Étiquette : Obsidiane


  • Jean-Claude Caër | [Je suis venu ici]



    Woodlawn Cemetery in 2008 February
    Source






    [JE SUIS VENU ICI]



    Je suis venu ici
    Voir les Indiens, les grandes mesas,
    Les Indiens Hopis, cœurs du ciel.
    La danse du serpent appelle la pluie.
    Ainsi je suis venu ici
    Au Woodlawn Cemetery.



    Sur la tombe de Melville et de son fils Malcom
    Ce bouquet de fleurs jaunes
    Du Désert de la mort rapporté ici
    Sur la pelouse ombragée
    Alors que mon père se vide de son sang
    Et va mourir.
    Il me souhaite un bon voyage
    Lui qui va bientôt partir
    S’est tourné vers le mur.
    Le dernier mur. Le dernier murmure.
    Et moi que suis-je venu faire ici par un lent détour
    Si ce n’est retrouver sa vie ?



    Jean-Claude Caër, « Per fretum Febris », Sépulture du souffle, Obsidiane, Collection Les Solitudes dirigée par François Boddaert, 2005, page 18.





    Sépulture du souffle





    JEAN-CLAUDE CAËR


    Caer
    Source




    ■ Jean-Claude Caër
    sur Terres de femmes

    Alaska (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    Devant la mer d’Okhotsk (lecture d’AP)
    Lectures sous le signe de l’ours (extrait d’Alaska)
    En route pour Haida Gwaii (lecture d’AP)
    Mémoires du Maine (extrait)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des Éditions Obsidiane)
    une page consacrée à Jean-Claude Caër
    → (sur remue.net)
    une note de lecture de Jacques Josse sur Sépulture du souffle de Jean-Claude Caër





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  • Christine Bonduelle, Ménage

    Christine Bonduelle, Ménage,
    Obsidiane, Collection Les Solitudes
    dirigée par François Boddaert, 2010.


    Lecture d’Angèle Paoli



    MANEGE MENAGE
    Image, G.AdC






    UN MYSTÉRIEUX « BLASON DE MÉNAGE »



         Ménage manège remue-ménage de méninges, un drôle de manège poétique se joue dans Ménage, dernier recueil de poèmes de Christine Bonduelle, publié aux éditions Obsidiane. S’adonnant joyeusement au rangement du fatras quotidien, l’auteur de Ménage enlève néanmoins son lecteur, le bouscule sans ménagement d’une section à l’autre de Ménage ― six en tout ―, l’emporte dans son bagage en terres d’Australie mais aussi bien, et avec les mêmes curieuses bizarreries de langage, jusque dans les supermarchés et sur les tapis roulants de Châtelet, idem métro Glacière. Le poète, ici une femme, joue de préférence avec l’impair, comme il appert dans les « Onze travaux » (« douze moins un » herculéens ?) qui ouvrent le recueil, tous répartis en septains. Plus loin, dans la section « En-Cas », alternent neuvains et onzains mais ce choix est contrebalancé par la présence de dizains ou de huitains, moins nombreux semble-t-il. Dans les sections « Nocturnes » et « Diurnes », composées chacune de cinq poèmes de cinq strophes, le poète alterne sixains et quintils. De même dans les « Études de chien », poème de onze sixains. Quant à la longueur des vers, aucune contrainte particulière ne semble présider à leur longueur et à leur rythme. Voire !

         Diversement dédiés à ses fils, à ses filles, à sa sœur, à son frère et à son père (manquent l’époux et la mère !), mais aussi à ses amies et poètes (Sarah Rosenblatt, dont j’aurai l’occasion de reparler ici) ― on croise au passage Jean-Claude Caër, Pascal Commère et François Boddaert ―, ces poèmes aux vers brefs non justifiés, mais centrés dans la page, convient chacun, qu’il soit connu ou non du lecteur, à contribuer par sa présence nominative aux travaux de rangement, de lessive, de tri du linge, au ramassage des miettes et au débarrassage des reliefs du repas, à la toilette intime des uns et au désordre psychédélique et féminin des autres. Tout cela relèverait du plus commun du quotidien désordre, gestes et rites à accomplir dans la répétitivité, si la poète, douée d’humour et d’un sens ludique hors pair, ne s’en prenait aux mots et aux phrases de la manière la plus inattendue. Inventés déplacés décalés déjantés, les mots s’agencent dans un ordre autre, selon des rejets propres au poète et propres à surprendre l’oreille. Au point que la lectrice (en l’occurrence moi-même), dérangée dans ses habitudes de lecture, se prend à sourire. Et, laissant là de côté ses principes, se laisse porter et guider, pareille à un bouchon de liège surpris pas la saccade des flots, au rythme des phrases agrammaticales, elliptiques ou heurtées, d’où le sens n’affleure au-dessus du poème que par décantation finale. Et se prend à s’abeausir, à badaudailler et à brelauder à l’envi, et pour finir, à s’ébaubir sans retenue face à pareille et déroutante inventivité. Ce qui apparaît clairement, c’est que ce fourmillement de mots forgés renoue avec notre langue médiévale oubliée. Elle ressurgit ici, dans les « forgeries » de Christine Bonduelle, avec sa richesse, son originalité, sa couleur. Et la lectrice s’en esbaudit.

         Les scènes de la vie courante se succèdent, souvent très imagées et pittoresques, comme celle de « la bonne chère madame » enrobée dans les plis d’une métaphore filée culinaire et réjouissante. Surgissent aussi des substantifs déguisés en verbes ― « pênent/culottent »―, qui voisinent en séries affriolantes avec un chapelet d’écrous, de gâches, de tenons et autres mortaises qui, mâles et femelles raboutés, enfantent d’autres semblables… Étrange histoire qu’il faudrait relier au septain suivant avec lequel la saynète forme paire et voir comment l’un modifie l’autre, le complète, lui répond. Il faudrait aussi s’interroger sur le mystère du dédicataire. Pourquoi ce poème-là est-il dédié à Anne Segal plutôt qu’à Anne Hérisson-Leplae de Milwaukee (et vice versa) et qu’est-ce qu’induit ce choix dans la forme et dans la coloration du poème ?

         En jongleuse talentueuse, la poète « estrope » les mots, ôtant ici une voyelle, rajoutant ailleurs une syllabe, donnant naissance à des mots nouveaux (« guédonlfe »), des mots-valises, ou exhumant des mots tombés en désuétude, tel le priapique « imbriaque » ou le mélancolique « se condouloir », ou encore des picardismes comme le verbe échouir. « Le linge impollu » hésite entre impoli/poilu/et pollué mais la trouvaille des « chaussettes veuves » ne peut que faire sourire tant elle recouvre une réalité obsédante à laquelle n’échappe nulle ménagère ! Ailleurs, dans d’autres poèmes, Christine Bonduelle fait rouler les mots, galets-cousins aux consonances intervertibles. Ainsi dans les poèmes de « Nocturnes », construits sur le même principe de roulement d’un mot à l’autre, le poète passe-t-il de « ménade » à « nomades », « monade », « n’adonne » et à « domaines »//de « à corps » à « accord », « accort  », « accore » « encore »// de « lisse » à « lasses », « laisse », « lice » et « lace »// de «  léthé  » à « les thés », « l’été », « l’étai », « l’était »… Au-delà du jeu avec les mots, les poèmes d’Antipodismes (quatorze) et les poèmes de Nocturnes (cinq) font naître un univers de voyage charnel, tissé d’« ennoyages », de songes et de vertige sur fond de paysage nouveau de billagongs, de gommiers et de banyans. De vagues qui drossent les nageurs :

    « les baigneurs battent la bonace
    ressac en fond vaguement sourd ».


         Les lilly-pilly, plantes de rêves, et les noms d’animaux insolites ― wallabis et kookaburra ― voisinent avec le didjéridoo ainsi qu’avec des mots savants ― « amblyopes »//«&nbsp agrypnode » ― qui contribuent à brouiller les pistes du langage. Dans cet espace aux toponymes exotiques ― Fernleigh Gardens, Bondi beach, Coogee beach, Willie’s bath, Uluru,…―, le temps ouvre un autre rythme. Il prend le temps de l’attente et de la lenteur. Il devient tangible, partie intégrante de la perception :

    « touche le temps sous la fenêtre »…
    « nous avons foulé
    le temps regardant »…


         L’exemple le plus évocateur se trouve sans doute dans le premier poème de « Nocturnes ». Qui décline le temps de manière anaphorique, reprise rythmée d’assonances et d’allitérations du vers « je t’entends rêver le temps » :

    « je t’attends tomber tout bas »/« je t’entends rêver le temps »/« je te tends aveugle une main »/« jetant tant d’espace au désert »/« j’ai tenté de filer la trace ».

         Comment ne pas se laisser prendre à la musicalité de ces vers, à leur douce et entêtante cadence ? Dégrippant la syntaxe et jonglant avec les mots, Christine Bonduelle invente une musique singulière aux accents parfois médiévaux. Chaque « monade ténue » forme avec l’ensemble ― poème et recueil ― une cosmologie poétique originale. Une moire vivante, colorée et multiple. Un mystérieux « blason de ménage ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    CHRISTINE BONDUELLE


    Bonduelle
    Source



    ■ Christine Bonduelle
    sur Terres de femmes

    Impossible ça ne marchera pas (poème extrait de Ménage)
    ambivalences (poème extrait de Bouche entre deux + notice bio-bibliographique)
    Soif (autre poème extrait de Bouche entre deux)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Christine Bonduelle | [sans titre]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Poezibao)
    d’autres extraits de Ménage (+ une présentation de cet ouvrage par Jean-Pascal Dubost)
    → (dans la revue Secousse [Quatrième])
    huit poèmes de Christine Bonduelle
    → (dans la sonothèque de la revue Secousse)
    huit poèmes de Christine Bonduelle lus par l’auteure





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  • Jean-Claude Caër, Mémoires du Maine


    Caër
    Source







    MÉMOIRES DU MAINE
    (extraits)



    Je n’ai pas vu de baleines souffler au large, mais demain
    je pars pour le Maine. La nuit tombe autour des phares jumeaux
    qui ne s’allument pas. J’ai marché le long de la mer.
    Tous les gens qui marchent le long de la mer se ressemblent.
    Ce qui pousse là ? La rumeur des rivages les berce.
    À Gloucester, après le bar des Seven Seas,
    j’ai salué la modeste demeure d’Olson. Il vivait ici dans le Fort
    face à la baie d’Ipswich, devant une manufacture et un fabricant
    de glace.




    Depuis que je suis parti, je n’ai vu que des arbres en feu.
    Je pense au pays tel qu’il devait être.
    D’Indiens, il n’y en a plus. Il ne reste que l’automne,
    les arbres enflammés, telles les plumes de ceux qui ont disparu.
    Et moi-même je ne suis qu’un pèlerin sur l’immense plage
    d’Ogunquit. Mais qui regarde encore les pattes d’oiseau ?
    Trouvant un petit caillou en forme de baleine,
    je le mets dans ma poche.
    Le pays, Thoreau, Les Bois du Maine.
    Ces bois où l’on peut se perdre et disparaître,
    où l’on sent la vie qui s’égrène lentement
    comme une parenthèse ouverte entre nos doigts.




    Jean-Claude Caër, Mémoires du Maine in En route pour Haida Gwaii, Obsidiane, 2011, pp. 13-14.





    ■ Jean-Claude Caër
    sur Terres de femmes

    Alaska (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    Devant la mer d’Okhotsk (lecture d’AP)
    Lectures sous le signe de l’ours (extrait d’Alaska)
    En route pour Haida Gwaii (lecture d’AP)
    [Je suis venu ici] (extrait de Sépulture du souffle)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site des Éditions Obsidiane)
    une page consacrée à Jean-Claude Caër
    → (dans le n° 3 de la revue électronique Secousse)
    d’autres extraits d’En route pour Haida Gwaii
    → (dans la sonothèque de la revue électronique Secousse)
    des extraits d’En route pour Haida Gwaii, lus par Jean-Claude et Soline Caër
    → (sur Exigence Littérature)
    une lecture (8 décembre 2011) d’En route pour Haida Gwaii par Françoise Urban-Menninger
    → (sur Mediapart)
    une lecture (3 janvier 2012) d’En route pour Haida Gwaii par Bernard Demandre (+ extraits)
    → (sur remue.net)
    une lecture (18 décembre 2011) d’En route pour Haida Gwaii par Jacques Josse
    → (sur le blog de La Quinzaine littéraire)
    « Un étrange chemin du chaman », un article de Marc Le Gros sur En Route pour Haida Gwaii (12 avril 2012)



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  • Christine Bonduelle | ambivalences


    «  Poésie d’un jour  »



    CONVERSATION




    Ambivalences
    Ph., G.AdC





    Solidaires
    les voix
    à s’attendre

    chercheuses
    de chaque côté
    du mur

    remueuses
    de pierres
    à tâton
    perceuses
    de jour
    en trouées

    éparses
    étirant l’œil
    à l’intérieur.






    VOIX ÉMUE


    aigu

    nœud aux cordes
    tire un voile

    grave.




    Christine Bonduelle, « Conversations », Bouche entre deux, Obsidiane, collection « Le legs prosodique », 2003, pp. 9 et 11.






    Ce frais silence
    regard d’eau
    tenue secrète
    en sous-bois
    ronceux
    toucheur d’âme
    qui vive
    lointaine
    est-ce toi
    ou rien
    n’y a-t-il
    rien que cris
    sans voix ?




    Christine Bonduelle, « Agapê », Bouche entre deux, id., page 28.






        Ce recueil poétique est le premier recueil de Christine Bonduelle (née le 5 juin 1959) publié chez Obsidiane (un premier recueil à diffusion restreinte, Aigu en Parallèle, ayant paru en janvier 1997 aux éditions de la Librairie-Galerie Racine). Seuls quelques poèmes avaient déjà paru dans Le Petit Digital illustré et la revue de poésie Le Mâche Laurier. « Dans la tradition du dix-septième siècle, les deux premières parties de Bouche entre deux se présentent comme un manuel moderne sur la conversation. Conversations dresse l’inventaire de ses nombreuses facettes, tandis qu’Agapê retrace une expérience de dialogue quasi silencieux. Le souci de se former à l’art de la conversation va de pair ici avec une extrême concision. […] Imprégnés d’une forte tension entre rigueur formelle et hardiesse de ton, ces textes courts s’entrechoquent et dégagent une grande énergie poétique. » (Quatrième de couverture du recueil).

        Outre une publication dans la revue Pleine Marge (n° 47, juin 2008), un nouvel ouvrage de Christine Bonduelle, Ménage, a été publié en juin 2010 par les éditions Obsidiane. Christine Bonduelle est par ailleurs responsable de la rubrique Poésie de Secousse, la revue de littérature en ligne des éditions Obsidiane, dont le sixième numéro a paru en mars 2012.





    CHRISTINE BONDUELLE


    Bonduelle
    Source



    ■ Christine Bonduelle
    sur Terres de femmes

    Soif (autre poème extrait de Bouche entre deux)
    Ménage (note de lecture d’AP)
    Impossible ça ne marchera pas (poème extrait de Ménage)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Christine Bonduelle | [sans titre]



    ■ Voir aussi ▼

    → (dans la revue Secousse [Quatrième])
    huit poèmes de Christine Bonduelle
    → (dans la sonothèque de la revue Secousse)
    huit poèmes de Christine Bonduelle lus par l’auteure





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