Étiquette : Poésies premières


  • Philippe Beck, Chambre à roman fusible

    [XXXIV. « Fermeture-phénomène »]

    «  Poésie d’un jour »


    Dizaine « Philippe Beck » sur TdF


    Agenda culturel :
    « Philippe Beck, un chant objectif aujourd’hui »
    (Colloque de Cerisy – 26 août | 2 septembre 2013)



    XXXIV. FERMETURE-PHÉNOMÈNE.



    Cette poursuite est lente et nécessite un athlétisme privé (mais sans piste ou circuit, ni vélo d’intérieur). Je défermais souvent, et puis : lever. (Par exemple, je déferme en disant « Monsieur » et « Madame », un nombre de fois raisonnable.) Je suis séjourné : le Renart étrange Roussel sur le bateau volets tirés lit. La grande guerre qui ne finira jamais, entre le nommeur et le refuseur : au milieu, le réviseur et ses personnages répandus. Le refuseur déforme les noms : le nom de X est en lui-même défermé. L’armoire secrète du nom s’étale dans les journaux, et aux publics intimes. La chasse, depuis un moment, est chasse à l’impudence de l’enfant qui révise. Une grande lettre vermeille arrête mes yeux : c’est le commencement de la vie d’un fermoir plié un nombre de fois raisonnable dans le nom épars du guerrier respectueux. Lilas répète aux élèves et aux convives : « Celui qui n’a pas confiance aux livres est en danger de mauvaise fin. » (À ce point, sans fonte, il s’agit de ne pas faire une fin.) Il frappe la mer d’un coup de baguette institutionnelle, en défermeur. Une brebis électrique en sort. L’électrification peut être le moyen terrible. Chiens et brebis sortis des flots infendus et arides sont notre lot. Les hommes et les femmes sont apprivoisés, font des nageurs, Ondine et Popov.



    Philippe Beck, Chambre à roman fusible, Al Dante, 1997, in Poésies premières, 1997-2000, Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2011, page 52.






    Philippe Beck, Poésies premières





    PHILIPPE BECK


    Philippe Beck





    ■ Philippe Beck
    sur Terres de femmes


    Boustrophes, « Variation XIII »
    Dans de la nature, 87
    De la Loire [Vague de pierre 36]
    Lyre d’& XIV (extrait de Lyre Dure)
    Les murs capitonnés (extrait de Poésies didactiques)
    Les variations poétiques de Philippe Beck ou le tempo universel du monde (chronique de Sylvie Besson)
    Poésies premières (lecture de Tristan Hordé)
    Pages vertes (un extrait de Rude merveilleux, in Poésies premières)
    Pré-journal II (extrait de Un journal)
    Rêve (poème extrait de Chants populaires)
    Suie (poème extrait de Chants populaires)
    [Tout a lieu] (poème extrait de Aux recensions)
    22 octobre 2005 | Philippe Beck, Un journal
    28 janvier 2006 | Philippe Beck, Un journal



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    (sur remue.net) un dossier consacré à Philippe Beck
    → (sur le site du Centre Atlantique de Philosophie)
    une page consacrée à Philippe Beck
    → (sur Lyrikline)
    Philippe Beck dit deux de ses poèmes
    → (sur Dailymotion)
    Philippe Beck lit des extraits de son recueil Lyre Dure





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  • Philippe Beck, Poésies premières

    Philippe Beck, Poésies premières, 1997-2000,
    Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2011.



    Lecture de Tristan Hordé


    Philippe Beck  l-impersonnage
    Image, G.AdC






    VIOLENCE ET RUPTURES



        Maurice Blanchot écrivait à propos de Mallarmé qu’il « ne s’échappe pas de la langue nationale, mais va jusqu’à l’étrangeté qu’elle recèle, aussi ancienne que nouvelle, puisque se découvrant des intonations inouïes ou se délivrant par des accords neufs », et il concluait en définissant la langue poétique comme « rupture d’un Dire réfractaire au déjà dit, sans lequel il n’y aurait pas de silence ».1 C’est à partir de cette idée de rupture que l’on pourrait lire Poésies premières ; Yves di Manno y a réuni trois livres anciens de Philippe Beck, Chambre à roman fusible (1997), Rude merveilleux (1998) et Inciseiv (2000). Ils sont suivis d’une postface inédite 2 dont je retiens une des citations en exergue, celle de Charles Reznikoff, « Le monde est très vaste et je ne peux certainement pas en témoigner dans son entier » : c’est redire que la poésie est ancrée dans l’Histoire, dans le monde, comme aussi bien l’était celle de Virgile (auquel un poème est consacré dans Rude merveilleux, « Publius Maro ») ou celle de Novalis, également présent. On lira aussi dans Rude merveilleux : « Impossible d’être automatiquement poète | (obéissant à la commande dehors ou dedans) ; | ou machinalement (comme grand voyageur) ».

        Comment le monde est-il présent ? Il est vivement inscrit dans la littérature — on relèvera aisément les noms cités, dont il faudrait analyser pour chacun d’eux la fonction dans le texte —, le cinéma, la musique et la peinture. Il est appelé par le titre d’une œuvre (Asphodèle, William Carlos Williams), par le biais de ceux qui furent des modèles de personnages, comme Georges Pollard pour le capitaine Achab, ou Owen Chase, chez Melville : bel exemple du rapport entre réel et texte. La mention « du chat jaune de l’abbé Seguin » (p. 21) qui termine un poème autour du jugement d’une œuvre, renvoie au début du livre premier de Vie de Rancé de Chateaubriand (« […] une vieille bonne, vêtue de noir venait m’ouvrir : elle m’introduisait dans une antichambre sans meuble où il y avait un chat jaune qui dormait sur une chaise »). Dans Rude merveilleux, le titre d’un poème, « Accablant le tu » est un jeu à partir du premier vers d’un poème de Mallarmé (« À la nue accablante tu ») dont le prénom est cité : mesure de l’apport de ce maître et conclusion, « Donc il faut bien dire | comment continuer sans | un des patrons » (p. 116) — Philippe Beck revient dans la postface (pp. 252-253) sur sa relation à Mallarmé. Un autre stimulus de son travail poétique est cité avec Hölderlin et son Hypérion, Hölderlin qui écrivait en 1797 : « La poésie que je fais a plus de vie et de forme ; mon imagination absorbe plus volontiers les formes du monde ». Le nom de l’acteur Keith Carradine, qui apparaît dans Chambre à roman fusible, peut évoquer la comédie musicale Hair (il en fut un des interprètes), dont on sait l’importance des chansons dans les manifestations contre la guerre du Vietnam, mais il a joué aussi dans des films de Robert Altman, auquel un poème est dédié dans Rude merveilleux ; ce cinéaste a consacré une partie de son œuvre à l’analyse de certaines formes de violence dans la société contemporaine.

        Cette violence est un thème récurrent dans Poésies premières, ce sur quoi Philippe Beck insiste dans la postface : « la violence historique est le thème commun, évident, des livres rassemblés » (p. 252). Par exemple, allusion est faite — « Jogichès », titre, p. 57 — à Léo Jogichès : le lecteur, consultant une encyclopédie, apprendra que ce communiste polonais très actif fut un des fondateurs du Parti communiste d’Allemagne en 1918 ; arrêté pendant la révolution allemande, il est assassiné en prison en mars 1919, peu de temps après Rosa Luxemburg. Mais le plus lisible de la violence historique, et qui donne son sens au titre Chambre à roman fusible, se trouve dans un poème également titré avec un nom de personne (« David Olère », p. 47), nom qui réapparaît dans Rude merveilleux (p. 99) :


                 Le destin d’emportés
                de petits emportés par des intermédiaires majeurs
                de grands emportés par des aussi grands ;
                le destin des anciens petits et grands
                destin pleuré, sans regret,
                puisqu’il n’y a pas de regret dans ce dessin
                de respiration ancienne
                et de cuisson future.


        Il s’agit ici des chambres à gaz ; David Olère, juif rescapé d’Auschwitz a dessiné, peint et sculpté ce qu’il avait vécu. On pourrait, en partie, relire Chambre à roman fusible avec en tête ce poème (voir par exemple le tout début : « Mes personnages sont des fumées. // Mais je ne viens pas les voir dans leurs cheminées »), y compris dans l’examen de ce qu’est un roman : voir « Dans les romans passés se cachait l’évidence volée » (p. 26) Le commentaire du poème « David Olère » dans Déductions (éditions Al Dante, 2005, pp. 11-12) distingue la chambre à gaz, où « les humains réduits aux poupées » sont niés, et la chambre domestique. L’activité d’écriture ne peut être isolée du monde, et presque tous les noms cités dans Poésies premières, quand ils n’évoquent pas strictement une question poétique, renvoient plus ou moins directement à une action ou à une position dans la société — ainsi celui de Thelonious Monk, puisque pour « le Moine américain » le jazz avait aussi une fonction politique.

        Comment écrire cette violence ? Il y a entre Chambre à roman fusible et Inciseiv une évolution sensible. Le premier ensemble mêle poèmes en prose, prosimètres et poèmes en vers, on ne lit dans le second que trois poèmes précédés d’une prose et le troisième est entièrement en vers : tout se passe comme si le vers s’imposait au fil du temps, permettant mieux (autrement) que la prose de construire un récit. Chambre à roman fusible et Rude merveilleux sont tous deux divisés en séquences numérotées, LIII pour l’un (avec en plus un poème liminaire, un autre qui ferme la série avec le retour des fumées), 67 pour l’autre (qui s’achève par un épilogue), et Inciseiv est partagé en quatre (« Le cœur », « Le sans-cœur », « L’âme », « Le génie »).

        Comment une rupture est-elle introduite dans la langue ? Pour l’essentiel, par un travail sur la syntaxe (qui est approfondi dans les livres ultérieurs), parfois déroutant : énoncés sans verbe sur un vers, utilisation de symboles mathématiques, de parenthèses, suppression de l’article, usage de la majuscule pour un nom commun. Ce travail, qui ne s’en prend que très rarement à l’ordre des mots, est inséparable d’une création verbale qui s’inscrit dans une longue tradition, notamment celle des rhétoriqueurs ; il s’agit de revivifier la langue (« le français est une langue morte / à 95% + 5% de vie essentielle », p. 223) en formant des verbes (esthétiquer, dépleurer, profonder, etc.), des noms (chercheriez, bravité, défermeture, re-prose, re-poésie, etc.), des adjectifs (poésié, capacieux, décapitale, etc.), parfois des ensembles comme enfantiné, enfantinement, désenfantiner. Une autre rupture tient au statut du je dans Poésies premières ; s’impose, avec l’insistance forte sur la place du monde extérieur, la notion d’impersonne 3— le moi n’est pas un livre —, clairement exposée dans la postface et présente explicitement dans Inciseiv (p. 235) :


                « J’appelle philosophie
                l’art d’être dans la poésie
                et d’avoir en poésie
                beaucoup d’impersonnalité. »


        À cette notion se rattache celle de sobriété, de « lyrisme sec » (une expression que Philippe Beck emprunte au cinéaste américain Samuel Fuller), incisif, ce qu’exprime le titre Rude merveilleux (ici rude est adjectif) et qu’affirme un poème dans Inciseiv (p. 189) :


                « Et le cœur de pierre
                doit rester sec ?
                Oui.
                La p. est du sec ? [p. = poésie]
                Oui.
                Inciseiv. »


        Voie continuée (cf. encore le titre Lyre Dure, 2009), la sècheresse n’excluant pas le lyrisme, autrement perçu 4.


        Dans ce survol, j’ai emprunté à la postface, qui nécessiterait à elle seule un compte rendu. Philippe Beck y revient sur les livres réunis dans Poésies premières, précise quelles en furent les matrices, explique l’unité de l’ensemble et, longuement, les enjeux de son abandon progressif du prosimètre dont il esquisse ce qu’en a été l’usage dans la littérature. Ce serait beaucoup, ce n’est pas tout : les réflexions commencées ici sur la prosodie, complexes, annoncent deux livres à paraître, Qu’est-ce que la poésie ? (Folio/Gallimard, 2012) et Contre Boileau.



    Tristan Hordé
    D.R. Texte Tristan Hordé
    pour Terres de femmes




    _______________
    1. Maurice Blanchot, « La parole ascendante », dans Lettres à Vadim Kosovoï, suivi de La Parole ascendante, éditions Manucius, 2009, p. 172.
    2. Titrée Notes pour trois livres en un ou : Poésies premières, monde, hétéro-anthologie.
    3. Voir « l’écriture s’explique avec ce qu’elle n’est pas, dont elle provient, le monde, et produit une personne publiée, un impersonne » (pp. 250-251), et Beck, l’Impersonnage : rencontre avec Gérard Tessier, Paris, Argol, 2006.
    4. Sur ce point et sur l’ensemble du travail de Philippe Beck, voir les études réunies dans le n° double de la revue il particolare (2011).






    Philippe Beck  Po-sies premi-res





    PHILIPPE BECK


    Philippe beck(2)




    ■ Philippe Beck
    sur Terres de femmes

    Boustrophes, « Variation XIII »
    Chambre à roman fusible [XXXIV. « Fermeture-phénomène »]
    Dans de la nature, 87
    De la Loire [Vague de pierre 36]
    Lyre d’& XIV (extrait de Lyre Dure)
    Les murs capitonnés (extrait de Poésies didactiques)
    Les variations poétiques de Philippe Beck ou le tempo universel du monde (chronique de Sylvie Besson)
    Pages vertes (un extrait de Rude merveilleux, in Poésies premières)
    Pré-journal II (extrait de Un journal)
    Rêve (poème extrait de Chants populaires)
    Suie (poème extrait de Chants populaires)
    22 octobre 2005 | Philippe Beck, Un journal
    28 janvier 2006 | Philippe Beck, Un journal



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    (sur remue.net) un dossier consacré à Philippe Beck
    → (sur le site du Centre Atlantique de Philosophie)
    une page consacrée à Philippe Beck
    → (sur Rebuts de presse, le blog de Didier Jacob)
    Je décerne mon prix de poésie (billet du 30 novembre 2009)
    → (sur Lyrikline)
    Philippe Beck dit deux de ses poèmes
    → (sur Dailymotion)
    Philippe Beck lit des extraits de son recueil Lyre Dure



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  • Philippe Beck | Pages vertes



    ARBRE
    Ph., G.AdC






    45. PAGES VERTES.



    Les pages sont des incitations à continuer.
    (Le passionné d’horlogerie
    court à travers champs.)
    L’inclination à utiliser l’arbre
    (pour le papier, ou la formation d’encre
    dessus, et l’émotion des reconduits)
    est comptable du volet coloré
    ou de la seule peinture
    de l’arbre ainsi : le cèdre posé sur le gris
    comme le bouquet sec sur la feuille ou la page.

    Une certaine plage est entourée.

    (Pages de la prairie, ou l’album insuffisant,
    mais il n’y a pas de naturel, un puits délicat
    du commencement doux, à remplacer.)

    Je m’apprends quelque chose.




    Philippe Beck, Rude merveilleux, 45 (éditions Al Dante, 1998) in Poésies premières, 1997-2000, Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2011, page 144.






    PHILIPPE BECK


    Philippe beck(2)



    Philippe Beck est né le 21 avril 1963 à Strasbourg.


    ■ Philippe Beck
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    Boustrophes, « Variation XIII »
    Chambre à roman fusible [XXXIV. « Fermeture-phénomène »]
    Dans de la nature, 87
    De la Loire [Vague de pierre 36]
    Lyre d’& XIV (extrait de Lyre Dure)
    Les murs capitonnés (extrait de Poésies didactiques)
    Les variations poétiques de Philippe Beck ou le tempo universel du monde (chronique de Sylvie Besson)
    Poésies premières (lecture de Tristan Hordé)
    Pré-journal II (extrait de Un journal)
    Rêve (poème extrait de Chants populaires)
    Suie (poème extrait de Chants populaires)
    [Tout a lieu] (poème extrait de Aux recensions)
    22 octobre 2005 | Philippe Beck, Un journal
    28 janvier 2006 | Philippe Beck, Un journal



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    (sur remue.net) un dossier consacré à Philippe Beck
    → (sur le site du Centre Atlantique de Philosophie)
    une page consacrée à Philippe Beck
    → (sur Rebuts de presse, le blog de Didier Jacob)
    Je décerne mon prix de poésie (billet du 30 novembre 2009)
    → (sur Lyrikline)
    Philippe Beck dit deux de ses poèmes
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    Philippe Beck lit des extraits de son recueil Lyre Dure



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