Étiquette : Postface


  • Gérard Chaliand | [Les rennes blancs courent]



    [LES RENNES BLANCS COURENT]




    Les rennes blancs courent au bord de la mer boréale
    et je pêche la baleine et le phoque.
    L’étoile polaire est au sommet de ma tente.
    Mes oiseaux sauvages emportent leurs cris blessés.
    Mes chasses n’ont plus que des veines mortes
    et mes couteaux se brisent au fil du temps.
    J’ai la mort au bord du regard
    sur ta tombe, un soleil et une lune contre les ténèbres.
    Ma carène glisse dans le jour gris.



    Gérard Chaliand, Feu nomade, 4 [Chambelland, 1972], in Feu nomade et autres poèmes, Éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2016, page 70. Préface de Claude Bugelin, Postface d’André Velter.






    Gérard Chaliand, Feu nomade







    ■ Voir aussi ▼

    → (sur La Cause littéraire)
    entretien avec Gérard Chaliand : « La poésie nomade »
    → (sur le site de la revue Possibles de Pierre Perrin)
    une recension de Feu nomade (12 novembre 2016)





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  • Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte

    par Isabelle Lévesque

    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte,
    Éditions Al Manar, 2015.
    Encres de Jean-Gilles Badaire. Postface de Gabrielle Althen.



    Lecture d’Isabelle Lévesque


    Ce que nous ne trouverons jamais reste ouvert : quelque chose le souffle et le cache. Nous entrons dans le livre de Lionel Jung-Allégret par les encres sombres de Jean-Gilles Badaire : une ligne s’incline, courbe l’espace d’une douceur de brindilles, dessinant un chemin, le bruissement du vent dans les feuilles, mimétique du titre, une promesse qui s’accomplira peut-être.

    Des trois épigraphes, je retiendrai le verbe « hanter » de Christian Doumet, assurément l’un des fils de Derrière la porte ouverte dédié aux ascendants, père mère, venus établir dans le texte une trace familiale en devenir.

    Dans le livre alternent deux voix. La première, celle du « je », est imprimée en caractères romains pour des poèmes numérotés de 1.1 à 1.5. Chaque texte, à l’exception du dernier, commence par « Derrière la porte ». La seconde voix répond à la première, ce « tu » auquel elle s’adresse, elle est imprimée en italiques. Elle commente et décrit les dires, les pensées et les actions de la première instance. Ces poèmes sont eux-mêmes numérotés de 2.1 à 2.4. Dans la mise en musique réalisée par Grégoire Lorieux 1, c’est l’auteur qui dit le poème 1.1 et une actrice le 2.1. Puis les deux voix interviennent de façon plus complexe, parfois en écho, en arrière-plan. La voix italique et la romaine semblent constituer des voix intérieures.

    Le vers liminaire, détaché, « Derrière la porte ouverte », donne son titre au livre, immédiatement assimilé à l’adjectif « étrange ». Paradoxale, la trace, polysémique peut-être, elle est source d’une émotion tour à tour douloureuse ou féconde. Indicible, on l’éprouve dans le chant anaphorique des intensifs :


    « tout est si étendu

    si infime

    tout est si étrange. »


    Par homophonie, on entend l’écho de la conjonction hypothétique dans cet adverbe intensif.

    Étonnante attaque du titre déjouant l’attente : « derrière la porte fermée » ? Non, elle est ouverte. Cet espace qui s’ouvre, « infime » et « étendu », est celui des paradoxes. Nous lirons plus loin :

    « Derrière la porte ouverte

    il y a une infinité de portes qui battent »


    ou encore :


    « Ne croyez pas que des portes s’ouvrent

    ou que des portes se ferment »


    Autre paradoxe. La porte ouverte et la porte fermée sont une. Deux espaces-temps coexistent, comme la physique quantique, mentionnée en première épigraphe2, le laisse supposer.

    Est-ce la « porte logique » 3 de l’ordinateur quantique ? Ou la porte de l’Enfer que franchit Dante ? Ou celle découverte par Alice, si petite qu’elle ne peut y passer, alors qu’elle voit derrière elle un merveilleux jardin ? Pays des Merveilles, apparemment, mais pour l’atteindre, il faut changer d’état.

    Giordano Bruno, dans un dialogue entre Albertino et Filoteo, qui est son porte-parole, écrit : « Débarrasse-nous des moteurs extrinsèques ainsi que des bornes de ces cieux. Ouvre-nous la porte par laquelle nous voyons combien notre astre ne diffère en rien de tous les autres. […] Fais-nous clairement comprendre que le mouvement de tous ces mondes procède de l’impulsion de l’âme intérieure, afin qu’illuminés par une telle contemplation nous puissions progresser à pas plus sûrs dans la connaissance de la nature. » 4 Giordano Bruno enseignait ici que la Terre tourne autour du Soleil, que les étoiles sont centres d’autres mondes, que l’univers donc s’avère infini. La porte qu’il ouvre est celle de la connaissance, celle de l’univers, de l’espace et du temps. (L’ouverture de cette porte le conduira au bûcher en 1 600.)

    Quand elle est ouverte, la porte permet le passage d’un espace à un autre. Derrière la porte ouverte du livre de Lionel Jung-Allégret, nous pénétrons dans la chambre d’hôpital ou bien l’espace mortuaire où gît la mère, puis dans le four aux « portes d’acier » réservé à la crémation. C’est aussi une porte derrière laquelle se trouve un savoir inaccessible.

    Que reste-t-il de si fragile et pénétrant qui disparaît « comme si l’on ne savait pas / que nous ne verrions rien » ? L’intensif et la condition, inatteignable, se joignent, situant le livre d’emblée sous le signe de l’insoluble.

    C’est donc dans un double mouvement d’amoindrissement et d’extension par la pensée qu’officie le poète de Derrière la porte ouverte.

    L’altérité pourrait-elle enfreindre la fatalité ? « Peut-être arriveraient un autre feu / ou la cendre d’une autre chair ». Les premières pages semblent vouloir puiser dans la répétition de syntagmes identiques une source, le participe présent portant la durée rédemptrice envisagée dans son processus, lent, récurrent. Marqué par l’effort ou l’inanité ? Seuls changent les compléments du nom (« naissant d’un reste d’algues », « d’un reste de soleil ») comme autant de possibles envisagés mais qui risquent de ne pas aboutir (à la vie), les interrogations en témoignent qui se multiplient en « [p]romesses jamais offertes ».

    Pour les mères, le chant, le sanglot « dans les matins blanchis », l’adresse « ô mère », alors qu’elles ouvrent le monde « derrière la porte » ou dans l’horizon qui porte déjà la blessure de la mort annoncée car, « derrière la porte ouverte », maintes blessures, recluses, vont apparaître dans le jour. Vestiges de douleurs passées comme celles, présentes et terribles, que porte la vie en ces énumérations introduites par « il y a », formulation d’un présent éternel qui ne peut que s’ouvrir en laissant paraître la souffrance. Les accumulations accentuent l’effet de prolifération sans fin des douleurs engendrées par la vie, la conjonction « et » ne les clôt pas. Le « je » que le poète avance est personnel et universel, témoin, auquel se confronte ce « tu » invoqué, mère ou l’autre qui souffre, perméable et exposé sans fin. Des parallèles s’établissent : les lignes de l’électrocardiogramme et « quelques lents calques de falaise », comme si la douleur humaine et le monde se reflétaient en un écho sans fin.

    Les encres de Jean-Gilles Badaire portent les traces de cette douleur : branches devenues de longues lignes courbes autour d’un espace ouvert sur des avancées et des reculs, ombres tacites dans la figuration du cri que le livre répète.

    Comment ce cri pourrait-il entrer dans la musique ? Vibre-t-elle encore lorsque le corps ralenti qui se meurt peut-être recule ? La porte ouverte laisse-t-elle les sons nous atteindre alors ? Le poète voyant depuis un point éloigné de la terre, dans une projection cosmique, entend une « mesure précise », « le chant de l’invisible » :


    « Je vois ce qui est dur

    dans l’oscillation des ondes »


    Quelque chose résiste, « ellipses d’abord », qui fera naître « un instant d’eau / dans l’éternité » car le temps se répare en devenant éternel et des échos prophétiques nourrissent les vers, « cendre bleue » sidérale et féconde.

    Guillaume Apollinaire percevait dans le fleuve « [d]es éternels regards l’onde si lasse » et écrivait : « Comme la vie est lente / Et comme l’espérance est violente ». Lionel Jung-Allégret nous décrit « [u]n monde plus lent que la vie. // Et les mots qui l’accompagnent / sont lents aussi. » L’autre voix parlera de « l’obscénité de l’espérance » face au vide entrevu. Espérance vaine comme celle de ce paysan de Kafka5 qui reste assis pendant des années à côté de la porte ouverte qu’il voudrait pourtant franchir. C’est la loi du temps, si difficile à penser.


    « Des mots amputés

    fracturés par ce qu’ils ne savent nommer

    des mots pour les lieux trop brefs

    des mots dont la couleur insaisissable

    crève les yeux

    et d’un langage obscur voile l’obscurité de la mort. »


    Une porte est ouverte sur des espaces et des temps autres, la référence aux expériences et aux spéculations de la physique quantique est manifeste. Seuls des mots blessés et défaillants peuvent les esquisser dans l’incertitude et l’indécision.


    En deux millions d’années pour l’humanité, combien de mères disparues, donnant la mort avec la vie, combien d’enfants les attendant sur le seuil ?


    « Ô mères aux corps abrupts de soleil

    aux corps de sols et de tombeaux ».


    Et si l’on envisage encore plus loin la formation de la terre, il y a 4,45 milliards d’années :


    « Je vois la matière profonde des limons

    jaillir du néant

    et de sa mesure précise. »


    « Je » et « tu » distinctement se lient pour entendre le ciel et la Terre, dans une arche que la musique crée. Mère perdue, retrouvée en ce chant, à « [l]’embrasure ». Le bleu alors traverse et perce, la fin du livre nous l’offre comme une main tendue sur le vide où résonnent quelques notes :


    « J’entends des murmures

    derrière les cordes du silence. »


    On peut lire le lexique emprunté à la musique comme dissocié du contexte monolithe de la perception visuelle, corde également tendue vers l’autre perdu que l’on peut atteindre : le futur ouvert, porté par un arbre, le vent entre soi et « [u]n corps dans la terre » qui s’ouvre à l’inconcevable musique de l’éternité.



    Isabelle Lévesque
    D.R. Texte Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes




    ________________________________
    1. L’Autre Côté du ciel (2014), pour quatuor vocal et électronique, de Grégoire Lorieux — sur un poème de Lionel Jung-Allégret lu par l’auteur et par Martine Erhel. Création en septembre 2014, Église des Billettes, Paris — avec l’Ensemble Regards, dir. Julien Beneteau. On peut entendre l’œuvre sur le site du compositeur :
    https://gregoirelorieux.net/gregoire_lorieux_compositeur/Works/bydate/2014-1.html
    2. « Les physiciens ont utilisé deux modèles pour théoriser le monde, l’onde et le corpuscule. Mais il a fallu renoncer aux images traditionnelles : les constituants ultimes de l’univers ne sont pas réductibles aux métaphores classiques. » Sven Ortoli et Jean-Pierre Pharabod, Métaphysique quantique, Éditions La Découverte, 2011.
    3. Métaphysique quantique, id. page 96.
    4. Giordano Bruno, L’Infini, l’Univers et les mondes (1584), Éditions Berg International, 1987. Traduction de Bertrand Lebergeois.
    5. Kafka, Le Procès, ch. IX, « À la cathédrale », page 453, in Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, tome I, Éditions Gallimard, 1976. Traduction d’Alexandre Vialatte.






    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte





    LIONEL  JUNG-ALLÉGRET


    Lionel_jung-allegret




    ■ Lionel Jung-Allégret
    sur Terres de femmes

    [Écris ce que tu sais] (poème extrait de Ce dont il ne reste rien)
    [Derrière la porte ouverte] (poème extrait de Derrière la porte ouverte)
    [J’ai vu les grandes digues au loin] (poème extrait d’Écorces)
    [Je regarde l’arbre dressé] (autre poème extrait d’Écorces)
    [Je suis celui qui cherche des secrets] (poème extrait d’Un instant appuyé contre le vent)
    Parallaxes (lecture d’Angèle Paoli)
    [Il restait dans la lumière des grandes voiles affalées] (poème extrait de Parallaxes)
    Un instant appuyé contre le vent (lecture d’Angèle Paoli)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Al Manar)
    une page sur Derrière la porte ouverte de Lionel Jung-Allégret




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • Roland Chopard | [C’est un peu plus compliqué]


    Chopard 2
    « L’œil est toujours dans le même abîme obsessionnel »
    Ph., G.AdC








    [C’EST UN PEU PLUS COMPLIQUÉ]




    C’est un peu plus compliqué : la voix suit ou ne suit pas, n’écoute ou n’écoute pas, cherche aussi une voie, elle laisse mûrir, traîner, elle abandonne, reprend en vain. Un processus de décomposition. Un retour, une reprise semble toujours possible, elle retrouve ses illusions en oubliant souvent le contexte de la matérialisation des phrases. Ces phrases apparemment figées sont au moins des incitations à poursuivre, avec ou non le secours d’autres paroles.

    Des pulsions animent la voix, en même temps qu’un lent travail de rumination lui est nécessaire. Palimpseste continu, l’acte d’écriture est une parodie, un écho de vestiges insaisissables. Le spectacle de la réalité, pas plus que les références culturelles ne sont là pour éclairer vraiment. Elle est toujours en quête de lieux sans limites car il y a tant de repères à fuir, de désastres difficiles à décrypter, de signes involontaires qui rappellent l’impuissance.

    Et les années passent… Quelquefois, avec une approche lente et progressive pour tenter de tordre encore mieux la langue, l’écriture se forme dans un état second (mais il n’y a pas besoin pour cela, d’adjuvants, de paradis artificiels). Fragments d’obscurités jetés au regard, soumis à la sagacité comme si un souffle allait soudain tout transformer en quelque chose d’inouï. Suite à des élans non dépourvus d’agressivité intellectuelle ou au contraire dans un état méditatif proche de la paresse. Ou de la sagesse. Inflexions du hasard et écoute distraite de ce qui émerge du mental. Le regard cherche alors un lieu non encore atteint. Une pureté. L’expression véritable est alors peut-être trouvée. Des bribes deviennent des vérités, du moins au moment où elles naissent.

    Seule réalité tangible, la voix est ainsi confrontée au (re)commencement interminable des livres disparus. C’est dans ce travail décisif qu’elle ne peut qu’exister. Parce que le non-dit est lié à une profonde blessure. S’il y avait une cause ou une vérité à chercher, ce serait dans ce sens.

    L’œil est toujours dans le même abîme obsessionnel, induisant des bribes mais dispersant tout ce qui se trame trop aisément quand les désirs s’obstinent avec les mêmes audaces pour (ac)coucher sur le papier de cette trace inouïe que personne n’attend.

    Mais, continuellement dans l’éphémère, la parole pourrait devenir violente quand elle doit bien reconnaître son incapacité à finalement se fixer. Elle s’arme alors de patience pour ne pas crier son désarroi, pour ne pas incriminer tous les rouages castrateurs du monde qui l’entoure (même s’ils existent). C’est l’équilibre instable, le porte-à-faux qui ferait qu’une décision irrémédiable pourrait intervenir et précipiter la chute et un nouveau retour au silence, cette fois définitif.



    Roland Chopard, Sous la cendre, 6 suites & variations pour voix seule(s), Éditions Lettres Vives, Collection entre 4 yeux, 2016, pp. 65-66-67. Postface de Claude Louis-Combet.






    Roland Chopard, Sous la cendre






    ROLAND CHOPARD


    Roland chopard





    ■ Roland Chopard
    sur Terres de femmes


    [L’œil réécrit constamment ce qui défile] (extrait de Parmi les méandres)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site du cipM)
    une notice bio-bibliographique sur Roland Chopard





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  • Sabine Huynh, Kvar lo

    par Angèle Paoli

    Sabine Huynh, Kvar lo,
    Éditions Æncrages & Co,
    Collection Ecri(peind)re, 2016.
    Encres de Caroline François-Rubino.
    Postface de Philippe Rahmy.



    Lecture d’Angèle Paoli


    DANS LE CREUSET DES LANGUES, « TA LANGUE »




    Kvar lo : l’énigme d’un titre tout entière contenue dans deux mots. Sabine Huynh a choisi l’hébreu pour conduire sa traversée poétique de la langue. Depuis la langue originelle niée par la mère jusqu’à la langue-fille nouvellement nouée, la langue chemine, qui fait advenir une nouvelle origine. De la mort symbolique à la naissance, c’est l’histoire d’une vie qui se dit ici dans l’univers babélien de la poète.

    « Déjà plus ». « Kvar lo » en hébreu. Le titre s’appuie sur la double entité de ce qui a été et de ce qui déjà n’est plus. Il creuse en négatif l’idée d’une présence tout aussitôt suivie d’une disparition, et sans doute s’exprime-t-il en filigrane un regret. Quelque chose a eu lieu qui s’est dissous, qui s’est évanoui, laissant place à une désagrégation, à une faille insondable. À une mort. La négation « déjà plus » fait écho à la négation « Ce n’est plus » du poète Paul Celan cité en exergue. L’autre exergue, emprunté à Franz Kafka, permet d’établir un lien entre Kvar lo et Babel. « Nous creusons la fosse de Babel ».

    Une première encre de Caroline François-Rubino traverse la page à la verticale, transition entre la page d’épigraphes et l’amorce du poème. Un trait d’un noir épais qui s’étire et dont l’éclaboussure fait place à une barrière de claies éclatées. À angle droit quelques lignes horizontales esquissées. Je lis cette encre de haut en bas. Comme une marque délibérément pesante qui imprime sa présence en belle page sur le vergé blanc ivoire.

    Au commencement de Kvar lo se vit/se dit une éclipse. Le point de départ est un lieu dont le passé a été occulté. « Aucune mélopée », aucune lallation sous-jacentes. Il ne reste du paysage oral que « fantasmes de foyer/linguistique ». En ce lieu noyé de pluies s’inscrit le meurtre symbolique d’une enfant dont la mère a rejeté l’existence. Ce qu’il reste de lien entre elles ? Ce « « ma » : distance dure/le vide vous relie/comme une cicatrice ».

    Le reste suit, triste configuration d’une vie évanouie. Pas de mère aimante, pas de langue de cœur, pas de mémoire, pas de mots pour dire. Qu’advient-il dès lors pour celle qui, à peine née, est déjà niée ? Que faire du temps révolu ? Ce temps est là, sournoisement enfoui, qui revient avec violence, fait tanguer l’édifice incertain, ébranle la coque d’une nef sans amarre qui part à vau-l’eau. Que faire de soi dans ce mouvement perpétuel de survie illusoire qui étourdit jusqu’au vertige ? Le présent s’interpose pour dire la difficulté à être de ce corps dévasté par le non-amour. Steppe désolée, désert d’une existence livrée à l’indécence nue de l’absence.

    Nombre de poèmes — tous aussi beaux et tous d’une grande richesse expressive — disent l’absence l’abandon le rejet la fragilité le mensonge la blessure la faille. Et l’état de celle qui, enfant, subit l’expérience de la négation est celui d’une « clochette fendue » ; d’une « orpheline », errante absolue, privée de grâce, privée de mots,

    « bouche raide

    sans mots

    close et maudite

    en mal d’amour

    laide, que le sourire a fui. »

    Les assonances en [ɛ] émaillent les vers — raide laide lait tais mère — qui, au-delà de l’impossible sourire, simulent la grimace et disent l’insondable déplaisir.

    Pourtant, sur les ruines de l’enfance confisquée, il faut construire, il faut se construire toute. Sur deux mots : « Kvar lo ». Les deux pierres maîtresses sur lesquelles poser les fondations prennent appui sur la langue hébraïque. « Kvar lo ». « Déjà plus ».

    Celle qui prend la parole à travers le « tu » — je nié présent dans le mot « rage » — cherche sa voix dans les langues autres que sa langue d’origine — « Tu apprends le chinois / pour expulser la langue-mère » — ; elle cherche ses mots coloration forme sens sons dans d’autres langues que la sienne, cherche une langue d’accueil où aller, où prendre corps et où grandir ; sa quête ne réside nullement dans l’assimilation d’un maillage de mots creux qui emplirait le vide béant laissé par l’absence de la mère, langue maternelle morte inane muette. La poète en appelle à une langue où naître à soi-même, et en laquelle demeurer. La mémoire offensée cherche à comprendre, qui revient sur un temps qui échappe et dont il ne reste que ruines anathèmes furies guerres dévastations. Et langue anéantie, vouée à un silence éternel :

    « langue introuvable

    tu(e)

    te tais »

    Mâchoire « lézardée », l’enfance mutilée a engendré la mutité. Langue avalée, langue figée, dans l’incapacité de mettre en branle les rouages du langage, de faire s’agglutiner entre eux sons et mots. La voix se brise avant même que puisse naître la parole. Dès lors, la poète cherche secours dans le kaléidoscope et la multiplicité étonnante des langues, elle se barde se ceinture sans toutefois trouver de langue qui réponde à son attente existentielle. Condamnée à l’errance entre aphonie et polyphonie, telle est l’existence de la poète.

    Est-ce cela vivre, cette recherche qui pousse à tâtonner en aveugle à travers langues murs érigés tout autour qu’il faut repousser pour pouvoir accéder à l’air libre ? N’est-ce pas plutôt tenter de survivre à sa « propre Shoah » ? Dans cette quête infiniment douloureuse seule secourt vraiment, telle une bouée, l’élection de langues d’adoption, ces « sœurs de deuil infini ». Ainsi, tandis que la langue-mère du désamour se vit comme une « greffe ratée », émergent dans leurs torsions les langues apprises, déclinaison de « langues tourmentées », chacune dotée de sa spécificité propre, de ses exigences ou de ses capacités de don :

    « La française, te plier

    à sa cadence pour survivre

    — peser en perdant pied

    mentir en jurant

    promettre sans savoir —

    l’anglaise, s’échapper

    sans surveillance, chanter

    avec l’espagnole, jouer

    avec l’italienne, oser

    séduire en suédois… »

    Entre mémoire disloquée — « alephs amnésiques » —, langage désarticulé, pesanteur du vide et langue-muscle qui tâtonne sur l’avant-dire qui précède le dit, ce « presque dire » qui ne peut qu’imparfaitement dire et seulement dans la déchirure de l’écartèlement, surviennent les poèmes où se lisent en toile de fond le spectacle de la guerre et ses talus « hagards ». C’est sur ce décor morcelé d’enfer que s’enracine la poésie de Sabine Huynh, dans toute la richesse de sa palette babélienne, dans la multiplicité des notations et des images qui caractérisent les poèmes de Kvar lo. Tandis qu’en page de droite (en belle page comme on dit), la page réservée aux encres de Caroline François-Rubino, une masse de noir impose sa forme, boule ou nuage, crantée sur ses bords d’éclats, puis fuse, tronc vertical, vers le bas de page.

    Un après est-il possible au creux de la déchirure qui nourrit en son sein maléfique l’impossible conciliabule du babil ? « Langue barbelée », vie mutilée. Une langue pourtant émerge parmi toutes celles que la poète fréquente de longue date. L’hébreu, langue d’accueil pour dire le manque la perte la dispersion, essaime ses vocables. Des mots inconnus se glissent, qui irriguent le poème de leur souffle mystérieux, de leurs consonances nouvelles : « milmoulime » « gvanime » « ga-agouïne ». Et bien sûr cet « horaille » éraillé pour désigner « mes parents ». L’émergence de ces vocables chargés de sens fait de l’hébreu la langue de proximité qui invite à poser pied à prendre appui à donner vie. C’est aussi la langue hybride de l’enfant, la fille de la poète ; celle qui a fait d’elle une mère. À travers cette langue-fille, la mère peut à son tour advenir. L’enfant offre à sa mère sa parole originelle. Langue des jeux des promesses « des sfataïmes de fable », de la tendresse. Langue colorée et ludique, vive foisonnante imprévisible, de la douceur et de la joie. Une vie advient alors qui se noue autour des mots de l’enfant, arbre de vie.

    « Ta fille est

    la parole

    originelle

    doucement

    tu en viens

    en lui parlant. »

    « Ta langue », écrit Sabine Huynh à la fin du recueil. De ces lointains intérieurs qui, dans le creuset, ont laissé fermenter les mots advient une renaissance féconde. Avec elle s’élabore une poésie très personnelle qui touche au plus profond de l’indicible et de l’inouï. Kvar lo, une très belle langue de poète.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angelepaoli







    Kvar lo






    SABINE HUYNH


    SabineHuynh-AnneCollongues
    Ph. Anne Collongues
    Source



    ■ Sabine Huynh
    sur Terres de femmes

    Kvar lo (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Au fond de ta gorge] (extrait de Kvar lo)
    Avec vous ce jour-là / Lettre au poète Allen Ginsberg (lecture d’AP)
    Les Colibris à reculons (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Les Colibris à reculons (lecture de Sabine Péglion)
    La Mer et l’Enfant (lecture d’AP)(+ une notice bio-bibliographique)
    Lettre à Tieri Briet (chronique)
    [Pourquoi toujours ma voix se brise avec ces mots] (extrait de Tu amarres les vagues)
    Parler peau (lecture d’AP)
    [sans attaches] (extrait de Parler peau)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Là où elle naît
    Sabine Huynh | Roselyne Sibille, La Migration des papillons (extrait)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Presque dire, le site de Sabine Huynh)
    une notice autobiographique de Sabine Huynh
    le site de Caroline François-Rubino
    → (sur le site des éditions Éditions Æncrages & Co)
    la fiche de l’éditeur sur Kvar lo



    ■ Notes de lecture de Sabine Huynh
    sur Terres de femmes

    Matthieu Baumier, Le Silence des pierres
    Blandine Longre, Clarities
    Sylvie-E. Saliceti, Je compte les écorces de mes mots
    Romain Verger, Fissions





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  • Lionel Jung-Allégret | [Derrière la porte ouverte]




    Derrière la porte
    Ph., G.AdC






    [DERRIÈRE LA PORTE OUVERTE]




    Derrière la porte ouverte


    il y a le vent qui mugit
    et des bouches affamées
    dans le ventre nu des bêtes.


    Il y a des cris d’oiseaux
    des voix ignorées dans la calcination des rumeurs
    et des arbres noirs qui ploient comme des glaciers
    à l’horizon


    des torses sans vie
    que traverse la lumière froide.






    Il y a le cri du silence
    qui porte le souffle du temps


    et des corps vivants
    qui brûlent dans une musique immense


    et dans la torche des corps
    d’autres corps
    qui ne verront jamais le jour.






    Derrière la porte ouverte
    il y a une infinité de portes qui battent.


    Il y a la nuit



    et le souffle inquiet des hommes
    comme une falaise qui se lève
    dans un jour sans lumière.



    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte, Éditions Al Manar | Alain Gorius, 2016, pp. 38-39-40. Encres de Jean-Gilles Badaire. Postface de Gabrielle Althen.






    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte





    LIONEL  JUNG-ALLÉGRET


    Lionel_jung-allegret




    ■ Lionel Jung-Allégret
    sur Terres de femmes

    [Écris ce que tu sais] (poème extrait de Ce dont il ne reste rien)
    Derrière la porte ouverte (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [J’ai vu les grandes digues au loin] (poème extrait d’Écorces)
    [Je regarde l’arbre dressé] (autre poème extrait d’Écorces)
    [Je suis celui qui cherche des secrets] (poème extrait d’Un instant appuyé contre le vent)
    Parallaxes (lecture d’Angèle Paoli)
    [Il restait dans la lumière des grandes voiles affalées] (poème extrait de Parallaxes)
    Un instant appuyé contre le vent (lecture d’Angèle Paoli)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Al Manar)
    une page sur Derrière la porte ouverte de Lionel Jung-Allégret





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  • Sabine Huynh | [Au fond de ta gorge]




    [AU FOND DE TA GORGE]



    Au fond de ta gorge
    parfois des murs
    se veulent horizon
    avant le voyage
    car les hommes frappés
    d’amnésie croient
    pouvoir dompter les vents

    Ce qui s’éloigne défile
    traversé comme une lance
    éperonne les certitudes
    comme un corps chute
    dans un silence mat

    silence de fuite absolue



    Sur les routes
    ce qui faisait sens n’est plus
    (ce que tu as appris)
    que la pluie qui bat
    et s’évapore
    sur tes paupières

    Aux bifurcations, pendue
    au coin des lèvres, l’hésitation
    fait perler le sang
    ta langue fourche
    et bégaye tes pas



    Se réveiller quand même
    avec la vision sonore
    d’une demeure sans
    chagrin, sans tache
    indélébile, une demeure
    qui aurait à peine vécu
    où on aurait à peine su
    babiller

    se réveiller



    Sabine Huynh, Kvar lo, Æncrages and Co, Collection Ecri (peind)re, 2016, s.f. Encres de Caroline François-Rubino. Postface de Philippe Rahmy.







    Kvar lo






    SABINE HUYNH


    SabineHuynh-AnneCollongues
    Ph. Anne Collongues
    Source



    ■ Sabine Huynh
    sur Terres de femmes

    Kvar lo (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Avec vous ce jour-là / Lettre au poète Allen Ginsberg (lecture d’AP)
    Les Colibris à reculons (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Les Colibris à reculons (lecture de Sabine Péglion)
    La Mer et l’Enfant (lecture d’AP)(+ une notice bio-bibliographique)
    Lettre à Tieri Briet (chronique)
    [Pourquoi toujours ma voix se brise avec ces mots] (extrait de Tu amarres les vagues)
    Parler peau (lecture d’AP)
    [sans attaches] (extrait de Parler peau)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Là où elle naît
    Sabine Huynh | Roselyne Sibille, La Migration des papillons (extrait)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Presque dire, le site de Sabine Huynh)
    une notice autobiographique de Sabine Huynh
    le site de Caroline François-Rubino
    → (sur le site des éditions Éditions Æncrages & Co)
    la fiche de l’éditeur sur Kvar lo



    ■ Notes de lecture de Sabine Huynh
    sur Terres de femmes

    Matthieu Baumier, Le Silence des pierres
    Blandine Longre, Clarities
    Sylvie-E. Saliceti, Je compte les écorces de mes mots
    Romain Verger, Fissions





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  • Sabine Huynh, Kvar lo

    par Isabelle Lévesque

    Sabine Huynh, Kvar lo,
    Éditions Æncrages & Co,
    Collection Ecri(peind)re, 2016.
    Encres de Caroline François-Rubino.
    Postface de Philippe Rahmy.



    Lecture d’Isabelle Lévesque


    […] dans ta tête
    des talismans rescapés
    de l’enfance crevassée
    écho de voix abîmées

    S.H.



    Sur ce qui n’est plus, fonder. Trouver les mots qui garderont ravage et destin brisé. Kvar lo : en hébreu, le titre du dernier livre de Sabine Huynh, traductrice de cette langue, poète de ce qu’elle rassemble pour libérer son identité singulière, légèreté d’oiseau colibri, élaborée au fil des livres en une mue douloureuse et féconde. Sabine Huynh précise en fin de livre que ce titre pourrait se traduire par déjà plus.

    Le recul, l’avancée, le trouble des frontières traversées, et tout ce qui tombe dans le fleuve d’oubli. L’épigraphe de Paul Celan commence par « Ce n’est plus » et semble attendre le nom à venir. L’identité et la langue sont en question. Et la deuxième épigraphe, celle de Kafka (« Nous creusons la fosse de Babel ») prolonge cette question vers celle de la diversité des langues. Ainsi sont réunis deux auteurs de langue maternelle allemande.

    Paul Celan qui n’a jamais voulu quitter sa langue maternelle, celle des bourreaux nazis, pour écrire créa à partir d’elle une sorte de « contre-langue » à la syntaxe éclatée, au vocabulaire comportant des néologismes venus parfois de l’hébreu. Il avait acquis la nationalité française, celle du pays où il avait choisi de vivre et dont il parlait couramment la langue. Celan pouvait écrire en français ou en hébreu, mais il a mené son combat contre et dans sa langue maternelle.


    L’auteur de Kvar lo, pour initier ce long poème, utilise donc un mot hébreu, inconnu de beaucoup de ses lecteurs français, qui peut se doter des sens que le livre lui offrira : gage de poème, offrande sémantique fondée sur ce qui a disparu, paradoxe venu occuper le territoire incertain d’une langue perdue.

    Particulièrement frappante en ce début de livre, la multiplicité des prépositions « sur », « en » : quête d’assise, ce sur quoi fonder la langue alors que sont martelées les négations totales qui entérinent un processus de perte. Voilà le poète, sur le seuil d’une langue à inventer :

    « pour tenir droite

    illusion en équilibre

    sur ce rien

    échangé

    entre elle

    et toi »

    Apprendre, entreprendre un mouvement fécond qui, « voyage sans ancre », écartera le temps du désastre pour un « verbe », « à la source/des secousses ».

    Deuxième personne prégnante, « toi / tu » en tête, adresse en dédoublement pour initier l’élan, le suivre sans hésiter — sans regarder derrière, sans regarder la mère, ou sur le bord l’engloutissement, « sur le point de / basculer ». L’espace, blanc, devient matière du vide, autour tout un monde disparaît. Rudes traversées, guerres, massacres :

    « Toujours les guerres ont coupé

    des parents        des langues »

    Ce blanc entre les deux groupes nominaux semble établir une équivalence et le sens propre du nom « langue » double l’acte de mutilation de significations symboliques : langue coupée de sa source (d’émission) ou bien réfutée comme outil pour communiquer et joindre les êtres, au point d’incarner « cette séparation lancinante ». Jusqu’au bégaiement signifiant, le vers peut se clore sur des syllabes répétées — entretuées :

    « langue introuvable

    tu(e)

    te tais »

    Au vertige d’une identité niée, le préfixe invite à se pencher sur la négation de nouveau qu’il faut accepter pour bâtir sur ce « kvar lo ». Pour cela, le terreau des sons répétés : « phonèmes » criés en pur « anathème », la violence à naître est figurée dans la langue de secousses portées par le poème et procède d’une volonté de rassembler un trésor dispersé, pas encore des mots, des sons :

    « Certains jours tout est tel

    que tu n’es rien

    ton cœur se jette

    contre les larmes » 1

    Ces sonorités, protections, bris du silence, bâtiront « des murs à l’odeur de mots », une verticalité rassurante (?), que les encres de Caroline François-Rubino d’encre restituent, des « signaux de fumée ». Entre pierres érigées et lettres qui se dressent, noir, les traits larges tiennent. Pour chaque encre, un sème : le trait tiré, élevé sur la page, grandit, prend corps, avec le poème (stèles liant pierre et texte, parade contre le temps qu’il faut patiemment cerner de peu).

    L’histoire personnelle et celle du pays, la guerre (personnelle et intérieure par extension), peuvent couper de la langue maternelle et donc de la mère. Sabine Huynh a évoqué dans Les Colibris à reculons 2 le Viêt Nam, sa naissance dans une ville qui avait changé de nom après sa naissance (Saïgon devenue Ho-Chi-Minh-Ville), et puis l’exil précipité.

    On sait que le nouveau-né, dans ses vocalisations, prononce les phonèmes de la plupart des langues (babil de Babel), mais qu’à partir du sixième mois son babil retient principalement ceux de sa mère. La poète devenue mère peut observer cette construction linguistique chez sa fille. Mais justement, quelle langue maternelle pour cette enfant dont la mère a refusé sa propre langue « maternelle » et dont le combat ne peut cesser ?

    Le corps est présent dans cette lutte, par la bouche muette encore ou par le cœur lancé « contre les lames » : toute force jetée dans la bataille d’inventer pour « toi l’orpheline », se dit-elle, avec le « mot amour ». Lettres italiques pour ce dernier, seule fondation qui puisse tenir alors que les parenthèses portent (dénombrent) les fragilités nombreuses :

    « (et l’air est vieux)

    (parler est un geste

    une caresse à embrasser) »

    Nombreuses phases, à passer chaque étape (le « babil ») qui mènera vers la langue, la nostalgie pour creuser et retourner « jusqu’à la cassure ». Or la langue jamais ne se dénoue de « salive » et « langage inarticulé », les sons que la voix livre « friables » devront surmonter « le secret / d’une telle désertion ». Entre « tu » et la langue, une confusion : « le temps t’a évidée », une profusion propice à traduire l’effort pour naître à soi, au poème.

    Traverser la mémoire, les manquements d’une mère (langue trouée), « une pensée culbutée gît ». Les chutes sont nombreuses, le terreau retourné révèle de macabres restes engloutis qui ne deviendront rien. Un tri s’impose pour le poète archéologue de sa mémoire et de sa vie. Mère souvent surgie pour accroître l’inanité, mer (mère) qu’il faut traverser comme un champ de bataille constellé de corps mort-nés. « Langue de lait », dents dévorantes de celle qui a manqué d’aimer, le blanc régurgité par celle à qui manque, « tourne blanche / tourne folle ».

    Une voie n’a pas été tracée depuis le passé, une voix s’est éteinte et demeure si peu qu’il faut pour se l’approprier retourner chaque son. Demeurer sans voix : impossible, le cri poussé sera l’augure de la langue enfin conquise, celle de saccade (haute lutte), envers de « vestes carrées », « robes raides » taillées par la mère – à couturer les lèvres, pas un son ne sortait. Alors « couture » et « déchirure », en vis-à-vis, ce « presque dire » 3 ou ce bord terrible et nécessaire où l’on ne s’établit pas.

    On s’y penche, on tremble, on voudrait y proférer sur des « ruines » (mot seul sur un vers tenant tant bien que mal). La scansion, « ce qui reste », anaphorique, murmurée dresse un rempart de trois mots, Kvar lo. L’interdiction initiale, maternelle et sans appel, « tes mots portent / malheur », est bravée par le poème, réponse intangible, foi encore pour demeurer signe, langue de destin brisé que l’on réinvente par « un magnolia en fleurs / un accident de lumière », un miracle :

    « dedans le caché

    déhanche la vie »

    Toujours les phonèmes concaténés qui frétillent et signifient que bat encore un « foyer linguistique ». Syntaxe modifiée d’un verbe intransitif recevant un complément d’objet, à contre-courant de la grammaire, le sens trébuche pour se relever :

    « ta langue fourche

    et bégaye tes pas »

    Le manque, constitutif de ce processus, comme fondement intangible, sème dans la langue l’hébreu « ga-agouïme », écho dissonant de qui s’enfante, à coup de fourche (langue fourchue prenant les sons pour les mots), en soi – ventre nommément et ses « faces aphones ». L’hymne et l’amour pour que soit la langue, invoquée, suscitée. « [M]embre fantôme », la répéter ancre enfin sa disparition. Place à la résurrection, au devenir ! Elle peut s’épanouir en « doigts aimants » car elle est acte. Le déterminant possessif de première personne impossible, « ma », s’inscrit désormais « comme une cicatrice ». Entre les deux, l’union des italiques, l’espace penché de la traversée, « distance dure ».

    « [D]e là », écrit la narratrice poète, de cette valeur temporelle et spatiale de l’adverbe, elle tire cette langue entre « si peu » et « leur sillage s’élargit » car paradoxalement le manque enfante, l’« exilée » puise en elle et ses drames le dit du poème. « [S]oif », puis « faim », synthétisées en « – absolue nécessité » alors qu’enfin des poèmes en forme de stèles gardent en leur surface le grave projet de durer.

    Le poète qui, après le Viêt Nam, a vécu dans plusieurs pays (France, Angleterre, États-Unis, Canada…) et maintenant Israël, garde le temple d’une Babel restituée. Le pluriel des « langues » 4 a dépassé le singulier menacé, le poème enfin révélé apporte cette preuve radicale, essentielle et légère d’une forme de syncrétisme sans foi, « les mots debout », « [d]’aphone à polyphone ». Sur la page, les mots ne se tordent plus, ils « roulent / leur houle autour de ton cœur », ce foyer de résurrection (de résistance). L’encre élève sa stèle dans une correspondance active entre le texte et le dessin non figuratif et parlant, la dernière encre ne conserve du mouvement que l’élévation, l’ascension langagière figurée comme un accomplissement fragile. Elle absorbe la douleur : s’en nourrit pour rejoindre la formulation. « [L]angue-fille / hybride » devenue « ta langue » :

    « poésie haletante

    bringuebalante

    – puisque tu respires »

    La langue du poème est donc un français dans lequel viennent des mots hébreux. Leur traduction est précisée en fin de livre mais ils peuvent se comprendre, ou au moins s’interpréter, dans le contexte et par leur musique. Parfois le terme hébreu est à l’origine du mot français et ces deux langues se rejoignent formant une langue double, « hybride » qui « fourche » :

    « Il n’y a pas

    de miracle, pas

    de conclusion, pourquoi

    ne pas t’unir à cette langue

    to-hou-va-vo-hou, tohu-bohu

    sans forme début ni fin

    flot incessant en toi

    qui te lave, te réveille »

    C’est le « maëlstrom » 5 de la vie, des mots qui voyagent, des langues qui parfois se mélangent et s’accueillent. On pense à l’adage italien : « Traduttore, traditore ». Celle qui pense en plusieurs langues peut-elle rester en une seule, contrainte à se traduire elle-même, au risque de se trahir (« à défaut / tu te trahis ») ?

    « Tu te traduis

    en hébreu – tout en gvanime

    nuances – le labeur

    étoffe ta maigreur

    dépareille tes panime

    ou visages »

    Ainsi le poète crée la langue du poème au vocabulaire mélangé, parfois disloqué, à la syntaxe personnelle qui connaît les brisures et les failles et que le silence habite, loin de la langue maternelle.


    Mais quel est le nom de cette langue qui est celle de sa fille ? Elle semble passer de la fille à la mère, elles la partagent et elle les unit. Reste à inventer le nom de cette contre-langue maternelle :

    « Ta fille est

    la parole

    originelle

    doucement

    tu en viens

    en lui parlant »



    Isabelle Lévesque
    D.R. Texte Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes





    ________________________________
    1. C’est nous qui soulignons et utilisons des caractères gras.
    2. Les Colibris à reculons, Éditions Voix d’encre, 2013.
    3. Presque dire est le nom du site internet de Sabine Huynh : https://www.sabinehuynh.com/
    4. Langues apprises : français, anglais, espagnol, italien, suédois, chinois, yiddish, hébreu (« langue de nomade »). Le vietnamien : « égaré mort », « sa langue », celle de la mère.
    5. Mot aux quatre orthographes : maëlstrom, maelstrom, malstrom et maelstroëm (chez Victor Hugo). Mot voyageur venu des Pays-Bas par la Norvège.






    Kvar lo






    SABINE HUYNH


    SabineHuynh-AnneCollongues
    Ph. Anne Collongues
    Source



    ■ Sabine Huynh
    sur Terres de femmes

    Kvar lo (lecture d’AP)
    [Au fond de ta gorge] (extrait de Kvar lo)
    Avec vous ce jour-là / Lettre au poète Allen Ginsberg (lecture d’AP)
    Les Colibris à reculons (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Les Colibris à reculons (lecture de Sabine Péglion)
    La Mer et l’Enfant (lecture d’AP)(+ une notice bio-bibliographique)
    Lettre à Tieri Briet (chronique)
    [Pourquoi toujours ma voix se brise avec ces mots] (extrait de Tu amarres les vagues)
    Parler peau (lecture d’AP)
    [sans attaches] (extrait de Parler peau)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Là où elle naît
    Sabine Huynh | Roselyne Sibille, La Migration des papillons (extrait)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Presque dire, le site de Sabine Huynh)
    une notice autobiographique de Sabine Huynh
    le site de Caroline François-Rubino
    → (sur le site des éditions Éditions Æncrages & Co)
    la fiche de l’éditeur sur Kvar lo



    ■ Notes de lecture de Sabine Huynh
    sur Terres de femmes

    Matthieu Baumier, Le Silence des pierres
    Blandine Longre, Clarities
    Sylvie-E. Saliceti, Je compte les écorces de mes mots
    Romain Verger, Fissions




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • Martine – Gabrielle Konorski | Verticale



    VERTICALE



    Ainsi tu m’apparais
    dans le drap blanc
    dessiné sur ta peau

    Sous le soleil
    ta bouche de grenade
    écarquille mes yeux

    Ta main cueille la terre
    au creux de l’arbre
    aux pierres

    Ici il est écrit
    Possible         peut-être.



    Martine-Gabrielle Konorski, « Nos heures » in Une lumière s’accorde, Le Nouvel Athanor, Collection Ivoire, 2016, page 22. Préface d’Angèle Paoli. Postface de Claudine Bohi.






    Konorski  Une lumière s'accorde 2



    MARTINE KONORSKI


    Martine Konorski NB 2
    Ph. D.R. Pascal Therme
    Source





    ■ Martine – Gabrielle Konorski
    sur Terres de femmes


    [Les mots cognent] (extrait de Bethani)
    Bethani (lecture d’AP)
    Instant de Terres (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    « Un point ouvert » (extrait d’Instant de Terres)
    un autre poème extrait d’« Un point ouvert » (Instant de Terres)
    [Au versant de la pierre-écritoire] (extrait de Je te vois pâle… au loin)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [Vissée à la plante des pieds]




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Recours au Poème)
    une recension d’Une lumière s’accorde, par Isabelle Lévesque
    → (sur Levure Littéraire)
    des extraits de Je te vois pâle… au loin (+ une notice bio-bibliographique)
    → (sur Les Carnets d’Eucharis)
    d’autres extraits de Je te vois pâle… au loin (+ une notice bio-bibliographique)
    → (sur le site Robert le Diable, carnet de curiosités littéraires)
    une notice bio-bibliographique sur Martine – Gabrielle Konorski





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Claudine Bertrand | [Sur fond marin]




    [SUR FOND MARIN]



    Sur fond marin
    l’imaginaire rapièce
    l’orpheline éternité
    multipliant les rebonds

    Reflux d’océan
    ondulent serpentent
    abîmés de bleu
    les nuages saturés

    Du côté des proses
    on s’enlise
    vision toujours fuyante
    comme queue de saumon

    Plus de fougères
    plus d’eau
    il n’y avait plus rien
    le paysage était à refaire


    Empreinte insulaire
    la page que tu lis
    n’est pas encore
    jour d’ennui

    Les lits sont des îles
    où la main parfois se noie
    dans la profondeur des draps
    pour retrouver une océanie


    Chute des cactus
    ventre mousseux
    et arbres flottants
    géographie d’irréalité

    Le navigateur ballotté
    voleur d’inconnu
    jamais plus le siècle
    ne piratera ton verbe



    Claudine Bertrand, Fleurs d’orage, Éditions Henry, Collection Les Écrits du Nord, 2015, pp.34-35. Postface de Lionel Ray. Vignette de couverture d’Isabelle Clement.






    Claudine Bertrand, Fleurs d'orage



    CLAUDINE BERTRAND


    Claudine Bertrand 2
    Source




    ■ Claudine Bertrand
    sur Terres de femmes


    [Tu t’évertues à amalgamer] (poème extrait d’Ailleurs en soi)
    Chaque seconde cède une joie nouvelle (poème extrait du Jardin des vertiges)
    [Écrire pour se parcourir] (poème extrait du Jardin des vertiges)
    [Langue de voyage] (poème extrait de Murmure de rizières)
    [Mille serments sur l’oreiller] (poème extrait de Passion Afrique)
    Les passeurs de mots (poème extrait de Sous le ciel de Vézelay)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    La nomade
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Claudine Bertrand (+ un poème extrait du Corps en tête)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site L’île – L’infocentre littéraire des écrivains québécois)
    une notice bio-bibliographique



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  • Eliza Macadan | [je rêve de nouveau qu’il neige]



    Hiver taché de sang
    Aquatinte numérique, G.AdC







    [JE RÊVE DE NOUVEAU QU’IL NEIGE]



    je rêve de nouveau qu’il neige
    je perce jusqu’au bout
    blessée je regarde dessous
    je perds toutes les batailles avec le sommeil
    j’embrasse les mains du père
    quand il se meurt doucement
    une minute par jour
    et me laisse la vigne
    sa raison d’être
    l’hiver taché de sang
    arrive comme un coup de poing
    dans l’estomac vide
    j’écoute mes vers à la radio
    les pleurs ont un sens



    Eliza Macadan, Au nord de la parole, Revue Phœnix, n° 16, page 51. Postface de Karim De Broucker. Prix de poésie Léon-Gabriel Gros 2014.






    ELIZA  MACADAN


    Eliza-MACADAN
    Source




    ■ Eliza Macadan
    sur Terres de femmes


    [Je tire ici les fils du mot] (extrait de Lettre de Bucarest)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la revue Phœnix)
    une notice bio-bibliographique consacrée à Eliza Macadan




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