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  • Fernando Pessoa | [Ce soir l’orage a roulé]



    [CE SOIR L’ORAGE A ROULÉ]




    Ce soir l’orage a roulé,
    Tombant sur des versants du ciel
    Comme un énorme bloc de pierre…

    Comme si quelqu’un du haut d’une fenêtre
    Secouait une nappe,
    Et que les miettes tombant toutes ensemble,
    Faisaient un certain bruit dans leur chute ;
    La pluie crépitait par terre
    Obscurcissant les chemins…

    Tandis que les éclairs ébranlaient l’espace
    Et secouaient l’air
    Comme une grande tête qui dirait non,
    Je ne sais pas pourquoi — je n’avais pas peur —
    Je me suis mis à prier sainte Barbe
    Comme si j’étais la vieille tante de quelqu’un…

    Mais c’est qu’à prier sainte Barbe
    Je me suis senti encore plus simple
    Que je ne pensais l’être…
    Je me sentais familial et casanier
    Ayant passé ma vie
    À écouter tranquillement ma bouilloire ;
    Au côté de parents plus âgés que moi
    Comme si c’était pour moi une façon de fleurir…

    Je me sentais quelqu’un qui pouvait croire en sainte Barbe…
    Ah, pouvoir croire en sainte Barbe !

    (Qui croit en sainte Barbe,
    Pensera que c’est quelqu’un de visible
    Sinon que peut-il penser d’elle ?)

    (Quel artifice ! Que savent
    Les fleurs, les arbres et les troupeaux
    De sainte Barbe ?… Une branche d’arbre,
    Si elle pensait, ne pourrait jamais
    Construire ni des saints ni des anges…
    Elle pourrait penser que le Soleil
    Éclaire et que le tonnerre
    Est un vacarme soudain
    Qui naît avec la lumière.
    Ah, comme les hommes les plus simples
    Paraissent malades, confus et stupides
    Face à la lumineuse simplicité
    Et à la force d’exister
    Des arbres et des plantes !)

    Et moi, pensant à tout cela,
    Je me retrouvais moins heureux une fois de plus…
    Sombre, mélancolique et malade
    Comme un jour où l’orage a menacé
    Sans jamais venir, même la nuit tombée…


    mars 1914




    Fernando Pessoa, Le Gardeur de troupeaux, IV, poème d’Alberto Caeiro, avec des variantes inédites, Éditions Unes, 2018, s.f. Nouvelle traduction du portugais par Jean-Louis Giovannoni, Rémy Hourcade et Fabienne Vallin.






    Fernando Pessoa  Le Gardeur de troupeaux




    FERNANDO PESSOA




    Vignette Pessoa
    Vignette de Almada Negreiros
    (D.R. éditions Unes)





    ■ Fernando Pessoa
    sur Terres de femmes

    [Hommes de barre !] (extrait d’Ode maritime)
    Sous un ciel bas et sombre
    Ulysse
    13 juin 1888 | Naissance de Fernando Pessoa
    13 juin 1930
    14 septembre 1931
    29 janvier 1932
    11 juin 1932
    26 mars 1934 | Fernando Pessoa, Les Îles Fortunées



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Unes)
    la fiche de l’éditeur sur la nouvelle traduction du Gardeur de troupeaux de Fernando Pessoa





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  • Fernando Pessoa | [Hommes de barre !]



    [HOMMES DE BARRE !]




    Hommes de barre ! hommes des machines ! hommes des mâts !
    Eh-eh-eh-eh-eh-eh-eh !
    Peuple à casquette, peuple en chemise de tricot,
    Peuple à la poitrine brodée d’ancres et de bannières croisées !
    Peuple tatoué ! peuple à pipe ! peuple du bastingage !
    Peuple bruni par tant de soleil, hâlé par tant de pluie,
    La pureté aux yeux de tant d’immensité devant eux,
    La hardiesse au visage de tant de vents qui l’ont battu sans relâche !
    Eh-eh-eh-eh-eh-eh-eh !
    Hommes qui avez vu la Patagonie!
    Hommes qui êtes passés par l’Australie !
    Qui avez rempli vos yeux de côtes que jamais je ne verrai !
    Qui avez touché terre sur des terres où jamais je n’irai !
    Qui avez acheté des objets grossiers dans les colonies à la proue des brousses !
    Qui avez fait tout cela comme si ce n’était rien,
    Comme si c’était naturel,
    Comme si la vie était cela,
    Comme si là ne s’accomplissait pas même un destin !
    Eh-eh-eh-eh-eh-eh-eh !
    Hommes de la mer d’aujourd’hui! Hommes de la mer passée !
    Commissaires de bord ! esclaves des galères ! combattants de Lépante !
    Pirates du temps de Rome ! Navigateurs de la Grèce !
    Phéniciens ! Carthaginois ! Portugais élancés de Sagres
    Pour l’aventure indéfinie, pour la Mer Absolue, pour réaliser l’Impossible !
    Eh-eh-eh-eh-eh-eh-eh !
    Hommes qui avez élevé des stèles, qui avez nommé des caps!
    Hommes qui avez négocié pour la première fois avec des noirs !
    Qui les premiers avez vendu les esclaves des terres nouvelles !
    Qui avez donné le premier spasme européen aux négresses stupéfaites !
    Qui avez rapporté l’or, le verre, les bois odorants, les flèches,
    Des côtes explosées de verdure !
    Hommes qui avez saccagé de tranquilles villages africains,
    Qui avez fait fuir ces races au bruit des canons,
    Qui avez tué, volé, torturé, gagné
    Les prix de Nouveauté offerts à ceux qui, tête baissée,
    Se jettent sur le mystère des mers nouvelles ! Eh-eh-eh-eh-eh!
    Vous tous en un seul, vous tous en vous tous comme en un,
    Vous tous mélangés, entrecroisés,
    Vous tous sanglants, violents, haïs, redoutés, sacrés,
    Je vous salue, je vous salue, je vous salue !
    Eh-eh-eh-eh ! Eh-eh-eh-eh ! Eh-eh-eh-eh-eh-eh-eh !
    Eh-lahô-lahô-laHO-lahà-à-à-à !


    Je veux partir avec vous, partir avec vous,
    Avec vous tous à la fois
    Partout où vous êtes allés !
    […]



    Fernando Pessoa, Ode maritime, poème d’Álvaro de Campos, Éditions Unes, 2016, pp. 20-21. Traduit du portugais et accompagné par Thomas Pesle.





    Ode maritime.gif 2




    FERNANDO PESSOA


    Vignette Pessoa
    Vignette de Almada Negreiros (D.R. éditions Unes)




    ■ Fernando Pessoa
    sur Terres de femmes

    [Ce soir l’orage a roulé] (extrait du Gardeur de troupeaux)
    Les Îles Fortunées
    Sous un ciel bas et sombre
    Ulysse
    13 juin 1888 | Naissance de Fernando Pessoa
    13 juin 1930
    14 septembre 1931
    29 janvier 1932
    11 juin 1932





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