Étiquette : Poésies


  • O.V. de L. Milosz | H








    Le jardin descend vers la mer. Jardin pauvre, jardin sans fleurs, jardin
    Aveugle. De son banc, une vieille vêtue
    De deuil lustré, jauni avec le souvenir et le portrait,
    Regarde s’effacer les navires du temps. L’ortie, dans le grand vide

    De deux heures, velue et noire de soif, veille.
    Comme du fond du cœur du plus perdu des jours, l’oiseau
    De la contrée sourde pépie dans le buisson de cendre.
    C’est la terrible paix des hommes sans amour. Et moi,

    Moi je suis là aussi, car ceci est mon ombre ; et dans la triste et basse
    Chaleur elle a laissé retomber sa tête vide sur
    Le sein de la lumière ; mais
    Moi, corps et esprit, je suis comme l’amarre

    Prête à rompre. Qu’est-ce donc qui vibre ainsi en moi,
    Mais qu’est-ce donc qui vibre ainsi et geint je ne sais où
    En moi, comme la corde autour du cabestan
    Des voiliers en partance ? Mère

    Trop sage, éternité, ah laissez-moi vivre mon jour !
    Et ne m’appelez plus Lémuel ; car là-bas
    Dans une nuit de soleil, les paresseuses
    Hèlent, les îles de jeunesse chantantes et voilées ! Le doux

    Lourd murmure de deuil des guêpes de midi
    Vole bas sur le vin et il y a de la folie
    Dans le regard de la rosée sur les collines mes chères
    Ombreuses. Dans l’obscurité religieuse les ronces

    Ont saisi le sommeil par ses cheveux de fille. Jaune dans l’ombre
    L’eau respire mal sous le ciel lourd et bas des myosotis.
    Cet autre souffre aussi, blessé comme le roi
    Du monde, au côté ; et de sa blessure d’arbre

    S’écoule le plus pur désaltérant du cœur.
    Et il y a l’oiseau de cristal qui dit mlî d’une gorge douce
    Dans le vieux jasmin somnambule de l’enfance.
    J’entrerai là en soulevant doucement l’arc-en-ciel

    Et j’irai droit à l’arbre où l’épouse éternelle
    Attend dans les vapeurs de la patrie. Et dans les feux du temps apparaîtront
    Les archipels soudains, les galères sonnantes —
    Paix, paix. Tout cela n’est plus. Tout cela n’est plus ici, mon fils Lémuel.

    Les voix que tu entends ne viennent plus des choses.
    Celle qui a longtemps vécu en toi obscure
    T’appelle du jardin sur la montagne ! Du royaume
    De l’autre soleil ! Et ici, c’est la sage quarantième

    Année, Lémuel.
    Le temps pauvre et long.
    Une eau chaude et grise.
    Un jardin brûlé.



    O.V. de L. Milosz, Adramandoni in Poésies, II, Éditions André Silvaire, 1960, pp. 113-114-115. Textes, notes et variantes établis par Jacques Buge.








    O. V. de L. MILOSZ


    Vignette Milosz
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    le site de l’association des Amis d’Oscar Vladislas de Lubicz Milosz
    → (sur Esprits Nomades)
    « Oscar Vladislas de Lubicz Milosz, D’un pays d’enfance retrouvée en larmes… », par Gil Pressnitzer (dossier comprenant un choix de textes)





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  • Luc Dietrich | Les derniers jours de l’automne



    Les feuilles meurent à l'arbre qui leur a donné forme.
    Ph., G.AdC






    LES DERNIERS JOURS DE L’AUTOMNE



        Après les moissons, après la grappe de septembre, après la pomme et les prunelles des haies, voici venir des cieux plus lents : l’automne est là où pourrit l’herbe morte. Les feuilles meurent à l’arbre qui leur a donné forme. L’automne hésite au déclin de son âge. Dans la nudité du ciel, le soleil revenu fête la terre en son sommeil premier. L’ombre d’un arbre proche atteint la blancheur d’un mur. Et tout se répond et s’exalte dans ce jour de cristal : l’oiseau, le ciel, l’arbre et la pierre.



    Luc Dietrich, Emblèmes végétaux (1943) in Luc Dietrich, Poésies, Éditions du Rocher | Jean-Paul Bertrand, Collection Alphée, 1996, page 193. Texte préfacé et annoté par Jean-Daniel Jolly Monge.





    LUC DIETRICH


    Luc Dietrich
    Source



    ■ Luc Dietrich
    sur Terres de femmes

    [Le sapin]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Esprits Nomades)
    une page sur Luc Dietrich





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