Étiquette : Photographies


  • Max Alhau, Les Mots en blanc

    par Isabelle Lévesque

    Max Alhau, Les Mots en blanc,
    L’herbe qui tremble, 2020.
    Photographies d’Elena Peinado Nevado.



    Lecture d’Isabelle Lévesque



    DES MOTS BLANCS SUR LA NEIGE




    Flocons, les mots du titre, pâles sur l’arbre d’or qui n’occupe qu’une partie de la couverture ? Ou bien sont-ils vêtus de blanc, comme pour une cérémonie augurale ? C’est le quatrième livre du poète Max Alhau à L’herbe qui tremble, il retrouve la photographe Elena Peinado Nevado qui avait accompagné déjà Si loin qu’on aille*. Ces images d’un temps suspendu nous montrent des arbres, souches, branches, captés l’hiver le plus souvent, figures de ce qui demeure dans un paysage dépouillé qu’on ne saurait dater. Traces sépia de ce qui nous traverse lorsque la mélancolie devient l’âme du paysage.

    Des interrogations ouvrent le poème. Ce n’est pas anodin, le questionnement survient au terme d’un parcours dont on cherche à percevoir le sens :

    « À quoi auras-tu acquiescé

    si ce n’est à sentir le temps

    se fermer sur tes rêves,

    à attendre de chaque saison

    un don furtif et sans espoir ? »

    Ces questions, très présentes dans le livre, suggèrent et éludent en même temps les négations, les transformant en quantitatif réduit, c’est leur force. « Peu » pourrait être l’adverbe de réponse à ces demandes et l’on sent que cette réduction au minime justifie vivre et écrire, « entre le vide et le vertige ».

    Le recours au futur antérieur, à la place du passé composé, ouvre un temps plus large et universel aux questions ainsi lancées, élargissant la portée du pronom « tu ». C’est toujours une mesure humaine que nous propose Max Alhau : au regard d’une vie, toujours considérée comme « une vie en sursis », il nous fait entrer dans l’observation fine de ce qui a été traversé. Toujours, le paysage définit le cadre de cette pérégrination singulière à laquelle nous sommes intégrés (le pronom tu d’ailleurs, équivalent de je, facilite l’identification).

    Le marcheur sait qu’il traverse des territoires, mais le sens s’est perdu comme la possibilité de rejoindre :

    « Devant soi on mesure

    cette étendue de terre

    bleuissant dans le soir

    et que l’on sait

    ne jamais rejoindre,

    comme une voix se perd

    dans les sous-bois

    et n’appartient à personne. »

    Cet écho, cependant, justifie que l’on s’attarde et le poème, mélancolique, propose le rythme de retrouvailles. L’échelle humaine du temps permet des approches : l’adverbe « peut-être » ouvre une perspective sous la forme interrogative d’une rencontre « passage ouvert / vers les ténèbres ou la clarté, / on ne sait ». La négation ne clôt pas l’espoir, elle pose sur les vers un possible. Le verbe « pactiser », employé à plusieurs reprises, révèle une tentative : l’apprivoisement par la parole. Tout le poème tend vers cet accomplissement, un adoucissement de la mélancolie par la captation de ce qui reste et vibre, d’un élan malgré le doute, d’un rêve de mots dont la matière, la couleur et le parfum pourraient être ceux de la vie :

    « De l’amour, de la douleur

    que pourras-tu dire

    si les mots comptent moins

    que le blanc qui les compose ? »

    Le « voyageur sans bagage » de ce livre n’est pas amnésique, mais il sait la mémoire toujours menacée d’oubli, les mots en instance d’effacement ou d’ensevelissement.

    « Le pont franchi, on a déjà oublié la rivière. »

    Chaque poème s’inscrit comme une trace, une empreinte fragile sur la page, « des traces de buée sur un miroir brisé ». Le marcheur de Max Alhau rejoint, par les éclats de souvenirs heureux et par la profonde mélancolie, le Wanderer de Schubert, ou les chants du Voyage d’hiver. Comme les voyageurs de Caspar David Friedrich, il contemple l’infini du paysage, se perd dans le « cosmos ». Mais ici le voyageur, rappelant ses rêves, ses désirs et ses soifs que les dieux ignorent doit se garder des « mirages » alors que, quittant ses chères montagnes, il semble se diriger vers le « désert ». Comment « inventer la suite d’une vie qui cahote » ? Face à ce qui vient, ne pouvons-nous que nous « réfugi[er] dans notre mémoire » ?

    La troisième partie, « Impressions », propose une suite de poèmes en prose dans lesquels le narrateur s’adresse parfois à l’aimée disparue : « toi dont ne subsiste que la transparence de la lumière sur une vitre après l’orage », murmure-t-il.

    « Ce fut le temps de la douleur, l’orage dévastant l’aube et toute parole devenant son propre écho.

    Ce fut le temps et son saccage, celui du corps et de l’amour perdu dans la tourmente et que plus rien ne ranime. »

    Mais les poèmes témoignent aussi d’une acceptation, d’une volonté de conciliation :

    « vois dans cette fragilité la raison même de dévoyer ta peur et de t’en affranchir ».

    Le repli ne s’opère pas, neige (est-ce un « mot en blanc » ?) devient le sésame d’une naissance :

    « Neige qui force à la patience, sollicite le rêve d’une saison future sans que le regard soit trompé par les apparences. »

    L’issue du poème n’est pas le mot fin, comme le mot secret neige, il invite à accomplir notre destin accepté dans les retrouvailles recommencées avec les saisons. Chacune laisse une trace, celle de mots blancs sur la neige.

    « Notre passage aura été comme l’écho de paroles jamais prononcées. »



    Isabelle Lévesque
    D.R. Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes





    _______________________
    * Max Alhau, Si loin qu’on aille, L’herbe qui tremble, 2017 – Prix François Coppée de l’Académie française.





    Max Alhau  Les Mots en blanc




    MAX ALHAU


    Max alhau
    Source




    ■ Max Alhau
    sur Terres de femmes


    [Tu n’oses plus nommer] (poème extrait des Mots en blanc)
    Le Temps au crible (lecture de Cécile Oumhani)
    [Tu es le veilleur d’un pays englouti] (poème extrait d’En cours de route)




    ■ Voir aussi ▼


    → (dans la poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Max Alhau
    → (sur le site des éditions L’herbe qui tremble)
    la fiche de l’éditeur sur Les Mots en blanc




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Ici (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris






    Retour au répertoire du numéro de mars 2021
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Samira Negrouche | [Un doigt réaligne les fils]


    Postic 3
    Nathalie Postic in Samira Negrouche, Traces
    « La surface immobile
    qui vibre, qui vibre
    qui fait voile au-dedans
    souffle au-dedans. »









    [UN DOIGT RÉALIGNE LES FILS]




    Un doigt réaligne les fils /// un doigt coupe /// un doigt retourne /// un doigt presse /// un doigt glisse /// un doigt va et revient /// un doigt retourne les fils /// un doigt voltige /// un doigt te donne à boire /// un doigt goûte /// un doigt mesure /// un doigt trempe dans le mercure /// un doigt enroule les fils /// un doigt te suit /// un doigt te mesure et en te mesurant, il mesure la distance /// un doigt te scrute à la loupe /// un doigt te repose la question /// un doigt file les fils /// un doigt secoue /// un doigt rabote /// un doigt essuie le coin de l’œil /// un doigt te signe l’invitation /// un doigt te traverse.





    Mes mains se balancent, elles répètent sans cesse les mêmes gestes, ils sont inscrits en moi.
    Le geste est nombreux.
    Dedans les gestes, il y a un amoncellement de gestes, que je répète. Je ne me souviens pas les avoir appris, ils sont entrés en moi, par magie ou par nécessité.

    Il n’y a pas eu d’effraction entre nous, pas de viol.

    Les gestes que je répète sont comme le silence, ils ne me dérangent pas, ils ont leur propre vie, j’ai la mienne qui observe le marécage, l’enfant sorti traîner dans le marécage qui ramasse ce qu’il ne devrait pas ramasser, sur cette surface chargée de ce qui ne devrait pas être là.
    L’enfant sorti flâner ramasse.





    Le geste est nombreux
    il fait silence en moi
    et c’est ainsi que je vois.
    C’est ainsi que je te vois
    nombreux.
    C’est ainsi que je te touche.
    La surface immobile
    qui vibre, qui vibre
    qui fait voile au-dedans
    souffle au-dedans.





    Samira Negrouche, Traces, 6, Fidel Anthelme X, Collection “La Motesta”, Marseille, 2021, pp. 23-25. Photographies de Nathalie Postic (3).






    Traces 5




    SAMIRA NEGROUCHE


    Samira Negrouche Guidu
    Image, G.AdC




    ■ Samira Negrouche
    sur Terres de femmes


    [J’aborde la plus haute rive](extrait de Quai 2 | 1)
    Six arbres de fortune autour de ma baignoire (lecture d’AP)
    [Des sillons se creusent] (extrait du Jazz des oliviers)
    Tes vagues (+ notice bio-bibliographique) [extrait d’Iridienne]
    [Tu ne te résignes pas] (extrait de Six arbres de fortune autour de ma baignoire)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Il se peut




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur YouTube)
    Samira Negrouche – Portrait d’une poétesse (Voix de la Méditerranée, Lodève, juillet 2011. Réalisation de Sonia Viel. Propos recueillis par Thierry Renard. Production Espace Pandora)





    Retour au répertoire du numéro de février 2021
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Pierre Peuchmaurd | Iris Cascade



    CASCADE
    Ph., G.AdC






    IRIS CASCADE


    à Guy Cabanel           



    Je vivais au pied de la cascade
    j’étais jeune et humide
    tous les mille ans je changeais d’ombre
    je mangeais des loirs et des papillons
    Et puis rien n’est venu

    Les pierres roulaient dans le soleil
    Il y avait du soleil une ou deux fois par nuit
    et des bêtes prolongées avec des rires de femmes
    il y avait des femmes une ou deux fois par rêve
    Je ne sais pas ce que c’est

    L’hiver, caravanes caravelles
    attendaient qu’on invente les mots
    pour passer devant moi
    Une mousse orange couvrait le ciel
    Je me réveillais tard

    Les soirs d’été
    je pariais sur l’onagre, sur les truites électriques
    sur l’impatience du rouge
    Je pariais sur mes peaux dans les forêts naissantes
    L’iris poussait dans l’œil du diable




    Pierre Peuchmaurd, « L’Océan du lavoir et même la rouille est bleue » [éditions Myrddin, Brive-la-Gaillarde, 1996], Autres achèvements, in Parfaits dommages et autres achèvements, éditions L’Oie de Cravan, Montréal, 2007, pp. 65-66. Avec dix photographies de Nicole Espagnol.






    Pierre Peuchmaurd  Parfaits dommages





    PIERRE PEUCHMAURD


    Pierre Peuchmaurd portrait NB
    Source




    ■ Pierre Peuchmaurd
    sur Terres de femmes


    Fleur blanche (autre poème extrait d’Autres achèvements)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Pierre Mainard)
    une notice bio-bibliographique sur Pierre Peuchmaurd





    Retour au répertoire du numéro de janvier 2021
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Sophie Eustache, Corinne Le Lepvrier | El blâd el medina le pays la ville


    EL BLÂD EL MEDINA LE PAYS LA VILLE




    El blâd el medina le pays la ville   elle   là-bas temma ech chemsss elle le soleil es smaâ elle le ciel   er   rîh elle le vent el mââ elle l’eau elle la pluie ech chta   elle a soif hia atchana   elle la nuit et le jour el lil o n nahar   elle petite ss’ghira elle peu chwiya elle trop bezzaf moins qel   elle part mchat   elle est la route raha et triq   elle la langue el lugha elle la parole el kelma elle la réponse peut-être proche ej jawab yemken grib   est-elle la clé de la maison raha es sarut dial d dar est-elle la chambre raha el bitt   il y a-t-il une femme dans la chambre kayen shi m’ra fi el bitt   elle ne sait pas ma’ aarfa’ch elle ne comprend pas ma fahma’ch rien walou du tout koulchi quelque chose ou quelqu’un d’autre chihaja oula chiwahad akhor elle dit qalat où vas-tu maintenant fin gadi daba quand quel jour imtha yemtha ce n’est pas maintenant machi daba viens demain aji ghedda pourquoi pas âlach la regarde [cherche] tu écris chûf ktebiti sois la bienvenue marhbabik yallah on y va inch’allah

    [rudiments maintenant qu’elle parle dans une langue approximativement [darija] c’est être allée là-bas à n’en pas douter il n’est plus nécessaire d’y retourner] [pourvu que ce soit ensemble qu’elle soit parie pourvu qu’elle ait oublié que cela lui revienne] [il y a plus ambigu que les mots] [amour au sens large se dit houb peau jeld cannelle qarfa hajal signifie la perdrix la chapelle le lit nuptial]




    nos corps
    tables rases
    ce qu’il en restera une fois
    évidés
    essorées
    nos bouches nos haleines
    nos ombres
    dépouillé[es] de leurs
    frusques
    une fois
    désossés
    énervés
    ce qu’il en restera
    nos sexes
    d’éternels ébréchés
    nos yeux
    en crue
    […]




    Sophie Eustache, Corinne Le Lepvrier [textes], Corinne Le Lepvrier [photographies] , Les Allantes, éditions La Renverse, Collection Deux choses lune, Caen, 2019, 70-72.





    Les Allantes montage




    CORINNE LE LEPVRIER


    Corinne Le Lepvrier 2
    Source




    ■ Corinne Le Lepvrier
    sur Terres de femmes


    Compte de femmes (lecture d’AP)
    [Je me suis arrêtée, je tourne à vide](extrait de Pourquoi la vie est si belle ?)




    ■ Voir aussi ▼


    le site de Corinne Le Lepvrier
    → (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Corinne Le Lepvrier






    SOPHIE EUSTACHE


    Sophie Eustache
    Source




    ■ Voir encore ▼


    → (sur le site des éditions Amsterdam)
    une notice bio-bibliographique sur Sophie Eustache





    Retour au répertoire du numéro de juin 2020
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • #TdF | Entretien avec Florence Noël

    Chroniques de femmes – EDITO

    Entretien avec Florence Noël



    Florence N 1

    Florence Noël, Branche d’acacia brassée par le vent, Huit mouvements,
    sur des photographies de Pierre Gaudu, Le Chat polaire,
    1348 Louvain-la-Neuve (Belgique), 2020.









    ENTRETIEN AVEC FLORENCE NOËL


    Un entretien de Terres de femmes (TdF) avec Florence Noël au lendemain de la publication de Branche d’acacia brassée par le vent, Huit mouvements.




    TdF: Branche d’acacia brassée par le vent est un titre habité par un élément, cette rafale qui agite les huit photos de Pierre Gaudu, et qui augure chacun des huit mouvements d’écriture annoncés par le sous-titre du recueil… Quelle a été la genèse de ce travail de collaboration ?

    Florence Noël : J’ai beaucoup échangé avec Pierre en 2009-2010, au moment où j’ai découvert ses œuvres picturales et photographiques. J’étais alors en arrêt de travail pour burnout. J’avais épuisé toute force vitale. J’étais exsangue. Dévitalisée. Tout effort m’était trop, tout me dégoûtait et me plombait. La projection même dans un avenir lointain d’une quelconque tâche me donnait la nausée. J’étais essoufflée, sans ressort, figée. Pour la troisième fois maman depuis un an, j’avais usé neuf mois de grossesse, puis encore neuf mois de reprise après mon congé de maternité sur les routes à faire la navette entre mon domicile et Bruxelles. Seize heures hebdomadaires qui se rajoutaient à mon horaire de travail. Je devais chanter dans la voiture pour ne pas m’endormir… Puis mon corps a lâché. Et ce n’était pas la première fois. J’avais une conscience aigüe que cette période d’arrêt allait devoir marquer une rupture, mais cette fois-ci une rupture désirée, une rupture fomentée. Que je devais « souffler » et « reprendre haleine ».

    Il se trouve que j’étais fascinée par la palette de Pierre, ses dessins, et peu à peu par sa vision photographique du monde, qui me sont parvenus en contrepoint lumineux de cette période très sombre. Ces deux pôles de son art en effet se répondent, et même de plus en plus avec le temps. Il photographie avec l’œil du peintre et peint avec cette perception du mouvement qu’il capte dans ses photographies d’éléments naturels habités par le courant, le vent, l’impulsion. Les torrents deviennent gemmes, les branches enlacements. J’ai été très impressionnée par le souci qu’il a du détail, de la finesse de l’architecture de ce qui nous entoure. Un souci qui pour moi est de l’ordre du souffle qui donne vie et anime. Je l’ai perçu comme une épiphanie, une connexion première avec la nature que je partage avec lui et qui pour tous deux a un côté curatif. Branche d’acacia brassée par le vent est le titre d’une série que Pierre a conçue lors d’une balade au cours de l’été 2009, alors que je ne le connaissais pas encore. L’éblouissement et le trouble qui avaient été siens face à cette branche, il me les a communiqués par le partage de ses clichés. Il s’était comme « ajusté » au souffle et à l’éclairage changeant de cette branche, capturant le flouté par la qualité de son travail sur la lumière. Cette grâce m’a remuée là où en moi tout était figé par l’épuisement. Et je me suis mise en mouvement. Mes mots ont cherché à prolonger cet état, mais en puisant dans mon propre référentiel féminin, spirituel. Du mouvement à l’image, je suis passée à l’écriture et à la musique.


    TdF : Branche d’acacia brassée par le vent est ton troisième recueil (quatrième si l’on prend en compte Pavane pour une nebbia publié chez Encres vives de Michel Cosem en 2015). D’où provient la tonalité plus lyrique de cet ouvrage ? D’autant plus que sa composition tranche par rapport aux deux autres recueils parus chez Bleu d’Encre (L’Etrangère) et chez Taillis Pré (Solombre).

    Florence : Oui, c’est un recueil plus ancien dans sa composition, mais dont le rythme, la danse, le chant demeurent très vivants en moi. Il exprime cette part élégiaque, cet élan amoureux mais sans la tristesse intrinsèque à cette forme. J’y ai plutôt fait écho à l’enthousiasme et à la fougue du Cantique des cantiques. Sans doute la sacralisation de l’élan vital qui anime ce dialogue amoureux de deux jeunes amants se cherchant, courant vers l’un vers l’autre, évoquant les délices érotiques avec force métaphores bucoliques et naturelles, m’est-elle venue comme étant la référence de base à cette branche d’acacia photographiée par Pierre Gaudu. Il y a néanmoins une connexion entre les recueils Branche d’acacia et Pavane pour une nebbia. Pierre est aussi un grand marcheur et découvreur de sentiers de montagne qu’il n’épuise jamais de son regard. Dans Pavane pour une nebbia, le tout premier vers est une phrase que Pierre m’a dite fin 2009 alors que nous discutions et commencions à collaborer. Je ne m’en suis souvenue que bien plus tard, elle s’était imprimée en moi à mon insu et a initié cette balade à l’aube qui commence ainsi : « au début mes yeux sont pauvres ». Lui et moi partageons une même conscience de notre pauvreté de regard : cette vacuité offre un espace pour que la nature prenne place en nous ; émotion, remuement et mouvement s’enchaînant par l’activité créatrice. Le vent a joué un rôle de déclencheur. Symbole de la légèreté, de la grâce, du souffle de vie, du Rouah hébreux que le Dieu de la Bible insuffle en tout être pour l’animer, le vent a cette liberté, cette puissance, cette vigueur que je n’ai pu que rapprocher de l’élan amoureux. Moi qui étais à bout de souffle, je me suis engouffrée, à l’image de la rafale dans cette branche, dans ces huit photographies. Je les ai intégrées à même mon corps et à ce qu’il me restait de vitalité. Et cela je l’ai fait dans une allégresse créative neuve et initiatique, sans la crainte physique qui me hantait dans la perspective de toute autre activité. En cette période-là, l’écriture m’a sauvée et m’a réconciliée. Je venais de collaborer sur une autre série photographique de Pierre « Chardons ». Et quelques mois plus tard, mi-2010, j’éditais le premier volume de l’éphémère revue DiptYque consacrée au dialogue artistique (poésie, prose, photographie, peinture et art plastique) avec le premier volet d’un double thème « La part de l’ombre » auquel répondra plus tard « Lumières intérieures ».



    TdF : Dix ans se sont écoulés entre la genèse de ce recueil et sa publication au Chat Polaire. C’était la bonne rencontre ?

    Florence : Oui, Marc Menu et Marie Tafforeau ont mis en branle une magnifique dynamique avec le Chat Polaire. Ils apportent une note fraîche et vive au sein de l’édition belge de poésie dont les lignes bougent peu depuis quelques années. C’est un projet éditorial courageux, encore plus en ces temps incertains, et dont l’impulsion première tient dans l’amour des mots, notamment dans le pouvoir sensuel et musical des mots, et dans l’amitié. Le Chat Polaire fonctionne comme une famille qui s’agrandit à chaque parution. Il y a une ligne éditoriale commune entre tous les recueils : langue dont on joue de manière ludique ou grave, musicalité et ouverture aux artistes (illustrateur, photographes, dessinateur…). Je me suis ainsi sentie assez en confiance pour proposer ce recueil qui me tenait particulièrement à cœur. Je ne pense pas que j’aurais pu le proposer facilement à n’importe quelle maison d’édition. Notamment en raison du format du recueil. Les recueils du Chat Polaire ont habituellement un format carré. Mais pour ce recueil-ci et afin de respecter l’horizontalité des photos de Pierre, les éditeurs ont proposé un format à l’italienne, un format allongé. Une seconde édition, travaillant davantage la qualité des photos, devrait voir le jour quand la crise sanitaire actuelle sera derrière nous.



    TdF : Ce qui fait peut-être de ce recueil une expérience à part, c’est ce rythme qui lui est propre, alternant des vers longs, presque prosaïques, et des vers courts, pour chaque mouvement de musique (Prélude et Fugue, Sarabande, Adagio, Largo, Andante cantabile, Menuet, Miserere nobis, Allegro). Quelle rôle la musique a-t-elle joué dans ton écriture ?

    Florence : Le mouvement m’était venu des mouvements du vent dans la branche. L’élan amoureux de la lumière et du souffle faisant écho aux textes érotiques de l’Antiquité. L’ivresse amoureuse nous fait renouer avec cette part innocente, insouciante qui est l’antidote de cette calcination intérieure du corps que produit l’épuisement. Me restait à « rendre » la variation de rythmes. J’ai travaillé chaque mouvement de la manière suivante : un des clichés photographiques m’inspirait un rythme intérieur, que je traduisais en un mouvement musical avec un tempo singulier (par exemple un adagio). Je m’immergeais alors dans l’écoute de nombreuses interprétations de ce mouvement (avec une prédilection pour la musique baroque ou la musique contemporaine). Et j’écrivais de telle sorte que les mots deviennent notes, et les phrases musicales le tempo inscrit dans le rythme. J’ai exploré les assonances, les allitérations, les phonèmes, tout ce qui pouvait créer une harmonie imitative. J’ai usé de ponctuation et de silence (tirets, virgules, élisions) pour marquer le tempo. C’est pourquoi je n’adhère pas du tout à l’idée qu’il s’agirait de textes pour partie prosaïques. Certes la rime est négligée, certes le passage à la ligne n’est pas un marqueur du vers, mais ce sont pour l’essentiel le souffle et la musicalité qui dirigent la partition du verbe. Il y a là un travail à la fois technique et synesthésique, une tentative d’alchimiser la langue pour qu’elle devienne partition. J’ai aussi, comme dans les mouvements musicaux, alterné des sections mélodiques principales avec variations (A,A’,A’’,… et C, C’, C’’, C’’’,…) avec des sections brèves (B, D) se découpant ainsi en quatre parties pour chaque mouvement.



    TdF : Est-ce à dire que le sens doit s’effacer derrière la seule « écoute » du mouvement poétique ainsi obtenu ?

    Florence : De la même manière qu’on peut écouter un musicologue ou un œnologue longuement raconter le déploiement d’une pièce musicale ou d’un vin rare, cette poésie s’inscrit dans une narration. Elle intercepte ce très jeune couple d’amants au seuil du jardin, prêts à « fouler la houle herbeuse », se précipitant l’un vers l’autre (Prélude-Fugue et Sarabande). Puis viennent d’autres saisons de l’amour, l’âge adulte, ses appuis et ses doutes, l’établissement, la jeunesse mature (Adagio et Menuet). S’ensuit l’âge d’accomplissement, où confiant, l’on va l’amble (Andante cantabile et Largo), enfin la dernière saison du couple, la plus longue souvent, parfois la plus dramatique, mais aussi la plus réconciliée (Miserere nobis et Allegro). Tout au long de ce voyage, les branchages, les frondaisons constituent le décor essentiel, comme l’arbre d’une vie, bien réel, dans un Éden simplement mortel. L’érotisme, la sensualité, le lien avec la Terre, avec l’ensemble des sens font sens. Bien sûr, et comme pour tout ce que j’écris, la signification reste ouverte. Un jour tel sens vous parlera tandis qu’un autre jour, vous le regarderez comme un objet étranger. Le lecteur a toujours raison d’aimer ou de ne pas aimer, de se sentir concerné ou non. L’offrande et la confiance doivent être le contrat implicite qui guide l’acte de publication. La poésie est une voie étroite d’où surgit quelquefois une voix aux accents universels. L’auteur ou l’autrice sont les plus piètres juges de ce processus.



    TdF : Ce recueil est-il alors un recueil qui s’adresse particulièrement à un éros au féminin ?

    Florence : Non, certainement pas. Dans cette lecture que chacun peut entreprendre, qu’il soit homme ou femme, deux voix peuvent dialoguer. Des déclamants pourraient s’approprier ce texte et le découper selon leur sensibilité et leur sensualité propres, seuls, en dialogue, avec une infinie variation de combinaisons. Si jamais, et c’est un rêve, une telle mise en voix était un jour montée, sur une projection des huit vues de la branche d’acacia, avec en contrepoint des interventions musicales, ce recueil aurait servi de relais toujours vivant entre ce souffle capturé par Pierre un jour d’été 2009 et le souffle des arts vivants incarnant ce moment de grâce et son infinie vitalité créatrice.



    Florence Noël
    pour Terres de femmes (3 juin 2020)
    D.R. Texte Florence Noël




    FLORENCE NOËL


    Florence Noël






    ■ Florence Noël
    sur Terres de femmes


    Sarabande (extrait de Branche d’acacia brassée par le vent)
    Solombre (lecture d’AP)
    [tu dis c’est l’heure jaune] (extrait de Solombre)
    L’Étrangère (lecture d’AP)
    [parler de soi] (poème extrait de L’Étrangère)
    Initiation au crépuscule
    [Donnez-nous des pierres] (Vases communicants)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    autant revivre en mon jardin




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    le site de Pierre Gaudu
    → (sur Karoo)
    une lecture de Branche d’acacia brassée par le vent par Thibault Scohier
    → (sur soundcloud)
    Florence Noël lit le Premier mouvement : Prélude et Fugue de Branche d’acacia brassée par le vent
    panta rei, les dits de la clepsydre de Florence Noël
    le site des éditions Le chat polaire






    Retour au répertoire du numéro de juin 2020
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Jackie Plaetevoet | [Je suis née sur une terre saignée]



    [JE SUIS NÉE SUR UNE TERRE SAIGNÉE]




    Je suis née
    sur une terre saignée
    de cailloux éclatants

    quêtant les tessons de l’infime
    pour que jaillisse
    l’alphabet de toute chose

    sonder la nébuleuse
    de ses exubérances

    c’est la seule façon d’exister
    fouiller une à une
    chacune de nos ignorances

    et vaille que vaille
    humer ce vertige
    pour débusquer

    peut-être la consolation.




    Jackie Plaetevoet, La Brièveté d’être, éditions Le Réalgar, collection l’Orpiment, dirigée par Lionel Bourg, 2020, page 31. Photographies de Géraldine Dubois.





    Jackie Plaetevoet La Brièveté d'être 2
    feuilleter





    JACKIE PLAETEVOET


    Plaetevoet  jackie
    Source




    ■ Jackie Plaetevoet
    sur Terres de femmes ▼


    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Ras de la terre




    ■ Voir aussi ▼


    le site de Jackie Plaetevoet
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Jackie Plaetevoet
    → (sur le site des éditions Le Réalgar)
    la fiche de l’éditeur sur La Brièveté d’être
    le site des éditions Sang d’encre





    Retour au répertoire du numéro de mai 2020
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Joël-Claude Meffre, Aux alentours d’un monde

    par Angèle Paoli

    Joël-Claude Meffre, Aux alentours d’un monde, proses,
    éditions tituli, 2020.
    Préface d’Yves Ouallet.
    Avec des photographies d’Heba-Raphaëlle Meffre.



    Lecture d’Angèle Paoli


    LE RÊVE DE CRATYLE





    L’ouvrage qui retient aujourd’hui mon attention est un livre récemment publié par les éditions tituli. Il est signé Joël-Claude Meffre. Spontanément des souvenirs refont surface. Qui me renvoient au temps de La Petite Librairie des champs. Était présent ce jour de septembre 2010, qui déambulait dans les ruelles du Vieux Boulbon, en compagnie des invités de Sylvie Durbec, le poète de Séguret, Joël-Claude Meffre.

    En feuilletant Aux alentours d’un monde, je découvre des photos qui m’évoquent des paysages familiers. Les Dentelles de Montmirail, Notre-Dame d’Aubune, l’église romane de Beaumes-de-Venise. Ainsi que des collines de cyprès, d’oliviers et de chênes. Des évocations aussi de toits de lauzes qui me sont chers, de ruines de hameaux abandonnés. Je croise d’autres toponymes tout aussi évocateurs : Vaison, Ouvèze, Grignan, le Mont Ventoux… Car nous sommes bien dans le Vaucluse, pays de viticulture et région natale du poète.

    Le recueil rassemble des « proses » qui sont comme autant de stèles posées sur les pages. Réunies sous un titre qui conjugue à la fois microcosme et macrocosme, ces proses sont une tentative de retenir un monde en voie de disparition.

    « J’écris comme instinctivement, mon cahier ouvert sur les genoux, dans le mouvement de ce que je vois, essayant de saisir au vol ce qui subsiste d’une certaine intelligence du monde dans ces recoins solitaires. » (« Lambeaux de neige au pied des talus, dans les collines de l’est »)

    Paysages aimés, sentiers et montagnes, murets et ruisseaux, arbres tutélaires sont autant de tesselles de mosaïques dispersées par le temps et ravagées par l’homme. Avec la minutie d’un archéologue, le poète patiemment exhume, vigilant et attentif au bon choix des mots, ramène au jour ce que d’autres ont peu à peu désagrégé. Du monde ancien et de son bel ordonnancement, il ne subsiste que d’infimes traces, dispersées sous les broussailles. Le poète les traque, quelles qu’elles soient. Chemins à ornières ne conduisant plus nulle part ; écorces d’arbres centenaires aux secrets enveloppés ; voies anciennes rongées par le passage des roues de charrettes ; noms oubliés gravés sur des stèles à l’abandon… Qu’il débusque au cours et au détour de ses marches en montagne. Observateur patient, Joël-Claude Meffre redonne vie aux empreintes. Par sa contemplation silencieuse, il cherche à en restituer la nature originelle, afin de permettre à chacune de recouvrer sa juste place. Une démarche qui s’inscrit dans le droit fil de celle du philosophe gréco-romain Plotin, comme le souligne Yves Ouallet, le préfacier de ce livre :

    « Parlons maintenant de la terre, des arbres et des plantes ; disons comment ils contemplent, et comment nous pourrons ramener les choses produites par la terre et issues d’elle à son activité contemplative ; disons comment la nature, qui, affirme-t-on, ne possède ni représentation ni raison, a en elle la contemplation et produit tout ce qu’elle produit par cette contemplation que [dit-on], elle ne possède pas. » (Plotin, Troisième Ennéade, VIII, 1)

    Ainsi, attentif aux chuchotements des signes, aux sillons laissés par les bêtes — qu’il faut savoir distinguer des traces humaines —, attentif aux rainures creusées par un filet d’eau, le poète se penche-t-il sur des détails infimes qu’il est seul à percevoir et qui dessinent toute une mémoire. Toutes empreintes presque invisibles qui sont le témoignage et la signature d’un monde disparu. Pourtant la fragilité de ce qui demeure est une invite à une méditation qui englobe tout à la fois l’infiniment discret et l’infiniment grand. Ainsi de la « ferme à l’éclipse » et de la « figure » qui se cache dans sa façade :

    « Ce croissant de lune dans un cercle suggérant l’éclipse m’apparaissait comme une signature, m’invitant à méditer le mouvement d’un certain ordre cosmique, d’un certain rapport des corps célestes entre eux, de leur hiérarchie, de leur symbolique et de leur influence sur la maison de mon parent… » (« Maison à l’éclipse »)

    Observateur silencieux de tout ce qui l’entoure, le poète marcheur s’interroge. Il s’interroge sur le nom des lieux qu’il habite et qu’il aime parcourir. Pareil au Cratyle de Platon, il aimerait pouvoir renoncer à leur dénomination. Ainsi de ce « pic rocheux » dont « de mémoire d’homme personne [ne] connaît le nom ». Ou de ce mont au pied duquel le marcheur s’endort et qui n’a d’autre nom que Mont.

    Dans le mot « montagne », il entend « terre », « ciel », « espace », « masse », « minéral ». Mais quand il prononce le mot : « le mont&nbsp», paraît alors devant [lui] « une entité incontournable. Mont est le mot d’une image comme une pointe en acier. Il faut apprendre à voir le mont sans qu’on en connaisse nécessairement le nom. Pour le nommer, il suffit de le montrer, disant simplement qu’il est, lui, le mont, oubliant le nom qu’on a pu lui donner. »

    Comment nommer les choses ? Et pourquoi d’ailleurs les nommer ? Ne vaudrait-il pas mieux les laisser à leur existence première sans les inscrire dans des nomenclatures, sans les classifier. En réalité, dès que les choses acquièrent un nom, elles se rangent sous la mainmise de l’homme. En lui appartenant, n’est-ce pas de leur liberté qu’elles se défont ?

    Et le poète de rêver d’un temps lointain des origines où les formes, non encore nommées ni dénommées, « pouvaient se regarder, se mirer, étrangères à elles-mêmes, dans le beau vide humain. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Jean-Claude Meffre  Aux alentours d'un monde





    JOËL-CLAUDE MEFFRE


    Joël-Claude Meffre





    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Joël-Claude Meffre







    Retour au répertoire du numéro d’ avril 2020
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index des « Lectures d’@angelepaoli »

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Florence Noël | Sarabande


    SARABANDE
    (extrait)




    c’est là : le bougé du sujet, le flouté du dire que peint la feuille parmi ses sœurs et chacune liée à la souplesse de la branche, chacune et toutes ensemble dessinant le verbe, et sa gésine dans le désir d’un moineau pour l’envol, toutes en chacune s’animent,

    c’est là : dans le bougé des sèves, poussée organiste, ligneuse impatience – infléchie d’un soubresaut – dans le bougé des lèvres gonflées et si tendues dans le vouloir te dire,

    c’est là : l’à peine relié au trop, le fleuve ancré dans le filé du ciel, bougé d’un regard perdu de cible éperdu et perdant, le regard qu’on ne peut, le regard entier, et si osé le regard qui nous cloue nu et pantelant,



    Florence Noël, « Deuxième mouvement : Sarabande », Branche d’acacia brassée par le vent, Huit mouvements sur des photographies de Pierre Gaudu, Le Chat polaire, 1348 Louvain-la-Neuve (Belgique), 2020, page 19.






    Florence N 1






    FLORENCE NOËL


    Florence Noël






    ■ Florence Noël
    sur Terres de femmes


    un entretien avec Florence Noël
    Solombre (lecture d’AP)
    [tu dis c’est l’heure jaune] (extrait de Solombre)
    L’Étrangère (lecture d’AP)
    [parler de soi] (poème extrait de L’Étrangère)
    Initiation au crépuscule
    [Donnez-nous des pierres] (Vases communicants)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    autant revivre en mon jardin




    ■ Voir aussi ▼


    le site de Pierre Gaudu
    panta rei, les dits de la clepsydre de Florence Noël






    Retour au répertoire du numéro de mars 2020
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Jeanne Bastide | [La petite fille du passé]



    Objar
    Paul-Émile Objar, in Rouge enfance
    (photo de première de couverture)







    [LA PETITE FILLE DU PASSÉ]



    La petite fille du passé court après l’ombre de la grand-mère qu’elle est devenue.
    Une ombre douce et grise. Qui essuie le rouge.
    De loin elle la voit floue, inconsistante, mal délimitée.
    C’est que l’aïeule n’a pas de contours très nets.
    Elle a laissé sa silhouette et s’est vêtue de ramées.
    L’épaisseur des ombres qui la couvrent lui donne cet aspect. Un feuillage ancien.


    Les choses sont là. Posées.
    Tout au long de l’air, des pensées suspendues.
    Un poudroiement suit la courbe de la colline.
    Les arbres ont des branches alanguies par le poids de la beauté.
    Le désormais a pris toute la place. Toute.
    Alors que l’espace s’est rétréci à un point de la pupille, l’herbe s’y étale. Se déploie à l’infini de ce point.
    C’est un tableau sans aucun repentir. A chaque élément sa place singulière.
    On voit la peau des feuilles qui étincelle de douceur et au loin le feu d’un phare comme une coronille au sommet de sa floraison.


    Cela a un sens. Tout est relié.
    La petite fille court après l’ombre de la grand-mère qu’elle est devenue.




    Jeanne Bastide, Rouge enfance, récit, éditions Domens, Pézenas, 2019, pp. 9-10. Photographies de Paul-Émile Objar.





    Jeanne Bastide  Rouge enfance






    JEANNE BASTIDE


    Jeanne Bastide
    Source





    ■ Jeanne Bastide
    sur Terres de femmes


    Rouge enfance (lecture d’AP)
    [comme si le temps] (poème extrait du Jour se déplie)
    Intimité de la lumière (extrait)
    La Fenêtre du vent (note de lecture d’AP, parue dans la revue Europe)
    La nuit déborde (lecture de Michel Diaz)
    La nuit déborde (lecture d’Alain Freixe)
    Lucarnes (lecture d’AP)
    Un déjeuner de soleil (lecture d’AP)
    Un déjeuner de soleil (extrait)
    Un silence ordinaire (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Domens)
    la page de l’éditeur sur Rouge enfance
    le site de Paul-Émile Objar






    Retour au répertoire du numéro de mars 2020
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Max Alhau | [Tu n’oses plus nommer]



    [TU N’OSES PLUS NOMMER]



    Tu n’oses plus nommer
    tous ces jours qui titubent
    à l’abri d’une saison
    enfouis dans ta mémoire,
    jours de liesse si éphémères
    que l’orage a dispersés,
    jours dans lesquels
    un clair visage se glissait
    et qui n’est plus qu’une ombre dévoyée.

    Tu cherches ces marques
    presque effacées
    témoignant d’une vie
    que jamais le vertige ne quitta
    et dont tu fus sans doute
    l’hôte provisoire.

    Tu t’éloignes de toi,
    de ton nom, de ton nombre.

    Tu veux rejoindre le feu
    qui jadis incendia
    les vignes et les blés.

    Tu voudrais que l’enfance
    soit un miroir
    réfléchissant le monde.

    Tu t’es trompé de route
    et c’est vers le désert
    pourvoyeur de mirages
    que tout s’accomplit
    quoique l’on dise.




    Max Alhau, « Des paysages et des lieux », Les Mots en blanc, L’Herbe qui tremble, 2020, pp. 69-70. Photographies d’Elena Peinado Nevado.





    Max Alhau  Les Mots en blanc




    MAX ALHAU


    Max alhau
    Source




    ■ Max Alhau
    sur Terres de femmes


    Les Mots en blanc (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Le Temps au crible (lecture de Cécile Oumhani)
    [Tu es le veilleur d’un pays englouti] (poème extrait d’En cours de route)




    ■ Voir aussi ▼


    → (dans la poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Max Alhau






    Retour au répertoire du numéro de février 2020
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes