Étiquette : Peintures


  • Nicolas Grégoire | [tendre tendue]



    Bitc3







    [TENDRE TENDUE]




    tendre tendue, on pense à ces mots liés par Armand. Le peu d’espace entre. Image quartier sale revient, les restes  de  soi  qu’on traîne et colle. Avec son poids de mots (morts non loin de toujours s’écrire) simples dont on n’arrive plus à se défaire. Détenu d’être au bord, s’y jeter — on voit cet homme, tête frappe la route, s’écrase de vivre trop — seul avec des paroles douces pour ne pas






    ne pas, on se réduit. Table à fixer les coulures d’une tasse ou l’image floue de Bergounioux. Limite. Limite des mots et d’être,  de n’être là qu’à tenir vague sans certitude du bien-fondé de la chose.  Juste  ne pas trop grouiller avec. Voire ne plus



    ne plus.  Reprise  simple  pour  s’agripper  aux  bruits  des  jeux,   ce  pour  quoi  on ne tombe pas tout  à fait —  on lisse les mots,  encore  —    avec  la  crainte  de
    tout emporter
    tout s’écarte
    on bloque
    tait
    notre faiblesse
    l’incertitude pour laquelle
    on vit ?



    Nicolas Grégoire, « Même », S’effondrer sans, Æncrages & Co, Écri(peind)re, 2017, s.f. Peintures de Daphné Bitchatch.






    Nicolas Gregoire






    NICOLAS  GRÉGOIRE


    Gregoire
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site d’ Æncrages & Co)
    la fiche de l’éditeur sur S’effondrer sans
    → (sur Terre à ciel)
    Un ange à notre table ~ Extraits de Ses restes / en somme (Le Taillis Pré, 2011), suivis d’un court entretien avec Cécile Guivarch





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  • Emmanuel Merle | [Je me discerne davantage dans le miroir de la couleur]




    Lautre rive







    [JE ME DISCERNE DAVANTAGE DANS LE MIROIR DE LA COULEUR]




    Je me discerne davantage
    dans le miroir de la couleur,
    car la forme est un leurre.
    On sait que le lac est un œil
    sans pupille. Le noir
    est dessous.



    Noir c’est descendre
    dans les veines, et rouge
    c’est noir aussi. Ces deux-là,
    on dirait deux enfants
    qui s’appellent. Noir parfois
    est nom propre du passé.



    Les petits dieux de la terre,
    dieux simples mais denses.
    La pyrite dans la houille,
    quel orpailleur j’étais !
    Miroirs minuscules,
    reflets entiers de l’enfance.




    Emmanuel Merle, « IV. Dieux simples » in Les Mots du peintre, Éditions Encre et Lumière, Collection « L’autre rive », 2016, pp. 69-70-71. Peintures de Georges Badin.







    Emmanuel Merle, Les Mots du peintre







    EMMANUEL  MERLE


    Vignette Emmanuel Merle





    ■ Emmanuel Merle
    sur Terres de femmes


    Cet ancien lieu (poème extrait de Démembrements)
    Démembrements (lecture d’AP)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’AP)
    [Le rouge] (extrait de Dernières paroles de Perceval)
    Amère Indienne
    [Cape Cod]
    Le Chien de Goya (lecture d’AP)
    Ici en exil (lecture de Sylvie Fabre G.)
    ils attendent ce qui (extraits du Grand Rassemblement)
    Migrant (extrait d’Habiter l’arbre)
    [Ramper sur la glace](extrait de Nord, seul point cardinal)
    [Tout est matière, sauf ma décision] (extrait de Olan)
    Tourbe (lecture d’AP)
    [Il n’y a plus d’arbres] (extrait de Tourbe)
    [Une promesse, dis-tu]
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | [Jour de pluie ici aussi]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Emmanuel Merle





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Claudine Bertrand | [Langue de voyage]




    Place à l’impalpable
    Ph., G.AdC








    [LANGUE DE VOYAGE]





    Langue de voyage
    à travers la fenêtre
    envolée d’étoiles

    Les paysages défilent
    le dehors s’est retiré
    place à l’impalpable

    Dans un temple sacré
    gravir les échelons
    déesse de la mer

    Les nuages
    à la petite cuillère
    font frémir l’éternité



    Claudine Bertrand, Murmure de rizières, Éditions de la Lune bleue, 2014, s.f. Peintures de Eban.







    Claudine Bertrand, Murmure de rizières



    CLAUDINE BERTRAND


    Claudine Bertrand 2
    Source




    ■ Claudine Bertrand
    sur Terres de femmes


    [Tu t’évertues à amalgamer] (poème extrait d’Ailleurs en soi)
    [La poésie s’abreuve | à la cruche trouée] (poème extrait d’Émoi Afrique(s))
    [Sur fond marin] (poème extrait de Fleurs d’orage)
    Chaque seconde cède une joie nouvelle (poème extrait du Jardin des vertiges)
    [Écrire pour se parcourir] (poème extrait du Jardin des vertiges)
    [Mille serments sur l’oreiller] (poème extrait de Passion Afrique)
    Les passeurs de mots (poème extrait de Sous le ciel de Vézelay)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    La nomade
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Claudine Bertrand (+ un poème extrait du Corps en tête)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site L’île – L’infocentre littéraire des écrivains québécois)
    une notice bio-bibliographique
    le site des éditions de la Lune bleue





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Jacques Ancet | [Je cherche]


    [JE CHERCHE]




    Je cherche. La pluie, le vent m’accompagnent. J’ai oublié pourquoi je suis ici, au milieu de ce champ, les pieds dans la boue. J’ai oublié mes mains et mes yeux. J’ai oublié que j’ai oublié. Je suis là, simplement, dans l’humide et le froid. À regarder venir ce que je ne veux pas voir.



    Je m’accroche. Je m’agrippe à ce rien que je vois. Tache de lumière, vert du pré, genoux croisés — et cette heure de l’horloge que je n’arrive plus à lire. Entre-temps, tout a basculé. La tache de lumière, le vert du pré, les genoux l’heure ne sont plus les mêmes. Ni les yeux qui les fixent. Ni cette bouche qui articule mes mots. Ni ce je qui un instant les fait tenir ensemble.



    Je tourne les yeux vers ce que je ne vois pas. Ce que je vois m’accable. Trop d’images pour mon regard. Trop de mots pour mon silence. J’entends ce que je n’écoute pas. C’est là, tout près, comme un chuchotement. Une sorte d’eau qui coule. Quelque chose d’obscur, de tenace qui me souffle ce que je ne sais pas dire. La lumière revient. Elle ne m’éclaire pas.



    Je ne continue pas, je recommence. Il y a ce qui est là, qui n’y est plus, qui y est. Des visages mouvants, arrêtés. Il y a ce qui me porte et m’emporte, ce qui me lâche dans la stupeur. Et mon regard est tous les regards. Et tout est regard. Et tout me traverse. Et rien qui reste. Et tout qui revient.



    Jacques Ancet, L’Âge du fragment, chronique, Æncrages & Co, Collection Écri(peind)re, 2016. Reproductions de peintures de Jean Murat.






    Jacques Ancet, l'Age du fragment




    JACQUES ANCET


    Jacques Ancet
    Source




    ■ Jacques Ancet
    sur Terres de femmes


    [Le chant du même oiseau n’a pas cessé de me poursuivre] (extrait de Huit fois le jour)
    Dans l’indéfini (extrait de Chronique d’un égarement)
    L’égarement
    L’identité obscure (extrait du chant 9 de L’Identité obscure)
    Image et récit de l’arbre et des saisons (lecture d’AP)
    Je reviens
    [On dit quelqu’un] (extrait des Travaux de l’infime)
    On voit toujours (extrait de Puesto que él es este silencio)
    Oublier l’heure (extrait de Chronique d’un égarement)
    L’âge du fragment (extrait de La Vie, malgré)
    [Mais c’est parce qu’il est tard] (extrait de Voir venir Laisser dire)
    14 juillet | Jacques Ancet, Comme si de rien
    10 décembre 2001 | Jacques Ancet, Un morceau de lumière
    4 novembre 2012 | Jacques Ancet [Sous le bruissement du sang, tweet]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Æncrages & Co)
    la fiche de l’éditeur sur L’Âge du fragment de Jacques Ancet
    → (sur Esprits Nomades)
    une page Jacques Ancet
    Lumière des jours, le blog de Jacques Ancet





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Pierre Dhainaut | [Dès le seuil remercie]



    [DÈS LE SEUIL REMERCIE]



    Dès le seuil remercie :
    après ton départ
    la glycine
    refleurira,
    même en octobre.


    Si tu as peur,
    ne pense plus qu’aux arbres,
    ne retiens pas
    les souffles, les rameaux
    sont allègres.


    Aide-toi en marchant
    du mot « neige »,
    il est discret,
    légère
    son empreinte.


    Ou du mot « samare »,
    clairvoyantes
    les lèvres
    qui le disséminent,
    les chemins pluriels.



    Pierre Dhainaut, « L’approche autrement dite » in Voix entre voix, L’herbe qui tremble, 2015, pp. 47-48. Peintures d’Anne Slacik.







    Pierre Dhainaut, Voix entre voix






    PIERRE DHAINAUT


    Pierre dhainaut profil 3




    ■ Pierre Dhainaut
    sur Terres de femmes

    Après (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Voir de face (poème extrait d’Après)
    Ici (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Que respirent avant tout les mots] (poème extrait d’Ici)
    Voix entre voix (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Ce qu’est devenue la couleur] (poème extrait de Progrès d’une éclaircie)
    Horizons, fontanelles… (poème extrait de Vocation de l’esquisse)
    [Nous étions seuls, de trop, dans nos miroirs] (poème extrait de De jour comme de nuit)
    [Ne nous en prenons pas à l’invisible] (poème extrait d’État présent du peut-être)
    [Sortir sous l’averse] (poème extrait d’Et même le versant nord)
    [Orage, tempête, séisme] (poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
    Pour voix et flûte (lecture de Sabine Dewulf)
    D’abord et toujours, 4 (poème extrait de Pour voix et flûte)
    [Où que tu ailles] (poème extrait de Rudiments de lumière)
    Passerelles
    Printemps dédié (poème extrait de L’Autre Nom du vent)
    Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Soudain la tête se redresse] (autre poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
    Rituel d’adoration (poème extrait de Transferts de souffles)
    Vocation de l’esquisse (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino, Paysage de genèse, 10
    Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino | [Laissons les mots sourdre d’eux-mêmes] (autre extrait de Paysage de genèse)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque | L’origine de l’écriture | [Si léger… tu cours] (extraits de La Grande Année)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque, La Grande Année (lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    une page consacrée à Pierre Dhainaut





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Claude Louis-Combet | [Il y avait la main]




    [IL Y AVAIT LA MAIN]




    Il y avait la main et il y avait la main
    Il y avait la face et il y avait la face
    Et l’océan entre les bords
    Ou encore cette torture des volumes qui voudraient se rejoindre en forme de Croix et n’y parviennent pas, en sorte que la seule image qui tienne encore est celle du désir en son vis-à-vis de silence





    L’œuvre de l’homme n’apporte aucun message
    car il est seul et ne sait rien
    Mais l’expression est à son comble, chaque fois
    Comme la hache dans le flanc
    Et celui qui n’a pas l’heur de s’arrêter, ce qu’il poursuit n’a pas de cesse
    Il traque le passage, entre oubli et ignorance
    Tantôt d’une part de la faille, tantôt de l’autre
    Il s’accompagne sans se rejoindre





    L’un toujours à distance et le deux sans appel
    À rôder dans le silence des pensées
    L’un et le deux, le même et l’autre
    Nés de faille et promis à faillite
    La porte bat de l’aile au-dessus du vide
    Nommera-t-on maison ce qui s’affronte et se dénie ?
    Ou enfant ce qui détale dès que le jour paraît ? –
    Rendez-nous la ténèbre car la lumière nous blesse



    Claude Louis-Combet, Dichotomies in Dichotomies suivi de Aube crucifère, Æncrages & Co, Collection Voix-de-Chants, 2015, s. f. Reproductions en sérigraphie de peintures de Jean-Claude Terrier.






    Dichotomies 2






    CLAUDE LOUIS-COMBET


    Claude_louiscombet_par_ric_toulot_3
    Eric Toulot, Portrait de Claude Louis-Combet
    Source






    ■ Claude Louis-Combet
    sur Terres de femmes

    Bethsabée à jamais
    Celle par qui la ténèbre arrive (note de lecture d’AP)
    Depuis le temps que la chair s’épure
    Hiérophanie du sexe de la femme
    Isula, insula
    « J’écris du désir comme du désert »
    Mala Lucina
    Noyau central
    Le Nu au transept (note de lecture d’AP)
    Radeau de la première femme, III (extrait de Dérives)
    Résurgences
    Suzanne et les Croûtons (note de lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site Æncrages & Co)
    la page de l’éditeur sur Dichotomies



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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • La poétique des failles chez Muriel Stuckel

    par Isabelle Raviolo

    Chroniques de femmes – EDITO

    Lecture d’Isabelle Raviolo


    Muriel Stuckel, Eurydice désormais (ED),
    éditions Voix d’encre, 2011. Œuvres de Pierre-Marie Brisson.

    Muriel Stuckel, L’Insoupçonnée ou presque (IP),
    éditions Voix d’encre, 2013. Peintures de Laurent Reynès.
    Préface de Bernard Noël.




    Muriel Stuckel, Eurydice désormaisMuriel Stuckel, L'Insoupçonnée ou presque, Voix d'encre, 2013.








    LE POÈME AU BORD DE LUI-MÊME

    La poétique des failles chez Muriel Stuckel



    Les deux recueils de Muriel Stuckel ont ceci d’étonnant qu’ils révèlent un chant singulier : la voix du poète semble toujours prête à s’y briser, comme si elle ne tenait qu’à un fil. Son timbre fragile, tremblant, loin de signifier une « soumission » aux phénomènes, est plutôt l’expression d’une attitude poétique où le chant précaire s’allie à une conscience aiguë du « seuil » à ne pas franchir [« À l’instant du frémissement / Nos voix se suspendent » (ED, p. 54)] si bien que le poète est cette « outrepassante aux oiseaux volatilisés » (IP, p. 67). Car, dans cette poésie, « Seules les limites du silence / Lentement se savourent » (ED, p. 54) ; rien n’est saisi, capturé, possédé, mais, toujours, Muriel Stuckel a le souci du détachement qui rend possible l’écoute intérieure des « riens », des « instants », des « vibrations » du monde. C’est l’élan qui donne la mesure — et cet élan fait vibrer les deux recueils comme une onde sismique dont l’ivresse traverse le lecteur attentif, comme jadis Eurydice, sous la conduite d’Orphée, ébauchait une « danse légère / Hors des ténèbres abyssales. » (IP, p. 102) ; « Danse de vie danse de mort / Chorégraphie puissante // Pour secouer la mémoire de l’œil » (IP, p. 107). Le poète se tient ainsi sur « une ligne de faille » (IP, p. 16) qui « creuse le désir d’infini » (IP, id.) et laisse la parole blessée.





    La parole blessée ou le cri sacrifié


    Cette blessure qui signe son essentielle finitude, est aussi sa « grâce » poétique. Car sur ce relief abrupt, la voix de Muriel Stuckel se risque à la vulnérabilité, ose en quelque sorte la nudité [« Tout juste l’ombre de nos lèvres / Pour exalter la source du désir », IP, p. 90]. La parole dépouillée d’elle-même, se fait blessure ouverte, « faille », qui laisse venir à elle les choses du monde comme autant de « merveilles voilées », « Leurs éclats silencieux / Tout près de mes mots » (ED, p. 72). Ici, tout se passe à la surface des grandes profondeurs. Les phénomènes ne se manifestent pas pleinement, comme en transparence, mais ils ne se donnent à nous que pour autant qu’ils se retirent. Leur lumière n’apparaît que sur un fond obscur qui les maintient dans le retrait et creuse notre regard : « À peine si t’anime / Le désir de la durée », nous confie Muriel Stuckel dans un magnifique poème (IP, p. 98), « Seul le jaillissement / Se rêve profondeur / De l’instant perpétuel » (IP, id.).

    Certes le goût de l’absolu est éprouvé, mais il « n’est qu’une intuition » (IP, p. 47). Et l’intuition n’est pas un savoir, un objet de connaissance, mais la saisie immédiate, sensible d’une réalité qui nous échappe. On comprend alors pourquoi c’est « aux confins du silence » que « la poésie palpite » (IP, p. 84), et que le temps « se renverse », laissant « les vagues de ta voix / Sur le sable rauque / De l’immensité heurtée » (IP, p. 67).

    Aussi quelque chose se donne-t-il ici comme un « rien » que l’on n’aurait jamais soupçonné tant il semble venir de plus loin que nous-mêmes. C’est ce « rien » qui, selon nous, forme la ligne de faille « où le corps se fait poème » (IP, p. 15) si bien que l’on pourrait presque dire qu’il s’agit là d’une attitude orante tant le poète se fait tout entière « patiente des mots » insoupçonnés, attentive au « temps d’une musique / Déchirante d’absolu » (IP, p. 102). Le corps orant du poème a conscience d’un seuil à ne pas franchir ; il se tient « à la limite » ou « sur la faille » comme si son être même tenait à sa condition fragile, précaire — comme si sa béance se faisait matricielle [« À l’ombre du silence / Endeuillé / Le murmure bleu / De ma renaissance. » (ED, p. 77)]. C’est ce corps que le poète nous livre comme une voix de fin silence, ce corps qui naît « en ce lieu d’initiale vibration », ce corps enfin qui, en sa précarité même, « cherche le soleil » [« Langue de chair humide glissante / Les mots sont ton destin / Ton humaine fatalité » (IP, p. 97)], car « Le poème est au fort quand il est au bord de lui-même » (IP, l’épigraphe de P. Celan, p. 71).

    Une blessure ontologique traverse cette poésie ; elle est sa condition de possibilité même : en ce creux, en cette faille, a lieu la naissance du poème comme une naissance à soi-même (« L’art est peut-être un chemin vers soi-même » disait Maurice Blanchot cité par Muriel Stuckel dans IP, p. 85). Cette naissance traverse l’œuvre poétique de Muriel Stuckel comme une ligne verticale, la corde d’une lyre qui est la colonne d’air du corps, du poème même : « L’instant de notre lyre / Reconstellée / Orphée » (ED, p. 75). « La page est un lieu qui déborde la page mais que le poème centre autour de sa verticale » (Bernard Noël, préface de L’Insoupçonnée ou presque, p. 3) – une verticale qui se dresse, selon nous, comme un grand « oui » à la vie, aux phénomènes du monde dans leur énigmatique présence entre les blancs et les noirs du poème. Celle-ci vient habiter la page, l’ensemencer presque. Les superbes peintures de Laurent Reynès nous en font sentir la vibration subtile, comme si la matière y faisait transparaître les « frissons de blancheur » qui habitent les suites de poèmes. Un éclat surgit de la nuit même : un quelque chose, un rai de lumière discret naissant de la ténèbre — un infime qui compte infiniment, un presque rien qui est le plus important. Précaire, le souffle du poète, comme les traits de pinceau, expriment l’« obscure ivresse » d’un « babil secret » (IP, p. 72) comme si se jouait ici une sorte d’alchimie, une œuvre au noir. Ainsi, comme le dit Bernard Noël, « la lumière a toujours sa doublure d’ombre comme le sens sa doublure sonore. Cette dualité introduit dans la matière verbale un tremblement qui fait vibrer le halo où se tient la beauté » (IP, préface, p. 3). Le rythme porte alors une vision charnelle, aux abords de l’insoupçonné :


    « Vestige de soie

    À la lisière des mots

    Le temps se plisse

    Jusqu’à silence fendre

    Sous nos pas de neige »

    (IP, p. 71).


    Les mots sont autant de traces pulpeuses du souffle des origines chez Muriel Stuckel, ils sont autant de « vestiges d’un adagio de Malher » (IP, p. 36), éclats d’infini aux confins de l’éphémère :


    « Au bord du temps

    L’instant me fait signe »

    (ED, p. 58).


    Ainsi, la poésie de Muriel prend le risque de la nudité. Sa précarité lui assigne le lieu du silence comme ce « fond » des mystiques rhénans où naît le Verbe lui-même :


    « Bouche dans la nuit

    Je suis le silence

    L’éclat

    Sous mille paupières

    Je suis l’offrande »

    (ED, p. 118).


    Et c’est bien cette « voix des confins » dont le peintre Pierre-Marie Brisson se fait merveilleusement l’écho dans Eurydice désormais, cette voix qui vibre « outre-gorge » et nous livre un « silence infime » (ED, p. 128). « Voix d’ombre / voix de neige » (IP, p. 113), son murmure transcende « notre cri sacrifié ».





    Dans l’éclat du silence : l’éclaircie tremblante du poème


    Chez Muriel Stuckel, la poésie prend racine au bord d’elle-même : « aux limites de la brûlure », elle s’avance « drapée de poussière » (IP, p. 121) ; elle « accuse la fêlure du gouffre » (ED, p. 22) ; mais toujours elle reprend l’impulsion, s’élève jusqu’à l’ivresse :


    « Sous les cils de la mémoire

    Je l’ai vue s’arracher

    Aux torsions de l’obscur

    De son linceul originel »

    (IP, p. 120).


    Cette poésie « au bord d’elle-même », cette poésie précaire, se tient « tout autour de l’énigme » ; elle nous livre le tragique de l’existence sans s’y résigner :


    « Accéder à l’insigne poésie

    Plus vraie que Babel

    Et son mythe démasqué »

    (IP, p. 121).


    Elle dit alors ce peu qui lui est consenti comme ce tant qui déjà frémit en elle, prêt à éclore :


    « Inscrire un pas de mot

    Dans l’éclat du silence

    Pour tracer enfin

    La jouissance du passage »

    (ED, p. 52).


    Tel est peut-être le paradoxe ultime auquel Muriel Stuckel nous confronte : l’épreuve du silence consubstantiel à celui du poème. De la vie même :


    « Sous le souffle virginal

    Du désir renouvelé

    Genèse imperceptible

    Juste avant l’éclat primordial »

    (IP, p. 134).


    En osant se heurter au silence, au vide, au rien, mais aussi à la matière rude et aride, en habitant cette « chair du temps qui danse », le poète fait l’expérience de la joie : elle court le risque de rejoindre « l’orée du désert / où frémit le désir de l’oasis » : la grâce dans la pesanteur où se dessine la violente patience du cri comme l’acte même de la naissance. Naissance du poème dans l’abîme, dans le fond :


    « En ce sanctuaire d’Osiris

    Redoutable maître des morts

    Les ténèbres se font vitales

    Le soleil bleu de nuit

    Peut y reprendre souffle »

    (IP, p. 134).


    Dans ce paradoxe s’exprime la joie comme cet instant de grâce, de transparence en la pesanteur même des choses – des riens qui sont autant d’éclats de lumière, de poésie :


    « En l’acte de créer

    Qui fut le tien

    La vie majuscule

    L’intensité du feu

    En l’acte de nommer

    Qui fut le tien

    La nudité de tes mains

    Plus véhémentes

    Que ta voix d’ange »

    (IP, p. 60).


    Le poète chante ici un chant précaire : enraciné dans une incarnation imparfaite, fragile, incertaine, ce chant ne devient possible que dans l’exigence d’une tenue intérieure, d’une attitude qui est celle de la nudité vigile, de la conscience du seuil. Pauvreté qui veille sans rien demander, mais qui dans ce « rien » se fait aussi tout entière prière, question, et question demeurée sans réponse :


    « Les failles de la phrase

    Ne rehaussent-elles pas

    Le sens volatile des mots

    Dès que s’imprime notre feuille de chair ? »

    (IP, p. 19).


    Aussi le poème sort-il de lui par la question : il s’excède lui-même, outrepassant le seul plan de sa forme, tendant au dehors de ses mots, il fait retentir en eux la musique née du silence intérieur, de la lumière sans peau, celle où « le nénuphar blanc diffuse ses mots de l’aube » (IP, p. 134). Ici, se dessine toute l’exigence de l’écriture poétique de Muriel Stuckel, l’exigence de la faille, des « yeux du silence » (IP, p. 19), de « ce tant d’éphémère » (ED, p. 76) ; exigence même du poète précaire. Car le silence n’est-il pas, chez Muriel Stuckel, le « lieu du vertige inaugural » (IP, p. 18) ? L’œil du poète avoue sa nescience : il ne saisit pas quelque chose, mais « rien », un « bel inaperçu » (IP, p. 21) dans les replis du livre. Alors le ciel se renverse dans l’ombre dépliée de la paupière. C’est dans l’aveu même de cette nescience que se joue toute la musique précaire de L’Insoupçonnée ou presque. Musique qui naît de la perte surmontée, musique précaire en ses silences mêmes comme nous le dit ce très beau poème dédié à Béatrice Douvre (IP, pp. 59-61) :


    « Ta parole précaire

    Ton âme incandescente

    Dans ce peu de nuit

    Pour capturer tes nuages

    L’effroi de l’enfance

    […]

    Lieu de neige écarlate

    Ta page de poésie

    Tu y souffles feu et cendres

    De ta souffrance nue »


    C’est dans la mesure où la prière d’enfance est désormais impriable, où les dieux se sont retirés, que la nostalgie du poème s’ouvre en question, celle même de « l’outrepassante » qui ne sait pas ce qu’elle cherche — double du poète « assoiffée de confins » (IP, p. 114) :


    « Braises murmurantes,

    Tes paroles défilent

    Sur l’autel implacable

    Du néant qui crépite

    Pour mettre à feu notre mémoire

    Là-bas de l’autre côté

    Ta voix de nuit devenue »


    Voix de nuit, prière impriable, elle exprime la précarité même du chant. Ainsi :


    « dans les plis de la pivoine

    La mémoire d’un ciel furtif

    Tout à coup s’élève le babil

    D’une marge pulvérisée

    Dans les plis de la pivoine

    L’évidence de ton désir

    Suppliant l’été proche

    De toutes ses pupilles »

    (IP, p. 119).


    Le poète développe ainsi « une architecture écorchée par les griffes du soleil » (IP, p. 32), une poétique des failles où elle s’engage humblement mais constamment sur la corde raide.





    Une poétique des failles


    Au cœur de l’effort patient qui ouvre la pesanteur, dans le mystère de la vie déhiscente, dans la chambre obscure et lumineuse du poème précaire, soif née de la soif elle-même, désir demeuré désir, le poème prend naissance :


    « Quelques reflets poudrés

    Du soleil de sang

    Qui se gorge de mots

    Pour nous embraser l’âme »

    (IP, p. 133).


    Dès lors, il apparaît comme l’autre de l’âme, le lieu où le temps se défait en nous :


    « Rien sinon le bref passage

    Des eaux sérénissimes

    Rien sinon la promesse

    D’un jardin de cloître

    Gravé d’ombres et d’éclats

    Suspendu entre l’origine

    Et l’accomplissement

    Le silence y préserve

    Les parfums du crépuscule »

    (IP, p. 48).


    comme si l’écoute attentive du poète était requise ici pour que du silence, le chant vivant, incarné, puisse éclore en sa précarité :


    « Groseilles d’ivresse

    Nos paroles épanouies »

    (IP, p. 49).


    Œuvre au noir, L’Insoupçonnée ou presque nous fait entendre le chant précaire des profondeurs, un chant du paradoxe — paradoxe d’une force tenant à la faiblesse, d’une grandeur tenant à la petitesse — paradoxe de la « vérité noire » comme cette vérité du précaire lui-même. Cette vérité qui fut celle même d’Orphée :


    « Refuse-toi la volupté du regard

    Préserve notre silence écartelé

    Sous la voile blanche

    Venue toute me draper »

    (ED, p. 84).


    Muriel Stuckel ne cesse en effet de ranimer son espérance à cette idée qu’au plus démuni, au plus pauvre, au plus fragile sera donné le plus nécessaire, « la splendeur même de l’interstice » où git la quintessence de cette poétique des failles :


    « De toi à moi

    La suspension vitale du regard

    Orphée ne te retourne pas

    Aime-moi sans impatience »

    (ED, p. 87).


    L’exigence du poème tient à sa précarité, et celle-ci rend possible l’amour, la tendresse des âmes et des corps dans ces anneaux du paysage qui réunissent les voix humaines qui se cristallisent : « À l’ombre de la prophétie […] Tout seuil sera lumière » (ED, p. 89). La poésie de Muriel Stuckel est donc ce qui tient de l’impriable. Elle est ce questionnement adressé à l’immanence même de l’existence, dans ses souffrances où se fait promesse de fécondité :


    « Dans la nudité de ma voix

    Je m’avance

    Au plus près

    Entre l’émoi de ton visage

    Et la saveur de tes mots »

    (ED, p. 94).


    Le poème n’appelle aucune transcendance, mais se tient sur la faille, sans réponse comme l’âme est seule ; tout à la fois risible et tragique, il est incertain de soi, vulnérable, démuni de puissance, et c’est en cette pauvreté essentielle qu’il exprime toute sa beauté :


    « Silence de l’écume première

    Spirale voluptueuse

    Mémoire de tes yeux

    Qui ont su refuser

    Orphée

    La tentation du regard »

    (ED, p. 97).


    Ainsi, la poétique des failles chez Muriel Stuckel est bien celle qui refuse « la tentation du regard » pour se faire conscience du seuil, cet œil qui, détaché de toute volonté captatrice, se fait pure écoute aux confins du silence. Sa beauté naît de sa précarité même, de sa fulgurance comme la percée d’une lumière incréée dans l’obscurité de l’existence, à l’heure même où « tout devient regard » :


    « L’éclat de lumière

    Serti de nuages »

    […]

    « Voûte stellaire

    Si toute précaire

    Tu m’ensoleilles »

    (ED, pp. 96-98).


    Une voûte qui est la métaphore même du poème précaire, mélancolie solaire qui livre au poème la quintessence de la création, de la lumière, de la vie, ce «  jouir à l’excès » dont Muriel Stuckel parle dans Eurydice désormais :


    « Jouir à l’excès

    De la saveur de nos rires

    […]

    Quand l’aube crépite

    Sous nos pas libéré »

    (ED, p. 99).


    Comme le rire, la beauté nous échappe, c’est une « Trace de l’éphémère / Dans le ciel de mai » (ED, p. 100). Elle est belle de cela même qu’elle se retire et ne se laisse nommer par aucun attribut de langue humaine. Elle demeure elle-même tout entière « Eurydice » dans sa nudité, comme cette fleur qui reste invisible au regard inattentif, absent ou vide.

    Dans la poésie de Muriel Stuckel, la beauté du poème est le fruit d’un long abandon qui est paradoxalement le suprême travail, la vocation du poète qui se délivrant de lui-même, du souci de lui-même et du monde, le retrouve « mûri », dans la lumière intérieure, dans cette offrande du poème qui le précède et l’accomplit sans que le poète puisse s’arroger aucun droit sur lui tant celui-ci n’est que le chantre d’une musique qui le dépasse infiniment : cette musique mystique des failles où « la parole se fait vertige » (ED, p. 105) ; où les « voix retrouvent […] le goût du murmure » (ED, p. 107). Car le bonheur n’est jamais dit en pleine lumière ou en pleine parole, mais demeure « La voix du poème / Dans la transparence / Du souffle repris » (ED, p. 106). Procédant de l’impriable, cette poétique des failles est une espèce de « prière » qui excède toute prière comme demande, qui a la couleur bleue du ciel — prière mystique qui prie de ne plus prier, et qui trouve dans le vide la plénitude même de son être :


    « Tout s’élève

    Se soulève

    Et notre lumière d’âme

    À l’approche du bleu

    De ce bleu si bleu

    Qu’il finira peu à peu

    Par nous brûler les yeux »

    (ED, p. 108).


    Au bord de lui-même, le poème troue le temps « de blancs vertigineux » (IP, p. 83), réalise une « Improvisation majestueuse / À l’épreuve de notre silence » (ED, p. 110). Il semble faillir, défaillir, craquer de toute part, pareil à cette voix qui se brise. En cette poétique des failles, on comprend donc que le poème semble s’excéder, et trouver en cet excès même, sa liberté : commencement de sa musique, maturité d’un silence nu, patience précaire d’un œil qui « s’accroche / D’outre-bleu ébloui » (IP, p. 32).





    Muriel Stuckel compose son recueil comme une partition de musique où nous pouvons lire les indices d’une poétique des failles, d’une parole précaire : un chant repris par le silence, des vers retenus dans le soupir de leurs contradictions, conforme à l’exigence de la création —  une beauté lyrique qui se risque à l’impossibilité même de la prière, à la vie tremblante du poème, « quand l’infini se fait si proche » (ED, p. 115).

    « Soudain, tout devient inouï : la manière de concevoir la succession des vers, de mettre leur sens dans la dépendance des syllabes, d’accélérer la pensée. » (Bernard Noël, préface de L’insoupçonnée ou presque, p. 3). Le poète retrouve le rythme, la mesure métrique qui répond à la mesure du monde, où elle livre, avec une naïveté qui est la transparence de l’âme, des prières simples et nues où les conditionnels vibrent d’un désir infini comme un feu secret entretenu avec amour et vigilance :


    « Charmeur d’étincelles

    Notre babil retrouvé

    Harmonie du vent

    De la lumière de la pluie

    Sous la poussière du soleil

    Nos corps se confondent

    Babil ébloui

    Notre chant rejailli

    Orphée »

    (ED, p. 116).


    Au-dedans de l’écriture même, et non sans paradoxe, le poète cherche alors à sentir l’appel d’un dehors où se reforme la dimension d’expérience et de vérité qui manquent aux langues, quand elles s’enchantent de soi. Quand décline l’ardeur insinuée entre la roche et le cri trop léger de l’été, les yeux de l’enfant se déplient et « Tige vacillante / La lumière se diffuse // Pour illuminer la terre / Déchirer le jour de la nuit » (IP, p. 127). Ici les événements deviennent présents, immanents, transposés dans les mots qui nous permettent de les intérioriser. Seuls ces mots peuvent permettre aux choses de se faire un lieu – et de s’unir en nous :


    « Traces de chevreuil

    Sur la neige du soir

    Tu frôles mon sourire

    De tes yeux inespérés

    Jusqu’à l’imminence

    Qui prend notre mesure »

    (IP, p. 76).


    Ce mouvement d’intériorisation ne suffit pourtant pas. Pour que la présence advienne, il faut encore que la vie rejaillisse de l’acte qui a été intériorisé, renaissant d’un acte qui est indistinctement celui de parler et celui de vivre. Et c’est dans cet acte qui est le commencement éternel du poème précaire que « le monde s’ouvre / À la volupté du vent » (IP, p. 77). Ce vent est le souffle de la vie venant féconder l’antre obscur, la terre intérieure, pour y faire naître le verbe, la parole poétique : présence énigmatique qui se reçoit lors même qu’elle se retire à toute capture, elle est la semence de toute germination, de toute floraison. La terre elle-même semble alors pouvoir accéder à une sorte de pouvoir de régénérescence :


    « Murmure échappé

    Cette danse d’éclats

    Au bord du baiser

    Ce souffle lumineux

    Ce rêve de grand ciel »

    (IP, p. 79).


    Poète qui aborde sa tâche dans l’énergie de la faille qui incise et creuse, Muriel Stuckel pressent que la joie couve dans le sein du silence : « Sous le fracas des mots / L’élégie du silence » (IP, p. 74). C’est en ce silence vivant et vécu que les mots respirent, que la parole précaire se fait feu fécond, « éclaircie tremblante » (IP, p. 89). Il revient alors au poète de veiller à ce que le feu ne meure pas, à ce que la flamme du désir ne s’éteigne pas : attention extrême à l’instant que se joue toute la tenue de cette poétique des failles. Aussi la tâche du poète se dessine-t-elle en ce foyer de l’attention et de l’inquiétude. Attention au feu, inquiétude d’un désir vigile de la flamme tremblante, celle de l’écriture qui s’éveille sur la corde raide, dans le clair-obscur d’une existence :


    « Splendeur de l’eau vive

    Sous le soleil de midi

    Tu traverses notre chair

    Renouvelée

    Elle retrouve le goût

    De l’écorce de la sève

    Du feuillage du fruit

    Des larmes nuptiales

    Où puiser étincelantes

    Nos parcelles d’éternité »

    (ED, p. 121).


    À la fois testament et acte de naissance, ces deux recueils de Muriel Stuckel témoignent d’un incessant passage, d’une naissance continuelle aux profondeurs de soi, dans ce fond où l’on trouve l’équilibre fragile du danseur. Car cette naissance passe par une mort — mort aux images, aux représentations, aux illusions : autant de morts autant de vies, car c’est dans ce creuset du détachement que s’énonce l’éclat de l’infini comme ce « prestige de l’éphémère » (ED, p. 122). La lumière ne s’obtient pas sans le passage par l’ombre : elle naît de la traversée même de l’obscur – « frêle ébauche de transparence » (IP, p. 128), «  aube qui balbutie » (IP, id.), la voix du poète est comme saisie par les contraires asymétriques jusqu’au soulèvement suprême, « Promesse du flamboiement // Sous la foudre de l’infini » (IP, ibid.). Symphonie du clair-obscur, parole précaire, la poétique des failles maintient le poème au bord de lui-même, le chant à hauteur d’homme. Là « s’élève le babil / D’une marge pulvérisée » (IP, p. 119).


    Isabelle Raviolo
    pour Terres de femmes
    Milly-La-Forêt (Essonne), août 2014
    D.R. Texte Isabelle Raviolo






    MURIEL STUCKEL


    Muriel Stuckel 3




    ■ Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Dans la césure de tes poèmes (extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    [Ce n’est pas tant] (extrait d’Eurydice désormais)
    [Demeure précaire] (autre extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    Le risque de la poésie (extrait d’Eurydice désormais)
    [Sous le pas d’une ombre vive] (autre extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    [Sous la courbe de la phrase] (extrait de Du ciel sur la paume)
    [Trop vif le soleil] (extrait de Petite Suite Rhénane | Kleine Rhein-Suite)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    La poésie échappée



    ■ Notes de lecture de Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Jacques Estager, Douceur
    Gunvor Hofmo, Tout de la nuit est sans nom
    Stéphane Sangral, Circonvolutions





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  • Muriel Stuckel | [Demeure précaire]



    Toi l’absolu du verbe Qui nous épies en silence Tout au bout de la ligne
    Ph., G.AdC







    [DEMEURE PRÉCAIRE]




    Demeure précaire
    Toi qui infuses
    L’ivresse de l’élan


    À peine si t’anime
    Le désir de la durée


    Seul le jaillissement
    Se rêve profondeur
    De l’instant perpétuel


    Demeure poésie
    Toi l’absolu du verbe


    Qui nous épies en silence
    Tout au bout de la ligne


    L’élan y sera notre mesure




    Muriel Stuckel, L’Insoupçonnée ou presque, éditions Voix d’Encre, 2013, page 98. Peintures Laurent Reynès. Préface Bernard Noël.







    Muriel Stuckel, L'Insoupçonnée ou presque, Voix d'encre, 2013.






    MURIEL STUCKEL


    Muriel Stuckel 3




    ■ Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Dans la césure de tes poèmes (extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    La poétique des failles chez Muriel Stuckel (Chronique d’Isabelle Raviolo)
    [Sous le pas d’une ombre vive] (autre extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    [Ce n’est pas tant] (extrait d’Eurydice désormais)
    Le risque de la poésie (extrait d’Eurydice désormais)
    [Sous la courbe de la phrase] (extrait de Du ciel sur la paume)
    [Trop vif le soleil] (extrait de Petite Suite Rhénane | Kleine Rhein-Suite)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    La poésie échappée



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Voix d’encre)
    la fiche de l’éditeur sur L’Insoupçonnée ou presque



    ■ Notes de lecture de Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Jacques Estager, Douceur
    Gunvor Hofmo, Tout de la nuit est sans nom
    Stéphane Sangral, Circonvolutions





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