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Étiquette : Pierre-Jean Jouve
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Pierre-Jean Jouve | [Les soleils disparus]
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30 octobre 2009 | Mort de Pierre SilvainÉphéméride culturelle à rebours
PIERRE SILVAIN
Pierre Silvain, Julien Letrouvé colporteur (note de lecture d’AP + extrait)
Source
■ Pierre Silvain
sur Terres de femmes ▼
→
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site des éditions Verdier) une fiche bio-bibliographique sur Pierre Silvain
→ (sur Littérature de partout) une note de lecture de Tristan Hordé sur Passage de la Morte
→ (sur Un nécessaire malentendu) un hommage de Claude Chambard à Pierre Silvain
→ (sur La Main millénaire, revue de promotion littéraire et artistique) « Pierre Silvain, l’œuvre singulière d’un romancier de l’étrange », par Jean-Pierre Vedrines
→ (sur Terres de femmes) 11 octobre 1887 | Naissance de Pierre Jean Jouve
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11 octobre 1887 | Naissance de Pierre Jean JouveÉphéméride culturelle à rebours« Notre existence empêche l’existence de Dieu » (Pierre Jean Jouve)
Il y a cent vingt-trois ans, le 11 octobre 1887, Pierre Charles Jean Jouve naissait à Arras. Poète farouche et sauvage en marge des exercices ludiques et formels d’une certaine poésie contemporaine, il est également célébré pour ses romans, dont les plus reconnus sont Hécate (1925) et Paulina 1880 (1925).
PAULINA 1880
Roman d’initiation et véritable hymne à l’amour, Paulina 1880 retrace la vie de Paulina, depuis sa petite enfance jusqu’à l’orée de sa mort. « 1880 » est la date du meurtre du comte Cantarini, assassiné au cours d’une nuit d’amour. De la main même de sa maîtresse, Paulina Pandolfini.
Le roman de Paulina se déroule en six chapitres, souvent composés de tableaux brefs. Deux voix se partagent le roman, celle du narrateur pour le récit; celle de la protagoniste pour les prières, les monologues intérieurs, les effusions mystiques ou sensuelles. Qui constituent une sorte de journal intime tenu par Paulina au temps de sa réclusion dans le couvent de la Visitation, à Mantoue. Mais si les voix parfois se confondent, les tableaux, eux, se répondent en miroir, assurant à l’ensemble du roman sa cohérence et son unité profonde.
Paulina est une bien curieuse personne. Jeune aristocrate milanaise élevée dans une famille de « personnages tristes et muets », elle échappe en permanence à la surveillance jalouse de son père et de ses trois frères. C’est qu’elle est animée par une force intérieure, qui la rend insaisissable. Enjouée et volontaire, la fière demoiselle est une mystique. Elle se plaît dans la contemplation des fresques d’églises qu’elle fréquente. L’Extase de sainte Catherine du Sodoma exerce sur elle une fascination qui n’a d’égale que son « exaltation » [élévation de l’âme]. Une exaltation particulière marquée par les désirs secrets que la lecture fervente de Dante amplifie : Paulina se projette dans le couple idéalisé de Paolo et Francesca. Son modèle.
La mort de Lucia Carolina Pandolfini, sa mère, confite en dévotions, n’altère en rien la duplicité de la jeune fille. Passée la crise de religiosité où le deuil l’a plongée, Paulina s’invente des rêves de volupté. Qui prennent corps dans sa rencontre avec le comte Michele Cantarini, ami de son père. Paulina se lance alors avec passion dans une liaison clandestine qui l’oblige à tromper son entourage. Son père meurt sans avoir rien soupçonné des amours illicites de sa fille chérie. Dévorée par la honte et le remords d’avoir ainsi trompé la confiance de celui à qui elle dérobait, chaque nuit, la clé de ses amours, rongée par le sentiment brûlant de son péché, Paulina se consume et refuse la demande en mariage présentée par le comte, que la mort de sa femme a pourtant rendu libre. Elle choisit d’entrer au couvent. Afin de se racheter de ses fautes. Mais ni les mortifications ni les prières ne parviennent à la délivrer du mal qui la ronge. Bien au contraire, elles ne font qu’attirer les soupçons des nonnes. Paulina, hantée par des accès de sensualité et d’insoumission, est chassée du couvent. Elle trouve refuge en Toscane, dans la villa solitaire du Gioiello sur la colline du bourg d’Arcetri. Elle vit là en recluse, persuadée d’avoir trouvé la paix intérieure. Les désirs de feu qui embrasaient sa chair semblent l’avoir enfin abandonnée. Elle s’évertue à « travailler son âme », mais son âme est « vide » et le ciel reste insensible à ses appels. Elle adresse alors une lettre au comte Cantarini qui la rejoint au Gioiello. Paulina se livre au « nouvel amour avec une ardeur de démon ». Mais tout en se donnant à Michele, elle se remémore sainte Catherine et son martyre.
Elle se souvient qu’enfant, elle était subjuguée par cette chair torturée qui lui faisait proférer, avec des spasmes dans la voix : « Aimer, c’est mourir »…« Qui m’aimera jamais moi, qui me fera mourir ? »
Angèle Paoli
D. R. Texte angèlepaoli

Dessin d’après Le Sodoma
(Giovanni Antonio Bazzi),
Evanouissement de sainte Catherine de Sienne
Paris, musée du Louvre
Département des Arts graphiques
Ph. D.R.
EXTRAIT
« Aube du 27 août. La nuit avait été brûlante et sur le ciel de cendres le soleil allait reparaître. Le comte était encore dans la chambre de Paulina. On entendait quelques oiseaux parmi les hauteurs les plus rafraîchies et légèrement violacées de l’atmosphère. Il y avait une ardeur éteinte sur les arbres. Michele et Paulina attendaient le jour. Elle recouvrit pudiquement avec un grand châle à fleurs son corps qui avait dormi seulement voilé d’une chemise. Une dure tristesse les laissait ensemble et séparés sur la rive de ce matin-là, tandis que l’eau de la nuit se retirait, avec le sentiment de la lâche habitude et la perception désespérée de la vérité qu’on ne dit pas, qu’on ne pourrait pas même confesser à l’heure de mourir et qui peu à peu prend la couleur de la haine. Cependant le comte parlait et Paulina répondait. « Tu es pâle, belle et muette comme une statue, disait Michele. ― Cette nuit chaude m’a fatigué. ― Je vais aller dans ma chambre et tu reposeras encore quelques heures. »
Et comme il prononçait « quelques heures », la vision se produisit. Angoissée, Paulina s’assit sur son lit. Au milieu du mur, là, en face, en lettres de lumière, une phrase était écrite et bougeait légèrement, mais Paulina avait bien le temps de la lire.
Dans quelques heures… Dans quelques heures … »
Pierre Jean Jouve, Paulina 1880, Gallimard, 1925 ; Mercure de France, 1959 ; Collection Folio, 1974, page 219.Penser à arrêter (cliquer sur ||) pour écouter d’autres extraits sonores
■ Pierre Jean Jouve
sur Terres de femmes ▼
→ La Femme et la Terre
→ Friedrich Hölderlin, Tinian, in Pierre Jean Jouve, Poèmes de la Folie de Hölderlin
→ 16 juin 1966/Grand Prix de poésie de l’Académie Française décerné à Pierre Jean Jouve
→ La rencontre Hölderlin-Jouve-Klossowski par Béatrice Bonhomme et Jean-Paul Louis-Lambert
■ Voir aussi ▼
→ le site Pierre Jean Jouve de Béatrice Bonhomme et Jean-Paul Louis-Lambert
→ (sur Wikipedia) un bel article sur Pierre Jean Jouve (article très probablement relu par Béatrice Bonhomme et Jean-Paul Louis Lambert)
→ (sur le site-portail de l’Université de Nice) une bibliographie de Pierre Jean Jouve établie par Jean-Paul Louis-Lambert et Béatrice Bonhomme [format PDF]
→ La Mort de Lucrèce du Sodoma
Ci-après, en extrait musical, le début de la Troisième Leçon de Ténèbres à deux voix de François Couperin, interprétée par les contre-ténors James Bowman & Michael Chance [Source].
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La rencontre Hölderlin-Jouve-Klossowski
par
Béatrice Bonhomme et Jean-Paul Louis-Lambert
Ce 8 janvier, jour anniversaire de la mort de Pierre Jean Jouve dans son domicile parisien (8 janvier 1976).
LA RENCONTRE HÖLDERLIN-JOUVE-KLOSSOWSKI
par BÉATRICE BONHOMME ET JEAN-PAUL LOUIS-LAMBERT« Hölderlin traduit par Pierre Jean Jouve et Pierre Klossowski
– ces magiciens qui eurent, entre eux, des rapports fous
autour de la figure emblématique de Baladine »
(Daniel Leuwers, « Merveilleux traducteurs »,
in Confluences poétiques N°2, Mercure de France, 2007, p. 239.
Il semble désormais admis par les historiens que la première traduction de Hölderlin par un poète qui compte, soit celle que Pierre Jean Jouve a signée en 1929-1930, avec la collaboration de Pierre Klossowski. Traduction qui a paru chez Fourcade avec un avant-propos de Bernard Groethuysen. Pierre Jean Jouve a-t-il aussi inventé le célèbre titre Poèmes de la folie de Hölderlin ?
Les compagnonnages de Pierre Jean Jouve
Dès le début des années 1920, Jouve a été un proche de penseurs, d’artistes et d’écrivains qui ont été au cœur des mouvements intellectuels, artistiques et littéraires les plus importants du deuxième quart du XXe siècle. C’est ainsi que, vers 1925, il a connu le couple que formaient le poète allemand le plus célèbre de son temps, Rainer Maria Rilke, et la peintre Baladine Klossowska (Merline). Rilke allait mourir peu après de leucémie en Engadine (1926), mais Jouve a très bien connu les deux fils de Baladine, Pierre Klossowski (alors âgé de vingt ans) et Balthus (dix-sept ans) : il est leur aîné (il a trente-huit ans) et possède une réelle expérience littéraire, même s’il est en train de renoncer à son œuvre antérieure (pourtant reconnue) pour en créer une autre (qui n’existe pas encore).
Des spécialistes, tels Jean Clair ou Robert Kopp, ont apporté des éclaircissements sur le compagnonnage de Jouve et de Balthus (jusqu’en 1960, les écrits les plus importants et les plus nombreux sur Balthus sont de la main de Jouve). Mais que sait-on réellement du compagnonnage de Jouve et de Klossowski ? Il est vraisemblable que la fusion ― si originale ― de l’érotisme et du mysticisme opérée par Jouve, a fasciné le jeune Pierre Klossowski. Klossowski, futur spécialiste de Sade, formé professionnellement à la théologie catholique par les dominicains, aumônier converti un temps au protestantisme, et auteur de romans et de tableaux où l’érotisme est très prégnant. Son inspiration et son style sont certes très différents de ceux de Jouve, mais on peut imaginer que l’usage de mots latins codés dans ses romans (Les Lois de l’hospitalité, 1965) lui a été inspiré par l’usage analogue qu’en a fait Jouve dans Sueur de sang (1955).
Les « passeurs » d’Hölderlin en France
Outre Klossowski, d’autres compagnons, amis et collaborateurs (deux statuts souvent confondus), ont compté dans la vie de Jouve. Quand Jouve parle de ses années de solitude au cours des années 1930, c’est toujours le nom de Bernard Groethuysen qu’il cite comme le seul qui lui ait toujours été fidèle (on connaît par ailleurs ses démêlés pas toujours simples avec Jean Paulhan, éminence grise de la littérature française). Philosophe « passeur » entre l’Allemagne et la France, Groethuysen est alors considéré comme le véritable introducteur de Hölderlin en France. Plus tard, vers la fin des années 1930, il y aura le poète suisse Gustave Roud, la Suisse étant une bonne passerelle entre les cultures germanique et française. Un autre ami, Jean Wahl (très connu des philosophes, et peu du grand public), a certainement joué un grand rôle auprès de Jouve. Quand Jouve parle de lui, c’est pour préciser qu’il l’a introduit à Kierkegaard. Wahl, philosophe très reconnu par ses pairs ― normalien, professeur, directeur de revues de philosophie ―, fréquentait aussi assidûment les « milieux artistes » et a publié des poèmes. Au cours des années 1930, Jouve et Wahl ont passé des vacances ensemble en Engadine ; quarante ans plus tard, le dernier texte écrit par Wahl est un éloge de Blanche Reverchon-Jouve, épouse de Pierre Jean Jouve. Ce texte a été dicté après la mort de Blanche (le 8 janvier 1974), peu avant le décès du philosophe. Wahl a également contribué à introduire en France ― et ce, de manière précoce ― le philosophe allemand Heidegger. Philosophe dont on sait l’importance pour ce qui concerne la perception (et la traduction) de Hölderlin en France après la dernière guerre.
Mais revenons-en à la traduction pionnière de Jouve et de Klossowski. On peut penser que celui qui a mis Jouve sur la trace de Hölderlin, c’est Groethuysen. Lui qui a joué un rôle de censeur très critique sur la traduction sûrement entreprise, dans un premier temps (à partir de 1928), par Klossowski (Jouve, en effet, disait ne parler aucune langue étrangère et travaillait toujours avec des collaborateurs qui lui fournissaient une traduction littérale, que le poète réécrivait par la suite à sa manière).
Mais peut-être Jouve a-t-il rencontré antérieurement Hölderlin grâce à Stefan Zweig ? Jouve, en effet, a très tôt connu l’écrivain autrichien. En 1917, au temps de leur compagnonnage en Suisse avec les pacifistes regroupés autour de Romain Rolland. Par ailleurs, Jouve a sûrement beaucoup lu les romantiques allemands, même s’il les cite très peu. Büchner, Novalis, mais aussi Kleist et Hölderlin, sur lesquels Zweig a publié des essais en 1925. C’est chez Zweig, à Salzbourg, durant l’été 1921, que l’idylle entre Jouve et Blanche s’est cristallisée. Cet été-là, les amants ont beaucoup écouté la musique de Mozart. Ont-ils lu ensemble Hölderlin commenté par Zweig ? En tout cas, dès les Nouvelles Noces de 1926, l’ombre de Hölderlin apparaît, dans ce court poème de la section « Humilis » :
« Mon amour est-il une infime lueur perdue de Ton Amour
Essence Noire, le monde a disparu
Tu sembles dormir satisfaction confuse
Et je suis arrivé, suis-je obéissant
« Avec humilité » disait le poète dément. »
Jouve et la traduction d’Hölderlin*
Pour Pierre Jean Jouve, la pierre de touche en poésie est, et demeure, Hölderlin. « Où, de quel lieu ou de quelle absence de lieu était composé le Verbe ? De quel être et quelle absence d’être ce passage sur pays et temps », écrit Jouve dans « Le Verbe » (Proses, II, 1201). Jouve, par une affinité profonde, est ainsi revenu souvent vers Hölderlin, pour tenter de le traduire ou pour essayer de cerner « son étrangeté ». Parlant de la traduction des poèmes de Hölderlin, tout en s’y confrontant, il reste toujours conscient de sa grande difficulté car une telle poésie implique une intensité et la traduction de cette intensité : « c’est l’éternel problème du moi et de l’autre. Il s’agit de faire passer le plus possible de l’autre mais ce n’est possible que par une très forte organisation du moi qui seule peut rendre sensible l’étrangeté de l’autre ». Évoquant l’incommunicabilité de la poésie d’une langue dans l’autre, il souligne « ce grand paradoxe car la poésie est par essence universelle et en même temps prisonnière ». Ailleurs, à propos cette fois de Shakespeare, il déclare : « Une traduction de poésie doit revendiquer le droit à une certaine infidélité ; mais alors […] le pire de l’infidélité peut devenir le meilleur de la fidélité »
.
Pourtant, dès 1930, Jouve publie chez Fourcade l’important volume des Poèmes de la folie de Hölderlin, traduits par ses soins avec la collaboration de Pierre Klossowski. L’ouvrage s’ouvre sur un avant-propos de Bernard Groethuysen. Établis d’après l’édition de Franz Zinkernagel (Insel-Verlag, Leipzig, 1926), ces poèmes français suivent l’ouvrage allemand, représentant une petite sélection dans l’œuvre considérable de Hölderlin et dans l’ensemble des écrits du temps de la démence. Pierre Jean Jouve et Pierre Klossowski sont les premiers, nous dit Isabelle Kalinowski, à « faire découvrir certains textes parfois troués de blancs »et leur traduction aura une grande postérité. Gascoyne, par exemple, en 1938, publie un livre intitulé Hölderlin’s Madness qui comprend un essai, une série d’adaptations libres des Poèmes de la folie, et quatre poèmes originaux qui, précise Jean-Yves Masson, ne sont pas des poèmes sur Hölderlin, mais des vers orphiques écrits en communion de pensée avec lui, dans la foulée d’une lecture passionnée des Poèmes de la folie de Hölderlin traduits par Pierre Jean Jouve et Pierre Klossowski.
Folie et génie
Jouve, quant à lui, ne va pas hésiter à puiser dans ses propres traductions pour alimenter sa poésie et des causeries de 1951, Folie et Génie. La Symphonie à Dieu de 1930 (reprise comme seconde partie des Noces en 1931) se situe sous la double invocation de textes bibliques et de poèmes de Hölderlin : le titre de la section « Le Père de la Terre » vient d’un poème de Hölderlin : « […] Alors c’était ainsi/Le Père de la Terre assemblait l’éternel/Dans les orages du temps. Mais c’est fini. » (p. 48) et tout le poème « Voyageurs dans un paysage » est la reprise avec d’infimes variantes ― surtout typographiques ― de « Tinian » (p. 74).
Folie et Génie est le titre du fronton d’une série de trois causeries données à la Radiodiffusion française en 1951, qui paraîtra en 1983 chez Fata Morgana sous le titre de Folie et Génie, avec une introduction de Daniel Leuwers. Tous les poèmes de Hölderlin que Jouve cite là, de même que les divers témoignages sur le poète dément, étaient déjà présents dès 1930. On remarquera uniquement quelques ajouts qui proviennent de la lecture que Jouve a faite en 1951 dans la Revue Critique d’un important article de Maurice Blanchot intitulé « La folie par excellence »
, texte qui servira deux ans plus tard de préface à la version française de Karl Jaspers, Strinberg et Van Gogh, Swedenborg, Hölderlin, publié aux éditions de Minuit
.
Les Poèmes de la Folie de Hölderlin seront republiés par Gallimard en 1963. Le livre se subdivise en cinq sous-parties. Tout d’abord, les « Poèmes de plusieurs époques » (pp.19-29), où sont groupées des pièces appartenant à la période romantique des Antiken Strophen et des pièces plus tardives des Freie Rhythmen. Ont été réunis sous le seul titre de « Fragments » des morceaux qui, dans l’édition Zingernagel, sont classés en « Fragments, Projets et Ébauches » (pp. 33-79). La troisième partie concerne la « Poésie des derniers temps » (pp. 83-118), puis « Quelques documents sur la folie de Hölderlin » (pp. 121-151), avec le texte des « Dates » qui a été établi d’après Lange : Hölderlin, Pathographie de 1909. Pour les documents, les traducteurs ont eu recours à l’édition Hellingrath, Pigenot et Seebas, six volumes datant de 1913. La lettre du frère de Hölderlin provient de l’édition Zinkernagel. Enfin, des « Remarques » (pp. 155-156) permettent de se repérer.
Le poète a été particulièrement fasciné par la force poétique de Hölderlin, force poétique qui survit à la folie et qui fait que pendant les trente-six ans de sa démence, il écrit encore « des choses mystérieusement admirables » (Folie et Génie, 51). Mystère que met également en exergue Maurice Blanchot qui confirme Jouve dans ses intuitions essentielles, à savoir que le génie aiguisé par la folie ne peut-être véritablement évalué dans la mesure où il est avant tout « énigme » : « Les mots portent pourtant en eux-mêmes une vérité cachée qu’une interrogation bien conduite peut faire apparaître ». D’où la question posée par Blanchot et reprise par Jouve : « Pourquoi cet Hölderlin était-il en tout semblable aux autres fous, étranger à lui-même, étranger même à la forme poétique qui avait été la sienne sauf sur ce point que la poésie ne cessait de trouver en lui une voix juste et une entente vraie » (Folie et Génie, cité dans l’introduction par Daniel Leuwers).
Affinités
L’attitude, le style de pensée et de vie des deux poètes se laissent volontiers comparer, tous deux retirés, respectant ce qui peut être événement, donnant chance de nouveauté. Il n’est sans doute pas indifférent, dans cette rencontre essentielle, de rappeler que Jouve lui aussi a frôlé la folie, non à la fin de sa vie, mais au sortir de l’adolescence : « je fus abattu par la crise dépressive pendant quelques années, enfermé dans l’agoraphobie et les obsessions coupables, et menacé par d’autres processus moins visibles qui auraient pu détruire l’autonomie de la personne » (En miroir, II, 1062). C’est sans doute ce parallèle qui a inspiré à Jouve les premières lignes du prière d’insérer de la réédition de 1963 : « Friedrich Hölderlin (1770-1843), sans aucun doute le plus grand poète de l’Allemagne, fut presque ignoré de ses contemporains. En 1797, après plusieurs dépressions (et la rupture de sa liaison heureuse avec celle qu’il appelait Diotima), son état mental est atteint de troubles profonds. » Il est important aussi de souligner chez les deux poètes le rôle de la musique, cette musique qui joua un rôle essentiel pour Hölderlin, restant assis, d’après le témoignage de Wilhelm Waiblinger (II, 2022), devant son piano pendant des journées entières, et qui revêtit également un rôle guérisseur, voire salvateur pour Jouve : « Alors le développement de l’improvisation au piano fut considérable. Je passais mes journées devant le clavier […] Tel Saül écoutant la harpe de David, je me secourais moi-même » (En miroir, II, 1062). Jouve ne pressent-il pas en effet, à la suite de Rimbaud, « Les musiques jamais entendues se mettre au travail » (I, 11). Ainsi Michel Tamisier peut-il écrire un Mozart, Hölderlin, assorti de la traduction d’un des poèmes de Hölderlin par Pierre Jean Jouve.
Les deux poètes se rencontrent aussi par ce sentiment de séparation qu’ils éprouvent tous deux, séparation, division, qui est d’abord celle de la vie elle-même comme le dit Hölderlin, « Les lignes de la vie sont découpées »« Les lignes de la vie sont opposées entre elles »
. « Le jour et la nuit sont séparés comme des époux », écrit Jouve dans Le Paradis perdu (I, 12, « Mouvement »), séparation tout aussi bien de l’amour car, pour Hölderlin comme pour Jouve, la femme est l’absence, absence que seule Dieu pourra combler et qui renvoie à la divinité et à l’ailleurs, absence qui crée la brisure : « Si de loin, puisque nous sommes séparés/Tu peux me connaître encore » (traduction Garrigue, p. 893), « Si du lointain, puisque nous sommes séparés/je te suis reconnaissable encore » (« Diotima de l’au-delà », traduction Jouve, p. 85), séparation enfin qui est amenée par l’art lui-même, douleur et division de l’art que subissent les deux poètes :
« Qu’art et songe ont eu douleur/Dès le début fait payer », « Car le prix de l’art et du sens/Fut dès le commencement douleur »
.
Mais, pour ces deux poètes, la séparation est liée à une tentative de réconciliation et d’unité : « Beauté retrouvée, ô douce lumière » (« Pardon », traduction Jouve, p. 19). Le poème est arrachement mais aussi rencontre. Et c’est peut-être par ce double mouvement, ce rythme de séparation et de réconciliation que les deux poètes sont si proches ; la joie qui illumine certains textes de Hölderlin : « La clarté du soleil emplit mon cœur de joie » (« Le Rajeunissement », traduction Jouve p. 55) semble aussi, contrairement à ce qui a été souvent répété par les exégètes de Jouve, un ton fondamental de l’œuvre jouvienne. Il faut fermement penser la vie comme première chez Jouve et cela malgré la présence obsessionnelle de la mort. Ce n’est pas contradictoire, car comme Hölderlin, le poète pense le monde de façon inséparée. La mort jouvienne n’est pas seulement expiation, elle peut, comme chez Hölderlin, être fête et réconciliation, sourire d’ange et azur, liberté blanche, étoile bleue au souffle parfumé :
« Et si j’aimai voluptueusement la belle mort
Illumine le tout car j’étais le poète »
(Vierge de Paris, « Résurrection des morts », I, 473).
Béatrice Bonhomme
et Jean-Paul Louis-Lambert
© Béatrice Bonhomme et Jean-Paul Louis-Lambert
* NOTE d’Angèle Paoli : pour en savoir plus sur ce chapitre, se reporter à l’ouvrage de Béatrice Bonhomme, Pierre Jean Jouve, La Quête intérieure, biographie, chapitre V, « À partir de 1925, La Vita Nuova ou la réconciliation avec les poètes intercesseurs, 1. Les poèmes de la Folie de Hölderlin », éditions Aden, 2008, pp. 331-346.
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