Étiquette : Pierre Tanguy


  • Pierre Tanguy, Ma fille au ventre rond

    par Marie-Hélène Prouteau

    Pierre Tanguy, Ma fille au ventre rond,
    Éditions La Part Commune, 2015.



    Lecture de Marie-Hélène Prouteau


    Pablo-picasso-maternite
    Pablo Picasso, Maternité,
    Pastel, 65 x 50,5 cm
    1905
    Collection privée
    Source







    MATERNITÉ



    Publié aux éditions La Part Commune, Ma fille au ventre rond, le nouveau recueil de Pierre Tanguy, se situe dans la continuité d’une œuvre poétique riche d’une quinzaine de titres. Il reste fidèle à lui-même pour dire le simple et l’essentiel. Dans ces pages, le poète regarde sa fille enceinte.

    C’est à cette métamorphose du corps et de tout l’être que la parole poétique nous convie. Et à une venue au monde.

    Voici une trentaine de courts poèmes, illustrés par une dizaine de dessins de Mariano Otero, peintre qui a exposé un peu partout dans le monde. Les dessins sont au crayon ou au fusain, celui de la page de couverture en couleurs, jeune femme enceinte, un bras masculin posé sur son ventre.

    Car l’ensemble du recueil se centre sur la jeune femme qui porte l’enfant. Le lecteur se trouve ainsi devant une sorte de colloque intime où seront convoqués autour d’elle et de l’enfant porté, la mère de celle-ci, son compagnon qui a sa place dans cette attente et lui-même, père attentif et aimant. « Elle », « Il » : nous ne saurons rien de plus de chacun, le parti-pris de la simplicité et de l’universel étant manifeste.

    J’aime bien que le regard sur cette expérience de la grossesse soit celui d’un homme et, singulièrement, celui d’un père. C’est dire si l’on n’est pas dans L’Art d’être grand-père. Mais bien dans le livre de la fille devenue mère.

    Approche nouvelle, incarnée et audacieuse dans l’acuité sensuelle qui la sous-tend. Car, chez Pierre Tanguy, tout est sensation, émotion, dans chacun de ces instantanés traversés par le mystère de la vie. Il y a la vue, le corps de sa fille, ventre et seins qui se métamorphosent, il y a le toucher qui permet de sentir bouger l’enfant.

    Avec, dans chaque poème, la reprise en refrain de « Ma fille au ventre rond », nous entrons dans une sorte de ballade. Cette rondeur d’elle, corps assoupi en son fauteuil, que son père voit ou imagine, se modifiant mystérieusement en ses formes et en son sein devient pour lui l’emblème de la vie qui augmente. De la vie qui arrondit le temps, qui s’accorde au mouvement de la nature. Car le poète, familier du haïku, est sensible au passage des saisons, ici l’hiver, le printemps.

    Mais cette provision d’avenir n’est pas séparable de la peur, de l’inquiétude. Le poète donne la parole à sa fille, à ses interrogations, à ses certitudes heureuses :

    « Tous mes plants sont morts

    Assommés par le vent et le froid

    Même les plantes aromatiques

    Dit ma fille au ventre rond

    Mais aujourd’hui

    J’ai bien quelqu’un qui vit

    Au creux de mon corps »

    Dans un autre poème, sa fille se tourne vers sa mère pour savoir comment elle a vécu ce moment.

    Et que de projections déjà sur l’enfant à naître ! Le temps des verbes au futur s’ouvre à ces possibles, ainsi la chute des pétales de cerisier est l’occasion pour le poète de faire parler l’enfant :

    « De la neige tombe des arbres

    Dira un jour l’enfant

    Dans les bras de sa mère ».

    Touchante aussi est l’allusion aux ancêtres, suggérés dans les boutures des plus belles fleurs qu’ils ont jadis plantées, la vie ne cessant de continuer dans la ronde des jours. Et par magie, les années s’annulent entre la fille devenant mère et elle, nouveau-née en pleurs dans son premier bain, ou bien entre le poète jeune père et lui, aujourd’hui, attendant l’enfant de son enfant. L’émotion toujours là.

    Le poète nous restitue la beauté et la perfection de cette présence, renouvelée dans le mélange des âges :

    « Ma fille au ventre rond

    Fut un petit enfant

    Sorti d’un ventre rond ».

    Le présent accueille ainsi une fécondité plus grande que lui. Pierre Tanguy s’attache à dire de façon simple cette éclosion merveilleuse :

    « Majesté du ventre rond

    Bonheur des femmes »

    C’est aussi le sens du petit post-scriptum, « L’enfant aux yeux tout ronds ». Maintenant, celui qui n’était pas encore tout à fait dans le monde est là, dans sa vie commençante. Interrogatif, étonné d’avoir perdu la maison bien à lui qu’était le ventre maternel.

    Et le recueil se clôt sur ce final où la rondeur se multiplie en d’heureux échos :

    « L’enfant ouvre ses yeux ronds

    Quand il sent le lait de sa mère

    Il referme ses yeux ronds

    Quand il s’adosse à son sein rond »

    Sur la page d’en face, le très beau dessin de Mariano Otero saisit une mère qui allaite son enfant, dont le tracé et les formes rappellent celle de Picasso dans son tableau Maternité.

    La voix de Pierre Tanguy célèbre la venue à la vie, dans la mémoire des âges. Pas d’excès de mots et une extrême pudeur toujours chez lui. De cette expérience unique, souveraine, qui dépasse nos propres vies, le poète réussit à faire un pur moment de lumière.



    Marie-Hélène Prouteau
    D.R. Marie-Hélène Prouteau
    pour Terres de femmes








    Pierre Tanguy, Ma fille au ventre rond





    PIERRE TANGUY


    Pierre-tanguy
    Source




    ■ Pierre Tanguy
    sur Terres de femmes

    Pierre Tanguy, Michel Remaud, Ici même (lecture de Marie-Hélène Prouteau)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions La Part Commune)
    la fiche de l’éditeur sur Ma fille au ventre rond



    ■ Autres chroniques et lectures (25) de Marie-Hélène Prouteau
    sur Terres de femmes

    Chambre d’enfant gris tristesse
    La croisière immobile
    Anne Bihan, Ton ventre est l’océan
    Jean-Claude Caër, Alaska
    Jean-Louis Coatrieux, Alejo Carpentier, De la Bretagne à Cuba
    Marie-Josée Christien, Affolement du sang
    Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire
    Guénane, Atacama
    Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime
    Cécile Guivarch, mots et mémoire en double
    Denis Heudré, sèmes semés
    Jacques Josse, Liscorno
    Martine-Gabrielle Konorski, Instant de Terres
    Ève de Laudec & Bruno Toffano, Ainsi font…
    Jean-François Mathé, Prendre et perdre
    Philippe Mathy, l’ombre portée de la mélancolie
    Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo
    Daniel Morvan, Lucia Antonia, funambule
    Daniel Morvan, L’Orgue du Sonnenberg
    Yves Namur, Les Lèvres et la Soif
    Jacqueline Saint-Jean ou l’aventure d’être au monde en poésie
    Dominique Sampiero, Chante-perce
    Dominique Sampiero, Où vont les robes la nuit
    Ronny Someck, Le Piano ardent
    Pierre Tanguy, Michel Remaud, Ici même



    Retour au répertoire du numéro de juillet 2015
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Pierre Tanguy, Michel Remaud, Ici même

    par Marie-Hélène Prouteau

    Pierre Tanguy, Michel Remaud, Ici même,
    éditions La Part Commune, 2014.



    Lecture de Marie-Hélène Prouteau



    « LA SECRÈTE POLYPHONIE DU RÉEL »



    Ici même 1 est un recueil réalisé à quatre mains par le poète Pierre Tanguy et le plasticien Michel Remaud, et publié aux éditions La Part Commune. Ce n’est pas la première fois que cette maison d’édition associe deux artistes. Déjà, avec Tango-Monde, elle avait couronné le double travail du peintre Mariano Otero et du poète Jean-Louis Coatrieux.

    Alain Kervern 2 nous éclaire dans la postface du recueil : cette forme d’association est celle du « haïga », genre traditionnel japonais qui combine des haïkus et des images autour d’une même réalité, sur un même support.

    Dès la couverture, la tonalité si caractéristique de l’univers poétique de Pierre Tanguy est posée : la simplicité du titre, Ici même, saisit par son minimalisme. Pierre Tanguy, qui est l’auteur d’une œuvre poétique importante éditée en grande partie à La Part Commune, a écrit d’autres recueils de haïkus, Haïkus du chemin en Bretagne intérieure, Haïkus de sentier de montagne. La singularité de celui-ci est que la sensibilité du poète, qui capte si bien l’ordinaire de la vie, une marche face à la mer, le vélo dans les dunes de Bretagne, entre ici en connivence avec celle de Michel Remaud. Ce peintre non figuratif a réalisé d’autres livres d’artiste avec des poètes comme Gilles Baudry, Erwann Rougé, Gilles Plazy, Jean-Pierre Boulic, Alain Le Beuze, Daniel Kay… Voici ce qu’il écrit du livre d’artiste : « Objet précieux puisqu’il naît du partage et de la rencontre entre deux êtres, entre deux arts — un poète et un peintre ou un graveur, un photographe, un sculpteur, un musicien qui se trouvent, s’accordent et partent ensemble à la découverte de territoires intérieurs encore ignorés d’eux-mêmes pour lui donner naissance ». Double dynamique artistique, gage d’une créativité stimulante.



    Le recueil est divisé en trois moments, « Sur la côte », « Dans les terres », « Au jardin ». Les lieux sont à peine localisés géographiquement, avec une imprécision voulue pour aller vers l’universel. Le lecteur assiste à un double mouvement dans l’espace et dans le temps : le poète se promène, hiver comme été, s’arrête pêcher sur la grève ou cueillir des mûres, progresse plus avant, de la mer vers ce jardin. À vélo, à pied, on le suit dans une chapelle dédiée à sainte Anne, on a froid sous l’averse de grêle, on entre dans un jardin de moines, on admire les mimosas, on s’arrête avec lui devant des giroflées qui lui font penser à sa mère qui les a plantées. Cette poésie de chaque instant est l’occasion de déambulations dans les lieux et en soi-même. Bien sûr, il y a l’attrait des lieux, la fontaine aux fougères, un calvaire, une statue de granit « qui chevauche un cerf », les oies sauvages sur l’estran, le moulin à blé noir, les rochers à marée basse. Mais tout est intériorisé dans ce paysage mental qui, pour les deux artistes, est celui de la Bretagne qui les a vus naître et où ils demeurent.

    Ce va-et-vient entre la traversée des saisons, le passage du temps et le déplacement spatial produit une écriture du tressaillement tendre :

    « J’entends mon pas

    qui pèse sur le sable

    au soleil couchant »

    Ce poème en trois vers qui pointent en bas de la page blanche suffit à dire un coucher de soleil sur la plage, à nous mettre de plain-pied avec la nature. En vis-à-vis, les taches de couleur rouge zébrées de traits noirs de Michel Remaud effleurent à peine la surface, aérées, prêtes à rejoindre la blancheur du papier. Ce qui frappe, c’est combien l’un avec les mots, l’autre avec les esquisses de couleurs au milieu du blanc parviennent à laisser passer la respiration des choses. Le jeu entre le vide et le plein, entre les mots et le silence, entre les couleurs prend ici une forme très originale.

    Plus loin, à portée de minuscule émotion, c’est la vie des disparus avec ses souvenances tristes et tendres. Proximité parfaite des deux sensibilités : sur la page en regard, Michel Remaud use de chromatismes sombres illuminés de quelques touches claires. Les deux artistes nous font entrer dans le silence d’une petite église près du cimetière. Silence et profondeur d’une révélation essentielle, sans pathos et qui nous touche tous :

    « Sur la tombe de mon père

    les chrysanthèmes renversés

    averses d’automne »


    « Flamme des vitraux

    les statues dorment

    dans les coins sombres »

    Ce à quoi nous invite Pierre Tanguy, c’est à reconnaître la richesse du tout petit dans la nature, les myosotis couchés par la pluie, la fuite de deux renards, le rire des oiseaux de mer, la première violette, les gerbes de mimosa, richesse inséparable de la beauté du quotidien. L’émotion n’a pas besoin d’être dite, on la sent, orchestrée en secret dans le moindre détail :

    « Dans leurs kayaks multicolores

    des petits enfants

    lumineux »

    Pour le lecteur, soudain avec les adjectifs « multicolores » et « lumineux », le monde a mis sa livrée de gaieté.

    Au contraire, le jardin délaissé autour de la maison vide des parents nous fait comprendre la disparition, suggérée en creux. Comme toujours dans la poésie de Pierre Tanguy, les lieux, les objets disent autre chose qu’eux-mêmes. Le « je » se tient en lisière, dans un quasi-effacement. Non par esprit de sacrifice mais parce qu’il ne s’éprouve que comme un élément de la nature, à sa place dans l’ensemble du vivant.

    Ces instantanés qu’on croirait dits dans un souffle dessinent une sagesse de l’instant : au cœur est le sentiment aigu que la vie est là, sous nos yeux. À nous de l’accueillir, d’apprendre à la regarder, dans ce tout-venant de sensations et d’émotions. Dans les vers de Pierre Tanguy quelque chose de fluide et de vibrant affleure. Le nombre de verbes de mouvement est frappant (« bondit », « s’égaillent », « s’agite » « s’esquivent ») et dit ces présences démultipliées au monde.

    Ailleurs, autre tonalité en sourdine : des intervalles de silence et de tranquillité font contraste. Tout prend sens différemment. À l’opposé du dérisoire de nos vies pressées, on est saisi par la simplicité et l’évidence :

    « Ici l’après-midi

    beaucoup de vieux

    pour regarder les vagues »


    « La pointe rouge

    du premier bouton de camélia

    me rassure »

    En écho sur l’autre page, montant de l’espace et du vide, la fête du rouge et du noir illumine la peinture de Michel Remaud et nous enchante.

    La peinture ici n’est pas une décoration. Pas plus que le haïku n’est concession à une mode de l’exotisme facile. Une vigueur émue se dégage de cette collecte d’instants précieux, ancrée dans ce double rapport sensitif au monde.

    Écoutons ce que dit François Cheng des artistes chinois de l’époque Song : le poète et le peintre sont une seule force dévoilant « la secrète polyphonie du réel ». C’est l’impression que nous laissent Pierre Tanguy et Michel Remaud dans ce beau livre.



    Marie-Hélène Prouteau
    D.R. Marie-Hélène Prouteau
    pour Terres de femmes





    _______________________________
    1. Un « livre d’artiste » tiré à six exemplaires a d’abord été réalisé (2013) avant cette publication à La Part Commune.
    2. Alain Kervern est ancien enseignant de japonais à l’Université de Bretagne occidentale. Auteur de plusieurs livres de haïkus, il est le traducteur du Grand Almanach poétique japonais (5 vol., 1988-1994) aux Éditions Folle Avoine.







    Tanguy Ici même





    Pierre-tanguy-et-michel-remaud- vignette
    Pierre Tanguy et Michel Remaud
    Source





    ■ Pierre Tanguy
    sur Terres de femmes

    Ma fille au ventre rond (lecture de Marie-Hélène Prouteau)



    ■ Voir aussi ▼

    le site « Michel Remaud, artiste peintre »




    ■ Autres chroniques et lectures (25) de Marie-Hélène Prouteau
    sur Terres de femmes


    Chambre d’enfant gris tristesse
    La croisière immobile
    Anne Bihan, Ton ventre est l’océan
    Jean-Claude Caër, Alaska
    Jean-Louis Coatrieux, Alejo Carpentier, De la Bretagne à Cuba
    Marie-Josée Christien, Affolement du sang
    Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire
    Guénane, Atacama
    Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime
    Cécile Guivarch, mots et mémoire en double
    Denis Heudré, sèmes semés
    Jacques Josse, Liscorno
    Martine-Gabrielle Konorski, Instant de Terres
    Ève de Laudec & Bruno Toffano, Ainsi font…
    Jean-François Mathé, Prendre et perdre
    Philippe Mathy, l’ombre portée de la mélancolie
    Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo
    Daniel Morvan, Lucia Antonia, funambule
    Daniel Morvan, L’Orgue du Sonnenberg
    Yves Namur, Les Lèvres et la Soif
    Jacqueline Saint-Jean ou l’aventure d’être au monde en poésie
    Dominique Sampiero, Chante-perce
    Dominique Sampiero, Où vont les robes la nuit
    Pierre Tanguy, Ma fille au ventre rond





    Retour au répertoire du numéro de décembre 2014
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes