Étiquette : Ovide


  • Ovide | Hermaphrodite



    HERMAPHRODITE



    Leuoconé a dit. L’histoire merveilleuse a captivé les oreilles :
    Des filles nient qu’elle ait pu avoir lieu, d’autres rappellent que les vrais
    dieux peuvent tout. Mais Bacchus n’est pas parmi eux.
    On réclame Alcithoé, ses sœurs se sont tues.
    De sa navette elle fait courir les fils sur sa toile dressée :
    « Je tairai, dit-elle, les amours du berger
    Daphnis, de l’Ida, qu’une nymphe en colère contre une rivale
    a changé en rocher : si grande la douleur qui brûle les amants.
    Je ne dirai pas qu’autrefois, sous une loi nouvelle de nature,
    Sithon a été ambigu, un peu homme, un peu femme.
    Je ne dirai rien de toi, maintenant diamant, autrefois très fidèle au petit
    Jupiter, Celmis. Des Curètes nés d’une large pluie
    ou du Crocus changé avec Smilax en petites fleurs,
    je ne dirai rien : je captiverai vos esprits d’une douce nouveauté.
    D’où lui vient sa mauvaise réputation, pourquoi dans ses eaux de mauvaise vigueur,
    Salmacis énerve et ramollit son corps qui y est plongé ?
    Écoutez. La cause est cachée, le pouvoir de la source est célèbre.
    Un enfant de Mercure et de la déesse de Cythère
    est nourri par les naïades sous les grottes de l’Ida.
    Il a un visage où mère et père
    peuvent être reconnus : son nom aussi il le tire d’eux.
    Il fait trois fois cinq années, il quitte
    les montagnes paternelles et laisse l’Ida nourricière,
    se réjouit d’errer en lieux inconnus, de voir des fleuves
    inconnus, le plaisir amenuise sa fatigue.
    Après les villes de la Lycie, celles de la Carie,
    voisines de la Lycie : il voit ici un étang d’eau
    diaphane jusqu’au fond du sol, ici ni roseaux de marais,
    ni algues stériles, ni joncs de pointe aigüe,
    mais une surface transparente : les bords du lac sont cerclés
    d’un gazon vif et d’herbes toujours bien vertes.
    Une nymphe y habite. […]



    Ovide, Les Métamorphoses, Livre IV, 271-302, Éditions de l’Ogre, 2017. Traduit du latin par Marie Cosnay. Texte latin établi par Georges Lafay. Préface de Pierre Judet de La Combe. Postface de Marie Cosnay. Prix de traduction Nelly-Sachs 2018.




    Ovide Sachs






    OVIDE




    ■ Ovide
    sur Terres de femmes


    Pretium vitae (extrait d’Amores)
    Héroïdes, Lettre de Didon à Énée
    Tristes Pontiques, traduit du latin par Marie Darrieussecq (note de lecture d’AP)
    Tristes Pontiques (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des Éditions de l’Ogre)
    la fiche de l’éditeur sur Les Métamorphoses d’Ovide (Traduction du latin par Marie Cosnay)




    ■ Voir encore ▼


    → (sur Terres de femmes)
    16 décembre 2019 | Marie Cosnay, La malle d’Algérie




    Retour au répertoire du numéro de février 2018
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Ovide, Tristes Pontiques,

    traduit du latin par Marie Darrieussecq

    Ovide, Tristes Pontiques, P.O.L, 2008



    Marie Darrieussecq, Publius Ovidius Naso
    Image, G.AdC







    OMBRE ROMAINE ERRANTE PARMI LES BARBARES MORTS



        Un titre, deux auteurs. Ovide/Marie Darrieussecq. Étrange équipage ! Tristes Pontiques. Un titre à la fois familier et curieux. D’où provient la coquetterie ?

        Le nom palimpseste d’Ovide ― je l’avais effacé de ma lecture, lapsus legendi ― , en italiques, centré au-dessus du titre. Celui, fort connu et contemporain, de Marie Darrieussecq, traductrice de cette œuvre, en bas, dans le dernier tiers de la première de couverture, très loin sous le titre. Le sfumato s’estompe, le titre Tristes se précise, celui de Pontiques aussi. Mais les deux réunis forment un tandem inattendu, un écho clin d’œil aux Tristes tropiques de Claude Lévi-Strauss. Marie Darrieussecq, ancienne élève de Normale Sup de la rue d’Ulm « ayant définitivement tourné la page de l’Université », arrime son nom à celui de l’ethnologue centenaire et les Pontiques d’Ovide aux Tropiques de Lévi-Strauss. En dénominateur commun de l’une et de l’autre œuvre, l’adjectif « Tristes » et des homophonies qui ouvrent sur des résonances et des harmoniques. Joli coup de génie que celui de Marie Darrieussecq pour inciter à entreprendre le voyage. Même si celui-ci se profile dans la tristesse.

        D’Ovide, nombreux sont les lecteurs qui ont en mémoire les pièces d’inspiration érotique ou mythologique : L’Art d’aimer, œuvre de jeunesse du poète latin ; Les Métamorphoses, récits composés à l’âge mûr. Moins présents dans nos mémoires, les « exploits galants » des Héroïdes et les Fastes, « écrits à la gloire de Rome ». Mais Tristes et Pontiques ?

        Traduits du latin par Marie Darrieussecq, ces deux ouvrages de même veine et de même époque sont réunis sous un seul titre par celle qui rend à Ovide un si bel hommage et si émouvant. À l’intérieur du recueil, deux livres : quarante-neuf élégies réparties en cinq livres pour Tristes, quarante-six lettres réparties en quatre livres pour Pontiques. Les élégies de Tristes rejoignent par le ton et par les thèmes, les lettres de Pontiques.

    « j’ai choisi pour ces lettres un titre sans tristesse
    mais elles sont aussi tristes que le premier recueil
    c’est le même sujet nommé différemment

    cette fois la nuance
    est que j’écris les noms »


    écrit Ovide dans la lettre I du Livre I de Pontiques, adressée à Brutus.

        Et l’on redécouvre Ovide, ou plutôt Publius Ovidius Naso, qui parle de lui en utilisant le surnom de Nason que lui vaut son long nez, « c’est ton vieux Nason qui t’écrit / si du moins tu te souviens de lui ». Et l’on redécouvre, dans la brillante préface de Marie Darrieussecq ainsi que dans les écrits élégiaques du poète, que P. Ovidius, tombé en disgrâce, destitué de ses fonctions honorifiques, privé de sa vie de poète mondain, envoyé purger sa peine sur les rives inhospitalières du Pont-Euxin, meurt « dans cet affreux pays / parmi les Gètes et les Sarmates » sans avoir pu rejoindre Rome, sa chère patrie.

        De cet éloignement, leitmotiv incessant de son œuvre, naît une émouvante interrogation, qui conduit le poète, dans la lettre adressée à Rufin ― Pontiques III ―, à inverser son point de vue et à considérer aussi celui de son ennemi :

    « dans quel envoûtement nous tient la terre natale
    quelle est cette douceur
    quelle est cette mémoire si prenante et si longue

    quoi de meilleur que Rome
    quoi de pire qu’ici
    mais le barbare aussi connaît la nostalgie
    en hâte il quitte Rome pour revoir ses rivages »


        Suit, dans une longue énumération, l’évocation de tous ceux qui, avant lui, ont supporté l’exil sans faillir. « Rutilius qui choisit de rester / quand on lui permettait de retourner chez lui » et Diogène, pour qui partir « était un choix », « Thémistocle en Argos et Aristide à Sparte, Patrocle chez Achille et Jason en Colchide / Teucer dans un pays que Vénus chérissait / et Cadmus à Sidon et Tydée chez Adraste ».

        Pourtant, après cet hommage aux Anciens, qu’il vénère, Ovide ne peut s’empêcher, dans un revirement de l’âme et de la pensée, de revenir à son propre cas : « aucun dans aucun temps / n’a été envoyé dans un trou si affreux. »

        Au cours des neuf années de profond malheur (de l’an huit de notre ère à l’an dix-sept) que dura cet exil passé à Tomes ― Tomes sur les « terres hirsutes » du Pont ―, Ovide occupe son temps à écrire. « Écrire m’empêche de sombrer », confie le poète dans le poème XI du livre I de Tristes. Il rédige, sous forme d’élégies, des lettres destinées à sa femme et à ses amis. Brutus, Rufin, Flaccus, Maximus Cotta… Lettres dont il ne subsiste nulle trace de réponse.
    « Je pleure sans arrêt / puis je tombe épuisé / une torpeur m’emporte qui ressemble à la mort », se plaint- il à son ami Maxime.

        Pressentant l’amer destin qui va être le sien ― ombre romaine errant parmi les barbares morts ―, Ovide implore Maxime, « l’habituel recours des accusés tremblants », d’intercéder en sa faveur :

    « demande pour moi
    un exil à l’abri des vexations barbares
    et que cette existence que m’accordèrent les dieux
    ne me soit pas ravie par un Gète sordide

    demande si je meurs que mes os soient enfouis
    dans un sol pacifié et pas dans la Scythie »


        Prière obsessionnelle qu’il réitère dans les vers poignants, adressés à son épouse :

    « fais revenir mes cendres dans une urne discrète
    pour que j’échappe au moins à l’exil dans la mort ».


        À celles de ses connaissances qui ont déserté le poète désavoué par Auguste, Ovide oppose le pardon :

    « j’ai pardonné à ceux qui m’ont tourné le dos », confie-t-il à son ami Cotta. Mais de sa situation particulière, Nason tire une considération imagée sur le comportement humain, immuable, dès lors que le malheur touche de près l’un de nous :

    « la foule épouvantée s’enfuit quand l’éclair tombe
    horrifiée par celui que la foudre a frappé
    quand un mur se fissure on déserte les lieux
    de peur d’être infecté on oublie les malades »


        Envers celui qui refuse de voir son nom écrit en toutes lettres sous la main de Nason, Ovide se fait rassurant, peut-être pour se convaincre lui-même de la clémence de l’Empereur « jusque dans sa colère » :

    « César ne défend pas qu’on pense à un ami
    et il n’interdit pas ces échanges de lettres »


        Deux lettres de Pontiques sont adressées à sa troisième épouse, qu’il aime ardemment. Mais le désespoir qui est le sien, peut-être même la forte dépression qu’il traverse, égare ses esprits. Ovide se montre fluctuant, tantôt reprochant à son épouse son manque de conviction, tantôt s’excusant auprès d’elle de son emportement et de sa mauvaise humeur ou encore évoquant toutes celles dont l’histoire a gardé le souvenir, épouses modèles qui ont suivi leur époux dans la mort :

    « On connaît des exemples d’épouses héroïques
    Laodamie ne voulut pas survivre à son mari
    Évadné préféra le bûcher au veuvage
    Pénélope écarta dix ans ses prétendants »


        Dans un ultime revirement, Ovide se reprend et ajoute :

    « mais je ne veux de toi ni la mort ni la ruse
    il suffit de prier l’épouse de César »


        Car, qui, mieux que son épouse, peut intercéder en sa faveur et plaider la cause de l’exclu auprès de son amie Marcia ? Et de Marcia à Livie, épouse d’Auguste ?

        Viennent aussi les supplications qu’Ovide, désireux d’être conduit en des terres moins âpres, adresse directement à César :

    « je n’ose pas demander mon retour
    (les dieux exhaussent les vœux muets cela s’est vu)
    mais je te supplie de m’accorder un exil moins lointain
    je voudrais être relégué
    plus près de Rome
    pitié pour moi » !


        Invocations, supplications, hommages réitérés. Tout est sans effet. Ovide ― prophète et poète ― continue de se morfondre, persuadé de mériter la peine qu’il endure. Pour avoir assisté à un mystère isiaque et orgiaque auquel il n’était pas convié ?

    « pourquoi ai-je des yeux

    pourquoi ai-je vu ce que j’ai vu

    et ce n’est qu’après coup que j’ai pris
    la mesure de ma faute

    Actéon a vu Diane au bain sans le vouloir
    et ses chiens l’ont dévoré quand même

    pas de pardon pour la faute involontaire
    pas de pardon pour l’erreur… »


        D’autres fois, c’est son Art d’aimer qu’il incrimine, feignant de lui devoir son exil. Sans toutefois en comprendre les véritables raisons :

    « ce qui me déconcerte c’est que la punition
    vient très longtemps après la faute
    j’ai écrit
    L’Art d’aimer dans ma jeunesse
    et je le paie dans ma vieillesse
    tu me laissais défiler devant toi
    tranquille chevalier
    quand j’avais déjà écrit ce livre »


        Le désespoir d’Ovide est tel, face à l’angoisse de l’abandon qui est le sien, que le monde tourne à l’envers un moment dans son esprit :

    « les fleuves couleront vers leur source
    le soleil plongera vers l’Est
    les étoiles brilleront au sol
    et on labourera le ciel
    l’eau jaillira en flammes
    le feu crachera de l’eau
    les corps tomberont vers le haut
    tout sera au rebours des lois de la nature
    tout sera possible enfin
    puisque tu m’as trahi »


        Il est probable que, bien des siècles plus tard, au XVIIe siècle français, le poète baroque Théophile de Viau s’est souvenu de ce poème VIII de Tristes pour évoquer par sa vision hallucinatoire sa propre angoisse face aux incertitudes religieuses de son temps.

        Le temps arrive enfin où Ovide, par un revirement inattendu ou une provisoire résignation, cesse de vouloir plaider sa cause, renonce à quitter la Scythie, s’afflige d’avoir ennuyé ses lecteurs par des « prières identiques » et « des plaintes interminables et vaines ». « J’arrive à bout de mots », déclare-t-il dans la lettre VII destinée à ses amis. « Je vais donc écrire autre chose ». Et le poète de se repentir de l’attitude qui a été la sienne jusqu’alors :

    « je ne veux plus nager contre un courant si fort
    pardonnez les espoirs que j’avais mis en vous
    mes amis
    c’est une faute que je ne commettrai plus ».


        Au-delà des plaintes du poète, au-delà de son incurable douleur dans l’exil, ce qui se lit ici (à travers ces élégies et à travers la traduction fluide de Marie Darrieussecq), c’est la grande modernité d’Ovide. Celle d’un poète qui ne cesse de s’interroger sur son œuvre, passée et présente ; sur les conditions de son écriture, expliquant les raisons du retour incessant des motifs identiques :

    « ce retour continuel de la pensée
    n’importe qui peut le comprendre
    joyeux j’ai dit la joie et triste la tristesse
    mes mots sont imprégnés du temps où ils s’écrivent ».


        Ovide n’est pas de ceux qui « ont un amour aveugle / pour ce qu’ils ont écrit ». Il pose sur ses ouvrages un regard critique qui lui permet d’affirmer : « tout ce que j’ai écrit ne me plaît pas ». Poète conscient de lui-même et de son travail, il connaît également l’accablement qu’il a à corriger ses vers et le plaisir intense qu’il a à écrire :

    « l’œuvre s’alimente elle-même
    elle enfle et bouillonne et le cœur de l’auteur
    se gonfle d’enthousiasme
    on oublie la fatigue quand on est dans ce flux ».


        Enfin, Ovide saluant ― dans la lettre V à Maximus Cotta ― le talent de son élève, lui adresse cet éloge :

    « quand un écrit résiste à autant de lectures
    c’est qu’il tient par sa force et non sa nouveauté ».


        À la pertinence de cette remarque, il faut ajouter ces vers :

    « heureux ceux qui ont eu le bonheur de l’entendre (le discours de Cotta)
    en jouissant de ta voix autant que de tes mots »

        Et le poète d’exprimer son regret :

    « si je n’étais pas en exil
    s’il n’y avait pas eu cette faute
    ton œuvre c’est ta voix qui me l’aurait offerte ».


        De l’un à l’autre livre, des Pontiques aux Tristes et des Tristes aux Pontiques, dans une lecture en errance perpétuelle, je me suis laissé prendre aux mailles douloureuses de cette voix de l’intime qui revient me chercher aux revers du temps. Les élégies glissent sans anicroches, les vers diluent dans les fibres leur douce cantilène. Et dans le cœur une mélancolie que rien ne vient distraire et qui s’accorde bien avec les tonalités sombres de la mémoire de l’oubli.

        À Marie Darrieussecq, qui a « vécu dans la compagnie d’Ovide » et a frémi de laisser vivre son fantôme par-dessus son épaule, va toute mon admiration. Je la remercie pour avoir remis sur ma route ce grand livre qu’est ce « petit livre ». Le rouvrir avec elle, et le lire a cappella, voix contre voix, c’est en effet « participer à quelque chose qui, malgré tout, ne disparaît pas. Quelque chose qui fait que nous sommes debout sur la Terre, à tourner dans le vide, sous des étoiles qui restent inconnues. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Ovide, Tristes Pontiques, traduit par Marie Darrieussecq






    OVIDE



    ■ Ovide
    sur Terres de femmes

    Hermaphrodite (extrait des Métamorphoses. Traduit du latin par Marie Cosnay)
    Pretium vitae (extrait d’Amores)
    Héroïdes, Lettre de Didon à Énée
    Tristes Pontiques (extrait)






    Retour au répertoire du numéro de décembre 2008
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Ovide, Tristes Pontiques

    «  Poésie d’un jour  »



        Il y a deux mille ans, en décembre 8 de notre ère, le poète Ovide était banni par l’empereur Auguste.





    Eugène Delacroix, Ovide chez les Scythes, The National Gallery, London
    Eugène Delacroix (1798-1863),
    Ovide chez les Scythes, 1859
    Huile sur toile, 87,6 x 130,2 cm
    The National Gallery, London
    Source







                MOI JE NE SAIS QU’ÉCRIRE



                                     XI

    toutes ces lettres ont été écrites
    dans les tourments d’un long voyage
    une en particulier dans l’Adriatique
    où je tremblais de froid en plein mois de décembre
    une autre après avoir passé Corinthe à pied
    juste avant d’embarquer sur mon second bateau

    les Cyclades ont dû être étonnées
    de me voir faire des vers au milieu de la mer

    aujourd’hui c’est moi qui m’étonne
    que l’agitation de mon âme
    et l’agitation de la mer
    ne m’aient empêché d’écrire
    obsession ou délire
    c’était plus fort que moi
    écrire m’empêche de sombrer

    pourtant j’étais la proie des influences astrales
    ballotté en tous sens par les constellations
    Stérope à son zénith amoncelait les vagues
    les Chevreaux bondissants excitaient les nuées
    le Gardien de l’Ourse raccourcissait les jours
    et l’Auster affolait les Hyades

    les longues nuits n’étaient que pluie

    le navire embarquait dans une déferlante
    ma main tremblante écrivait toujours
    écrivait tout ce qui venait

    en ce moment les drisses sifflent au vent du Nord
    la houle se dresse en montagnes
    je vois le pilote en train de prier
    il lève les mains vers le ciel
    il en oublie de tenir la barre

    où que mes yeux se portent
    le vide
    le miroir de la mort

    je ne sais plus

    j’ai peur de la mort
    je l’appelle aussi
    je vais atteindre ce port
    Tomes
    et je suis terrorisé

    j’ai peur de la mer
    j’ai peur de la terre
    j’ai peur des hommes et des tempêtes
    le glaive et la vague me font doublement peur
    le glaive veut mon sang et la mer veut mon souffle
    à gauche est le rivage d’un pays de barbares
    occupés seulement de meurtre et de rapine
    de carnage et de guerre

    mon cœur est plus troublé que cette mer sauvage
    plus inquiet que la mer en hiver
    mon cœur est plus troublé que le cœur des barbares

    comprends-moi
    lecteur de bonne foi
    autrefois j’écrivais dans mon jardin romain
    mollement allongé sur des coussins de plume
    me voilà ballotté sur un abîme noir
    dans une brume perpétuelle
    mes tablettes sont constamment humides

    il semble que l’ouragan
    s’exaspère de me voir écrire
    il veut me faire céder sous la menace
    plus j’écris plus il rugit

    j’arrêterai d’écrire quand le vent cessera

    il ne sait que souffler
    moi je ne sais qu’écrire



    Ovide, Les Tristes in Tristes Pontiques, P.O.L Éditeur, 2008, pp. 60-61-62. Traduction de Marie Darrieussecq.





    MARIE DARRIEUSSECQ-OVIDE, Tristes Pontiques
    Image, G.AdC






    OVIDE



    ■ Ovide
    sur Terres de femmes

    Hermaphrodite (extrait des Métamorphoses. Traduit du latin par Marie Cosnay)
    Pretium vitae (extrait d’Amores)
    Héroïdes, Lettre de Didon à Énée
    Tristes Pontiques, traduit du latin par Marie Darrieussecq (note de lecture d’AP)






    Retour au répertoire du numéro de décembre 2008
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes