Étiquette : poèmes


  • Serge Pey | [Tes mains sont venues]



    [TES MAINS SONT VENUES]


    A Juan Goytisolo



    Tes mains sont venues
    par d’autres mains
    et les abeilles ont rempli ma bouche

    Dans sa maison
    la lumière épaissit les murs

    Les arbres ont des cheveux longs
    et ne veulent pas aller chez le coiffeur

    Les mots sont à l’envers
    et le tableau noir
    se lave à la rivière

    Les ciseaux dans le ciel
    remplacent les hirondelles

    Une rose extraite
    de ton bouquet sur la table
    ouvre le coffre-fort des étoiles
    tu es devenu un gardien maintenant

    Les sauterelles
    remplissent le téléphone
    et ta voiture en carton
    stationne
    au milieu de tes livres fermés

    Les bouteilles sont remplies
    de photos
    où je me reconnais

    Sur les murs
    seules les ficelles sont restées
    car les tableaux sont allés
    rejoindre les mains qui les ont faits

    Tu continues à me voir
    parce que je te lis
    et tu me donnes un coquillage
    pour que je puisse continuer à t’entendre

    Tes yeux restent
    de petits vélos
    de verre



    Serge Pey, « Poèmes » in Phoenix, cahiers littéraires internationaux, n° 29, 2018, pp. 11-12.





    Pey Phoenix 29





    SERGE  PEY


    Serge Pey NB
    Ph. D.R.
    Source





    ■ Serge Pey
    sur Terres de femmes

    Le poème est une oreille (extrait de La Main et le Couteau)




    ■ Voir aussi ▼

    le site officiel de Serge Pey





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  • José-Flore Tappy | Les pylônes



    LES PYLONES (extrait)




    Jusqu’à l’aube, jusqu’à la pointe laiteuse
    du jour, jusqu’au bord de nos lèvres,
    tout un pays s’approche derrière la nuit
    et vient d’une langue avide
    lécher nos mains, redonner vie
    aux ombres mortes




    […]




    C’est l’heure où
    les jardins encore humides
    sous les arbres en fleurs
    déplient leurs couvertures
    comme une terre promise
    avant que monte avec le jour
    l’amertume poussiéreuse
    des fenouils

    On fait des nœuds aux phrases
    on les attache entre elles,
    maille après maille,
    ainsi s’étend autour de nous
    un grand filet de bruits,
    de conversations, de murmures,
    où s’éveille, suspendu,
    tout un village de terre,
    d’asphalte

    nos voix se croisent dans l’aube
    comme des phares un peu flous,
    comme les marguerites effacées
    de ton vieux tablier

    ténues, elles frôlent le sol
    sans se briser

    Sur les collines, les pylônes,
    grands insectes aériens,
    vont s’envoler

    et la terre alentour se couvrir
    de pommiers, de barrières, d’abricotiers,
    comme une table vide,
    d’échos





    José-Flore Tappy, « Les pylônes » in Trás-os-montes (poèmes), La Dogana, Collection Poésie, Genève, 2018, pp. 72-73-74.







    José-Flore Tappy  Trás-os-montes




    JOSÉ-FLORE  TAPPY


    Tappy
    Ph. © Yvonne Böhler
    Source





    ■ José-Flore Tappy
    sur Terres de femmes

    [elle transpire l’humide la verte terre] (poème extrait de Lunaires)
    [Même par poignées les allumettes] (poème extrait de Tombeau)
    [Qui se penche] (poème extrait de Hangars)
    [Tandis qu’un nom dans ma tête chantonne] (poème extrait de L’île in Terre battue)
    Tombeau (lecture de Bernadette Engel-Roux)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur culturactif.ch)
    une fiche bio-bibliographique sur José-Flore Tappy (+ de nombreux poèmes)
    → (sur Le Courrier)
    un article de Marc Gueniat sur José-Flore Tappy (au lendemain de la remise du Prix Schiller)
    → (sur asymptote)
    une notice bio-bibliographique (en anglais) de John Taylor sur José-Flore Tappy (+ plusieurs poèmes)





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  • Georges-Emmanuel Clancier | Ève noire



    Fleur surgie violente du minéral
    Ph., G.AdC






    ÈVE NOIRE



    Pour Lucien Clergue




    Fleur surgie violente du minéral
    tu défies par la pulpe d’ombre et de lumière
    de tes seins collines
    tu défies par l’hymne (cuivre, or, braise)
    qui s’érige des reins à la nuque
    sous le feu, sous le jeu solaires,
    tu défies, ô fleur noire, chair première,
    la partition de mort
    gravée profond aux rocs comme aux os
    de ce désert où défaille le temps.

    Le regard qui te sacre reine
    tu l’arrachas aux vallées éphémères
    pour l’enfouir, le chauffer, le bercer en ton ventre.
    Il te cueille en plein jet, corolle noire
    mais ton sexe l’accueille et de nouveau l’enfante
    lavé de toute souillure, de toute blessure,
    armé de la gloire et de l’éclat originels.




    Georges-Emmanuel Clancier, « Étincelles d’instant » in Vive fut l’aventure, poèmes, Éditions Gallimard, Collection blanche, 2008, page 20.






    Clancier  Vive fut l'aventure 2





    ________________________
    Note d’AP : le poème ci-dessus a été antérieurement publié (dans une version longue et sous le titre « Laine d’Ariane ») dans un ouvrage collectif (Poésie) de la collection L’Atelier imaginaire, Éditions L’Âge d’homme, 15 juin 1991, pp. 81-84. Voir aussi : CLERGUE, Lucien, Eve est Noir. By Georges-Emmanuel Clancier. Illustrated with colour photographs by Lucien Clergue. 28 Loose leaves each with a 4″ x 6″ colour photographs, plus 1 colour laser-print. Housed in a linen-covered clamshell box. Arles: Privately printed, 2000. Eve est Noir was originally published in 1982, and is here revisited together with a poem by Clancier, reproduced in facsimile, which it inspired, and a 1982 text by Clergue. The photographs all depict a black nude model photographed in various American locations from Point Lobos on the West Coast to Rockport, Maine in the East.






    GEORGES-EMMANUEL  CLANCIER




    ■ Georges-Emmanuel Clancier
    sur Terres de femmes

    [Flaques d’orange lueur] (autre extrait du recueil Vive fut l’aventure)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Gattivi Ochja)
    un autre poème de Georges-Emmanuel Clancier (extrait du recueil Oscillante parole [Gallimard, 1978] et traduit en corse par Stefanu Cesari)
    → (sur Ici & Là)
    une lecture de Vive fut l’aventure par Dan Bouchery





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  • Stefanu Cesari, Bartolomeo in cristu

    par Angèle Paoli

    Stefanu Cesari, Bartolomeo in cristu, poèmes,
    édition bilingue (corse-français), éditions Éoliennes, 2018.
    Prix du poème en prose Louis-Guillaume 2019.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Cesari Louis Guillaume








    AU CŒUR DE LA FLEUR INVERSE




    Le pays qui accueille le visage de Bartolomeo est un pays bien étrange. Âpre, écorché de mille blessures silencieuses et immobiles, pris entre sècheresse de biens et de mots, il est pays de traces et de signes invisibles, pays de l’attente. D’interrogations sans réponses. Une voix anonyme parle, qui guide le lecteur curieux dans ce mystère de pierres sèches que souligne la présence fidèle d’un « arbre vivant, d’un arbre mort ». Un cheminement vers une œuvre à venir. Un possible. Mais voici qu’un autre fait irruption, qui se fraie sa route dans le paysage et s’avance. Qui est-il ? Nul ne le connait. Aucun nom ne vient à la bouche. Il n’a laissé de lui que son rêve, inscrit à même la chaux. Derrière lui se tient le poète, entre ombre et lumière, silence et questionnement. Stefanu Cesari. C’est son nom. Il a dialogué avec le saint. Il a dialogué avec l’autre. De cet échange naît le poème, tout aussi mystérieux et intemporel que la fresque anonyme qui a inspiré ce recueil. Il lui donne un nom. Le nom de son poème. Bartolomeo in cristu.

    Il suffit au visiteur-poète de pousser les portes de la chapelle romane San Pantaleu di Gavignanu, en Castagniccia (Pieve di Rustinu en Haute-Corse), pour rencontrer, à l’instant du face-à-face, le regard singulier de saint Barthélemy. La fresque est un appel réitéré, une vocation. Une offrande peut-être, vécue pour la seconde fois. La première, c’était dans des temps anciens, au XVe siècle, lorsque le fresquiste s’est lancé dans son travail :

    « Il y a une rage qui sourd de l’intonaco et c’est le premier geste, la trace du charbon comme on devine un visage avant le corps entier, avant qu’il ne se fige […]. »

    La seconde fois est ce moment de la double rencontre : entre le poète et le saint, le poète et le fresquiste, chacun enclos dans le secret de sa mémoire. Le poète marche sur les pas du peintre, se glisse sous sa peau, s’empare de ses pensées jusqu’au point de fusionnement des unes avec les autres :

    « Si tu veux prendre la main tendue de l’œuvre, alors lève-toi, avant que le pays entier ne se mette à brûler sans ombre, tu as seulement quelques heures pour poser au blanc du mur l’étrangeté presque vivante, la parenté des hommes avec ce qui demeure. »

    La rencontre a lieu dans un échange sans fureur ni éclat, dans l’économie et le presque dénuement, à souffle retenu. Le poète interroge les couleurs qui surgissent de l’ombre, le rouge sur le blanc, le noir de la peau et celui de ce trait qui contient l’œuvre entière, corps circonscrit dans ses limites. C’est là que le saint s’abandonne, livre une part de lui-même. Le poète, témoin de ce qu’il voit, lève le voile. Révélation :

    « Tu te révèles dans l’abandon. Tu te révèles ainsi brisé, brisé et reconstitué d’un tracé très fin, un noir qui te contient. Le rouge des jours et de l’éternel, entre la nuit absolue et l’absolue lumière, c’est ta peau marquée d’un tatouage définitif. »

    La révélation est progressive. Elle se fait dans une lenteur intemporelle, dans cet espace qui s’étire entre les confins arborés, « au pied d’un arbre vivant […] au pied d’un arbre mort. » Symbole de régénérescence, l’arbre, même mort, est animé d’un souffle autre qui respire sous l’écorce comme la fresque respire sous la couleur. Le poète-témoin est en recherche. De quelque chose de plus, de quelque chose qui le dépasse. Sa quête est identique à celle de l’anonyme, identique aussi à celle de Bartolomeo. Au cœur de la quête se trouve « la fleur inverse de l’affresco. » On ne peut que penser ici à Jacques Roubaud, à cette œuvre majeure qu’est sa Fleur inverse. Laquelle renoue avec la quête d’absolu de Rimbaut d’Orange, prince des troubadours et de l’art du trobar. Cependant, « la fleur inverse » de Stefanu Cesari ne s’éloigne nullement de l’idéal du poète, différent de celui des poètes du Moyen Âge.

    « De révélation ton sang, ombre au mur inassouvie d’une quête, la fleur inverse de l’affresco. »

    Moment de beauté intense que ce moment précis du recueil qui dévoile ce qui le motive.

    Le poème dit l’histoire du saint — son enfance et ses marches, son martyre —, telle que le poète la reçoit et la vit dans son imagination, confrontant les sources contradictoires, les énigmes imaginées par les hagiographies successives, avec ses propres sentiments, son propre arrière-pays mental, sa propre sidération. Les poèmes en regard — cinquante-neuf en tout (en langue corse page de gauche, en français page de droite) — sont des proses poétiques brèves, des pavés justifiés de seize lignes pour la plupart. L’histoire du saint se résume dans la peau d’écorché jetée sur son épaule, sa « carcasse » d’étranger. « Tu n’es pas de ce pays. On t’y a accueilli en échange de ta peau. »

    C’est cela aussi que dit la fresque — l’affresco — , ce martyre silencieux dont le saint porte avec lui la relique corporelle, inséparable de lui-même, symbole de sa vie ancienne et de sa souffrance. Elle l’accompagne dans son voyage, dans « l’intimité du rouge ». Jusque dans ce paysage qui prend forme « sur la fleur sèche de la pierre. »

    Le récit ? Une voix qui se faufile sous l’incarnat de la peau.

    « Entre la peau et le couteau il n’y a personne il y a juste un temps plein de silence, et le rouge écrit sur la page, la tache d’encre dans le récit. »

    Pour le lecteur tant soit peu accoutumé aux écrits de Stefanu Cesari, rien qui surprenne dans cette fascination du poète pour les commencements. Et pour le geste fondateur qui préside à la création de toute chose. « U minimu gestu | Le moindre geste. » Si menu soit-il, si infime soit-il, ce geste est celui qui retient l’attention du poète :

    « Ce regard, tout ce qui est dit et que l’on n’entend pas les voix mêlées les chants d’une agitation fervente, c’est l’histoire de ce qu’il y a eu, un premier geste hésitant. »

    Il en est de même de la question du nom. Primordiale et biblique, cette question revient comme une offrande, sans laquelle exister ne se peut :

    « Tu as donné un nom à chaque pierre. Toi, qui as encore une jeunesse dans les mains, tu l’as posée sur le travail à venir. En esprit tu as jugé du poids de chaque chose. »

    Ainsi transparaît la pensée profonde, intime, du poète, au fil des pages. Drainant avec elle ses attentions, ses interrogations multiples sur le sens de la vie, sur le passage des hommes, sur l’affleurement de leur histoire. Les sensibilités s’intriquent, inscrites dans un topos qui n’a pas besoin de livrer son nom, mais qui se reconnaît dans la présence liminaire de l’arbre :

    « Toi ce pays entre un arbre vivant, un arbre mort »

    Le rappel de cet entre-deux agit comme un refrain susurré qui se glisse pour redire, ici et là, l’axe du poème, son enracinement dans la déprise essentielle d’avec la réalité matérielle :

    « Le récit Bartolomeo : maison et lieu, troupeaux en estive, c’est là que tu habites entre un arbre vivant et un arbre mort, le poumon du monde. »

    Ou encore, dans le même poème :

    « [C]e pourrait être une chanson revenue sur les lèvres, nous enracinant là d’une saison à l’autre, ce pourrait être vivre, l’apprentissage du vivre, d’une certaine façon maison et lieu rendus à leur nudité première entre deux arbres, voilà ce que nous pourrions connaître, de nom, mais rien qui nous appartienne. »

    Parfois émergent des instants lumineux, des instants de suspens, où vivre entre deux points d’un même axe conduit à une plénitude proche du bonheur :

    « Beaucoup aimé le temps passé sous les amandiers entre un arbre vivant et un arbre mort. C’est au début de la vie, les yeux par terre, c’est la saison, on ramasse le fruit tombé. Des fois il a toujours sa peau sur lui, des fois c’est une pierre pour la fronde, pour le fer que l’on bat. »

    Lire les lignes du voyage, laisser parler les signes, affleurement d’images complexes qui s’emboîtent les unes dans les autres pour dire un mystère plus grand encore. C’est cela qui habite le poète. Se faire le « témoin » de cette histoire à imbrications plurielles le conduit à s’interroger sur le langage, plénitude et vide, un flux qui porte en lui « la simple possibilité de chaque chose » :

    « Le langage ici toujours rouge la parole, sans jamais finir nous revient, nous emplit la bouche. »

    Et en finale du même poème :

    « Le langage, il y a dans son sang comme dans ses manques la simple possibilité de chaque chose. »

    Avant de clore la lecture d’un ouvrage aux pistes indénombrables et à la langue infiniment belle, il me faut aborder une autre particularité. D’une page l’autre court, en bas de page, à l’envers des poèmes, un autre texte. En contrepoint. Ces phrases sont incluses dans un à-plat dont la couleur « terre d’ombre brûlée » tranche avec la couleur ivoire de la page. Une ligne continue d’horizon, « fil ténu de la route », cloisonne les phrases. « Remonter le cours du récit » et de la fin signer le commencement, c’est « pénétrer dans le labyrinthe », confie le poète. Poème ouroboros. Poème intemporel. Que l’on peut lire dans un sens puis dans un autre, à l’affût des voix qui se parlent et qui conversent. Inverser le regard, lire dans les deux sens, la fin du poème rejoignant le début du texte en prose, lequel tourne le dos à l’image de Bartolomeo. Et pourtant, c’est bien à un mystérieux rendez-vous avec une image que convie cette lecture. Et, au-delà, à une rencontre avec l’autre « visage ». Celui peut-être du poète. Qui entretient avec le visage de Bartolomeo, « ciel et sang », un dialogue intérieur d’une intense richesse. Une prière, « une rêverie longue des siècles », célébration méditative sur des fragments de lumière chaude exhumés de la chaux. « Appels et répons » pour une parole « sans fin ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Stefanu Cesari  Bartolomeu in cristu






    STEFANU CESARI


    Stefanu Cesari
    Source




    ■ Stefanu Cesari
    sur Terres de femmes

    [Jeune […] autant que l’eau] (extrait de Bartolomeo in cristu)
    [In un libru à a cuprendula russa] (extrait d’U Mìnimu Gestu)
    [Nivi, nò?] (autre extrait d’U Mìnimu Gestu)
    Ti scrivaraghju in faccia (extrait d’A Lingua lla bestia)
    Incù ciò chi tu m’ha’ lacatu (extrait de Genitori)
    [On sent peser sur soi un vêtement immatériel] (extrait de Prighera par l’armenti)



    ■ Voir aussi ▼

    Gattivi Ochja, la revue de poésie en ligne de Stefanu Cesari
    → (sur Terre à ciel)
    un entretien de Françoise Delorme avec Stefanu Cesari





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  • Stefanu Cesari | [Jeune […] autant que l’eau]



    [GHJOVANU […] QUANT’È L’ACQUA]



    Ghjòvanu quant’è a petra posta lungu ’lla strada quant’è l’acqua. L’òmini passendu ani sempri ridrizzatu u muru chì si n’era falatu, ani postu i so mani nant’à u fiori di a petra asciuta, chì sò di stu regnu accittatu, fintantu ch’iddu dura. Ceri volti li veni di pinsà à l’acqua chì curri, parch’iddi t’ani a siti, o chì ci voli à richjarà i minuci, parchì ci si attinghji u sensu di a a vita è quiddu di a morti, è certi volti u sguardu di a fèmina. Da chì tù se statu vistu sutt’à a fica — quant’anni t’avii? hai crettu par via di l’umbra è di l’àrburi, hai crettu ch’iddu ti tuccaia à mova, pà una tarra stranieri fatta d’acqua è di petra. Di stu paesu ùn se micca, ma se statu accoltu, barattènduci a to peddi.





    [JEUNE […] AUTANT QUE L’EAU]



    Jeune, autant que les pierres posées le long du chemin autant que l’eau. Les hommes en passant ont toujours redressé les murs qu’ils faisaient tomber, ils ont posé leurs mains, l’un après l’autre sur la fleur sèche de la pierre. Ils sont de ce règne, pour autant qu’il dure. Quelquefois ils pensent à l’eau vive, parce qu’ils ont soif, parce qu’il faut rincer les abats, parce qu’on y puise et la vie et de la mort, parce qu’on y croise une femme. Depuis que l’on t’a vu sous le figuier, quel âge avais-tu ? Tu as cru à cause de l’ombre et de l’arbre, tu as cru qu’il fallait se lever et partir. Vers une terre étrangère faite de pierre et d’eau. Tu n’es pas de ce pays. On t’y a accueilli en échange de ta peau.



    Stefanu Cesari, Bartolomeo in cristu, poèmes, 24, édition bilingue (corse-français), éditions Éoliennes, 2018, pp. 52-53.






    Stefanu Cesari  Bartolomeu in cristu





    STEFANU CESARI


    Stefanu Cesari
    Source




    ■ Stefanu Cesari
    sur Terres de femmes

    Bartolomeo in cristu (lecture d’AP)
    [In un libru à a cuprendula russa] (un autre extrait d’U Mìnimu Gestu)
    [Nivi, nò?] (un autre extrait d’U Mìnimu Gestu)
    Ti scrivaraghju in faccia (extrait d’A Lingua lla bestia)
    Incù ciò chi tu m’ha’ lacatu (extrait de Genitori)
    [On sent peser sur soi un vêtement immatériel] (extrait de Prighera par l’armenti)



    ■ Voir aussi ▼

    Gattivi Ochja, la revue de poésie en ligne de Stefanu Cesari
    → (sur le site des éditions Éoliennes)
    la fiche de l’éditeur sur Bartolomeo in cristu de Stefanu Cesari
    → (sur Terre à ciel)
    un entretien de Françoise Delorme avec Stefanu Cesari





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  • Étienne Faure | sur « Le Poète à tête renversée »




    [SUR LE POÈTE À TÊTE RENVERSÉE]







    Chagall  Le Poète à tête renversée  2
    Marc Chagall (1887–1985)
    Étude pour Le Poète à tête renversée, 1911
    Gouache, plume et encre sur papier,
    27 x 21 cm
    Source







    Cette rose au cœur vert on dirait un chou,
    la tête renversée du poète
    il y a cent ans repeinte avec des paupières
    d’ortie, tout un monde à l’envers revu
    comme on regarde par-dessous celui qui s’annonce
    avers, endroit du décor
    à la vitesse révolue d’une époque
    où coule sans gravité la couleur du vin
    lumineuse, éclairant le verre
    — et la lente impression d’ivresse —
    le vin où plongerait aussi bien la plume
    quand l’encrier est sec, la lampe sans pétrole,
    à lire à livre ouvert sur les genoux, vieil établi,
    le livre ou manuscrit comme à rebours
    entre les pages où furent glissées des fleurs
    ocre, violines, jaune paille,
    les mots semblablement réversibles.


    sur « Le Poète à tête renversée »




    Étienne Faure, « En peinture » in Tête en bas, poèmes, éditions Gallimard, Collection blanche, 2018, page 69.






    Etienne faure  Tête en bas






    ÉTIENNE FAURE


    Etienne Faure




    ■ Étienne Faure
    sur Terres de femmes


    Tête en bas (lecture d’AP)
    [Après les rigueurs inhumaines | du gel] (extrait de Ciné-plage)
    Et puis prendre l’air (lecture d’AP)
    Sortir, Éloge appuyé des bancs, Changements de saison (extraits d’Et puis prendre l’air)
    Les soirs d’été au pas des portes (extrait d’Horizon du sol)
    La Vie bon train, proses de gare (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Étienne Faure





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  • Laure Cambau | tekké




    TEKKÉ




    Le berger décore l’arbre à prières
    de petits rubans colorés
    les poèmes sèchent au vent avec les mûres
    flottent se balancent dans l’air du soir
    tournent avec la musique soufie et les derviches
    et sur les rubans qui volètent
    je lis le chant des têtes
    une langue d’arbre et d’huile
    et dans le désordre des vœux
    je trouve la sortie du poème
    issue obscure et liquide
    de la moiteur du boulevard à la fraîcheur du tekké
    la terre sous la terre parle une langue d’huile
    borborygme onomatopée
    le vent se cache derrière l’arbre ma paupière et la toile
    avec les araignées et les derviches
    peut-être les vers à soie tisseront mes mots entre deux fibres
    du trottoir aux collines
    de la remise en flammes
    aux braises noires des steppes
    je cueille le ruban rouge
    sous le mûrier

    une ronde de mots muets

    me réveille




    Laure Cambau, « Connais-toi toi-même ainsi tu pourras connaître Dieu », Le Manteau rapiécé, Un voyage au fil du souffle, florilège Bektachi : Dialogue, récits, poèmes, psaumes et souffles, éditions Unicité, 2017, page 35.






    Laure Cambau  Le Manteau rapiécé






    LAURE CAMBAU


    Laure_cambau
    Ph. © Laure Cambau
    Source





    ■ Laure Cambau
    sur Terres de femmes

    Ma peau ne protège que vous (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Pèlerin
    Tombeau de Janis
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Sans pourquoi



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Laure Cambau
    → (sur le site de Claude Ber)
    une page consacrée à Laure Cambau (invitée du mois de juin 2010)






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  • Béatrice Libert | [Les pierres et les mots]



    [LES PIERRES ET LES MOTS]




    Les pierres et les mots remplissent notre vie
    Les unes pour la fermer les autres pour l’ouvrir

    Nous les semons devant nous
    Sans pouvoir contre le chagrin et la nuit

    Parfois certains d’entre eux
    Soulèvent notre montagne intérieure
    Remuent notre pauvre syllabaire

    Où les mots défaits se recomposent
    Où les pierres affligées se changent en sable

    Où le vent malgré sa surdité
    Ranime quelquefois un semblant de poésie





    Béatrice Libert, Battre l’immense, poèmes, Revue Nunc | Éditions de Corlevour, 2018, page 27.






    Beatrice Libert  Battre l'immense 2





    BÉATRICE LIBERT


    Beatrice Libert
    Source




    ■ Béatrice Libert
    sur Terres de femmes


    Chansonnier : arbre lyrique (extrait d’Arbracadabrants)
    [Il y a dans le vent qui passe] (extrait de L’Aura du blanc)
    Nous traversons l’abîme (+ une notice bio-bibliographique)
    [Peut-être est-ce dans l’arbre ?] (extrait d’Un arbre nous habite)
    Très souvent (extrait d’Être au monde)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Attente
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un Portrait de Béatrice Libert (+ un extrait d’Être au monde)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions de Corlevour)
    une fiche bibliographique sur Béatrice Libert





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  • Lionel Ray | Résurrection



    Lionel Ray Sete 2017
    Lionel Ray au festival Voix Vives
    de Méditerranée en Méditerranée (Sète),
    juillet 2017
    D.R. Ph. Guy Bernot
    Source







    RÉSURRECTION



    Même le blanc sera couleur nocturne
    Nous serons solitaires parmi les ruines
    Dans l’attente vaine d’un futur antérieur

    Les pages elles-mêmes nous serviront de masques
    Têtes sanglantes comme celle du Baptiste et les fenêtres
    N’ouvriront plus que sur des horizons fantasques

    Nous connaîtrons des ruissellements d’aristoloches
    Des vacillements des fanfares
    Des élégances de diamant de stèle de menhir

    Des cristallisations de volubilis des lectures d’eau morte
    Entre estampes et caprices désastres et triomphes
    Et les oiseaux qui s’évaporent sous le soleil

    Des effondrements de ciels profonds et soudain
    Habitables En attendant le colloque des traces
    Des coulures les semis des étincelles

    Enfin les plus hautes tours Il y aura des matinées
    Heureuses au fil des rivières nous saluerons
    La patience des heures les dernières glaces

    La musique sinueuse des labours et la germination

    Enfin d’un éternel sommeil



    Lionel Ray, « La neige du temps » in Souvenirs de la maison du Temps, poèmes, Éditions Gallimard, Collection Blanche, 2017, pp. 73-74.






    Lionel Ray  Souvenirs de la maison du Temps





    LIONEL RAY


    Ray Kobel
    Lionel Ray au festival Voix Vives
    de Méditerranée en Méditerranée (Sète)
    le 27 juillet 2010
    Ph. : Pierre Kobel
    Source





    ■ Lionel Ray
    sur Terres de femmes

    Navigation interstellaire (poème extrait d’Entre nuit et soleil)
    Tu cherches la lettre perdue (poème extrait de Syllabes de sable)
    [Tu serais un arbre calme] (autre poème extrait de Syllabes de sable)
    Viatique



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur Souvenirs de la maison du temps
    → (sur Texture)
    une lecture de Souvenirs de la maison du Temps par Michel Baglin
    → (sur le site de L’Humanité)
    Lionel Ray lisant un extrait [« Théâtre »] de Souvenirs de la maison du Temps au festival Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée (Sète) le 24 juillet 2017
    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Lionel Ray
    → (sur le site de Poésie/première)
    une page sur Lionel Ray
    → (sur La Pierre et le Sel)
    « Lionel Ray, poète lyrique à trois têtes », une contribution de Jean Gédéon



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  • Ashur Etwebi | Sous le citronnier lunaire



    [SOUS LE CITRONNIER LUNAIRE]



    Sous le citronnier lunaire
    Les tranches rouges de pastèques
    Se livrent aux becs des oiseaux assoiffés



    L’oiseau n’a que le ciel
    Le jour n’a que la parole
    L’étoile n’a que la nuit
    Les ronces n’ont que le mur
    Le vieil adorateur n’a qu’un semblant de sagesse



    Un pied dans le sable et l’autre dans l’eau
    Ainsi le poème échappe à sa première mort

    Une main dans le feu et l’autre dans l’air
    Ainsi la mélodie échappe à sa première mort

    D’un univers entièrement nu
    Naît la poésie




    Ashur Etwebi, Le Chagrin des absents, éditions érès, Collection Po&psy, 2018, s.f. Poèmes traduits de l’arabe (Libye) par Antoine Jockey. Dessins de Yahya Al-Sheikh.






    Ashur Etwebi






    ASHUR ETWEBI

    Ashur Etwebi Portrait
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions érès)
    la fiche de l’éditeur sur Ashur Etwebi




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