Étiquette : Où nul ne veut se tenir


  • Jean-Charles Vegliante, Où nul ne veut se tenir

    par Joëlle Gardes

    Jean-Charles Vegliante, Où nul ne veut se tenir,
    La lettre volée | La rivière échappée,
    Collection « Poiesis », 2016.



    Lecture de Joëlle Gardes



    Qui effectivement voudrait se tenir dans ce « noir » où on se déba[t], en plein soleil », comme le dit le dernier poème du recueil Où nul ne veut se tenir de Jean-Charles Vegliante, et dont le dernier vers résume la tonalité : « comme si une boue basse nous tenait ». Nul ne veut s’y tenir et pourtant il le faut, et il faut « oublier l’effroi, / et l’injustice, qui sera toujours là ». Si, dans le « Journal en vers », rédigé en mars 2015, qui clôt l’ensemble, l’injustice naît du mal des « semblables » qui « traitent, vendent, tuent le bétail humain […] mettent en scène égorgements, bûchers, crachats, destructions avec une exquise maîtrise des codes », elle est plus fondamentalement notre condition d’êtres soumis au temps. C’est dans la réflexion sur l’érosion à laquelle nous ne pouvons échapper que réside l’unité de ce recueil fait de plusieurs parties. Se succèdent « Avant-scène », « Suites_survie », « Après », « Sonnets pour ne pas pleurer » et « Journal (en vers), 2015 ». Le passé y est le plus souvent convoqué, avec le souvenir, celui de l’enfance qu’il faut « déglutir », celui de la femme aimée (« il me semble avoir encore au bout des doigts / la soie de ta peau vivante »), celui des amis dont on s’éloigne « dans le son d’un été » :

    « Le passé sans fin nous déchire alors

    ce matin tout le passé nous bascule

    en arrière vers la fosse bleue

    le museau effrayant d’être bête. »

    celui des disparus : « tu n’es plus rien que ces fines particules ». Nous ne pouvons empêcher qu’« affleure en nous des fois un rauque langage d’avant. »

    Ce recueil est profondément – et c’est son grand intérêt – une méditation d’homme dans sa vieillesse : « ainsi sommes-nous vieux / sommes-nous », dans un « corps en morceaux qui commence à partir sans moi », dit le poète. Qui est donc en définitive celui qui survit, qui abrite en lui un « toi » qui « ne [nous] aime pas au point de partir avec [nous] » ? L’adversaire auquel s’adresse une série de quintils, c’est le « petit cancrelat / de l’âme » et cet autre qui nous habite :

    « ou bien c’est comme en soi noyée de silence

    une autre créature qui se retourne

    sur le noir où elle ne sait pas qu’elle est. »

    Rien de complaisant, de pathétique dans cette poésie, mais des constats qui débouchent sur une forme de célébration, de l’amitié, par exemple avec Mario Benedetti, à qui est consacrée une suite de quatrains, en début de recueil, de la beauté d’un paysage ou de la lumière, du compagnonnage avec les poètes bien-aimés, Rimbaud, Baudelaire, Villon, Dante, Pascoli, Raboni… L’acquiescement qui n’est pas résignation mais acceptation lucide :

    « mais ne renie pas ce temps dont tu es fait,

    dont nous vivons ensemble et disparaissons

    (d’aucuns jouent même le jeu de la mort luxe)

    avec le ciel changeant qui n’attend personne : »

    Les sonnets ne sont-ils pas faits pour ne pas pleurer ? L’humour, de surcroît, comme dans la « Supplique Pao », amène le sourire.

    Ce qu’il faut appeler « dignité » est soutenu par la forme qui est comme une ossature. Le vers bien-aimé est le onze syllabes, quasi constant, avec quelques infidélités en faveur de l’alexandrin ou des vers plus courts et les strophes, quatrain, quintil, distique, alternent avec des poèmes d’un seul bloc. La versification est une contrainte essentielle. Il en est d’autres, comme dans la série des « Expériences », qui de la construction « (Expérience de [+ groupe nominal]) » se défont à la fin du poème en « Expérience », puis en « Ex- » . Pour une fois, voilà une poésie qui ne parle pas nombriliquement de la poésie, mais qui la met en pratique et nous la fait partager, en montrant ce qu’elle peut être, et justement par l’expérience, l’expérience d’un seul qui est aussi celle de nous tous.



    Joëlle Gardes
    D.R. Texte Joëlle Gardes
    pour Terres de femmes






    Jean-Charles Vegliante  Où nul ne veut se tenir





    JEAN-CHARLES  VEGLIANTE


    Jean-Charles Vegliante
    Source




    ■ Jean-Charles Vegliante
    sur Terres de femmes


    [Un petit garçon passe] (extrait de Fragments de la chasse au trésor)
    Fenêtre (extrait de Trois cahiers avec une chanson)
    [Au fond de moi est un animal sauvage] (extrait d’Où nul ne veut se tenir)
    Celle qui dort… (extrait des Oublies)
    [La lente] [L’étourdie] [L’Africaine]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de La Lettre volée)
    la fiche de l’éditeur sur Où nul ne veut se tenir
    → (sur Recours au Poème)
    une notice bio-bibliographique sur Jean-Charles Vegliante (+ 6 poèmes choisis)





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  • Jean-Charles Vegliante | [Au fond de moi est un animal sauvage]



    [AU FOND DE MOI EST UN ANIMAL SAUVAGE]




    (Au fond de moi est un animal sauvage
    qui a été blessé à mort une fois
    et ne survit, si ça s’appelle survivre,
    qu’en se protégeant, me séparant des êtres
    chers, vivants et disparus, ou qui voudraient
    le devenir — je suppose —, mais on ne
    peut pas raisonner le petit solitaire,
    compenser l’injustice d’avant les mots.

    Avant est un mot illusoire, il n’avance
    à rien qu’à avancer notre marche au rien,
    quand on ne se retrouve plus sous le vent
    d’abordage, le bon courant qui te tient
    dressé aux aguets, prêt à accueillir
    à mordre à baiser cette ombre du beau.)

    (…caler la voile et rouler les cordages, Enfer XXVII)



    Jean-Charles Vegliante, « Après », in Où nul ne veut se tenir, La Lettre volée, Collection « Poiesis », 2016, page 53.






    Jean-Charles Vegliante  Où nul ne veut se tenir





    JEAN-CHARLES  VEGLIANTE


    Jean-Charles Vegliante
    Source




    ■ Jean-Charles Vegliante
    sur Terres de femmes


    [La lente] [L’étourdie] [L’Africaine]
    [Un petit garçon passe] (extrait de Fragments de la chasse au trésor)
    Fenêtre (extrait de Trois cahiers avec une chanson)
    Où nul ne veut se tenir (lecture de Joëlle Gardes)
    Celle qui dort… (extrait des Oublies)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de La Lettre volée)
    la fiche de l’éditeur sur Où nul ne veut se tenir
    → (sur Recours au Poème)
    une notice bio-bibliographique sur Jean-Charles Vegliante (+ 6 poèmes choisis)





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