Tu m’ensoleilles »

    (ED, pp. 96-98).


    Une voûte qui est la métaphore même du poème précaire, mélancolie solaire qui livre au poème la quintessence de la création, de la lumière, de la vie, ce «  jouir à l’excès » dont Muriel Stuckel parle dans Eurydice désormais :


    « Jouir à l’excès

    De la saveur de nos rires

    […]

    Quand l’aube crépite

    Sous nos pas libéré »

    (ED, p. 99).


    Comme le rire, la beauté nous échappe, c’est une « Trace de l’éphémère / Dans le ciel de mai » (ED, p. 100). Elle est belle de cela même qu’elle se retire et ne se laisse nommer par aucun attribut de langue humaine. Elle demeure elle-même tout entière « Eurydice » dans sa nudité, comme cette fleur qui reste invisible au regard inattentif, absent ou vide.

    Dans la poésie de Muriel Stuckel, la beauté du poème est le fruit d’un long abandon qui est paradoxalement le suprême travail, la vocation du poète qui se délivrant de lui-même, du souci de lui-même et du monde, le retrouve « mûri », dans la lumière intérieure, dans cette offrande du poème qui le précède et l’accomplit sans que le poète puisse s’arroger aucun droit sur lui tant celui-ci n’est que le chantre d’une musique qui le dépasse infiniment : cette musique mystique des failles où « la parole se fait vertige » (ED, p. 105) ; où les « voix retrouvent […] le goût du murmure » (ED, p. 107). Car le bonheur n’est jamais dit en pleine lumière ou en pleine parole, mais demeure « La voix du poème / Dans la transparence / Du souffle repris » (ED, p. 106). Procédant de l’impriable, cette poétique des failles est une espèce de « prière » qui excède toute prière comme demande, qui a la couleur bleue du ciel — prière mystique qui prie de ne plus prier, et qui trouve dans le vide la plénitude même de son être :


    « Tout s’élève

    Se soulève

    Et notre lumière d’âme

    À l’approche du bleu

    De ce bleu si bleu

    Qu’il finira peu à peu

    Par nous brûler les yeux »

    (ED, p. 108).


    Au bord de lui-même, le poème troue le temps « de blancs vertigineux » (IP, p. 83), réalise une « Improvisation majestueuse / À l’épreuve de notre silence » (ED, p. 110). Il semble faillir, défaillir, craquer de toute part, pareil à cette voix qui se brise. En cette poétique des failles, on comprend donc que le poème semble s’excéder, et trouver en cet excès même, sa liberté : commencement de sa musique, maturité d’un silence nu, patience précaire d’un œil qui « s’accroche / D’outre-bleu ébloui » (IP, p. 32).





    Muriel Stuckel compose son recueil comme une partition de musique où nous pouvons lire les indices d’une poétique des failles, d’une parole précaire : un chant repris par le silence, des vers retenus dans le soupir de leurs contradictions, conforme à l’exigence de la création —  une beauté lyrique qui se risque à l’impossibilité même de la prière, à la vie tremblante du poème, « quand l’infini se fait si proche » (ED, p. 115).

    « Soudain, tout devient inouï : la manière de concevoir la succession des vers, de mettre leur sens dans la dépendance des syllabes, d’accélérer la pensée. » (Bernard Noël, préface de L’insoupçonnée ou presque, p. 3). Le poète retrouve le rythme, la mesure métrique qui répond à la mesure du monde, où elle livre, avec une naïveté qui est la transparence de l’âme, des prières simples et nues où les conditionnels vibrent d’un désir infini comme un feu secret entretenu avec amour et vigilance :


    « Charmeur d’étincelles

    Notre babil retrouvé

    Harmonie du vent

    De la lumière de la pluie

    Sous la poussière du soleil

    Nos corps se confondent

    Babil ébloui

    Notre chant rejailli

    Orphée »

    (ED, p. 116).


    Au-dedans de l’écriture même, et non sans paradoxe, le poète cherche alors à sentir l’appel d’un dehors où se reforme la dimension d’expérience et de vérité qui manquent aux langues, quand elles s’enchantent de soi. Quand décline l’ardeur insinuée entre la roche et le cri trop léger de l’été, les yeux de l’enfant se déplient et « Tige vacillante / La lumière se diffuse // Pour illuminer la terre / Déchirer le jour de la nuit » (IP, p. 127). Ici les événements deviennent présents, immanents, transposés dans les mots qui nous permettent de les intérioriser. Seuls ces mots peuvent permettre aux choses de se faire un lieu – et de s’unir en nous :


    « Traces de chevreuil

    Sur la neige du soir

    Tu frôles mon sourire

    De tes yeux inespérés

    Jusqu’à l’imminence

    Qui prend notre mesure »

    (IP, p. 76).


    Ce mouvement d’intériorisation ne suffit pourtant pas. Pour que la présence advienne, il faut encore que la vie rejaillisse de l’acte qui a été intériorisé, renaissant d’un acte qui est indistinctement celui de parler et celui de vivre. Et c’est dans cet acte qui est le commencement éternel du poème précaire que « le monde s’ouvre / À la volupté du vent » (IP, p. 77). Ce vent est le souffle de la vie venant féconder l’antre obscur, la terre intérieure, pour y faire naître le verbe, la parole poétique : présence énigmatique qui se reçoit lors même qu’elle se retire à toute capture, elle est la semence de toute germination, de toute floraison. La terre elle-même semble alors pouvoir accéder à une sorte de pouvoir de régénérescence :


    « Murmure échappé

    Cette danse d’éclats

    Au bord du baiser

    Ce souffle lumineux

    Ce rêve de grand ciel »

    (IP, p. 79).


    Poète qui aborde sa tâche dans l’énergie de la faille qui incise et creuse, Muriel Stuckel pressent que la joie couve dans le sein du silence : « Sous le fracas des mots / L’élégie du silence » (IP, p. 74). C’est en ce silence vivant et vécu que les mots respirent, que la parole précaire se fait feu fécond, « éclaircie tremblante » (IP, p. 89). Il revient alors au poète de veiller à ce que le feu ne meure pas, à ce que la flamme du désir ne s’éteigne pas : attention extrême à l’instant que se joue toute la tenue de cette poétique des failles. Aussi la tâche du poète se dessine-t-elle en ce foyer de l’attention et de l’inquiétude. Attention au feu, inquiétude d’un désir vigile de la flamme tremblante, celle de l’écriture qui s’éveille sur la corde raide, dans le clair-obscur d’une existence :


    « Splendeur de l’eau vive

    Sous le soleil de midi

    Tu traverses notre chair

    Renouvelée

    Elle retrouve le goût

    De l’écorce de la sève

    Du feuillage du fruit

    Des larmes nuptiales

    Où puiser étincelantes

    Nos parcelles d’éternité »

    (ED, p. 121).


    À la fois testament et acte de naissance, ces deux recueils de Muriel Stuckel témoignent d’un incessant passage, d’une naissance continuelle aux profondeurs de soi, dans ce fond où l’on trouve l’équilibre fragile du danseur. Car cette naissance passe par une mort — mort aux images, aux représentations, aux illusions : autant de morts autant de vies, car c’est dans ce creuset du détachement que s’énonce l’éclat de l’infini comme ce « prestige de l’éphémère » (ED, p. 122). La lumière ne s’obtient pas sans le passage par l’ombre : elle naît de la traversée même de l’obscur – « frêle ébauche de transparence » (IP, p. 128), «  aube qui balbutie » (IP, id.), la voix du poète est comme saisie par les contraires asymétriques jusqu’au soulèvement suprême, « Promesse du flamboiement // Sous la foudre de l’infini » (IP, ibid.). Symphonie du clair-obscur, parole précaire, la poétique des failles maintient le poème au bord de lui-même, le chant à hauteur d’homme. Là « s’élève le babil / D’une marge pulvérisée » (IP, p. 119).


    Isabelle Raviolo
    pour Terres de femmes
    Milly-La-Forêt (Essonne), août 2014
    D.R. Texte Isabelle Raviolo






    MURIEL STUCKEL


    Muriel Stuckel 3




    ■ Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Dans la césure de tes poèmes (extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    [Ce n’est pas tant] (extrait d’Eurydice désormais)
    [Demeure précaire] (autre extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    Le risque de la poésie (extrait d’Eurydice désormais)
    [Sous le pas d’une ombre vive] (autre extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    [Sous la courbe de la phrase] (extrait de Du ciel sur la paume)
    [Trop vif le soleil] (extrait de Petite Suite Rhénane | Kleine Rhein-Suite)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    La poésie échappée



    ■ Notes de lecture de Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Jacques Estager, Douceur
    Gunvor Hofmo, Tout de la nuit est sans nom
    Stéphane Sangral, Circonvolutions





    Retour au répertoire du numéro de septembre 2014
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Muriel Stuckel | [Sous le pas d’une ombre vive]



    Gorgé des larmes du ciel
    Ph., G.AdC







    [SOUS LE PAS D’UNE OMBRE VIVE]




    Sous le pas d’une ombre vive
    L’éclat des mots crépite

    Comme foulée étincelante
    Au cœur de la forêt

    Déjà les biches s’éparpillent
    Sur les feuilles froissées

    Le silence se chuchote
    Gorgé des larmes du ciel

    Sous le pas d’une ombre vive
    La poésie prend souffle

    Là-bas au large des nuages
    Quand la voix de l’aube s’ajuste




    Muriel Stuckel, L’Insoupçonnée ou presque, éditions Voix d’Encre, 2013, page 81. Peintures de Laurent Reynès. Préface de Bernard Noël.






    Muriel Stuckel, L’Insoupçonnée ou presque, Voix d’encre, 2013.






    MURIEL STUCKEL


    Muriel Stuckel 3




    ■ Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    La poétique des failles chez Muriel Stuckel (Chronique d’Isabelle Raviolo)
    [Demeure précaire] (autre extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    [Ce n’est pas tant] (extrait d’Eurydice désormais)
    Le risque de la poésie (extrait d’Eurydice désormais)
    [Sous la courbe de la phrase] (extrait de Du ciel sur la paume)
    [Trop vif le soleil] (extrait de Petite Suite Rhénane | Kleine Rhein-Suite)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    La poésie échappée



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Voix d’encre)
    la fiche de l’éditeur sur L’Insoupçonnée ou presque



    ■ Notes de lecture de Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Jacques Estager, Douceur
    Gunvor Hofmo, Tout de la nuit est sans nom
    Stéphane Sangral, Circonvolutions






    Retour au répertoire du numéro de mai 2014
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Muriel Stuckel | [Demeure précaire]



    Toi l’absolu du verbe Qui nous épies en silence Tout au bout de la ligne
    Ph., G.AdC







    [DEMEURE PRÉCAIRE]




    Demeure précaire
    Toi qui infuses
    L’ivresse de l’élan


    À peine si t’anime
    Le désir de la durée


    Seul le jaillissement
    Se rêve profondeur
    De l’instant perpétuel


    Demeure poésie
    Toi l’absolu du verbe


    Qui nous épies en silence
    Tout au bout de la ligne


    L’élan y sera notre mesure




    Muriel Stuckel, L’Insoupçonnée ou presque, éditions Voix d’Encre, 2013, page 98. Peintures Laurent Reynès. Préface Bernard Noël.







    Muriel Stuckel, L'Insoupçonnée ou presque, Voix d'encre, 2013.






    MURIEL STUCKEL


    Muriel Stuckel 3




    ■ Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Dans la césure de tes poèmes (extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    La poétique des failles chez Muriel Stuckel (Chronique d’Isabelle Raviolo)
    [Sous le pas d’une ombre vive] (autre extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    [Ce n’est pas tant] (extrait d’Eurydice désormais)
    Le risque de la poésie (extrait d’Eurydice désormais)
    [Sous la courbe de la phrase] (extrait de Du ciel sur la paume)
    [Trop vif le soleil] (extrait de Petite Suite Rhénane | Kleine Rhein-Suite)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    La poésie échappée



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Voix d’encre)
    la fiche de l’éditeur sur L’Insoupçonnée ou presque



    ■ Notes de lecture de Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Jacques Estager, Douceur
    Gunvor Hofmo, Tout de la nuit est sans nom
    Stéphane Sangral, Circonvolutions





    Retour au répertoire du numéro d’octobre 2013
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Muriel Stuckel | [Ce n’est pas tant]



    L'ombre apprivoisée
    Ph., G.AdC






    [CE N’EST PAS TANT]



    Ce n’est pas tant
    La pulpe des fleurs

    Qui du temps premier
    Nous rend captifs

    Ce n’est pas tant
    L’ombre apprivoisée

    Entre silence capiteux
    Et souffle discret

    Ce n’est pas tant

    C’est tout simplement
    Ce tant de si peu

    Ce si peu de temps
    Qui nous est échu

    Orphée

    Tout comme fragile
    La pulpe des fleurs

    Sous le pas d’Eurydice




    Muriel Stuckel, « Sonate de l’abîme », in Eurydice désormais, Voix d’Encre, 2011, page 34. Illustrations de Pierre-Marie Brisson (œuvres). Préface de Hédi Kaddour.






    Stuckel






    MURIEL STUCKEL


    Muriel Stuckel 3




    ■ Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Dans la césure de tes poèmes (extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    La poétique des failles chez Muriel Stuckel (Chronique d’Isabelle Raviolo)
    [Demeure précaire] (autre extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    [Sous le pas d’une ombre vive] (autre extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    Le risque de la poésie
    [Sous la courbe de la phrase] (extrait de Du ciel sur la paume)
    [Trop vif le soleil] (extrait de Petite Suite Rhénane | Kleine Rhein-Suite)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    La poésie échappée



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de Voix d’encre)
    la fiche de l’éditeur sur Eurydice désormais
    → (sur Recours au Poème)
    « De l’ombre à l’éclat, une sonate de l’entre-deux », une recension de David Schnee sur Eurydice désormais



    ■ Notes de lecture de Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Jacques Estager, Douceur
    Gunvor Hofmo, Tout de la nuit est sans nom
    Stéphane Sangral, Circonvolutions






    Retour au répertoire du numéro de mars 2013
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Muriel Stuckel | La poésie échappée



    Fouler le temps de notre pas vif
    Ph., G.AdC







    LA POÉSIE ÉCHAPPÉE



                                 « Ah n’écrire, n’écrire qu’avec des mots ressuscités.
                                 N’avoir affaire qu’aux mots de la plus haute saison.
                                Lumineux. »

                                 Edmond Jabès, Angoisse d’une seule fin, Fata Morgana, 1991





    Fouler le temps de notre pas vif
    Seul dépassement de nos limites

    Le fouiller d’une plume acérée
    Le trouer de blancs vertigineux

    Pour que s’envolent légères
    Nos syllabes les plus enfouies

    Aux mots indociles de les délier
    Aux mots de tendre le fil du sens

    À la poésie la morsure de la mémoire
    À la poésie l’éclat de la résurgence

    Quand frémit l’ardeur initiale
    De nos pulsations obscures

    Dépassement vital
    De nos limites fragiles

    La poésie échappée ?




    Muriel Stuckel
    Texte inédit
    pour Terres de femmes (D.R.)






    MURIEL STUCKEL


    Muriel Stuckel 3




    ■ Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Dans la césure de tes poèmes (extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    La poétique des failles chez Muriel Stuckel (Chronique d’Isabelle Raviolo)
    [Ce n’est pas tant]
    [Demeure précaire] (autre extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    [Sous le pas d’une ombre vive] (autre extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    Le risque de la poésie
    [Sous la courbe de la phrase] (extrait de Du ciel sur la paume)
    [Trop vif le soleil] (extrait de Petite Suite Rhénane | Kleine Rhein-Suite)



    ■ Notes de lecture de Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Jacques Estager, Douceur
    Gunvor Hofmo, Tout de la nuit est sans nom
    Stéphane Sangral, Circonvolutions





    Retour au répertoire du numéro d’ octobre 2011
    Retour au Sommaire de l’anthologie poétique Terres de femmes
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes