Étiquette : Postface


  • Réginald Gaillard | [mes mains s’ouvrent]



    [MES MAINS S’OUVRENT]



    Mes mains s’ouvrent, mes bras s’écartent,
    ils créent une brèche vivante dans l’air rouge,

    qui me permet, dans l’oubli, d’écouter,
    derrière, un chant familier : le bruit de tes pas ;

    qui me permet de chercher le vert de tes yeux,
    l’ivoire de tes dents, le rouge de tes lèvres ;

    une brèche pour entendre la houle de ta respiration
    de femme ;
    pour sentir l’odeur de cheval de tes vêtements, ta peau,

    tes cheveux qui baignent aujourd’hui dans les herbes mortes ;
    pour chercher, et humer, affolé, la chair, de l’autre côté, disparue.



    Réginald Gaillard, « Autour de la tour perdue », XI in L’Attente de la tour, Éditions Ad Solem, 2013, page 20. Postface de Pierre Oster.






    Réginald gaillard, L'Attente de la tour





    RÉGINALD GAILLARD


    Reginald Gaillard 2
    Source



    ■ Réginald Gaillard
    sur Terres de femmes

    [Ce que je vois m’éblouit] (poème extrait de L’Échelle invisible)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Ad Solem)
    une fiche de l’éditeur sur L’Attente de la tour
    → (sur Recours au poème)
    une recension de L’Attente de la tour par Emmanuel Baugue
    → (sur Recours au poème)
    une recension de L’Attente de la tour par Christophe Morlay
    → (sur le site des éditions de Corlevour)
    une recension de L’Attente de la tour par Pierrick de Chermont






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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Amelia Rosselli | [Filtre entre moi et toi dans la sous-marine une clarté]



    Laisse l’innocence et reviens à l’obscurité, laisse |  la rencontre et reviens à la lumière.
    Ph., G.AdC







    [FLUISCE TRA ME E TE NEL SUBACQUEO UN CHIARORE]



    Fluisce tra me e te nel subacqueo un chiarore
    che deforma, un chiarore che deforma ogni passata
    esperienza e la distorce in un fraseggiare mobile,
    distorto, inesperto, espertissimo linguaggio
    dell’ adolescenza! Difficilissima lingua del povero!
    rovente muro del solitario! strappanti intenti
    cannibaleschi, oh la serie delle divisioni fuori
    del tempo. Dissipa tu se tu vuoi questa debole
    vita che non si lagna. Che ci resta. Dissipa
    tu il pudore della mia verginità; dissipa tu
    la resa del corpo al nemico. Dissipa la mia effige,
    dissipa il remo che batte sul ramo in disparte.
    Dissipa tu se tu vuoi questa dissipata vita dissipa
    tu le mie cangianti ragioni, dissipa il numero
    troppo elevato di richieste che m’agonizzano:
    dissipa l’orrore, sposta l’orrore al bene. Dissipa
    tu se tu vuoi questa debole vita che si lagna,
    ma io non ti trovo e non so dissiparmi. Dissipa
    tu, se tu puoi, se tu sai, se ne hai il tempo
    e la voglia, se è il caso, se è possibile, se
    non debolmente ti lagni, questa mia vita che
    non si lagna. Dissipa tu la montagna che m’impedisce
    di vederti o di avanzare; nulla si può dissipare
    che già non sia sfiaccato. Dissipa tu se tu
    vuoi questa mia debole vita che s’incanta ad
    ogni passaggio di debole bellezza; dissipa tu
    se tu vuoi questo mio incantarsi, — dissipa tu
    se tu vuoi la mia eterna ricerca del bello e
    del buono e dei parassiti. Dissipa tu se tu puoi
    la mia fanciullaggine; dissipa tu se tu vuoi,
    o puoi, il mio incanto di te, che non è finito:
    il mio sogno di te che tu devi per forza assecondare,
    per diminuire . Dissipa se tu puoi la forza che
    mi congiunge a te: dissipa l’orrore che mi ritorna
    a te. Lascia che l’ardore si faccia misericordia,
    lascia che il coraggio si smonti in minuscole
    parti, lascia l’inverno stirarsi importante nelle
    sue celle, lascia la primavera portare via il
    seme dell’indolenza, lascia l’estate bruciare
    violenta e incauta; lascia l’inverno tornare
    disfatto e squillante, lascia tutto — ritorna
    a me; lascia l’inverno riposare sul suo letto
    di fiume secco; lascia tutto, e ritorna alla
    notte delicata delle mie mani. Lascia il sapore
    della gloria ad altri, lascia l’uragano sfogarsi.
    Lascia l’innocenza e ritorna al buio, lascia
    l’incontro e ritorna alla luce. Lascia le maniglie
    che coprono il sacramento, lascia il ritardo
    che rovina il pomeriggio. Lascia, ritorna, paga,
    disfa la luce, disfa la notte e l’incontro, lascia
    nidi di speranze, e ritorna al buio, lascia credere
    che la luce sia un eterno paragone.






    [FILTRE ENTRE TOI ET MOI DANS LA SOUS-MARINE UNE CLARTÉ]



    Filtre entre moi et toi dans la sous-marine une clarté
    qui déforme, une clarté qui déforme chaque expérience
    du passé et la distord en un phrasé mobile,
    distordu, inexpérimenté, expertissime langage
    de l’adolescence ! si difficile langue du pauvre !
    mur brûlant du solitaire ! arrachantes intentions
    cannibalesques, oh la série des divisions hors
    du temps. Toi dissipe si tu veux cette faible
    vie qui ne se plaint pas. Qui nous reste. Toi
    dissipe la pudeur de ma virginité ; toi dissipe
    la capitulation du corps à l’ennemi. Dissipe mon effigie,
    dissipe la rame qui bat sur le rameau en contrebas.
    Toi dissipe si tu veux cette vie dissipée dissipe
    toi mes changeantes raisons, dissipe le nombre
    trop élevé de requêtes qui m’agonisent :
    dissipe l’horreur, déplace l’horreur au bien. Toi
    dissipe si tu veux cette faible vie qui se plaint,
    car je ne te trouve pas, et je n’ose me dissiper. Toi
    dissipe, si tu peux, si tu sais, si tu en as le temps
    et l’envie, si c’est le moment, si c’est possible, si
    sans faiblir tu te plains, cette vie mienne qui ne
    se plaint pas. Toi dissipe la montagne qui m’empêche
    de te voir ou bien d’avancer ; rien ne se peut dissiper
    qui déjà ne se soit raffaissé. Toi dissipe si tu
    veux cette faible vie mienne enchantée à
    chaque passage de faible beauté ; toi dissipe
    si tu veux cet enchantement mien, — toi dissipe
    si tu veux mon éternelle recherche du beau et
    du bon et des parasites. Toi dissipe si tu peux
    mon enfantinage ; toi dissipe si tu veux,
    ou peux, mon enchantement de toi, qui n’est pas fini :
    mon rêve de toi que tu dois forcément seconder,
    pour diminuer. Dissipe si tu peux la force qui
    me conjoint à toi : dissipe l’horreur qui me revient
    vers toi. Laisse que l’ardeur se fasse miséricorde,
    laisse que le courage se délite en tout petits
    bouts, laisse l’hiver s’étirer important dans
    ses cellules, laisse le printemps emporter la
    graine de l’indolence, laisse l’été brûler
    violent et sans prudence ; laisse l’hiver revenir
    défait et carillonnant, laisse tout — reviens
    à moi ; laisse l’hiver reposer dans son lit
    de fleuve à sec ; laisse tout, et reviens à la
    nuit délicate de mes mains. Laisse la saveur
    de la gloire à d’autres, laisse l’ouragan se déchaîner.
    Laisse l’innocence et reviens à l’obscurité, laisse
    la rencontre et reviens à la lumière. Laisse les poignées
    qui recouvrent le sacrement, laisse le retard
    qui ruine l’après-midi. Laisse, reviens, paie,
    défais la lumière, défais la nuit et la rencontre, laisse
    des nids d’espoirs, et reviens à l’obscurité, laisse croire
    que la lumière est une éternelle comparaison.



    Amelia Rosselli, La Libellule [La libellula, Sellerio Editore, Milano, 1985 ; Garzanti Editore, Milano, 1997], Ypsilon Éditeur, 2014, pp. 38-39-40-41-42. Traduction et postface de Marie Fabre.




    ______________________________________
    NOTE d’AP : l’ouvrage dont est issu l’extrait ci-dessus (La Libellule d’Amelia Rosselli) est disponible en librairie depuis le 12 avril 2014.





    AMELIA ROSSELLI


    Amelia_rosselli
    Ph. © Dino Ignani – Tous droits réservés
    Source



    ■ Amelia Rosselli
    sur Terres de femmes

    Amelia Rosselli | Adolescenza (+ notice bio-bibliographique)
    [La tua debolezza è la mia vittoria] (poème extrait de Variazioni Belliche + traduction française par Marie Fabre)
    T’aimer et ne rien pouvoir faire d’autre que t’aimer (poème extrait de “Dialogo con i Poeti”, Serie Ospedaliera 1963-1965)
    11 février 1996 | Mort d’Amelia Rosselli (article de Marie Fabre + extraits de Variazioni Belliche, dans une traduction de Marie Fabre)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site des éditions Ypsilon)
    la page de l’éditeur sur La Libellule (+ un autre extrait)
    → (sur t-pas-net.com)
    une chronique de Jean-Nicolas Clamanges sur La Libellule d’Amelia Rosselli
    → (sur le site des éditions Ypsilon)
    un extrait du Dossier Amelia Rosselli de la Revue Europe (n° 996, avril 2012, pp. 197-201)[PDF]
    → (sur YouTube)
    Amelia Rosselli lisant en français trois des neuf poèmes d’Adolescence
    → (sur YouTube)
    Amelia Rosselli lisant un court extrait de La libellula
    → (sur Rai-TV Radioscrigno)
    d’exceptionnelles archives sonores, dont l’étonnante lecture d’un extrait de Sleep par Amelia Rosselli
    → (dans l’anthologie permanente de Poezibao)
    un extrait de Documento 1966-1973 d’Amelia Rosselli (traduction inédite d’Angèle Paoli)
    → (sur le site de l’Unità)
    « Amelia Rosselli, rivoluzionaria della poesia » par Lello Voce
    → (sur trickster)
    « La traduction chez Amelia Rosselli | Entre désappropriation et appropriation linguistique », par Sarah Ventimiglia





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  • Yasmina Hasnaoui, Cargo Blues

    par Sylvie Besson

    Yasmina Hasnaoui, Cargo Blues,
    Éditions Les penchants du roseau, décembre 2013.
    Illustrations et postface de Didier Manyach.



    Lecture de Sylvie Besson



    Les bateaux semblent l’unique recours qui reste pour fuir
    Toile de Nicolas Vial
    Source








    MÉLODIE EN SOUS-SOL POUR POINT D’ORGUE !



    Écrire, c’est avancer sur la corde fragile et assurée d’un funambule. Écrire, c’est s’engouffrer dans un lieu aussi transparent que labyrinthique. Écrire, c’est, pour Yasmina Hasnaoui, déplacer le bleu insolent des rêves vers le Blues incandescent du réel. Et tenter ainsi de trouver une harmonie entre nuage gris des songes et dénudement des nerfs à vif. Écrire, c’est donc vivre jusqu’à l’extrême pour que la douleur vibre encore d’une présence essentielle dans un monde désaccordé. De la périphérie de cette douleur vers le centre, c’est à ce mouvement que nous invite le Cargo blues de la poète. Creusant le motif de la barque à la dérive, de l’homme à la mer, du navire comme éloignement et rapprochement de soi au monde. Tendant à dire autant qu’à tenir à distance la perte comme une exploration d’un exil intérieur, où une femme condamnée à un univers âpre essaye de trouver sa place dans cette même douleur. Afin qu’une fois la haute marche du doute passée, l’écriture maintienne la beauté des souvenirs et de l’attente. Ainsi la voix poétique ouvre d’emblée les yeux sur un déséquilibre, refuse de se noyer dans un non-lieu. L’écrivain apparaît comme une vigie au-devant des tempêtes, ses mots tentant de dévoiler un univers où nos actes s’accouplent avec la parole, délivrant un souffle et accordant une respiration. Dans un désir de dire l’infime instant de la pose et celui plus violent des tempêtes :


    « Mon ventre est gémissements. Il n’a pas faim, non, juste envie de se faire entendre. C’est lui le cœur.

    Il fait froid, l’air est bleu comme les lèvres d’une morte. […] Je veux ramener à ma mémoire les corps des anciens pour donner sens à ce que je suis […]. Il faut que j’ouvre toutes ces tombes… »


    Mais quel chemin parcourir encore pour ne pas trahir les mots en mémoire ? Pour les dire « sans s’écorcher les doigts jusqu’au sang » ? Comment restituer ces souvenirs en cale ? Comment décharger ce cargo où est stocké ce que l’on a peur de perdre alors qu’il ne s’est rien passé, l’espace ne se retirant pas de sa trajectoire. L’auteur va alors, par le cheminement de ses attentes et de ses blessures, rendre possible l’offrande des mots retrouvés. Yasmina Hasnaoui avance en marchant sur des débris de verre et le Blues enclenche un cri qui questionne, secoue, bouscule, déchire la langue et l’esprit. Le texte faisant sortir l’attente de toute inertie, permettant à une « parole-corps » de naviguer entre brûlures et colères. Car il faut rager, même à quai, même en cale sèche, pour vivre de nouveau :


    « Seule la pluie peut assassiner le silence mais le ciel refuse de rincer la gueule du monde. Qu’il sue donc ses plaintes ! […] Mettre hors de portée [l’] attente. La faire crever entre les lignes »


    Aussi c’est au plus près de la chair que la poète nous propose d’aller, enfermée en elle-même jusqu’à l’os. Il ne s’agira pas de s’en tenir à l’effleurement d’une glissade mais bien de pénétrer plus avant dans la chair du monde et du corps, dans la chair de la langue aussi. Yasmina Hasnaoui part donc à l’assaut de ce qui la dévisage comme ce qu’elle envisage en lieu propice à l’errance. Elle combat ce qui parle en elle, depuis la violence des passions circulaires, une ombre en soi qu’il faudrait qu’elle s’arrache. L’auteur fait front. Elle avoue les lames de fond, les crues du chagrin et les inondations des angoisses, les vagues brisées, les tempêtes qui vous brisent en deux. Elle accepte d’être cette femme endeuillée par l’Absence, cette mariée en noir qui peint son propre cri. Et si le nom chanté se confond avec celui de la Nuit, le culte consenti à cet Obscur n’est pas de tout repos. De la même façon qu’elle frappe aux portes de la nuit, Yasmina Hasnaoui refuse d’être une Artémis-Hécate funèbre. Son art s’apparente davantage à l’univers de la grande Isis nervalienne de l’Origine retrouvée, pacificatrice de toutes les tensions. N’affirme-t-elle pas que n’importe quel geste éclabousse « le rêve de l’amour » ? Tant mieux, ce n’est qu’une flaque sale, et seule la réalité de cet Amour redoublé tisse une sorte de moire énonciative sensible, et s’élance dans l’immensité Océane de l’existence. D’où les fragments remotivés du discours quotidien, allant parfois jusqu’aux familiarités syntaxiques, cassant toute forme d’onirisme comme un contre-sens à la vie :


    « Hier l’ampoule a cédé. Grillée. Je voulais rêver, laisser mon corps sur le lit, en vrac et m’en aller te rejoindre peut-être, mais je n’ai pu me quitter »


    Surgit dans chaque page auréolée de son « sillage » la vibration d’une chair vive, refusant de tourner le dos à la terre, mais désireuse de reprendre toujours la mer, une poésie à laquelle on doit « céder le pas du chemin » (Char). On est proche d’une expérience du réel, mais surtout de ce sur quoi elle débouche – l’exploration de soi, ici et ailleurs, la vie d’un Bateau ivre avec la descente fiévreuse des mers. Chacune des phrases faisant apparaitre la vie. Non pas la vie en surface, grise et froide comme la brume, mais celle souterraine et transparente des éclats de vie dont la sourde rumeur fait l’objet d’une pressante communion, la lumière jouant sur le souvenir des corps entrelacés :


    « Nos os tremblent sous les éclairs, prêts à se détacher les uns des autres. Dislocation. Retour à la source. »


    Et l’écriture à tout courant se rapproche des contrées de Moazon mais aussi des flux lyriques de Conrad. La remontée ne se fera que dans la trouée des forêts impénétrables de l’attente, au milieu des larges eaux que recouvre le désordre des îles. Avec, au bout, l’espoir d’un chenal qui couperait court au désir de se perdre et davantage encore à celui de soliloquer. Le poète refusant de n’être rien d’autre qu’une absence.

    C’est sans doute en ce point que tous les fils de l’œuvre se nouent aux yeux du lecteur. En effet, si un voyage est souvent la forme indirecte de l’amour, réciproquement un amour n’est qu’un temps visité par une zone laissée en blanc. Et toutes ces zones sont justement comme des terrae incognitae du désir, un passage ouvert vers tous les possibles que reprend l’entêtant motif du retour. D’abord en une dénégation puis en lueurs renaissantes. On songe ici au portrait du poète en voyageur, dont les infinies variations assurent à l’ensemble le caractère d’une partition musicale, à l’instar du plongeur nageant en eau profonde sans savoir qu’il invente d’autres passages. L’ensemble du paysage exploré peut enfin métaphoriser le corps du monde comme modèle de l’errance, lequel structure à la fois la progression dans le réel et dans la page d’écriture : « Seul sur le papier on peut revivre ses propres absences ». Le désir de ré-incarnation d’une poétique est certes imaginable, mais le poète préfère ne pas ignorer que « la grâce » ne peut s’atteindre qu’en rapport d’équivalence avec l’expérience bouleversante de la finitude logique du vivant.

    Ainsi, particulièrement émouvantes, déchirantes, toutes les scènes s’enchevêtrent intimement, l’espace du dedans et l’espace du dehors. L’univers entier est exil. Seul l’amour peut lui donner une terre d’accueil, et le poète cravache les angoisses, les blessures du quotidien et les violences communément admises pour ne pas attendre en vain. Sa voix réclame la fin du mensonge et refuse de disparaître sans mordre, sans dissoner, sans ébranler. Elle trace, à travers des paysages qui chutent et se relèvent, en flux et reflux, une vie de femme qui scrute, dans les gestes du quotidien, le pourtour du soi et l’eau du poème où se désaltérer : « J’ai soif / La lune est à sec / […] / La nuit / rien n’est gris ». L’écriture laisse par conséquent remonter le Passé à la surface pour cerner les déchirures et garder des îles sous les paupières, pour conjurer enfin la fatigue et l’oubli des espoirs passés :


    « Te souviens-tu ?

    Tu m’as dit : « les jours sont des îles que nous foulons ».

    Je n’ai pas oublié. »


    Et, de toutes ces désillusions, Yasmina Hasnaoui dit avec ténacité, au sein de son texte ciselé d’extrême pudeur, les chagrins, les éblouissements, les paroles mortes, les respirations lumineuses. Elle livre une sensibilité abrasée par les silences, mais lance le poème en ligne de défense afin de se soustraire de ce qui s’amenuise. Voilà pourquoi le lyrisme intrigue. Le recueil ne sombre jamais dans l’effusion sentimentale pour la raison que ce lyrisme est celui de chacun. Une lumière juste dont les corps pourront se vêtir. La parole est celle de tout individu qui, sensible à la seule présence de la Vie, qu’il soit seul et couché sur le côté, continue de croire que rien n’est entier : sous chaque éclat danse une intensité qui, sans faire sortir de l’exil, donne à avoir lieu. Dans un cargo, par exemple, où s’échoue la souffrance et à laquelle le poète assigne la beauté. Il faut écrire et regarder le monde depuis l’abîme, dire l’agressivité et l’angoisse qu’il suscite et, au-delà, chercher malgré tout un besoin inextinguible de plénitude. Si le recueil est tout en lignes de failles, en instants fissurés, c’est qu’il s’agit de révéler une nuit qui pétrifie autant qu’elle illumine, une nuit qui irise le poids sensuel des mots, le visage incertain des attentes, le navire perdu dans l’écho du temps, le regard écorché par la vision des départs. En somme, le sang finit par rejaillir des tangages du cargo et un mouvement nocturne de vagues circule dans les veines ; la mer redevient nuit agitée de marées, désireuse de pouvoir s’étendre aux sables chauds des îles :


    « Tant d’îles foulées et tu es là. Je ne te connais pas. Des jours et des îles. Certaines étaient si vastes, si longues… Des déserts où l’on trainait notre peau. Regarde-moi, regarde-les ! ».


    Et même si les bateaux semblent l’unique recours qui reste pour fuir, l’écriture cependant seule enivre. Yasmina Hasnaoui le dit en parole libérée, dans la fluidité de sa prose ou dans la mélodie de formes brèves. Exerçant un art de la composition où la disposition visuelle cherche à marier émotions et formes, rythmes et enchainements, strophes brisées et longues laisses. Un livre comme une gestation perpétuelle saisissant tout ce qui fait de l’homme une âme insulaire, délivrant enfin un geste poétique entre attentes rêvées et traces bien réelles. Mais les rêves finissent toujours par se briser sur la morsure du réel qui secoue l’âme de sa torpeur. Réveillée, exilée du voyage intérieur, la poète s’adonne à la certitude du Blues, peur nauséeuse de la solitude, peur de ne plus entrer en communion avec le corps de l’autre, peur tangible des mondes qui nous échappent. L’aube brûlée de gris recouvrant les signes d’une langue qui ne serait plus rempart contre la vérité.

    Alors tous les instants d’exil que sont les incertitudes et les déséquilibres — car toute rupture est bien perte d’un équilibre — ne sont plus seulement des vacillements de sens. L’effritement des amours perdues fait désormais écho à l’effondrement des illusions, des leurres et des bonheurs trop facilement distillés. L’écriture regarde, selon la belle formule extraite de la postface de Didier Manyach, « au plus profond des eaux de la mémoire », Yasmina Hasnaoui fait de ses mots une plongée en eaux troubles et troublantes. Son Verbe dit les jeunes et vieilles blessures de ce monde auquel il faut savoir s’arracher tout en s’amarrant à la terre inconnue qu’est l’Amour. Cet Amour qui, ne digérant pas les cadavres, tente de les rejeter dans l’infini terrible des abysses. Tout au long de l’œuvre, la langue mouvementée de la poète est capable de prendre en charge l’expression du drame du désir humain. Et seul le langage donne sa force à l’œuvre, et cette force est celle-là même de la poésie. L’écriture se joue alors de la malléabilité des ombres, éclabousse la langue de mots bouleversants, et la poète s’inquiète à l’idée de voir ses jours coaguler ou son esprit piégé dans un corps qui s’épuise. C’est pourquoi sa voix élève son cargo-somnambule et le projette déjà en pleine mer, au cœur de la vie. Yasmina Hasnaoui crie des tréfonds de l’abîme en des phrases qui se saccadent, saturant de mots son angoisse à exister. Elle compose ainsi un poème du désarroi existentiel comme de la lutte et du renouveau artistiques, expériences encrées à fleur de vif, au fil du recueil. Les dessins de Didier Manyach convoquent en ce sens, par leur tracé, tout en fausse candeur et en grâce sincère, un pays au-delà du noir. Il plonge dans la présence de l’ouvrage pour en retirer les formes idéales qu’il propose à l’œil en profondeur. Ses images nous transportent dans ce cargo, dans les voyages comme dans les escales, rappelant que les mots du poète finissent toujours par se transformer en paysages. En effet, si le cargo bouge, si la main s’agite sur la feuille, c’est que la Nature seule donne au navire son mouvement et à l’encre ses inspirations comme un « brûlot d’étoiles dans le brouillard » (Didier Manyach) ; Yasmina Hasnaoui et Didier Manyach marchent ainsi l’un à côté de l’autre sur les digues comme dans les vagues luminescentes du monde.

    De même que la poète évoque en paysages l’attente insupportable, la tentation de disparaître, la douloureuse absence ou, au contraire, des instants où le corps se retrouve en pleine conscience, elle expose, malgré le pesant isolement que nourrit son esprit, l’immanence de l’être et de sa poésie à même la terre ou dans le bruit des océans. Son beau cheminement est complexe, imposant des motifs qu’il disperse en cailloux semés et qu’on retrouve tout au long du parcours. Traçant, en cercles fugaces, les balancements, les gouffres, les percées d’une pensée qui se découvre au fil d’une perte et qui travaille à se reconstruire par un absolu dénudé, sensible et juste. Malgré la noire souffrance, malgré les chairs meurtries, la voix n’hésite pas à dire l’éternelle réinvention de soi, permettant à l’écrivain de faire peau neuve et de s’élancer à la conquête de nouveaux mondes. Lire Yasmina Hasnaoui, c’est donc muer de l’ombre à la lumière, dans une lente acmé forgeant sa persona d’écrivain. Plonger dans Cargo blues, c’est effectivement assister à la renaissance d’un mythe, celui d’une sorte d’Orphée au féminin qui sombre aux Enfers pour y chercher la poésie, et qui en ressort la vie chevillée au corps : « c’est la dernière nuit et je suis toujours vivante ». La puissance orphique de la poète est telle qu’elle entraîne son lecteur avec elle, le guidant de terres en mers, gouvernail au poing. Et l’on entend, dans cet éloge indirect à la Nature, l’écho des houles les plus poignantes. Yasmina Hasnaoui nous emmène finalement loin des Enfers de l’obscur, nous rapprochant ainsi des échos possibles de l’Amour. Puisque seul Aimer justifie de Vivre. Ancrant ses mots aux îles les plus incandescentes, non point îles dénuées de ciels gris, non point sous un soleil si bleu qu’il en deviendrait si bas, encore moins en des lieux irradiés de lumières, mais sur des terres cendrées, là où il n’est pas rare de trouver les plus fascinantes braises.


    Sylvie Besson
    D.R. Texte Sylvie Besson






    Yasmina Hasnaoui, Cargo Blues






    ■ Autres notes de lecture de Sylvie Besson
    sur Terres de femmes

    Les variations poétiques de Philippe Beck ou le tempo universel du monde
    Hélène Dorion, Ravir : les lieux
    Lorine Niedecker, Louange du lieu et autres poèmes
    Richard Rognet, Un peu d’ombre sera la réponse





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  • Sylvie-E. Saliceti, Je compte les écorces de mes mots

    par Sabine Huynh

    Sylvie-E. Saliceti, Je compte les écorces de mes mots,
    Éditions Rougerie, 2013.
    Avant-propos de Sylvie-E. Saliceti.
    Postface de Bruno Doucey.



    Lecture de Sabine Huynh



    Foret 1
    Ph., G.AdC







    JE COMPTE LES ÉCORCES DE MES MOTS :
    DES POÈMES-SÉPULTURES À LIRE AVEC RECUEILLEMENT




    D’un sommeil torride
    je me suis réveillée
    Je compte les étoiles
    de mes mots
    et me consacre
    à la nuit

    (Rose Ausländer, Je compte les étoiles de mes mots)


    L’arbre resterait à célébrer, si le désert n’était partout.
    (Edmond Jabès)




    Par son titre, Je compte les écorces de mes mots de Sylvie-E. Saliceti (Rougerie, 2013) se place dans la lignée de la littérature de la Shoah et de la poésie de Rose Ausländer, la poète juive d’origine ukrainienne dont les textes sont marqués par l’Holocauste et l’exil. Le recueil de S.-E. Saliceti s’enracine en effet dans l’extermination des Juifs d’Europe et plus précisément des Juifs d’Ukraine. Il est dédié « Au petit garçon de la forêt qui jouait / à renvoyer les poignées de terre / À toutes les victimes, imprononcées, / de Lissinitchi ». Ces mots annoncent des textes où se répondent la beauté de la vie et la tragédie incommensurable : « La vie. La voix. La mémoire » (S.-E. Saliceti, avant-propos).


    Tout comme chez Rose Ausländer, la poésie de S.-E. Saliceti est ici concise et lucide, alternant longs poèmes et tercets aux vers brefs et porteurs d’une densité émotionnelle tangible, sous-tendus par une grande complexité historique et philosophique. J’entends une poésie engagée, ancrée dans l’histoire et les témoignages, que S.-E. Saliceti a consultés (comme elle le précise) « soit aux archives soviétiques de la ville de Lvov, soit au […] Centre Européen pour la Recherche et l’Enseignement sur la Shoah à l’Est, soit […] auprès de témoins sur place, lors d’un voyage d’études en Pologne et en Ukraine en février 2011 ». Poésie de circonstance, oui, mais aussi et surtout, nous allons le voir, poésie qui ouvre les yeux ; poésie de lumière, qui fait voir et entendre intensément ; poésie de l’éternel, comme le magnifique « texte-sépulture » qu’elle est.



    ce que je vous relate est arrivé

    dans ma mémoire recomposée

    (« Les imprononcés », Je compte les écorces de mes mots)




    Ces poèmes, teintés d’un lyrisme mesuré, sont énonciation de réalité, car la poète, devenue « exhumatrice » et gardienne de l’indicible, nous fait part de la douleur inconsolable éprouvée en foulant le sol de la forêt de Lissinitchi, dont les racines des chênes plantés par les nazis pour dissimuler les fosses communes s’entremêlent avec les corps de deux cent mille victimes. Les témoignages qui glacent le sang, placés en exergues de certains poèmes par S.-E. Saliceti, rappellent que le génocide n’a pas été seulement commis au sein de l’espace concentrationnaire : la Shoah par balles a aussi joué un rôle terrible dans l’extermination des juifs d’Europe orientale, puisqu’il s’avère qu’entre 1941 et 1944, plus d’un million et demi de personnes ont été assassinées au fusil et à la mitraillette par des commandos de SS. La Forêt sur les Juifs est le nom donné « après » au lieu-dit La Sablière de Lissinitchi.



    Aux Sablières qui a planté

    des branches dans la chair des enfants ?


    l’homme et son poème continu

    martèlent cette question : qui

    donc a eu l’idée de crucifier l’étoile dans

    le sable ?

    (« Lieu-dit La Sablière », Je compte les écorces de mes mots)




    Bruno Doucey nous signale dans sa remarquable postface à l’ouvrage que, « dans un livre dont le titre fait écho à celui de Sylvie-E. Saliceti, Écorces, l’historien Georges Didi-Huberman signale qu’à Birkenau “le lessivage des pluies a fait remonter d’innombrables esquilles et fragments d’os à la surface des sols” et qu’il n’est, curieusement, pas venu à l’idée des nazis de détruire ces sols ». Soulignons l’importance de la postface de Bruno Doucey, fine et riche, dont je citerai encore des extraits dans cette chronique.

    Il dit
    Je suis monté sur l’arbre. Les fosses étaient déjà creusées, dans la forêt juste à côté. Les corps ont brûlé toute la journée et toute la nuit pendant six mois.


    (S.-E. Saliceti, exergue au poème « Une voix », Je compte les écorces de mes mots)





    Foret 2
    Ph., G.AdC







    La Forêt sur les Juifs est une forêt de chênes. Je me demande si les nazis savaient que certains linguistes s’accordent pour dire que le mot chêne vient du judéo-français chasne, chaisne, chesne et que les premières traces de ce mot remontent aux textes de l’exégète juif Rachi… Que ce mot est associé à la lettre hébraïque dalet, qui symbolise le passage, puisqu’il renvoie à la notion de porte (le mot délèt en hébreu, « porte »), une porte qui peut s’ouvrir vers l’espoir, la lumière (comme elle peut rester fermée). Que cette lettre, lorsqu’elle est écrite à la main, en cursive, représente un homme courbé, humble… Que cet arbre, symbole de force, de pérennité, d’élévation, était mentionné dans la Genèse, sous l’appellation de « térébinthe de Moré » (Gn. XII, 6) et révéré par les Hébreux (Yhwh serait apparu à Abraham près de ce chêne, que même le feu ne pouvait dénaturer ni spolier)… Sans oublier, dans la mythologie grecque, le sanctuaire de divination de Dodone, où les oracles et les vérités étaient prononcés par un chêne, à travers le bruissement de ses feuilles dans le vent… Ainsi, le langage triomphe de la perversion nazie et défait la logique implacable des génocidaires.



    par-dessous le branchage je vis

    une ombre une silhouette

    courbée recueillie dans l’aurore

    une ombre

    une révérence

    qui était cette écorce ? une autre,

    ployée puis une nouvelle encore

    (« Les imprononcés », Je compte les écorces de mes mots)




    Bruno Doucey, toujours au sujet des bouleaux du camp de Birkenau, précise que « l’écorce de bouleau est un résidu plus riche qu’on ne le croit. Par sa surface fine et pérenne, comparable à celle du papyrus, il fut utilisé comme support d’écriture bien avant l’invention du papier. Les nazis savaient-ils qu’une abondante littérature, essentiellement en Russie, était consignée sur l’écorce de bouleau ? Que des hommes et des femmes déportés dans les camps de la mort se serviraient de ces écorces pour laisser trace de leur passage ? »


    « Parfois, un arbre parle » (Rose Ausländer) ; la forêt tressaillit aux sons que font les oiseaux, les abeilles, la pluie ; S.-E. Saliceti sait écouter et saisir la beauté de tous ces chants de vie.



    alors je me tournais d’un seul espoir

    vers le langage de

    l’oiseau

    Tsipor

    l’oiseau de Lissinitchi dont la bouche

    chantait

    à l’intérieur du rocher et

    comme Rose Ausländer

    j’ai compté les étoiles des mots –

    elles étaient enveloppées d’écorces

    et gisaient par terre

    dans le bois

    (« Les imprononcés », Je compte les écorces de mes mots)




    Les poèmes de S.-E. Saliceti – grande poésie, poésie du courage par excellence – œuvrent contre la gangrène du silence et du négationnisme. La poète n’a pas peur de prendre les faits et les témoignages à bras-le-corps et, même si elle constate, dans l’avant-propos du livre, l’effrayante carapace de silence enveloppant l’horreur, sa parole choisit de ne pas reculer devant lui, quitte à s’enfoncer dans sa forêt, à plonger dans ses racines, à la recherche de voix qui n’attendent que de sourdre. L’une d’elles est bien sûr la sienne, sa propre voix de poète porteuse des voix tu(é)es.

    Je recule partout. Devant l’indicible. Entre les fleurs. Un retrait par simple peur d’un glissement du pied sur la mousse. La colline est un charnier. Je recule devant le silence.


    […]


    Quelque chose se dresse en moi contre ce silence. Est-ce mon enfance enfouie ? J’entends le chant d’une grand-mère allumant les bougies de shabbat, aussi droites que des majuscules. Écrire devient l’urgence.


    (Avant-propos, Je compte les écorces de mes mots)

    une voix s’approchera-t-elle enfin ? un

    poème


    une voix une seule

    et c’est

    le ghetto entier des montagnes

    qui chante


    (« Une voix », Je compte les écorces de mes mots)




    Le feu de la mémoire est ravivé dans ces pages avec des paroles-étincelles dont la poésie, nécessaire, jaillit dans la nuit barbare, allant ainsi à la rencontre de la formule du philosophe Theodor Adorno. Jaccottet, dans La Seconde Semaison, écrit : « S’approchant de la mort, il faudrait pouvoir s’y adosser pour ne plus voir que le vivant ». Et ce n’est pas un hasard si le recueil de S.-E. Saliceti s’achève sur le nom de Celan, poète très présent dans ce livre, poète qui partageait le questionnement d’Adorno (qui lui-même lisait et estimait Celan), mais qui, au lieu du silence, opta pour la poésie, fût-elle de l’abîme. « Le silence des poètes n’est plus possible depuis Auschwitz », affirme Bruno Doucey dans la postface de Je compte les écorces de mes mots. Ausländer, Jaccottet, Celan, mais aussi Desnos, Mandelstam, Chalamov, Levi… Les mots des poètes tissent des réseaux d’échos dans le livre de S.-E. Saliceti, et, pour en appeler à ce que disait Mallarmé, « ils s’allument de reflets réciproques comme une virtuelle traînée de feux sur des pierreries ».



    une étoile de bois, bleue,

    faite de petits losanges, aujourd’hui, par

    la plus jeune de nos mains.


    Le mot, pendant que tu fais tomber du sel de la nuit,

    le regard

    cherche à nouveau la galerie du vent :

    — une étoile, entre-la,

    entre l’étoile dans la nuit

    (— dans la mienne dans

    la mienne)

    (Paul Celan, Grille de parole)




    Briser le silence de l’oubli et de l’effroi avec la poésie car, comme nous le comprenons avec S.-E. Saliceti, aujourd’hui nous sommes après l’écriture ou la vie, et la poète a choisi l’écriture, pour témoigner et rendre hommage, et donner une sépulture aux morts, même si la langue souffre, tel un arbre malade. L’anéantissement d’un peuple passe par la destruction et le pervertissement de sa langue. Comme Paul Celan, S.-E. Saliceti garde la mort du langage constamment à l’esprit : « Le génocide, n’est-ce pas le lieu de l’écroulement du langage ? » (avant-propos).



    c’était avant l’écriture ou la vie

    avant le ghetto de la langue

    aux cheveux blancs

    il était une fois un lieu pour

    l’écroulement du langage

    le tyran force les mots La phrase simple

    est violée quand

    il part


    Pour une fois écoute mon enfant Regarde

    le mot se pencher

    devenir aussi malade

    que le cerisier de notre jardin

    Goûte cette amertume

    ce langage truffé de vers


    […]


    le langage partout erre sans abri

    le langage pleut


    […]


    pour une fois écoute mon enfant

    Mon jeune cerisier debout J’ignorais

    que pût exister un pays

    où le langage s’étend au pied

    des bottes et se tord

    comme ces pieux de fer

    sur les laves de Belzec

    Schlof Mayn Kind


    […]


    ici

    une langue a brûlé

    (« Pays du langage couché »,

    Je compte les écorces de mes mots)




    Le titre du poème « Si c’est un poète » renvoie directement au titre du livre autobiographique de Primo Levi, Si c’est un homme. Chez S.-E. Saliceti, « la poésie est / un grand-père », un homme donc. Pour Primo Levi, l’homme a perdu son humanité, pour Sylvie-E. Saliceti, le poète a perdu sa langue.



    il murmure que

    la poésie est

    un grand-père

    un signe d’ordre à l’espérance


    […]

    Si c’est un poète

    entendra-t-il la plaie de la parole ?


    (« Si c’est un poète », Je compte les écorces de mes mots)







    Foret 3
    Ph., G.AdC







    « Qui était cette écorce ? », demande S.-E. Saliceti, mettant en équation le mot, l’arbre, l’humain et la lumière. Le mot est tout, à la fois forme et substance, contenant et contenu. Il est un arbre-homme-fait-de-mots, habillé, pourvu d’écorces, d’enveloppes protectrices, où l’on peut écrire, y graver le nom, la mémoire. L’écorce externe, morte, protège la vie de l’écorce interne, et du tronc. La peau du mot a été brûlée. Pour ne pas succomber au désespoir, « nous tous qui sommes les enfants des disparus. Des survivants, miraculés que nous sommes d’être nés plus tard, d’être nés ailleurs » (Bruno Doucey, postface), efforçons-nous de croire que la destruction n’a atteint que l’aspect visible, exposé, vulnérable, le sens corruptible en somme, périssable, et que le plus important est en-dessous, invisible-invincible ; et la sève, le sang, affluent vers le cœur de l’arbre, de l’être, dont la flamme de vie reste toujours allumée, intacte, recueillie par la langue au-deçà qu’est la poésie. Le mot « écorce », du latin impérial scŏrtea, « manteau de peau », m’évoque le schmatte yiddish (du polonais szmata, « chiffon, torchon, sans valeur ») : par le biais de sa langue poétique, S.-E. Saliceti célèbre les êtres humains que les nazis ont tenté d’avilir dans leur volonté d’en faire des poupées de chiffon juste bonnes à jeter au rebut.



    il y a aussi ce mot interdit : homme

    car là-bas l’appel des noms

    tatoue le bras d’un chiffre bleu

    ici le signe de l’ordre

    claque son fouet : Wstawac ! debout

    chiffon !

    […]

    je suis le détenu pas l’homme

    une poupée un torchon

    (« Pays du langage couché »,

    Je compte les écorces de mes mots)




    Les vers de S.-E. Saliceti sont à suivre comme des fêlures, des incisions dans le silence : à la fois douleur et « lumière entre les ramures du bois » (Jaccottet), ils sont vertige, qu’ils fixent et donnent. Reste cette béance… Peut-on la combler avec des mots ? Peut-on avoir des mots pour sépulture ? Avec la poète, je veux y croire, d’autant plus qu’une parole provoquant un tel ébranlement chez le lecteur est tout sauf vaine. Ses poèmes, émergeant de couches de silence (inhumer, n’est-ce pas déposer un corps dans l’humus ?), ne peuvent qu’en contenir beaucoup, mais leurs silences font de ces textes les lieux de recueillement qui manquent à la forêt de Lissinitchi : la forêt et le recueil endossent un caractère sacré. Leurs racines vont chercher très loin, sous et au-delà de la Forêt sur les Juifs, pour ramener à l’air pur la beauté originelle. Les mots sécrètent le suc de vie qui s’élève dans les troncs, permettant ainsi aux victimes-arbres de renouer avec la grâce et la force de l’environnement naturel ; les branches et les feuilles s’élancent vers le ciel, vers la lumière.


    En lisant Je compte les écorces de mes mots, j’ai repensé au Livre des questions d’Edmond Jabès (livre que j’ai découvert avec fascination il y a une dizaine d’années à l’université hébraïque de Jérusalem). Jabès croyait à « la mission de l’écrivain » : « Il la reçoit du verbe qui porte en lui sa souffrance et son espoir ». Je compte les écorces de mes mots est un livre qui pose l’écriture comme devoir de mémoire, devoir d’être, comme geste fondamental, celui d’écrire avec et contre. Et Jabès de dire : « Écrire, maintenant, uniquement pour faire savoir qu’un jour j’ai cessé d’exister ; que tout, au-dessus et autour de moi, est devenu bleu, immense étendue vide pour l’envol de l’aigle dont les ailes puissantes, en battant, répètent à l’infini les gestes de l’adieu au monde ».


    Les vers de Rose Ausländer me reviennent également en mémoire. Dans le poème « Deuil II », elle se demande « Comment / endurer / l’éternel deuil ? », et répond : « Chercher / une minuscule étincelle / dans l’obscurité ». Et c’est bien de cela qu’il s’agit avec la quête et l’écriture de S.-E. Saliceti, qui s’apparentent à une écoute incomparable, une véritable communion avec les victimes et leur forêt : la poète libère les étoiles piégées sous les écorces muettes.



    Plus petite qu’une paupière

    d’oiseau – ma bouche

    se tait pour écouter

    (Je compte les écorces de mes mots)




    Par leur concision et leur rigueur formelle, endiguant la densité émotionnelle, les poèmes de ce recueil majeur ne sont pas sans évoquer les haïkus modernes écrits après la catastrophe de Hiroshima, en particulier les muki-teki haiku (litt. « haïku sans kigo, sans mot de saison »), dont la fonction de dire l’atrocité se devait d’exclure l’inscription des saisons, puisque celles-ci ne pouvaient plus se lire dans la nature dévastée. Les vers brefs et subtils des poèmes de S.-E. Saliceti (tel ce tercet qui évoque une déportation en renvoyant à une autre : « Quelle est cette étoile sous / l’écorce – la tribu perdue ? ») possèdent également la douceur d’un baume, d’une caresse ; telles des épitaphes, ils restituent en quelque sorte aux victimes leurs dernières paroles.


    Malgré le gouffre de violence sur lequel elle a été amenée à pousser, la forêt de Lissinitchi ne peut pas n’être que funeste. Espace de vie, espace sacré, la lumière émane même de son sous-bois. La poésie méditative de S.-E. Saliceti contribue à davantage la nimber de mystère et d’intimité, invitant ainsi à la contemplation, qui exclut la colère et la haine. Je compte les écorces de mes mots est un recueil de poésie éthique, qui renoue avec l’une des fonctions premières de cet art, à savoir la réaffirmation de l’invincibilité de la beauté du monde et de la valeur inaliénable de la vie : le langage poétique de S.-E. Saliceti en porte sans conteste l’éclat, d’autant plus difficile à dire que celui-ci jaillit d’un sombre charnier. Il s’agit bien, comme l’a écrit Philippe Jaccottet, d’« opposer au néant ignoble la beauté la plus éclatante, la plus dense, la plus ferme possible : pour le plaisir, la jouissance et l’honneur ». La vie continue de s’écrire dans ces textes.



    Quand je ne serai plus

    le soleil brûlera encore

    Les planètes tourneront

    obéissant à leurs propres lois

    autour d’un centre

    inconnu de tous

    Le lilas sentira encore

    aussi bon

    et la neige dardera ses rayons blancs

    Quand j’aurai quitté

    notre terre amnésique

    parleras-tu

    encore un peu

    mes mots ?

    (Rose Ausländer, trad. de l’anglais : S. Huynh)



    quelle est cette branche en

    broussaille qui sort de terre ? elle semble

    une barbe blanche sur

    un visage

    et cette feuille rousse, ouverte ?

    est-ce la main

    d’un petit garçon ?


    c’est un poème mon bel enfant

    la berceuse de La Forêt sur les Juifs

    c’est le tombeau de l’étranger

    (Sylvie-E. Saliceti, « La branche et la feuille »,

    Je compte les écorces de mes mots)



    Poèmes concentrés, bribes poignantes arrachées à l’extermination et à l’obscur.


    m’entends-tu ? l’ombre

    par poignées ne cesse d’ensevelir

    les anges

    (« Lettre à Adonaï », Je compte les écorces de mes mots)




    Poèmes d’une poète gardienne de noms, d’une femme de fidélité, respectueuse des derniers devoirs, qui exauce splendidement le vœu qu’elle énonce dans l’avant-propos : « Les arbres ont poussé sur les corps. Ni prénom. Ni date. Pas même un écriteau. Pour eux, je voudrais un texte-sépulture ».



    Là-bas le soleil roule sur

    un chariot sans bouquet

    où s’entassent les peaux

    en parchemins

    Les roues de la carriole tracent leurs

    encres sur la neige

    Deux lignes aussi droites que

    Les flèches du chamane

    Je sais le rituel de la parole

    Le rituel de l’étoile

    Le rituel de l’écorce

    (« Je sais que le soleil tourne autour de la forêt »,

    Je compte les écorces de mes mots)



    Isaïe a dit qu’il leur donnerait

    dans sa maison et dans ses murs

    un mémorial – Yad –

    et un nom – Shem –

    qui ne seront pas effacés

    (« Oraison pour une oraison »,

    Je compte les écorces de mes mots)




    Puissance considérable de ces poèmes-refuges, poèmes d’éloge, poèmes-oraisons, poèmes-sépultures ; « Kaddish silencieux » pour des êtres « imprononcés / sous les arbres » (S.-E. Saliceti), aux noms avalés par le silence, car « pour autant, les références à la poésie comptent moins que la présence bouleversante et discrète des anonymes » (Bruno Doucey, postface). Poèmes bâtisseurs de la dernière demeure. Poèmes absolument essentiels. Parole libératrice. Et sous le soleil, chaque mot s’ouvre comme une fleur dans le poème-arbre, il est expression de vie, main ouverte ; noms à dire, à graver dans la pierre.



    Qui suis-je

    quand les nuages pleurent :

    un hôte étranger

    sur une plage étrangère

    j’attends

    que le soleil m’aime

    à nouveau

    avec sa raison dorée

    (Rose Ausländer, Je compte les étoiles de mes mots)


    cette étoile est une forêt de corps

    alors m’appelèrent

    ceux dont la bouche

    terreuse les empêchait de dire

    leur nom

    […]

    alors je me suis assise

    près d’eux – les imprononcés dont

    les prénoms dormaient

    sous nos chaussures

    (Sylvie-E. Saliceti, « Les imprononcés »,

    Je compte les écorces de mes mots)






    Rouge
    Ph., G.AdC







    Il n’est donc pas surprenant que le recueil de Sylvie-E. Saliceti se termine sur un nom, en l’occurrence celui de Celan, annoncé par la couleur rouge. Le rouge du langage, mais aussi de la plaie béante, de la violence insoutenable, du cri à vif : le rouge de Soutine… Qui en appelle à la création artistique, à l’écriture. Retour à Celan, encore et toujours : écrire, pour que fleurisse la pierre.




    Sabine Huynh
    D.R. Texte Sabine Huynh
    pour Terres de femmes







    Sylvie E.-Saliceti, Je compte les écorces de mes mots






    BIBLIOGRAPHIE


    • Ausländer (Rose), Je compte les étoiles de mes mots, traduit et présenté par Edmond Verroul (L’Âge d’homme, 2000).
    • Ausländer (Rose), Mother Tongue, traduction anglaise : Boase-Beier, Jean et • Anthony Vivis (Arc Publications, 1995).
    • Celan (Paul), Choix de poèmes réunis par l’auteur, édition bilingue, traduction et présentation de Jean-Pierre Lefebvre (Gallimard, 1998).
    • Celan (Paul), Grille de parole, édition bilingue, traduction de Martine Broda (Christian Bourgois, 1991).
    • Jabès (Edmond), Le Livre de l’hospitalité (Gallimard, 1991).
    • Jaccottet (Philippe), La Seconde Semaison : carnets 1980-1994, (Gallimard, 1996).
    • Jaccottet (Philippe), Une transaction secrète (Gallimard, 1987).
    • Jaccottet (Philippe), Paysages avec figures absentes (Gallimard, 1976).
    • Mallarmé (Stéphane), Divagations (1897).
    • Saliceti (Sylvie-E.), Je compte les écorces de mes mots (Rougerie, 2013).
    • Saliceti (Sylvie-E.), La Voix de l’eau, Éditions de l’Aire (Suisse, 2017).







    SYLVIE-E. SALICETI





    ■ Sylvie-E. Saliceti
    sur Terres de femmes

    Le batelier
    [Ces fresques sur les murs] (extrait de Couteau de lumière)
    Couteau de lumière (lecture d’AP)
    La danse de Sakuntala
    [Dans la mer et le corps](poème extrait de La Voix de l’eau)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    La grenade



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur La Pierre et le Sel)
    une recension de Je compte les écorces de mes mots par Pierre Kobel



    ■ Autres notes de lecture de Sabine Huynh
    sur Terres de femmes

    Matthieu Baumier, Le Silence des pierres
    Romain Verger, Fissions





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  • Alejandra Pizarnik | La parole du désir



    Una luz lila
    Ph., G.AdC






    LA PALABRA DEL DESEO



    Esta espectral textura de la oscuridad, esta melodía en los huesos, este soplo de silencios diversos, este ir abajo por abajo, esta galería oscura, oscura, este hundirse sin hundirse.

    ¿Qué estoy haciendo? Está oscuro y quiero entrar. No sé qué más decir. (Yo no quiero decir, yo quiero entrar.) El dolor en los huesos, el lenguaje roto a paladas, poco a poco reconstituir el diagrama de la irrealidad.

    Posesiones no tengo (esto es seguro; al fin algo seguro). Luego una melodía. Es una melodía plañidera, una luz lila, una inminencia sin destinatario. Veo la melodía. Presencia de una luz anaranjada. Sin tu mirada no voy a saber vivir, también esto es seguro. Te suscito, te resucito. Y me dijo que saliera al viento y fuera de casa en casa preguntando si estaba.

    Paso desnuda con un cirio en la mano, castillo frío, jardín de las delicias. La soledad no es estar parada en el muelle, a la madrugada, mirando el agua con avidez. La soledad es no poder decirla por no poder circundarla por no poder darle un rostro por no poder hacerla sinónimo de un paisaje. La soledad sería esta melodía rota de mis frases.



    Alejandra Pizarnik, El infierno musical, 1971, in Poesía Completa (1955-1972), Editorial Lumen, Barcelona, 2011, p. 271. Edición a cargo de Ana Becciú.








    Une lumière orangée
    Ph., G.AdC







    LA PAROLE DU DÉSIR



    Cette texture spectrale de l’obscurité, ces mélodies au fond des os, ce souffle de silences divers, cette plongée en bas par le bas, cette galerie obscure, obscure, cette manière de sombrer sans sombrer.

    Qu’est-ce que je suis en train de dire ? Il fait noir et je veux entrer. Je ne sais quoi dire d’autre. (Je ne veux pas dire, je veux entrer.) La douleur dans les os, le langage brisé à coups de pelle, peu à peu reconstituer le diagramme de l’irréalité.

    De possessions, je n’en ai pas (ça c’est sûr ; enfin quelque chose de sûr). Ensuite une mélodie. C’est une mélodie plaintive, une lumière lilas, une imminence sans destinataire. Je vois la mélodie. Présence d’une lumière orangée. Sans ton regard je ne saurai vivre, ça aussi c’est sûr. Je te suscite, te ressuscite. Et il m’a dit de sortir dans le vent et d’aller de maison en maison en demandant s’il était là.

    Je passe nue, un cierge à la main, château froid, jardin des délices. La solitude ce n’est pas se tenir sur le quai, au petit jour, à regarder l’eau avec avidité. La solitude, c’est de ne pouvoir la dire parce qu’on ne peut la circonscrire parce qu’on ne peut lui donner un visage parce qu’on ne peut en faire le synonyme d’un paysage. La solitude serait cette mélodie brisée de mes phrases.



    Alejandra Pizarnik, L’Enfer musical, Ypsilon éditeur, 2012, page 27. Traduction et postface de Jacques Ancet.







    Alejandra Pizarnik, L'Enfer musical





    ALEJANDRA PIZARNIK

    Alejandra_pizarnik_1
    Image, G.AdC



    ■ Alejandra Pizarnik
    sur Terres de femmes

    Œuvre poétique (note de lecture d’AP)
    Cahier jaune et L’Enfer musical (note de lecture d’AP)
    Les Aventures perdues (extraits + notice biographique)
    El olvido (poème extrait de Les Travaux et les Nuits)
    Fiesta (poème extrait de Les Travaux et les Nuits)
    Invocations (poème extrait de Les Travaux et les Nuits)
    La lumière tombée de la nuit (poème extrait des Aventures perdues)
    Presencia de sombra (extrait de L’Autre Rive)
    Quelqu’un tombe dans sa première tombée (extraits de Textes d’Ombre)
    22 mai 1966 | Journal d’Alejandra Pizarnik
    25 septembre 1972 | Mort d’Alejandra Pizarnik
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    « L’Obscurité des eaux » (poème extrait de L’Enfer musical)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    7 août 1560 | Naissance d’Erzsébet Báthory (extrait d’À propos de la comtesse sanglante d’Alejandra Pizarnik)
    → (sur le site de France Culture)
    Choix de poèmes et d’extraits du Journal d’Alejandra Pizarnik (fiction diffusée la première fois le 19 septembre 2012)
    → (sur remue.net)
    L’Enfer musical et Cahier jaune, d’Alejandra Pizarnik par Pascal Gibourg (10 décembre 2012)
    → (sur Esprits Nomades)
    une page sur Alejandra Pizarnik
    → (sur sergiomansilla.co [revista])
    Alejandra Pizarnik, Poesía Completa (1955-1972) [PDF]







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