Étiquette : Paul Louis Rossi


  • 26 août 1995 | Paul Louis Rossi, Le Cahier rouge

    Éphéméride culturelle à rebours



    LE CAHIER ROUGE



    Samedi 26 août…


    Retour à Lipari, la plus grande des îles. Ce matin, nous sommes allés boire un café au comptoir, chez Subba, vers les six heures. Nous évoquions la mémoire de Sandro Pertini, exilé politique en 1928. Il y avait des nuages sur les collines, et plus tard le vent est venu brusquement du Nord-Ouest secouer les haubans et les drisses, comme s’il descendait en visite des montagnes vers la mer. C’était un vent profond, fort, calme et subtil. C’est la musique du vent. Il tourne autour des îles, et le matin vient chanter entre les mâtures. Il change de registre avec le temps. Le ciel restait sombre, on entendait la musique du vent. Chant profond.

    Puis nous sommes montés par les chemins jusqu’à la citadelle pour revoir le musée. La bouche des masques restait ouverte, devenue muette avec le jour, ayant interpellé les autres masques de la nuit, avec des rires et des questions. Ayant proféré des injures, des malédictions, des promesses de châtiments. Dionysos, le dieu du fracas, dieu du théâtre, était aussi celui qui introduisait ses fidèles dans l’au-delà. Les poteries et les masques de terre-cuite se déposaient dans les tombes.

    J’aurais voulu m’introduire la nuit dans le musée pour écouter la conversation des masques. Pour les observer en secret, espérant, je ne sais par quel miracle, que leurs visages, tout à coup, allaient s’animer. Qu’ils allaient vraiment se plaindre, Hécate et le jeune Hector, Œdipe et Jocaste, et le sévère roi de Thèbes, avec la bouche ouverte et le regard vide.

    Sur l’un des vases, je reconnus la silhouette des deux aigrettes garzettes que j’avais observées au mois de juin, au fond du golfe du Morbihan : petite mer, en face de l’îlot d’Er Lannic dans cette Bretagne que j’appelle l’Ouest surnaturel. Le soir, les deux aigrettes volaient lentement, comme des fantômes blancs, au-dessus des retenues d’eau. Comme les jeunes femmes qui soufflaient dans leurs miroirs, au fond du Musée de Lipari, qui brûlaient leurs ceintures sur l’autel d’Aphrodite, et qui se préparaient au voyage, avec leurs ailes blanches.



    Paul Louis Rossi, « X – Le Cahier rouge » in Visage des nuits, éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2005, pp. 185-186.





    Paul Louis Rossi  Visage des nuits





    PAUL LOUIS ROSSI


    Paul Louis Rossi
    Source





    ■ Paul Louis Rossi
    sur Terres de femmes

    Mémoire du temps (autre extrait de Visage des nuits)
    Le geste (extrait de L’Usure et le Temps)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Paul Louis Rossi





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  • Paul Louis Rossi | Le geste



    L’art et la dissociation. Jusqu’à la chirurgie.
    Ph., G.AdC






    LE GESTE



    Il faudrait tenter l’expérience d’inciser un texte banal. Et jauger sans préjugés la transformation de l’objet et le contenu final de l’expérience.


    Inventer un art de la segmentation. Un peu comme on taille les arbres en automne. Comme on pratique l’art de la greffe.


    J’ai inventé que Fra Angelico novice au couvent des Dominicains de Fiesole prenait conseil du jardinier ― frère convers ― pour la taille des branches et des boutures.


    Il distinguait les branches à fruits ― les branches gourmandes ― les branches de faux bois ― les branches chiffonnes.


    Et le nom des cires à greffer ― la poix de Sienne ― la poix noire ― la résine ― la cire jaune ― le suif de mouton.






    De cent membres et visages qu’a chaque chose, j’en prend un tanstost à lécher        
    seulement, tantost à effleurer, et par fois à pincer jusqu’à l’os.                                    

    Michel de Montaigne




    Si je choisis un fragment de texte ― dans Montaigne ― par exemple ― pourquoi prend-il un relief soudain qui change sa nature. C’est que le sens tourne sur lui-même autour de l’objet comme une toupie.


    L’art et la dissociation. Jusqu’à la chirurgie. Cependant la sensation qu’il faut savoir coudre. Trouver une méthode idéale de reconstitution.


    À la vérité le fragment nous introduit à l’angoisse de l’incomplétude et de la destruction.


    C’est pourquoi Fra Angelico s’intéressait à la colle avec du fromage ― colla di cacio ― que l’on ajoutait à la peinture. On fabriquait aussi une colle spéciale avec des museaux de chèvres, des tendons de moutons et des pieds de bouquetins.



    Paul-Louis Rossi, L’Usure et le Temps (Fragment) in Action Poétique 207-208-209-210, L’intégrale, Dernier numéro, 2012 , pp. 250-251.





    PAUL LOUIS ROSSI


    Paul Louis Rossi
    Source




    ■ Paul Louis Rossi
    sur Terres de femmes

    Mémoire du temps (extrait de Visage des nuits)
    26 août 1995 | Paul Louis Rossi, Le Cahier rouge (autre extrait de Visage des nuits)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Paul Louis Rossi





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