Étiquette : Pierre Bergounioux


  • 31 mars 1596 | Naissance de René Descartes

    Éphéméride culturelle à rebours



         Le 31 mars 1596 naît à La Haye, aujourd’hui Descartes, en Indre-et-Loire, René Descartes, issu d’une famille poitevine de petite noblesse.







    PORTRAIT DE DESCARTES
    Image, G.AdC








    EXTRAIT D’UNE CHAMBRE EN HOLLANDE DE PIERRE BERGOUNIOUX



         Descartes est tourangeau. Il a grandi sous d’aimables ombrages, auprès de murmurantes eaux, goûté la poésie. Pour lui, et non pour Kant à qui il suffisait de demeurer, la question s’est posée de savoir quel lieu faciliterait le dessein d’y voir clair en toute chose et d’abord en lui-même. Il ne s’en explique pas expressément. Comment le pourrait-il ? Le sentiment de la nature n’a pas encore été thématisé. Il s’en faut d’un siècle et demi. C’est un troisième philosophe, Jean-Jacques Rousseau, dont le portrait, soit dit en passant, ornait le bureau de Kant, dont il était le seul ornement, qui le fera. Mais une inclination n’a pas besoin de s’apparaître à elle-même, d’être dite, écrite pour entraîner notre âme, guider nos pas. Au rebours d’une tradition à laquelle, déjà, Rabelais, Du Bellay, Montaigne se sont rangés, Descartes ne prend pas le chemin de l’Italie. Tout nous attire, Français, vers ce pays, la langue et les livres, la religion, la lumière, les paysages, la culture des rues et des cafés. Descartes marche à l’opposé, au nord, d’abord, puis « l’occasion des guerres » aidant, en est, où l’hiver allemand le surprend, et l’illumination qui va de pair, l’éblouissante vision qui suppose, semble-t-il, l’éclipse du monde extérieur. La première neige a recouvert la plaine de son linceul, la nuit jeté son manteau sur la terre. Comme le Discours, dans sa concision, laisse à désirer ! L’extrême dépouillement du décor où le sujet rationnel s’éveille à lui-même rend précieuse la moindre indication – l’étranger, la mauvaise saison, une parfaite solitude, ni soins ni passions.
         Le monde est d’abord une extension indéfinie de soi, le soi ― le sujet ― un pli indistinct dans le monde. Pourquoi percer les apparences quand elles nous confortent dans le sentiment de nous-même, le prolongent et l’augmentent de mille impressions agréables, immenses, irrécusables ? Le territoire français se recommande par une aménité à laquelle n’ont jamais résisté les habitants des contrées froides, pluvieuses, réparties sur son arc septentrional. Le tourisme a remplacé, depuis un siècle, l’intrusion belliqueuse des tribus germaniques, celle des Anglais qui furent maîtres, en leur temps, de l’Aquitaine et tinrent longtemps Calais. Il faut supposer un charme spécial à l’espace compris entre la Flandre et les Pyrénées, le promontoire breton et la Provence, et une sensibilité qui va de pair, qui atteint, dans le Midi, une véhémence telle qu’on ne se croit pas capable de vivre hors du lieu dont l’âme a pris les contours et la teinte. On doit à Willy Hellpach, professeur à l’université de Heidelberg, une Géopsyché dans laquelle il étudie l’âme humaine sous l’influence du temps, du climat, du sol…
         Lorsque le printemps, celui de 1620, dissipe la neige et la nuit confidentes, philosophiques, le duc de Bavière fait marcher ses troupes vers la Souabe. Descartes suit le mouvement. Il passe l’été à Ulm, où il s’entretient avec un certain Jean Faulhaber, mathématicien et astrologue. Il repart, fin septembre, pour la Bavière, passe, de là, en Autriche puis sous les murs de Prague où il entre, avec les Catholiques impériaux victorieux. En mars 1621, il quitte le duc de Bavière pour prendre du service chez le comte de Bucquoy. Il participe au siège de Presbourg, Tirnan, Neuhausel, après lequel il quitte l’armée. Mais il ne songe pas à regagner la France. La querelle avec les Huguenots s’est ravivée. La peste sévit à Paris. On l’aperçoit en Silésie, en Poméranie, sur la marche de Brandebourg, incertain, à vingt-cinq ans, de l’usage qu’il fera de son existence, de l’endroit où il passera.
         L’évidence d’une vie entièrement vouée à la connaissance n’est que pour nous. Les esprits indépendants qui jetèrent les fondements d’un savoir pur hésitèrent à s’affranchir des cadres traditionnels, familial, linguistique, géographique, social dont tout homme, depuis toujours, tirait l’essentiel de son humanité. L’œuvre de Descartes comporte autant et plus d’ellipses, d’omissions, de silences que de démonstrations. Il n’avait pas le temps et il en était conscient. Mais comment réprimer le regret de le voir si concis sur l’effet que tant d’hommes rencontrés, d’événements, de pays firent de son âme ingénue, intrépide, en ces années d’apprentissage qui le voient chevauchant en compagnie de reîtres, recherchant la société des savants puis, derechef, marchant avec des reîtres. Quel sujet d’étonnement, pour nous, mais pour lui aussi, sans doute, que le commerce alterné d’assassins professionnels, de brutes adonnées, entre les combats, au vin, à la débauche, et des rares esprits éclairés qu’on est désormais assuré de trouver, pour peu qu’on les cherche, dans les localités européennes de quelque importance, avec lesquels il est possible de converser aussitôt, en latin, des premiers principes et des fins dernières.


    Pierre Bergounioux, Une chambre en Hollande, Éditions Verdier, 2009, pp. 32-36.





    ■ Pierre Bergounioux
    sur Terres de femmes

    7 novembre 1992 | Pierre Bergounioux, Carnet de notes 1991-2000
    27 mars 1995 | Pierre Bergounioux, Carnet de notes 1991-2000





    Retour au répertoire du numéro de mars 2009
    Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • 27 mars 1995 | Pierre Bergounioux, Carnet de notes 1991-2000

    Éphéméride culturelle à rebours


    Komatsu







    Lu 27.3.1995       


        C’est aujourd’hui que commencent les travaux de fouille destinés à atteindre et à colmater la fissure qui est apparue dans le mur du sous-sol. Levé à six-heures et demie. Comme nous avons passé l’heure d’été, il fait nuit noire et il me semble être subitement revenu dans l’hiver, à reculons. Lorsque je rentre après avoir administré mes quatre heures de cours, une tranchée profonde de plus de deux mètres, large de un, longue de quatre, a été ouverte devant le mur du bureau. La pelle mécanique – Komatsu – est au repos. À deux heures, M.M., l’entrepreneur, est de retour. Il me montre l’imperceptible lézarde qui court le long du mur, sous la terrasse. C’est elle qui a causé les infiltrations. Il perce une bouche d’aération au sommet du mur. Cela fait grand bruit. Impossible de rien faire. Et puis il a plu, il tombe à deux ou trois reprises, des flocons, un temps contraire aux travaux en plein air. Je quitte à nouveau la maison, vers quatre heures, pour le conseil de classe des cinquièmes. La R21 produit au moindre cahot, un bruit de métal entrechoqué que j’ai entendu, pour la première fois, samedi, en reculant. Comme si ce n’était pas assez de complications ! Je téléphone au garage des Ullis. Le rendez-vous est fixé à vendredi. Comme je crains que la voiture ne m’abandonne n’importe où, je la conduirai dès demain au garage.
        Conseil de classe, agacement, écœurement. Je rentre à six heures et quart. Sur le paillasson, un mot de Paul, avec une faute d’orthographe. Il est chez nos voisins parce qu’il a oublié ses clés. Je lui avais bien dit, hier, que je ne pourrais pas venir le chercher à son collège, étant occupé dans le mien. Il n’a pas entendu. Et déjà, il s’est installé devant l’ordinateur et perd son temps à des jeux dignes, à peu près, d’un enfant du cours élémentaire alors qu’il a, demain, un contrôle d’histoire. Tant de négligence, de paresse, d’inconscience, à bientôt quinze ans, m’irritent considérablement. M.M. a aveuglé la fissure, comblé la tranchée. Un travail soigné. Il a déposé les pieds de lavande sous la fenêtre du bureau, évolué précautionneusement entre les arbres fruitiers, sur la pente. Mais le devant de la maison est à nouveau bosselé, saucé de glaise, et le versant du terrain labouré par les chenilles. Il va falloir manier la pelle et la pioche et cette perspective, fatigué que je suis, me démoralise. Couché tôt.


    Pierre Bergounioux, Carnet de notes, 1991-2000, Éditions Verdier, 2007, pp. 543-544.






    Pierre Bergounioux, Carnet de notes  1991-2000





    ■ Pierre Bergounioux
    sur Terres de femmes

    7 novembre 1992 | Pierre Bergounioux, Carnet de notes 1991-2000
    31 mars 1596 | Naissance de René Descartes (extrait d’Une chambre en Hollande de Pierre Bergounioux)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Verdier) la
    fiche bio-bibliographique consacrée à Pierre Bergounioux
    → (sur auteurs.contemporain.info) une
    fiche sur Pierre Bergounioux
    → (sur remue.net)
    Yves Charnet / « On a toujours besoin d’exemples vivants », lettre à Pierre Bergounioux





    Retour au répertoire du numéro de mars 2008
    Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes