Étiquette : Philippe Jaccottet


  • Philippe Jaccottet | [Les larmes quelquefois montent aux yeux]


    [LES LARMES QUELQUEFOIS MONTENT AUX YEUX]




    Les larmes quelquefois montent aux yeux
    comme d’une source,
    elles sont de la brume sur des lacs,
    un trouble du jour intérieur,
    une eau que la peine a salée.

    La seule grâce à demander aux dieux lointains,
    aux dieux muets, aveugles, détournés,
    à ces fuyards,
    ne serait-elle pas que toute larme répandue
    sur le visage proche
    dans l’invisible terre fît germer
    un blé inépuisable ?





    Philippe Jaccottet, À la lumière d’hiver, éditions Gallimard, Collection Blanche, 1977, in Œuvres, Bibliothèque de la Pléiade, éditions Gallimard, 2014, page 579. Édition établie par José-Flore Tappy, avec Hervé Ferrage, Doris Jakubec et Jean-Marc Sourdillon. Préface de Fabio Pusterla.







    Jaccottet Pléiade




    PHILIPPE JACCOTTET


    Jaccottet Poncet
    Ph. © F. Poncet
    Source






    ■ Philippe Jaccottet
    sur Terres de femmes


    Accepter ne se peut (poème extrait d’Airs)
    Tout à la fin de la nuit (autre poème extrait d’Airs)
    [Toute fleur n’est que de la nuit] (autre poème extrait d’Airs)
    (Tombeau du poète)[The poet’s tomb] (poème extrait de Cahier de verdure)
    [Considérez le ciel solaire] (poème extrait du Dernier Livre de Madrigaux)
    1er janvier 1950 | Philippe Jaccottet, Agrigente (poème extrait de L’Effraie et autres poésies)
    [Sois tranquille, cela viendra !] (autre poème extrait de L’Effraie et autres poésies)
    [Encore des fleurs ? | Flowers again ?] (poème extrait d’Et, néanmoins)
    Toute fleur qui s’ouvre (poème extrait d’Et, néanmoins)
    Ponge, Pâturages, Prairies (note de lecture d’AP)
    3 décembre 1971 | Lettre d’André Dhôtel à Philippe Jaccottet
    Mai 1977 | Philippe Jaccottet, La Semaison
    Septembre 1981 | Philippe Jaccottet, La Seconde Semaison
    26 juin | Philippe Jaccottet, L’Ignorant
    20 avril 2001 | Philippe Jaccottet, Truinas
    Le Grand Prix Schiller 2010 remis à Philippe Jaccottet




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de la Radio Télévision suisse)
    un entretien avec Philippe Jaccottet (émission En personne du 21 avril 1975)





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  • Pierre-Albert Jourdan | [L’inquiétude devant la mort]



    [L’INQUIÉTUDE DEVANT LA MORT]




    L’inquiétude devant la mort — imminente, toujours imminente — vient de la non-réalisation de soi. Si l’objet était parfaitement bouclé, il roulerait en toute quiétude.

    […]

    La solitude n’a pas de sol où se poser, elle ne fait que t’entraîner toujours plus loin, plus bas, jusqu’à cette secousse fatale où tu la reconnaîtras comme étant ce miroir qui façonnait ton visage chaque jour et qui l’abandonne à sa complice, la mort.

    […]

    Comment pourrions-nous nous désolidariser de cette mort que nous portons en nous, qui nous appartient autant que nous lui appartenons ? Le rêve serait de lui ménager un espace où la rencontre se ferait dans la dignité. Sorte de suprême politesse où la salve des salutations l’emporterait sur les gémissements. Mais cet espace n’est inclus que dans l’impensable du saut, dans ce mouvement de bascule qui annule l’autre espace, celui où l’on croyait avancer… Plus intime la mort, longuement convoyée, plus proche et, peut-être, plus pourvoyeuse d’espace, ici même et, qui sait, là-bas. Là-bas où les chimères se glacent.




    Pierre-Albert Jourdan, L’Angle mort, HC, Fequet-Baudier, Paris, 1980 ; rééd. éditions Unes , Trans-en-Provence | Cahiers du double, « Bibliothèque du Double », Paris, 1984, pp. 42, 45 et 48. Avant-propos (« Pour saluer Pierre-Albert Jourdan ») de Philippe Jaccottet * [ouvrage épuisé].



    ____________________
    * Cet avant-propos est une réédition revue et corrigée de pages parues dans le N° 347 de la Nouvelle Revue Française (décembre 1981), après la mort (13 septembre 1981) de Pierre-Albert Jourdan.





    Pierre-Albert Jourdan  L'Angle mort 2




    PIERRE-ALBERT JOURDAN


    Jourdan portrait
    Ph. Gilles Jourdan
    Source




         « Pierre-Albert Jourdan (1924-1981), après dix ans d’une recherche plus strictement poétique, a essayé à partir de 1970, dans des fragments surtout, d’utiliser l’écriture pour se transformer intérieurement, et se rendre capable de rencontrer pleinement le réel. Il a alors multiplié les procédés pour agir sur soi, sur sa volonté, sa sensibilité, son intellect ou son affectivité. Des sentences, des injonctions à soi-même, lui servaient à se dissocier de comportements, de pensées, grâce à la vivacité ou à la violence de l’expression, et à l’ironie. Dans des passages d’aspect plus poétique, le travail sur la langue creusait un état de dépossession et d’accueil face au monde, et à l’invisible ou permettait de se mettre à l’école de la nature pour intérioriser ses suggestions éthiques. Jourdan usait aussi de l’écriture, à la façon du koan zen, pour se défaire des représentations mentales, faire vaciller l’intellect, et se précipiter dans l’épreuve des choses telles qu’elles sont. Ou, enfin, il s’appuyait sur elle pour se déprendre, par l’humour et le retrait, des émotions liées à l’échec et à la mort, et parvenir à l’accueil amoureux même de sa propre perte. Une tentative qui, même s’il a souvent répété son insuffisance, semble avoir permis la lumière, la sérénité de plus en plus sensibles dans ses derniers écrits, leur beauté, et leur utilité profonde pour le lecteur qui accepte de s’ouvrir à une expérience d’être. » (Élodie Meunier*)




    ■ Pierre-Albert Jourdan
    sur Terres de femmes


    La source (extrait du Bonjour et l’Adieu)
    [Ceci est ma forêt]
    Chute (extrait de L’Espace de la perte)
    L’Entrée dans le jardin
    Le Fil du courant
    Les nuages parfois s’enlisent
    3 février 1924 | Naissance de Pierre-Albert Jourdan (+ un extrait du Bonjour et l’Adieu)




    ■ Voir aussi ▼


    le site d’Élodie Meunier* consacré à Pierre-Albert Jourdan
    → (sur The Arts Fuse)
    Fuse Poetry Review: Pierre-Albert Jourdan — Writing that Wagers on Beauty (recension [en anglais] autour de la publication, en juillet 2011, de l’édition bilingue (anglais-français) de The Straw Sandals [Les Sandales de paille]: Selected Prose and Poetry by Pierre-Albert Jourdan. Edited, introduced, and translated by John Taylor. New York, Chelsea Editions)
    → (sur Imperfetta Ellisse)
    Pierre-Albert Jourdan poeta sconosciuto (+ plusieurs poèmes traduits en collaboration, du français vers l’italien, par Valérie Brantôme et Giacomo Cerrai)
    → (sur le site de Cerise Press)
    une note (en français) de John Taylor (le traducteur américain de Pierre-Albert Jourdan) sur Pierre-Albert Jourdan



    *
    En 2006, Élodie Lefaure-Meunier a soutenu (sous la direction de Claude Burgelin – Université Lumière Lyon 2) une thèse de doctorat sur Pierre-Albert Jourdan : Pierre-Albert Jourdan : l’écriture comme ascèse spirituelle. Cette étude a été éditée en 2013 aux éditions du Cygne sous le titre Pierre-Albert Jourdan : l’écriture comme voie spirituelle.





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  • Pierre-Albert Jourdan | La source



    LA SOURCE



    Tu es venue. Nul lyrisme dans ta voix. Le seul bruissement de ton bonjour feuillu, étouffé ; tes grands gestes qui se dissolvent dans le ciel. Tout est discrétion, profondeur.

    Je m’avance les yeux fermés, sourd à tout bruit alentour. Tu es toute ma mémoire. Des premières pluies languissent. Je respire cet air amoureux.

    Les plaies apparaîtront plus tard, lorsque le sang de la vigne pillée s’étalera contre le flanc de la montagne, le ciel pâle.

    Plus lointaine alors et douce, terriblement vivante.

    Plus lointaine encore et tu seras l’adieu, la dernière relation imperceptible d’un geste las.



    Pierre-Albert Jourdan, La Terre seule (1959-1964), in Le Bonjour et l’Adieu, Mercure de France, 1991, page 180. Préface de Philippe Jaccottet. Édition établie et annotée par Yves Leclair.






    Pierre-Albert Jourdan  Le Bonjour et l'Adieu




    PIERRE-ALBERT JOURDAN


    Jourdan portrait
    Ph. Gilles Jourdan
    Source





    ■ Pierre-Albert Jourdan
    sur Terres de femmes


    [L’inquiétude devant la mort] (extrait de L’Angle mort)
    [Ceci est ma forêt]
    Chute (extrait de L’Espace de la perte)
    Le Fil du courant
    L’Entrée dans le jardin
    Les nuages parfois s’enlisent
    3 février 1924 | Naissance de Pierre-Albert Jourdan (+ un extrait du Bonjour et l’Adieu)




    ■ Voir aussi ▼


    le site d’Élodie Meunier consacré à Pierre-Albert Jourdan





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  • Philippe Jaccottet | [Toute fleur n’est que de la nuit]



    Incendie
    « Ce monde n’est que la crête
    d’un invisible incendie »
    Aquatinte numérique, G.AdC








    [TOUTE FLEUR N’EST QUE DE LA NUIT]




    Toute fleur n’est que de la nuit
    qui feint de s’être rapprochée

    Mais là d’où son parfum s’élève
    je ne puis espérer entrer
    c’est pourquoi tant il me trouble
    et me fait si longtemps veiller
    devant cette porte fermée

    Toute couleur, toute vie
    naît d’où le regard s’arrête

    Ce monde n’est que la crête
    d’un invisible incendie



    Philippe Jaccottet, « Oiseaux, fleurs et fruits », Airs, poèmes 1961-1964, éditions Gallimard, Collection Blanche, 1967, page 24 ; Œuvres, éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2014, page 425.






    Jaccottet Montage





    PHILIPPE JACCOTTET



    Jaccottet Poncet
    Ph. © F. Poncet
    Source






    ■ Philippe Jaccottet
    sur Terres de femmes


    Accepter ne se peut (poème extrait d’Airs)
    Tout à la fin de la nuit (autre poème extrait d’Airs)
    [Les larmes quelquefois montent aux yeux] (poème extrait d’À la lumière d’hiver)
    (Tombeau du poète)[The poet’s tomb] (poème extrait de Cahier de verdure)
    [Considérez le ciel solaire] (poème extrait du Dernier Livre de Madrigaux)
    [Sois tranquille, cela viendra !] (poème extrait de L’Effraie et autres poésies)
    1er janvier 1950 | Philippe Jaccottet, Agrigente (autre poème extrait de L’Effraie et autres poésies)
    [Encore des fleurs ? | Flowers again ?] (poème extrait d’Et, néanmoins)
    Toute fleur qui s’ouvre (autre poème extrait d’Et, néanmoins)
    Ponge, Pâturages, Prairies (note de lecture d’AP)
    26 juin [1954] | Philippe Jaccottet, L’Ignorant
    3 décembre 1971 | Lettre d’André Dhôtel à Philippe Jaccottet
    Mai 1977 | Philippe Jaccottet, La Semaison
    Septembre 1981 | Philippe Jaccottet, La Seconde Semaison
    20 avril 2001 | Philippe Jaccottet, Truinas
    Le Grand Prix Schiller 2010 remis à Philippe Jaccottet





    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de la Radio Télévision suisse)
    un entretien avec Philippe Jaccottet (émission En personne du 21 avril 1975)






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  • 29 janvier 1987 | Mort de Carlo Cassola

    Éphéméride culturelle à rebours



    Le 29 janvier 1987 meurt à Montecarlo (région de Lucca) en Toscane, l’écrivain italien Carlo Cassola.


    Né le 17 mars 1917 à Rome, Carlo Cassola meurt à l’âge de 69 ans. Carlo Cassola est l’auteur de nombreux récits et romans. Parmi lesquels Fausto e Anna (Einaudi, 1952), La Coupe de bois (Il taglio del bosco, Fabbri, Milano, 1953), Un cœur aride (Un cuore arido, Einaudi, 1961), Le Chasseur (Il cacciatore, Einaudi, 1964), Anna de Volterra (Paura e tristezza, Einaudi, 1970), …


    Son œuvre la plus connue, La ragazza di Bube (Einaudi, 1960), publiée en français en 1962 (éditions du Seuil) sous le titre La Ragazza, dans une traduction de Philippe Jaccottet, a été récompensée par le prix Strega. Le roman a inspiré à Luigi Comencini le film éponyme (La Ragazza, 1963). Avec Claudia Cardinale dans le rôle de Mara.







    Claudia Cardinale dans la Ragazza







    Ci-dessous, un extrait de La ragazza di Bube [+ la traduction en français par Philippe Jaccottet]


    [Au lendemain de la Libération, Mara tombe amoureuse du partisan Bube, héros de la Résistance]



    [ANDIAMO?]


    «Andiamo?» disse tendendogli la mano.

    «Dove?»

    «Al torrente. All’affluente» e si mise a ridere. «A lavarci il musino.»

    «Oh, si, ne sento proprio il bisogno di darmi una lavata.»
    Rientrarono a prendere la roba: il sapone, gli spazzolini, il dentifricio: involtarono tutto nell’asciugamano. Bube lo diede a tenere a lei: «Dimenticavo una cosa».

    Mara lo vide che si affannava intorno allo zaino. La rivoltella gli scintillò nelle mani; se la mise nella tasca di dietro. E Mara sentì come un malessere dentro… Ma fu un attimo; e mentre scendevano quasi correndo per il viottolo, non c’era che un sentimento in lei, il piacere di trovarsi in campagna, libera di fare quello che voleva, e l’eccitazione di esser sola col fidanzato.

    Il torrento era come una strada incassata tra due argini alti, sopra cui cresceva rigogliosa la macchia; che in qualche tratto stendeva i suoi rami nel mezzo, fino quasi a coprire la vista del cielo. Un po’ più su c’era una cascatella, e fu lì che si lavarono.

    Bube si sbrigò in un minuto e risalì nel campo, perché lei potesse fare il suo comodo.

    «Bubino. Non guardi mica, eh? Perché sono nuda.»

    Era nuda fino alla cintola, infatti: si lavò il petto e le spalle, quindi si tirò su la maglia di cotone e la sottana, e tornò a infilarsi il reggipetto e la camicetta, che aveva appeso a un ramo.

    Bube era sdraiato ai piedi di un gigantesco ciliegio al cui tronco era abbarbicata una vite, che arrivata all’altezza dei rami ricadeva all’indietro.

    «Bubino, questo ciliegio e questa vite… a che cosa ti fanno pensare?» Egli non capì, e lei : «A me, a due innamorati. Lui è il giovanotto, e lei, la ragazza.»

    «Lui chi?»

    «Lui il ciliegio. Vedi, lei vorrebbe abbracciarlo, e lui la respinge.»

    Bube aveva afferrato l’idea:

    «Si potrebbe anche dire il contrario: lui la abbraccia, e lei gli sfugge.»

    «No, è come dico io. Sono come io e te» aggiunse improvvisamente. «Tu mi respingi sempre, Bubino.»

    «Dici così per via di ieri? Ma c’erano quelli a caricare la ghiaia…»

    «Ora però non c’è nessuno. Perchè non mi abbracci?»

    Bube la guardò, incerto:

    «Ora sto fumando.»

    «Vedi, una scusa la trovi sempre.»



    Carlo Cassola, La ragazza di Bube, Seconda Parte, capitolo III [Einaudi, Torino, 1960], Mondadori Libri, I edizione Oscar Moderni, maggio 2016, Milano, pp. 78-79.






    Carlo Cassola  La ragazza di Bube






    [ON Y VA ?]


    « On y va ?

    — Où ça ?

    — Au torrent. À l’affluent, précisa-t-elle en riant. Nous laver le museau.

    — D’accord. J’en ai rudement besoin. »

    Ils rentrèrent prendre leurs affaires : le savon, les brosses à dents, la pâte dentifrice. Ils enveloppèrent le tout dans l’essuie-main, que Bube passa à Mara :

    « J’oubliais quelque chose. »

    Mara le vit s’affairer autour du sac. Le revolver lui brilla dans les mains : il le glissa dans sa poche de derrière. Mara en éprouva un vague malaise, mais qui ne dura pas. Tandis qu’ils dévalaient en courant le sentier, il n’y avait plus en elle que le plaisir d’être à la campagne, libre de faire ce qu’elle voulait, et l’excitation d’être seule avec son fiancé.

    Le torrent avait l’air d’une route encaissée entre deux hautes berges sur lesquelles poussaient de vigoureuses broussailles ; celles-ci, parfois, formaient au-dessus du cours d’eau une voûte si touffue que le ciel n’était plus visible. L’eau était rare au point qu’elle suffisait tout juste à mouiller la terre jaunâtre. Un peu plus haut, elle formait une petite cascade : ce fut là qu’ils se lavèrent.

    Bube eut terminé presque aussitôt et remonta dans le champ pour que Mara pût faire toilette à son aise.

    « Bubino. Tu ne regardes pas, surtout ! Je suis toute nue. »

    Elle était nue jusqu’à la ceinture. Elle se lava le torse et les épaules ; puis elle remonta sa camisole de coton et son jupon ; enfin, elle remit son soutien-gorge et sa blouse qu’elle avait accrochés à une branche.

    Bube était étendu au pied d’un gros cerisier ; au tronc était accrochée une vigne qui, arrivée à la hauteur des branches, retombait en arrière.

    « Bubino, ce cerisier et cette vigne… à quoi te font-ils penser ? »

    Comme il ne comprenait pas, elle poursuivit :

    « Moi, à deux amoureux. Lui c’est le garçon, elle la fille.

    — Lui qui ?

    — Le cerisier. Tu vois, elle voudrait l’étreindre, et lui la repousse ? »

    Bube avait compris l’idée :

    « On pourrait aussi dire le contraire : il l’étreint, et elle se dérobe.

    — Non, c’est comme je te dis. Ils sont comme toi et moi, ajouta-t-elle brusquement. Tu me repousses toujours, Bube.

    — Tu penses à hier ? Mais il y avait ces ouvriers qui chargeaient le gravier…

    — Aujourd’hui il n’y a personne. Pourquoi ne m’embrasses-tu pas ?

    Bube la regarda, hésitant :

    « Je suis en train de fumer.

    — Tu vois, tu trouves toujours des excuses. »



    Carlo Cassola, La Ragazza [éditions du Seuil, 1962], Éditions Cambourakis, Collection Letteratura, 2015, pp. 121,122,123. Traduit de l’Italien par Philippe Jaccottet.






    Carlo Cassola  La Ragazza






    CARLO CASSOLA


    Carlo-cassola 2





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Cambourakis)
    la fiche de l’éditeur sur La Ragazza de Carlo Cassola






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  • Philippe Jaccottet | (Tombeau du poète)(The poet’s tomb)



    (TOMBEAU DU POÈTE)




    Détrompez-vous :
    ce n’est pas moi qui ai tracé toutes ces lignes
    mais, tel jour, une aigrette ou une pluie,
    tel autre, un tremble,
    pour peu qu’une ombre aimée les éclairât.

    Le pire, ici, c’est qu’il n’y a personne,
    près ou loin.






    (THE POET’S TOMB)




    Make no mistake:
    it was not I who traced all these lines
    but rather, on a given day, an egret or the rain,
    on another, an aspen,
    provided that a beloved shadow cast light on them.

    What is worst about here is that there is no one,
    neither near nor far.



    Philippe Jaccottet, “Fragments Soulevés par le vent”, Cahier de verdure, Gallimard, 1990 in Philippe Jaccottet, And, Nonetheless: Selected Prose and Poetry 1990-2009, Chelsea Editions, New York City, 2011, pp. 98-99. Translated and introduced by John Taylor.







    Philippe Jaccottet, And Nonetheless





    PHILIPPE JACCOTTET


    Jaccottet Poncet
    Ph. © F. Poncet
    Source






    ■ Philippe Jaccottet
    sur Terres de femmes


    Accepter ne se peut (poème extrait d’Airs)
    Tout à la fin de la nuit (autre poème extrait d’Airs)
    [Toute fleur n’est que de la nuit] (autre poème extrait d’Airs)
    [Les larmes quelquefois montent aux yeux] (poème extrait d’À la lumière d’hiver)
    [Considérez le ciel solaire] (poème extrait du Dernier Livre de Madrigaux)
    [Sois tranquille, cela viendra !] (poème extrait de L’Effraie et autres poésies)
    1er janvier 1950 | Philippe Jaccottet, Agrigente (autre poème extrait de L’Effraie et autres poésies)
    [Encore des fleurs ? | Flowers again ?] (poème extrait d’Et, néanmoins)
    Toute fleur qui s’ouvre (poème extrait d’Et, néanmoins)
    Ponge, Pâturages, Prairies (note de lecture d’AP)
    3 décembre 1971 | Lettre d’André Dhôtel à Philippe Jaccottet
    Mai 1977 | Philippe Jaccottet, La Semaison
    Septembre 1981 | Philippe Jaccottet, La Seconde Semaison
    26 juin | Philippe Jaccottet, L’Ignorant
    20 avril 2001 | Philippe Jaccottet, Truinas
    Le Grand Prix Schiller 2010 remis à Philippe Jaccottet





    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de Chelsea Editions)
    la fiche de l’éditeur sur And, Nonetheless





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Jean-Pierre Lemaire | [Pendant la tempête]



    [PENDANT LA TEMPÊTE]




    Pendant la tempête il a dû passer
    une frontière sans la voir
    une montagne ou un vide
    et tomber à la fin
    de la hotte du vent
    La fenêtre semble avoir calmé le monde
    Il aperçoit le ciel comme un plongeur
    la nuque des arbres
    le dos des années
    comme s’il découvrait d’abord à l’envers
    le monde vu de l’homme
    La vie est restée seule
    dans le demi-jour
    Depuis des semaines
    les chaises dans la chambre
    sont comme en visite
    Sans approcher
    elles lui sourient



    les escaliers du vent sont en ruine
    et tout bas l’anémone
    visible chuchote



    Jean-Pierre Lemaire, « Première veille – Orphée posthume » in Les Marges du jour, La Dogana, 1981 ; 2e édition 2011, pp. 52-53. Postface de Philippe Jaccottet.






    Jean-Pierre Lemaire, Les Marges du jour






    JEAN-PIERRE LEMAIRE


    Jeanpierre-lemaire
    Source



    ■ Jean-Pierre Lemaire
    sur Terres de femmes

    Giotto (poème extrait de L’Intérieur du monde + une notice bio-bibliographique)
    [La terre est invisible] (autre poème extrait de L’Intérieur du monde)
    [Ne te hâte pas de regagner la surface] (poème extrait de Visitation)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Recours au Poème)
    Jean-Pierre Lemaire en son premier recueil (Les Marges du jour)
    → (sur Recours au Poème)
    cinq poèmes de Jean-Pierre Lemaire





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Philippe Jaccottet, Ponge, Pâturages, Prairies

    par Angèle Paoli

    Philippe Jaccottet, Ponge, Pâturages, Prairies,
    Editions Le Bruit du temps, 2015.



    Lecture d’Angèle Paoli



    EN QUÊTE DE LA VÉRITÉ DU VERT



    Ponge, Pâturages, Prairies. J’ai achevé tout récemment la lecture de ce petit opus publié par les éditions Le Bruit du temps, que dirige Antoine Jaccottet. Consacré à Francis Ponge, cet ouvrage est une apologie par Philippe Jaccottet du poète du Parti pris des choses, un ami de longue date pour lequel l’auteur des Semaisons nourrit une grande admiration. Par-delà l’admiration persiste une affection indéfectible que la mort du poète nîmois n’a ni emportée ni ensevelie. Une apologie qui relève sans aucun doute du genre épidictique de l’éloge ; dans lequel affleurent toutefois, au fil des pages, par petites touches discrètes, les écarts qui distinguent l’un de l’autre les deux poètes. C’est bien pourtant à partir d’un point de convergence que s’organise l’hommage de Philippe Jaccottet, la « vérité verte » sur laquelle Francis Ponge et lui-même se sont penchés et dont ils ont partagé l’étude.

    Dans la postface, rédigée en décembre 2013, Philippe Jaccottet apporte quelques compléments d’informations sur les circonstances de l’écriture de cet ouvrage. Ainsi, si le texte d’ouverture — qui porte la date du 10 août 1988 —, s’est imposé de lui-même le jour de l’inhumation de Francis Ponge au cimetière protestant de Nîmes, les six autres textes rassemblés dans la deuxième partie sont le « résultat d’assez longs tâtonnements » qui ont occupé le poète dès la fin du mois de novembre 1988. Cette section — si les préconisations de Jean-Pierre Dauphin, lecteur chez Gallimard, avaient été suivies d’effet — aurait dû faire partie du Cahier de verdure paru en 1990. Mais Philippe Jaccottet, qui avait peut-être un autre projet en tête, ne s’est jamais séparé de ces textes. Si l’hommage proprement dit rendu à Francis Ponge a déjà fait l’objet d’une publication dans le n° 433 (février 1989) de La Nouvelle Revue Française, l’ensemble des textes se trouve aujourd’hui rassemblé sous le titre Ponge, Pâturages, Prairies, conformément au vœu formulé par Philippe Jaccottet, habité tout au long de ces années d’écriture par la présence de Ponge.

    Deux lectures très différentes ont marqué l’instant de la séparation des deux poètes « au seuil de la tombe ». La lecture du psaume de David que le pasteur choisit de lire : « L’Éternel est mon berger »… dans lequel sont mentionnés « les verts pâturages », havre de repos de fraîcheur et de plénitude pour David et pour son troupeau ; la seconde lecture étant celle du poème de Ponge, « Le Pré », lu par Christian Rist, dont revient en leitmotiv, le vers :

    « Transportés tout à coup par une sorte d’enthousiasme paisible / En faveur d’une vérité qui soit verte… »

    Tout en se laissant happer par les mots, le poète laisse errer son regard sur les frondaisons des « hauts arbres » du cimetière, à moins qu’il ne s’agisse de son regard intérieur. C’est là, « au bord du gouffre », alors qu’il est emporté par « l’écho » « déformé » que ces deux textes font résonner en lui, que naît la réflexion du poète sur les 3 000 ans qui séparent l’aspiration à la « vérité verte » de Ponge des « verts pâturages » de David. Un écart considérable s’est en effet creusé entre ces « deux herbages écrits ». Du passé biblique, il reste l’idée d’un monde « encore relativement simple et solide, cohérent, de sorte que les poèmes, alors, pouvaient dire naturellement une confiance, et en la disant, la fortifier. » Demeure la nostalgie de ce qui a été perdu au cours du temps. Cette capacité à faire coïncider les mots et les choses, sur quoi Ponge travaillait avec ardeur. Retrouver par « cette belle bataille » du langage « cette espèce d’instinct à la fois naïf, enfantin et sage » du berger ancestral. Retrouver « la vraie verdure originelle ». L’herbe « vraie ». Une même quête, celle du langage, relie l’un et l’autre poète.

    À lire Ponge, Pâturages, Prairies, il semble que Francis Ponge, qui tenait le poète Malherbe en très haute estime et le plaçait plus haut que les plus illustres de ses contemporains (Góngora, Cervantès, Shakespeare), ait trouvé dans la poésie de celui qu’il admirait tant, de quoi nourrir toute une vie d’enthousiasmes et de recherches autour du langage poétique. « Ce que Malherbe écrit dure éternellement », peut-on lire dans « Pour un Malherbe » à la date du 9 octobre 1951. Affirmation qui fait écho aux vers de François Malherbe sur son art.

    Et Philippe Jaccottet de rappeler qu’il n’était pas loin de se laisser convaincre lorsque Ponge se mettait à scander avec « un lumineux enthousiasme » ces vers du grand poète « classique » :

    « Apollon à portes ouvertes

    Laisse indifféremment cueillir

    Les belles feuilles toujours vertes

    Qui gardent les noms de vieillir ;

    Mais l’art d’en faire des couronnes

    N’est pas sceu de toutes personnes,

    Et trois ou quatre seulement,

    Au nombre desquels on me range,

    Peuvent donner une louange

    Qui demeure éternellement. »

    Moment de pure émotion que le souvenir n’a pas terni, « comme j’aime à me le rappeler dans ces moments-là ! », confie Philippe Jaccottet.

    Pourtant, Jaccottet est loin de partager l’analyse et le point de vue de Ponge sur Malherbe. Et c’est là une divergence importante sur laquelle le poète des Semaisons s’est antérieurement expliqué, dans les pages qu’il a consacrées à Ponge entre 1946 et 1986. Il la réaffirme ici, une première fois, dans « Qu’il y a fête et fête ». Puis, dans le chapitre suivant — « Deux héros, ou hérauts pongiens » —, consacré aux deux grands modèles du poète. Malherbe et Rameau. Malherbe à qui Jaccottet reproche d’avoir inauguré en se glorifiant, « le retournement narcissique du poète sur lui-même en tant que poète, et sur l’outil de ce travail, de cette obsession du langage qui règne aujourd’hui dans les lettres… »

    Quant au musicien Rameau, Ponge, dans un excès de jubilation, lui rend à lui aussi un hommage vibrant. Parlant du créateur des Indes Galantes, il est, dit-il, « l’artiste au monde qui m’intéresse le plus profondément ». Ce à quoi Philippe Jaccottet ne souscrit pas, pas davantage qu’il ne souscrit à la supériorité de Malherbe dans le panthéon des grands auteurs précédemment cités. « Pour moi, écrit-il, quoi qu’il en soit, je ne saurais préférer Rameau à Schubert, à Beethoven, moins encore à Mozart ; et, remontant plus haut, à Monteverdi ou à Bach. » S’il ne peut totalement souscrire à l’enthousiasme pongien, c’est que certaines musiques (comme certains textes, ceux du poète Dante par exemple, dont le nom est totalement absent de l’œuvre de Ponge) l’« obligent à aller chercher [ses] références beaucoup plus loin, à la limite du saisissable ».

    Ces quelques pages sont également l’occasion pour Philippe Jaccottet d’étayer sa réflexion sur l’écriture de Ponge. Jaccottet choisit, pour le faire, de jouer sur la métaphore de la fête. À la « fête de cirque », il oppose la « fête de style noble ». Aux « fastes » déployés dans Le Soleil placé en abîme, il oppose « les exploits émerveillants » de Ponge, tels qu’il les apprécie dans les « textes courts » « dont Le Parti pris des choses présente les premiers et peut-être les meilleurs exemples ». Il reproche cependant à ces pièces d’une jonglerie très aboutie de l’être presque trop et de manquer de vérité. Une « Vérité » que les « excès de contention ont pu faire fuir » et qui échappe à Ponge mais qui semble avoir rattrapé le poète à son insu, dans d’autres textes. Ainsi Jaccottet reconnaît-il la supériorité de Ponge dans les textes « où les mots sont frottés aux choses »… Ce qui est le cas à trois reprises dans son Pour un Malherbe. C’est là, lorsqu’il « parle des choses — les temples de Nîmes, l’incendie des pétroles de Rouen, et « la joie de ce bouquet de haricots » […], que son livre atteignait à son maximum de densité et d’éclat… »

    Parmi les textes de Ponge qui ont joué un rôle décisif dans l’écriture de Jaccottet figure en particulier Le Carnet du bois de pins. Dans ces feuillets, datés du 7 août 1940 à septembre 1940, Ponge commente son propre texte, le remet sur le tapis, le modifie. « Il faut qu’à travers tous ces développements (au fur et à mesure caducs, qu’importe) la hampe du pin persiste et s’aperçoive ». Ou encore : « Non ! / Décidément, il faut que je revienne au plaisir du bois de pins »… Pour faire progresser son texte, Ponge procède ainsi par « effacement-négation » de ce qui précède. Jaccottet s’inspire de cette méthode dans Paysages avec figures absentes, « Travaux au lieu-dit l’Étang ». Mais si, chez l’un et l’autre poète, il y a une « leçon » à tirer du monde, les moyens d’y parvenir par l’écriture restent très différents. Ainsi, pour Ponge, s’agit-il plutôt, à partir d’un objet quelconque — « galet, cageot, lessiveuse, pomme de terre » —, d’élaborer une « machine verbale » et de la faire fonctionner. De sorte que Ponge, dans le souci qu’il a de prendre le parti de l’objet dans sa matérialité et dans sa finitude, repousse de la chose à décrire toute incursion émotive, toute forme d’interprétation métaphorique, toute approche d’« illimité ». Pour Jaccottet au contraire, l’expérience poétique prend naissance dans une émotion particulière. Mais la réalité se dérobe ; ne se laissant pas rejoindre, elle demeure inaccessible, ouverte sur la promesse d’une « perspective » autre.

    « Et me voilà tâtonnant à nouveau, trébuchant, accueillant les images pour les écarter ensuite, cherchant à dépouiller le signe de tout ce qui ne lui serait pas rigoureusement intérieur ; mais craignant aussi qu’une fois dépouillé de la sorte, il ne se retranche que mieux dans son secret. »

    Ainsi le poète procède-t-il, à la manière de Ponge, par observations successives, puis par retraits. Mais, qu’il s’agisse de poèmes ou de prose poétique, l’écriture est « ouverture ». Ouverture « dans le mur des apparences ». Nécessaire et vitale. Il s’agit donc toujours, pour Philippe Jaccottet, de « reculer la limite ». La métaphore, lorsqu’elle est juste, ne participe-elle pas de cet enjeu ? Et l’admiration que Jaccottet nourrit pour Ponge ne sera d’aucun effet sur sa propre démarche et dans sa propre quête.

    Poursuivant le cheminement de sa réflexion, Philippe Jaccottet aborde la notion du « jaillir pur ». « Adjectif double forgé par Hölderlin dans le « Rhin » : « reinentsprungenes  » », le « pur jailli », « ce qui sourd pur », dont il nous avertit qu’il est « énigme ». Et le poète de donner Rimbaud en exemple, pour qui est essentielle la recherche de « l’étincelle d’or de la lumière nature ». Rimbaud, dont Jaccottet dit qu’il est celui qui a été, parmi ses contemporains, « le plus proche de la source ». Que recouvre la notion de « pur » ?, s’interroge le poète. Les images qui surviennent à son esprit sont celles de la « fraîcheur de l’eau des torrents » et celles de « l’aube ». Images dégagées de « tout artifice, de tout mensonge ». Qui conduisent « tout près de la source, qui est l’énigme que l’on ne peut résoudre en autre chose que l’énigme ». « Deux brefs poèmes de voyageurs », un haîku de Buson et le « Nocturne du voyageur » de Goethe, viennent encore apporter leur éclairage sur « l’énigme du pur ». Quelques mots « limpides » ne suffisent-ils pas, en effet, pour annoncer à un mourant qu’une « porte va s’ouvrir » ? Ne suffisent-ils pas à « envelopper si bien le cœur » que le voyageur « pourra franchir le tout dernier col sans succomber au froid ? »

    Dans le dernier chapitre de son recueil — « Pâturages, prairies » —, Philippe Jaccottet retourne aux verts pâturages du psaume de David. Évoquant à nouveau « les choses simples » des temps bibliques où les hommes avaient une âme, il conclut en ajoutant : « Peut-être que la mort est, aujourd’hui, la dernière chose qui ressemble aux dieux des premiers temps. »

    Toujours procédant par « composition fragmentaire », la pensée du poète aborde ensuite aux rives d’une pastorale enchantée du Conte d’hiver, printemps et résurrection. Idylle d’une bergère et d’un berger. Puis, après un détour par ces lieux de prédilection que sont « vergers et prairies », il cherche à distinguer quelle est la langue que l’herbe lui parle. Ce n’est ni celle de la Bible ni celle de Ponge, mais « une langue plus difficile à saisir, à traduire. » Une langue suffisamment insistante pour faire reculer en lui orages, révoltes et enfer. Une langue qui le rapproche à nouveau d’Hölderlin pour qui toute chose est « énigme » : l’eau du ruisseau, la limpidité de la source, la floraison du cognassier. Et le vert de l’herbe. Dont la pensée le ramène une année en arrière, alors qu’il travaillait au « Blason vert et blanc » du Cahier de verdure. « Ici, j’ai envie d’ouvrir une parenthèse, comme on ouvre une porte sur un jardin », écrit Philippe Jaccottet dans « Pâturages, prairies ». Puis, poursuivant :

    « Quand je cherchais, toujours l’an dernier, à saluer la floraison du cognassier, à la comprendre, pour arborer ce blason de vert et de blanc, j’ai pensé à la Vita Nova ; mais aussi, plus lointainement, à la pastorale du Conte d’hiver… »

    Pour ce qui est de l’énigme, il est nécessaire que celle-ci demeure énigme. C’est parce qu’elle demeure énigme qu’elle « rayonne comme telle » ; et c’est parce qu’elle rayonne que le simple « toucher d’une main » ou un regard peuvent suffire à « éclairer doucement les pas » de celui qui aborde la mort.

    À lire attentivement Ponge, Pâturages, Prairies, le lecteur saisit au plus près et comme en miniature la « petite fabrique » littéraire qui guide l’écriture de Philippe Jaccottet. En même temps que l’esprit qui anime toute l’œuvre. Au-delà demeure longtemps en mémoire la magie du titre de ce recueil. Sa petite musique revient sur les lèvres comme un refrain dont le lecteur cherche à dire la saveur. Que dire, en effet, de cette énumération ternaire (un octosyllabe), sinon qu’elle joue avec habileté sur les combinaisons entre allitérations — [p],[ʒ],[r] — et assonances — [a] —, mais aussi sur les allongements syllabiques, rythme ascendant sur « Ponge », descendant sur « Pâturages », stabilisé et plan sur « Prairies ». Tout un paysage sonore vient ainsi se superposer simultanément sur le paysage visuel. Titre-paysage, dont la perfection contient en elle la promesse d’une ouverture sur un monde multiple et mystérieux.

    Il résulte de ce petit opus, qui conduit sans cesse de Jaccottet à Ponge, de Jaccottet à lui-même, un livre passionnant qui chemine vers une « Vérité » (la majuscule est empruntée à Ponge) « qui est moins à atteindre qu’à attendre. » Une vérité qui passe par le regard et par l’attention à la nature. Ponge, Pâturages, Prairies est méditation bienveillante qu’une expérience antérieure continue de nourrir de sa lumière. Celle d’une joie ancienne qui irradie le moindre geste. Une promesse de jubilation vraie pour le lecteur qui s’attarde dans ces pages.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Philippe Jaccottet, Ponge, Pâturages, Prairies, Le Bruit du temps, 2015.





    PHILIPPE JACCOTTET





    ■ Philippe Jaccottet
    sur Terres de femmes


    Accepter ne se peut (poème extrait d’Airs)
    Tout à la fin de la nuit (autre poème extrait d’Airs)
    [Toute fleur n’est que de la nuit] (autre poème extrait d’Airs)
    [Les larmes quelquefois montent aux yeux] (poème extrait d’À la lumière d’hiver)
    (Tombeau du poète)[The poet’s tomb] (poème extrait de Cahier de verdure)
    [Considérez le ciel solaire] (poème extrait du Dernier Livre de Madrigaux)
    [Sois tranquille, cela viendra !] (poème extrait de L’Effraie et autres poésies)
    1er janvier 1950 | Philippe Jaccottet, Agrigente (autre poème extrait de L’Effraie et autres poésies)
    [Encore des fleurs ? | Flowers again ?] (poème extrait d’Et, néanmoins)
    Toute fleur qui s’ouvre (autre poème extrait d’Et, néanmoins)
    3 décembre 1971 | Lettre d’André Dhôtel à Philippe Jaccottet
    Mai 1977 | Philippe Jaccottet, La Semaison
    Septembre 1981 | Philippe Jaccottet, La Seconde Semaison
    26 juin | Philippe Jaccottet, L’Ignorant
    20 avril 2001 | Philippe Jaccottet, Truinas
    Le Grand Prix Schiller 2010 remis à Philippe Jaccottet




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de la Radio Télévision suisse)
    un entretien avec Philippe Jaccottet (émission En personne du 21 avril 1975)
    → (sur remue.net)
    une lecture de Ponge, Pâturages, Prairies par Jacques Josse





    FRANCIS PONGE



    ■ Francis Ponge
    sur Terres de femmes


    27 mars 1899 | Naissance de Francis Ponge
    9 août 1940 | Francis Ponge, Le Carnet du Bois de pins
    6 février 1948 | Francis Ponge, Pochades en prose
    10 avril 1958 | Francis Ponge, La figue
    29 mars **** | Le Verre d’eau de Francis Ponge
    Les hirondelles



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  • Béatrice Douvre | Le vin, le soir



    Jatennds qui te portait
    Ph., G.AdC







    LE VIN, LE SOIR



    Ton sein me maintient dans le jour
    Incandescente et claire
    Tes grands reflets s’éloignent

    Je m’attarde aux prairies fondantes
    Dans le lierre noir
    Près des maisons
    Dans le vin froid

    Le vin filé des fêtes idéales
    Qui touche à l’écume, aux cordes
    De la mer

    J’attends le pas qui te portait
    Jusqu’à l’étoile des marines

    Moi j’ai porté le pas jusqu’aux semences.



    Béatrice Douvre (1967-1994), Vert présage [1992] in Œuvre poétique, peintures & dessins, Voix d’encre, 2000, page 140. Préface de Philippe Jaccottet.






    Béatrice Douvre, Oeuvre poétique



    BÉATRICE DOUVRE


    Douvre portrait 2
    Source




    ■ Béatrice Douvre
    sur Terres de femmes


    Nuit brisée
    l’Outrepassante
    Poèmes en prose [Journal de Belfort]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur La Pierre et le Sel)
    Béatrice Douvre, l’invisible est un miracle, par Pierre Kobel
    → (sur Terres de femmes)
    Muriel Stuckel | Dans la césure de tes poèmes





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  • Mario Luzi | [Vita o sogno ?]



    [VITA O SOGNO?]



    Vita o sogno? Lei si gode serena
    la simbiosi domenicale col giardino
    fino a tardi quando entra nella casa
    la mite ora settembrina della cena.
    Non c’è l’amato, non c’è la sua assenza
    né altro desiderio. C’è quell’unico
    pensiero muto che dovunque flagra
    e vige, e di sé tutta la ripiena —
    Felicità? non le sembra. Non è
    che un nome estraneo, questo,
    a quella purissima sostanza.
    Vissuto o immaginato
    quel brano? —pensa. Perduta
    in quale sua profondità la scena?
    Non c’è divario, non c’è differenza.




    Mario Luzi, Tutte le poesie, Volume secondo, Garzanti Editore, Collana Gli Elefanti, 1988 (Terza ristampa : aprile 2005], pagina 780.






    Luzi, tutte le poesie.jpg 2







    [VIE OU SONGE ?]



    Vie ou songe ? Elle savoure, calme,
    ce dimanche en symbiose avec le jardin, jusque tard,
    jusqu’à ce qu’entre dans la maison
    l’heure si douce, en septembre, du dîner.
    L’aimé n’est pas là, ni son absence,
    ni aucun autre désir. Il n’y a là que cette unique
    pensée muette et partout flagrante,
    et qui règne et qui l’emplit tout entière —
    Félicité ? Il ne lui semble pas. Ce n’est qu’un nom,
    cela, un nom très étranger
    à cette substance pure entre les pures.
    Vécu, imaginé,
    ce fragment ? pense-t-elle. Et cette scène,
    dans quelle sienne profondeur perdue ?
    Il n’y a pas de différence, d’aucune sorte.



    Mario Luzi in D’une lyre à cinq cordes, traductions de Philippe Jaccottet 1946-1995, Éditions Gallimard, Collection blanche, 1997, page 61.






    Dune lyre à cinq cordes





    MARIO LUZI


    Luzi





    ■ Mario Luzi
    sur Terres de femmes


    Cahier gothique, VII
    Diana, risveglio
    Dove l’ombra
    En mer
    Il pensiero fluttuante della felicità
    Nature
    Près de la reine de Saba (note de lecture sur Trames de Mario Luzi + extrait)
    Primitiales (article sur Prémices du désert)
    Quanta vita







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