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Étiquette : PHILIPPE LEUCKX
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Philippe Leuckx | [Prendre mot]
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Philippe Leuckx, Nuit close
« prends cette nasse de temps
qui s’ouvre
vers la mer »
Source
NUIT CLOSE
(extraits)
IX
Tu tournes vers la nuit
ton visage reposé
apprivoise
ton souffle
prends cette nasse de temps
qui s’ouvre
vers la mer
X
Vas-tu seulement saisir
à plein sang
la tourmente
qui dépose
sur l’épaule
le lent registre du cœur ?
XI
En nous tremblent des lois
déjà mortes dans l’ombre
la langue a pris le fil
des eaux qui troublent
la voix
le cœur
Philippe Leuckx, Nuit close, sixains, éditions Bleu d’Encre, 2021, pp. 15-17.
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Cécile Guivarch, Cent ans au printemps
par Philippe LeuckxCécile Guivarch, Cent ans au printemps,
Les Lieux-Dits éditions, Cahiers du Loup bleu, 2021.
Lecture de Philippe LeuckxDédé Guivarch, le grand-père auquel Cécile Guivarch dédie ces vingt-trois poèmes, aurait eu cent ans au printemps 2020.Fidèle à son esthétique et à sa thématique familiale, la poète Cécile Guivarch honore le destin particulier de son grand-père, qui a fait Dunkerque, avait les yeux d’un « bleu » de la « transparence d’eau ». Comme beaucoup à l’époque, il élevait des lapins, se souciait de son jardin, avait eu ses « années de mer ».Cécile Guivarch coule de bien beaux poèmes, huitains, sobres souvenances d’un temps partagé entre les cloches de Pâques et le « bal de Perriers » au quatorze juillet.Les lieux sont là pour rappeler intensément une relation insigne entre le grand-père et la petite fille. Elle s’est souvenue des meilleurs moments, de son rire, de ses « bottes | une vie entre terre et mer ».Aussi s’aide-t-elle du poème pour « faire revenir | le sourire dans les yeux ».L’appréhension du temps s’insinue jusque dans la forme du poème :
grand-père marche vers moime cueillir dans le verger.
Quel plus bel hommage que cette prise en direct dans le vif du poème qui ressuscite l’autre et sa prise !Cécile Guivarch, dont l’esthétique du bref nous est familière, n’y déroge pas plus ici. Le lyrisme, les envolées, le sentimentalisme rose, elle ne connaît pas. Elle leur préfère cette concision de scènes éclairées par la mémoire, sans apprêts ni flonflons.
CÉCILE GUIVARCH
Ph. : Michel Durigneux
Source
■ Cécile Guivarch
sur Terres de femmes ▼
→ Cent ans au printemps (lecture d’AP)
→ [Écrire ses yeux] (extrait de Cent ans au printemps)
→ [c’est tout pour aujourd’hui] (extrait de c’est tout pour aujourd’hui)
→ Cécile Guivarch, mots et mémoire en double (chronique de Marie-Hélène Prouteau)
→ Sans Abuelo Petite (lecture d’Isabelle Lévesque)
→ [Je ne sais pas si tu es encore jeune](extrait de Sans Abuelo Petite)
→ [J’ai marché sur les morts]
→ Renée, en elle (lecture d’AP)
→ [des hommes tressaillent](extrait de S’il existe des fleurs)
→ Vous êtes mes aïeux (lecture de Gérard Cartier)
→ (dans l’anthologie Terres de femmes) [ma grand-mère avait beaucoup de clés]
■ Voir aussi ▼
→ le site terre à ciel | poésie d’aujourd’hui
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Philippe Leuckx, Poèmes du chagrin
par Angèle PaoliPhilippe Leuckx, Poèmes du chagrin,
éditions Le Coudrier, 2020.
Avant-lire de Jean-Michel Aubevert.
Lecture d’Angèle Paoli« QUELQUE CHOSE DE NOIR S’INVITE »
Poèmes du chagrin sont poèmes écrits au lendemain de la mort de la femme aimée. Quarante-deux années de vie commune, de partages, de voyages et de complicité ont soudainement pris fin après quelques mois de maladie et de souffrance. Poète endeuillé par la disparition de sa compagne, Philippe Leuckx cherche des étais où arrimer sa peine. Malgré les efforts auxquels il se soumet pour tenter de vivre sa désormais insoutenable solitude, tout semble leurre. L’appel de la mémoire, les souvenirs d’enfance, la lumière et le vent, les images heureuses de voyages, la maison et son jardin, tout semble échapper à l’emprise, tout semble vain, tout semble comme délavé.
Les poèmes du recueil sont poèmes de deuil où se décline sotto voce le chagrin sous ses multiples facettes. Dernière tentative pour cerner d’ombre ce qui obsède. Poèmes élégiaques que ce « chagrin d’herbes » qui embroussaille l’esprit du poète, confond sa pensée et ses sensations, et se joue de sa mélancolie. « Chagrin noir » parfois, qui entraîne jusqu’au fond de la « nasse », âme et cœur en « déroute ». Comment, dès lors, lutter contre le vide qui règne en maître sur l’espace et le temps ? Quel rempart édifier pour se protéger contre ce qui s’obstine à briser l’être ? Sur quels moyens compter pour maîtriser la désarticulation qui mine et le corps et le cœur ?
Ranimer ce peu qui demeure de lumière et de vent. Repousser au plus loin de soi les « murs de mer sale » qui hérissent la vie. Poursuivre sa route malgré tout, en dépit du désarroi qui s’acharne. Tenter de colmater le vide créé par l’absence en se fixant de pauvres objectifs ; tenter d’apprivoiser cette tristesse sans fin qui laisse à la dérive le cœur offert aux bleus de la mélancolie. Dessaisi de lui-même, le poète se fond dans un anonymat de gestes et de pensées, se recroqueville et « s’amenuise », enserré dans un rétrécissement de sa personne :
« Le chagrin plisse les yeux.Le cœur s’amenuise.On marche à reculons vers le temps quin’est plus et qui était présence.On se sent inerte.On va de là à là sans raison ni ressort. »
Une infinie tristesse tient en apesanteur l’homme solitaire délesté de ce qui le constituait et qui illuminait sa vie. Ce qui s’est absenté derrière un vide que rien ni personne ne peut parvenir à combler, a laissé dans la mémoire des brisures de regards qui affleurent comme autant de preuves que cela fut. Traces fragiles qui se dissolvent comme le sable qui fond entre les doigts et qui reconduisent vers le silence. Le chemin emprunté se révèle sans issue :
« Il n’est de chemin tracédans cette mémoireencore chaudedes pas des gestes des regards[…]il n’est de sentier gravéau sel de la mélancolie ».
Le poète passe par toutes les étapes de la souffrance et sa déroute est parsemée de tentations diverses. Il a pourtant conscience que tout effort est vain, toute tentative illusoire. Revenir en arrière ne se peut, faire revivre le passé est une épreuve impossible à affronter, à dépasser, à franchir.
« On se rempare comme on peut : le lotdes souvenirs.Parfois, l’éclaircie d’un cœur.Même les cœurs s’éteignent, nos lampesde l’éphémère.La mémoire poursuit de grapiller sur unsol de plus en plus dur. »
S’« il faut peu de mots/pour nommer la lumière », il en faut beaucoup pour tenter de cerner ce qui constitue le chagrin et opérer un « appariement possible du cœur et des pauvres/objets. » Car les mots et les choses ont perdu de leur consistance. Tout ce qui emplit d’ordinaire le jour s’est vidé de sa substance. Il ne reste de ce qui fut le bonheur que l’image d’un leurre qui sonne creux dans la vie solitaire,
« et les mots glissent d’une surfaceà l’autre sans s’encombrer de densitéainsi va le jour avec ses surprisesses prises d’obstacles ses pauvresmots de résistance ».
Ainsi la solitude extrême du poète épris de la tendresse passée laisse-t-elle l’homme démuni. Désemparé. Livré à une fragilité extrême. Vaine est sa quête d’étais auxquels arrimer son chagrin. Vain ce questionnement infini qui reste sans réponse. Des images liées à l’enfance, il ne reste que le souvenir « des hautes herbes » réduites en poussière par l’été. L’enfance à jamais lointaine ne peut être d’aucun secours, pas plus que tout ce qui fut vécu et partagé. Comme si rien de tout cela n’avait existé :
« On a couru ensemble les mêmes îles, lesmêmes collines, l’été. »
Et le poète d’ajouter ce douloureux constat :
« Je reste sur le bord esseulé comme unepierre. »
Malgré les présences affectueuses qui lui témoignent leur soutien, le poète persiste, « porté par l’encre/noire » qui guide sa main. « Quelque chose de noir s’invite », comme le « quelque chose noir » de Jacques Roubaud. Une encre qui endeuille jusqu’aux dernières images solaires de l’ultime voyage dans les Pouilles. Avec ces vers qui, tout en disant l’indicible douleur de celui qui sait qu’en ces lieux aimés elle ne reviendra plus, disent aussi l’échange de regards silencieux qui se saisissent de ce qui ne se peut dire mais qui pourtant se perçoit :
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Philippe Leuckx | [Tu marches dans ta ville]
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Philippe Leuckx | [Laisse la nuit s’éclairer sous tes yeux]
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Laura Tirandaz, Signer les souvenirs
par Philippe LeuckxLaura Tirandaz, Signer les souvenirs,
Æncrages & Co, Collection Écri(peind)re, 2019.
Gravures d’Anne Slacik.
Prix de la Découverte poétique
Simone de Carfort de la Fondation de France 2016.
Lecture de Philippe LeuckxLes vrais auteurs de voyages en poésie contemporaine sont rares : Timotéo Sergoï, connaisseur de Cendrars, Serge Delaive et quelques autres, dont Laura Tirandaz, qui, dans ce deuxième livre, offre un témoignage insigne sur un voyage en Amazonie profonde, avec une poésie subtile qui hisse les habitants perçus à une conscience juste de leur condition humaine, à protéger des mauvais regards, des clichés.
Voyager, c’est « perdre des pays » selon Pessoa ; ici, voyager offre des vignettes de pure poésie, dans « l’attente d’un bus », dans l’observation d’un « Anglais » cossu, exhibant sa montre, dans la perception d’une nature et de « son vol de pélicans qui s’abattent sur le poisson », métaphore de certain tourisme ?
« Le lac à peine éveillé », « à rio Bijano / Des feuilles fendues comme des sabots », « Le vent contrariait le sens du labourage » : autant de visions qui privilégient l’essence d’un monde à découvrir, « à découvert », à l’aune de ce constat « celle qui décrotte ses bottes avant le matin », tâche à laquelle s’assigne la poète : se décrasser le regard pour ne faire vibrer que l’essentiel.
« Le monde une étoffe brûlanteRetrouver les eaux de l’hiver dans le lit de l’éténous marchons côte à côtemes années liquides et moi ».
Décrire au plus vrai, au plus juste et arrêter la vision sans doute pour que tout devienne ce poème que je lis, pour que par une capillarité intime se transfuse de la poète à moi ce voyage qui a changé le regard et fait entrer sans effraction les gens d’ailleurs, pour une communion d’âmes ?
Les gravures d’Anne Slacik, fluides bleus d’ombres de corps, relaient exactement le propos aquatique de la poète sensible aux pirogues de la mémoire, celles qui « signent » les souvenirs âpres et beaux d’un voyage, de l’autre côté du monde, à l’envers de nos pauvres certitudes de nantis. Lévi-Strauss eût aimé ces textes fluides, très anthropologiques dans l’abord du monde.
« CayambeDans le bus le coup d’œil des passagersnous traversons leurs questions pour nous asseoirDieu reste près du rétroviseurLa radio accompagne la sortie de scènede toutes ces vallées vertes ces vaches blanchesLe lait frémit devient crèmeTout ce temps pour qu’une chanson d’amour fasse le tour du monde ».
La poète sait nommer la béance, la solitude, la suspension :
« La nuit était douloureuse injustecomme une gifle pour l’enfant étourdi ».
Dans la volonté évidente de nommer en les énumérant les « visages », les « amis qui se font des tendresses », de saisir « la nuit (qui) a cloué le sommeil », Laura Tirandaz nous donne à lire les traces épuisées de longs cheminements où la langue, l’effort d’écriture, la ferveur pour les gens et la justesse pour en conserver les images cernent la beauté dans ce qu’elle a de plus inaltérable, de plus partageable aussi : comme ce « quelqu’un » qui « s’est approché / dans la plainte des vaches / dans l’acquiescement des cochons ».
Une fois le livre terminé, une fois le voyage remisé, que reste-t-il ? « [L]a vie m’a reprise », dit-elle… « je suis déjà rentrée », forme d’épilogue nostalgique (« Il n’y a plus de musique »).
LAURA TIRANDAZ
Source
■ Laura Tirandaz
sur Terres de femmes ▼
→ Guayasamín (extrait de Signer les souvenirs)
→ [Sillons des dunes sillons des cous des femmes] (extrait de Sillons)
■ Voir aussi ▼
→ (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) Signer les souvenirs de Laura Tirandaz
→ (sur le site d’Æncrages & Co) la fiche de l’éditeur sur Signer les souvenirs de Laura Tirandaz
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Philippe Leuckx, Le Mendiant sans tain (extraits)
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Philippe Leuckx | [J’assume mes greniers d’enfance]
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Claudine Bohi, Naître c’est longtemps
par Philippe LeuckxClaudine Bohi, Naître c’est longtemps,
éditions la tête à l’envers, 58330 Crux-la-Ville, 2018.
Avec six eaux-fortes, aquatintes et huiles sur bois de Mitsuo Shiraishi.
Prix Mallarmé 2019.
Lecture de Philippe Leuckx
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