Étiquette : Préface


  • Franck Venaille | [J’attendais]



    [J’ATTENDAIS]



    J’attendais qu’elles s’arrachent de la terre.
    Je les entendais souffrir de naissance.
    Scrutant le sol, je les vis : croître.
    Vous disiez, vous.
    Ne vouloir laisser aucune trace.

    Ainsi, étais-je partagé.
    Déchiré.
    Une page blanche.

    Ainsi devais-je trancher :
    Jonquilles : un aimable bouquet qui, jamais ne se fane.
    Vous : l’admirable souci de disparaître,
    de vous enrouler nue dedans la terre nue.
    Le bruit du vent parmi les feuilles.
    Le soleil blanc aux lèvres froides.

    Le bruit du vent aux lèvres froides.
    Le soleil blanc parmi les feuilles.




    Franck Venaille, « Tragique : 3, Royal Botanic Gardens Kew », Tragique [Obsidiane, 2001], in La Descente de l’Escaut suivi de Tragique, Éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard (n° 459), 2010, pp. 271-272. Préface de Jean-Baptiste Para.






    Venaille






    FRANCK  VENAILLE


    Franck Venaille




    ■ Franck Venaille
    sur Terres de femmes


    [J’avais mal à vivre] (extrait de Ça)
    [Ce que je suis ?] (extrait de C’est à dire)
    Dans le sillage des mots (extrait de C’est à dire)
    [On marche dans la fêlure du monde] (extrait de La Descente de l’Escaut)
    [Quand la lumière née de l’estuaire] (autre extrait de La Descente de l’Escaut)
    Un paysage non mélancolique (extrait de C’est nous les Modernes)
    San Giovanni (extrait de Trieste)




    ■ Voir aussi ▼



    → (sur remue.net)
    Au plus près de Franck Venaille, par Jacques Josse





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  • Carine Adolfini-Bianconi | Je t’aime pour tes silences



    [JE T’AIME POUR TES SILENCES]



    Je t’aime pour tes silences tes rêves et ta patience
    pour notre alliance muette que l’infini reflète
    pour tes craintes, tes batailles, tes cognées tes entailles
    nos glissées dans l’aurore, ce que j’ignore encore
    pour tout ce qui m’échappe et loin de moi t’attire
    et pour les rares éclairs qui te font revenir.







    [TI TENGU CARU PÀ I TO SILENZII]



    Ti tengu caru pà i to silenzii sonnia è pacenzia
    pa’ a noscia allianza muta chi l’infinitu speria
    par ciò chì tu temi, I to bataglii piulati è trippi
    i nosci affaccati in l’albori, ciò ch’ùn cunnoscu ancu
    par tuttu ciò chì mi scappa è t’attira à longa di mè
    è pà l’arcìnditi rari chì ti fàcini vultà.




    Carine Adolfini-Bianconi, Ma béance ta demeure | A me spaccatura a to dimora, A Fior di Carta Éditions, 2018, pp. 84-85. Préface et traduction (français-corse) de Stefanu Cesari.






    Ma Béance 2





    CARINE ADOLFINI-BIANCONI


    Carine Bianconi
    Ph. D.R.




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Isularama)
    une recension de Ma béance ta demeure par Xavier Casanova
    → (sur le site des éditions A Fior di Carta)
    la fiche de l’éditeur sur Carine Adolfini-Bianconi





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  • Ovide | Hermaphrodite



    HERMAPHRODITE



    Leuoconé a dit. L’histoire merveilleuse a captivé les oreilles :
    Des filles nient qu’elle ait pu avoir lieu, d’autres rappellent que les vrais
    dieux peuvent tout. Mais Bacchus n’est pas parmi eux.
    On réclame Alcithoé, ses sœurs se sont tues.
    De sa navette elle fait courir les fils sur sa toile dressée :
    « Je tairai, dit-elle, les amours du berger
    Daphnis, de l’Ida, qu’une nymphe en colère contre une rivale
    a changé en rocher : si grande la douleur qui brûle les amants.
    Je ne dirai pas qu’autrefois, sous une loi nouvelle de nature,
    Sithon a été ambigu, un peu homme, un peu femme.
    Je ne dirai rien de toi, maintenant diamant, autrefois très fidèle au petit
    Jupiter, Celmis. Des Curètes nés d’une large pluie
    ou du Crocus changé avec Smilax en petites fleurs,
    je ne dirai rien : je captiverai vos esprits d’une douce nouveauté.
    D’où lui vient sa mauvaise réputation, pourquoi dans ses eaux de mauvaise vigueur,
    Salmacis énerve et ramollit son corps qui y est plongé ?
    Écoutez. La cause est cachée, le pouvoir de la source est célèbre.
    Un enfant de Mercure et de la déesse de Cythère
    est nourri par les naïades sous les grottes de l’Ida.
    Il a un visage où mère et père
    peuvent être reconnus : son nom aussi il le tire d’eux.
    Il fait trois fois cinq années, il quitte
    les montagnes paternelles et laisse l’Ida nourricière,
    se réjouit d’errer en lieux inconnus, de voir des fleuves
    inconnus, le plaisir amenuise sa fatigue.
    Après les villes de la Lycie, celles de la Carie,
    voisines de la Lycie : il voit ici un étang d’eau
    diaphane jusqu’au fond du sol, ici ni roseaux de marais,
    ni algues stériles, ni joncs de pointe aigüe,
    mais une surface transparente : les bords du lac sont cerclés
    d’un gazon vif et d’herbes toujours bien vertes.
    Une nymphe y habite. […]



    Ovide, Les Métamorphoses, Livre IV, 271-302, Éditions de l’Ogre, 2017. Traduit du latin par Marie Cosnay. Texte latin établi par Georges Lafay. Préface de Pierre Judet de La Combe. Postface de Marie Cosnay. Prix de traduction Nelly-Sachs 2018.




    Ovide Sachs






    OVIDE




    ■ Ovide
    sur Terres de femmes


    Pretium vitae (extrait d’Amores)
    Héroïdes, Lettre de Didon à Énée
    Tristes Pontiques, traduit du latin par Marie Darrieussecq (note de lecture d’AP)
    Tristes Pontiques (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des Éditions de l’Ogre)
    la fiche de l’éditeur sur Les Métamorphoses d’Ovide (Traduction du latin par Marie Cosnay)




    ■ Voir encore ▼


    → (sur Terres de femmes)
    16 décembre 2019 | Marie Cosnay, La malle d’Algérie




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  • Forough Farrokhzad | Le marécage



    LE MARÉCAGE



    La nuit s’assombrit et tomba malade.
    Les yeux furent assaillis par le réveil.
    L’œil hélas ne se prive pas de voir.
    L’œil hélas ne sait pas se voiler.
    Lui, il s’en alla et découvrit en moi
    une vieille terre des morts.
    Il me trouva telle une attente vieillie.
    Il vit ce désert et ma désolation,
    ma lune et mon soleil en carton :
    tel un vieil embryon contre l’utérus,
    déchirant sa paroi de ses griffes.
    Vivante, mais envieuse de naître.
    Morte, mais désireuse de mourir.
    Se vantant de la douleur de se haïr,
    endormie de la passion de se lever.
    Son sourire, d’une tristesse inutile.
    Honteuse de la pureté inutile du cœur.
    Une lourde solitude du fait d’être amoureuse.
    Une forte angoisse de la mort dans l’étreinte.
    Jamais descendue du toit de sa maison,
    étant témoin de sa propre exécution.
    Ver de terre mais de terre puante.
    Ses cerfs-volants dans le ciel pur.
    L’inconnue de sa moitié cachée,
    honteuse de son visage humain.
    Cherchant partout son compagnon,
    habituée du parfum de son ami,
    elle court à sa recherche,
    elle le retrouve parfois sans le croire.
    Mais son ami encore plus isolé qu’elle.
    Tous les deux vivent une peur réciproque.
    Tous les deux malheureux et ingrats.
    Leur amour, une passion répréhensible.
    Leur union , un rêve soupçonnable.

    Oh, s’il y avait un chemin vers la mer,
    je ne craindrais pas d’y plonger.
    Si l’eau cessait de couler dans un étang,
    sans doute qu’il s’assécherait,
    son corps serait la terre des pourritures,
    son fond serait la tombe des poissons.

    Ô gazelles, ô gazelles des plaines !
    Si vous rencontrez à travers les prairies
    un ruisseau chantant qui coule vers le bleu de la mer,
    qui se repose dans le chariot de son débordement,
    qui coule sur la soie de son courant,
    qui, de ses griffes, tient la crinière du cheval du vent
    qui est poursuivi par l’âme rouge de la lune,
    qui fraie son chemin parmi les tiges vertes de l’herbe,
    saisissant le parfum pur des arbustes,
    avec ses bulles sous le reflet ample du soleil,
    souvenez-vous de cette amie sans sommeil !
    souvenez-vous de la mort dans le marécage !




    Forough Farrokhzad, Une autre naissance, 1959-1963 in Œuvre poétique complète, Éditions Lettres Persanes, octobre 2017 (édition revue et augmentée), pp. 293-294. Préface de Christian Jambet. Traduit du persan par Jalal Alavinia, en collaboration avec Thérèse Marini.






    Forough Farrokhzad  Œuvre poétique complète





    FOR(O)UGH FARROKHZAD


    Forough-farrokhzad
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    le site Forugh Farrokhzad
    → (surle site de La Revue de Téhéran)
    Forough Farrokhzâd, la grande poétesse contemporaine iranienne





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  • Éléonore de Monchy | Arcasse


    ARCASSE



    Vois l’eau trouble — tout bas
    J’ai mis un doigt sur ta bouche
    Mes seins se sont posés sur l’os de tes ponts

    Recueille l’eau troublée
    J’ai marché sur la bouche
    je suis vide— essuie moi

    (et ce bateau qui tangue
    juste au-dessus de nous)

    *

    J’ai dormi sous les ponts
    quand tu n’étais pas là
    J’ai vu ton cœur gonflé —
    il était bleu —
    et son humidité

    (C’est la faute des abeilles
    si l’eau trouble est sucrée)

    J’ai nagé pour t’atteindre
    Je suis ce que tu vois
    de jaune de pollen
    qui colle sous tes doigts

    *

    J’avais une escarcelle
    l’as-tu trouvée dans l’épisode ?
    Tu es nu dérouté
    Pardonne-moi
    Je ne l’avais pas vu

    (Moi j’ai froid)

    *

    Quand l’enfant sera né
    tu pourras boire le lait rose des seins —
    le jour où nous manquerons d’eau —
    mais avant ça
    ramasse tes côtes et suis-moi !



    Éléonore de Monchy, « Les Berges du silence » in À tire-d’os, Revue NUNC | Éditions de Corlevour, 2018, pp. 18-19. Préface d’Emmanuel Moses.






    Eléonore de Monchy  A tire d'os



    _________________________
    NOTE : ouvrage disponible en librairie le 18 janvier 2018.





    ÉLÉONORE DE MONCHY


    Monchy Eléonore de





    ■ Éléonore de Monchy
    sur Terres de femmes

    Tout tombe





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  • Guillevic | À Denise Le Dantec



    Blessure
    « Au commencement était la blessure »
    Ph., G.AdC








    À DENISE LE DANTEC




    Au commencement était la blessure
    Et la blessure n’a pas cessé.

    Dans le vent, dans la lumière océanique,
    Dans la nuit-tourbillon, dans la nuit-aux-aguets,
    Dans la rare ascension au presque bien-être,

    L’entourage
    Comme un ajonc universel
    Crie son besoin
    De partager la déchirure —

    Et pourtant la caresse
    D’un pétale de rose

    Inaccessible
    Et toujours présent.


    28/06/19801



    Guillevic, « Pour saluer quatre voix amies de femmes en poésie », in Ouvrir, Poèmes et proses, 1929-1996, Éditions Gallimard, Collection blanche, 2017, page 74. Édition établie et préfacée par Lucie Albertini-Guillevic. Postface de Monique Chefdor.



    ________________________________________
    1. Ce texte dédié a été écrit après la lecture des poèmes de Denise Le Dantec qui a publié une trentaine d’ouvrages dont Guillevic et la Bretagne, Éditions Blanc Silex, 2000.






    Guillevic  Ouvrir





    GUILLEVIC


    Guillevic dantec
    Source




    ■ Eugène Guillevic
    sur Terres de femmes


    5 août 1907 | Naissance d’Eugène Guillevic
    A
    Carnac, traduit en corse par Francescu-Micheli Durazzo
    Rites



    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur Ouvrir d’Eugène Guillevic
    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la préface d’Ouvrir d’Eugène Guillevic par Lucie Albertini-Guillevic (flipbook, PDF)



    ■ Denise Le Dantec
    sur Terres de femmes


    [Beau temps sur la planète] (extrait d’ENHEDUANNA)
    29 avril | Denise Le Dantec, L’Estran
    [« ceci est l’espace de la transparence »](poème extrait d’et je t’embrasse)
    Mémoire des dunes
    Mémoire des dunes (extrait de 7 Soleils & autres poèmes)
    [La Seine est verte] (extrait de La Seconde augmentée)
    La Seconde augmentée (lecture d’AP)
    [J’ai pris la perspective du rossignol](extrait de La Strophe d’après)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Où quand
    → (dans la Galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Denise Le Dantec (+ un extrait de l’Encyclopédie poétique et raisonnée des herbes)





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  • Armen Lubin | Feux contre feux


    FEUX CONTRE FEUX



    Deux surfaces, mêmes dimensions :
    Mon front et le ciel étoilé.
    Deux surfaces, feux contre feux.

    Gâchis contre gâchis mais exaltés
    Par la fusion des nuits à hautes cimes,
    Mais chute aussi qui me corrige,
    L’écart rétabli, fini le prestige.

    Comme on est malhabile, convalescent,
    Rejeté ainsi, hors de l’élément !

    Froidement vidé je me sentis
    Quand retomba ma dépouille,
    Poches retournées je me sentis.

    Par la fusée et la fusion lointaines,
    Dans les hauteurs où tout est urgent,
    J’ai vu le ciel, il livrait le domaine.

    J’ai vu le point nul du sacre :
    Absorption, déchirement, simulacre
    De tout ce qu’ici-bas
    Nous ne pouvons pas posséder,
    Ici-bas et en ces lieux
    Où fuse l’amour : feux contre feux.

    Gâchis contre gâchis mais exaltés
    Jusqu’à la plus haute source des larmes,
    Mais chute aussi qui me corrige,
    L’écart rétabli, fini le prestige.

    Comme on est vain, presque mort,
    Poches retournées, dedans dehors.



    Armen Lubin, « Feux contre feux », Les Hautes Terrasses, Gallimard, 1957, in Le Passager clandestin, Sainte patience, Les Hautes Terrasses, Éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard n° 404, 2005, pp. 205-206. Préface de Jacques Réda.






    Armen Lubin





    ARMEN LUBIN


    Armen Lubin 3





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur Le Passager clandestin – Sainte patience – Les Hautes Terrasses
    → (sur le site de la revue Les Hommes sans épaules)
    une notice bio-bibliographique sur Armen Lubin





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  • Ghyslaine Leloup & Noël Roch, Bien à vous, Une correspondance

    par Angèle Paoli

    Ghyslaine Leloup & Noël Roch, Bien à vous
    Une correspondance,

    éditions unicité, 2017.
    Préface d’Alain Vircondelet.



    Lecture d’ Angèle Paoli



    Ghyslaine Leloup par Noël Roch
    Noël Roch, Ghyslaine Leloup au fauteuil bleu (détail), 2012.
    Acrylique sur panneau









    LE COLLOQUE SINGULIER




    C’est une « drôle de chose » que cet échange épistolaire entre un médecin-philosophe-peintre-ogre et une poète (poétesse ?). Un « colloque singulier » à deux voix, cependant : celle de Ghyslaine Leloup et celle de Noël Roch. L’un et l’autre ont en partage la première de couverture ; le peintre, par la toile choisie pour illustrer le recueil (Conversation, Acrylique sur toile, 80 cm x 100 cm) ; la poète, par le titre qu’elle donne à cet ouvrage à quatre mains : Bien à vous. C’est par cette formule que Ghyslaine Leloup clôt l’échange intitulé « L’ogre et les bulles ». Dans l’épilogue qui suit et dont elle est l’unique scriptrice, le « vous » qui a dominé et guidé cette correspondance se change en « tu ». La formule finale devient alors « Bien à toi ». L’ensemble de l’échange est relié sous le sous-titre : Une correspondance.

    Comment les deux voix se sont-elles croisées puis rencontrées ? Comment les deux épistoliers sont-ils entrés en contact l’un avec l’autre ? L’échange ne le dit pas explicitement. Mais l’allusion à Facebook laisse entrevoir que c’est par le biais de ce réseau que s’est liée cette amitié, tissée de complicités, de réflexions, de mises en parallèle des expériences, d’interrogations et d’antagonismes. La correspondance, toute électronique, s’est agrémentée d’envois de photos et de reproductions de toiles. Elle s’étire sur presque trois années, entre le 13 janvier 2011 et le 12 août 2013. Veille de « la première rencontre de visu » de Ghyslaine Leloup et de Noël Roch, le 13 août 2013, à Bayeux, en Normandie.

    Entre les deux épistoliers s’est installée une durée. Parfois interrompue par les aléas que connaît chacun au cours du temps qu’il traverse. La place est alors faite au silence. Puis l’échange reprend. Entre poésie et peinture se construit une approche progressive. Avec pour point d’accroche le regard.

    « Je ressens dans vos textes une tension, une force, un étonnement, une expérience de vie, une maîtrise du déséquilibre, le monde serré de votre regard », écrit Noël Roch (NR) dans le prologue.

    Le regard ? Celui que chacun porte sur soi, sur son propre travail. Sur ses origines sociales et sur l’incidence qu’elles ont eue sur chacun des protagonistes et sur leurs choix de vie respectifs. Sur les autres aussi, proches ou moins proches. Sur l’autre, enfin, cet étrange étranger avec qui l’on s’entretient, derrière son écran, et que l’on ne connaît pas. À partir des toiles et des mots, chacun tente de comprendre l’autre ; d’établir des ponts entre deux modes d’expression qui ne procèdent ni de la même matière ni de la même manière ; d’aborder à la pensée structurante et intime de son correspondant ; de s’accorder à lui et de rebondir à ses propos. « Oui mais non », reprend souvent Ghyslaine Leloup (GL) avant de relancer une réponse plus complète. Et, en définitive, pour l’un et pour l’autre, ne s’agit-il pas de tenter de « démasquer le personnage pour rencontrer l’homme » ? C’est sans doute cette quête qui anime le peintre pour qui « médecine et peinture ne sont pas antinomiques ». Bien au contraire. Ces deux passions se complètent, qui nécessitent « un regard convergent et des esprits qui se frottent l’un à l’autre, s’émerveillant des différences d’approche. » Pour Ghyslaine Leloup, le médecin semble avoir une longueur d’avance sur « l’homme de la rue ». Car celui que le médecin a en permanence sous les yeux, c’est l’humain, « sans les oripeaux qu’il arbore pour se rassurer et oublier. » « Le roi nu » est là, sous ses yeux, dépouillé de ses faux-semblants fanfaronnades et illusions. Ce qui rejoint la quête de Ghyslaine Leloup :

    « Trouver une parole « d’être humain » à ras de la conscience du vivre, essayer d’aller plus loin que mon moi anecdotique, extirper une sorte de femme primitive. » Énonciation qu’elle complète par une analyse lucide d’elle-même :

    « Je sens mes limites, les verrous, je ressens souvent l’étroitesse dans mon expression. En même temps, je refuse la violence qui pourrait en surgir, préférant continuer sur une certaine tension. Oui, mais non donc… »

    Pour le peintre comme pour la poète, ce qui émerge du dialogue, c’est cette nécessité d’être au plus près des exigences que chacun poursuit. Vis-à-vis de soi, vis-à-vis de l’autre.

    Pour GL, « ces courriers ne sont pas des monologues déguisés, comme souvent… C’est du mouvement, avec des mots, où la part d’imaginaire doit être tenue à distance pour que soit le « parler vrai » — ni confidence ni intellectualisation outrancière… Ni conversation ni entretien.  » Un peu plus loin, pourtant, dans le même espace épistolaire, elle confie : « Notre conversation au long cours m’est jubilatoire. » (in « Correspondance, quel mot superbe, multiple ! »)

    Plus loin, dans un autre échange qui s’ouvre sur un portrait de Noël Roch par Coucke (Katherine Coucke partage avec Noël Roch l’Atelier CouckéRoch), Ghyslaine Leloup définit leur échange épistolaire comme une « bulle ». Car, écrit-elle, « il n’y est question que de soi, et du monde dans la relation qu’on entretient, ou pas, avec lui. » Et la poète de prolonger son approche et de la justifier en la complétant ainsi :

    « La bulle n’est donc pas un repli : c’est léger, rond, ça rebondit, fait lever les yeux, c’est comme un ballon gonflé d’hélium. Une voix amplifiée ? Ma métaphore de l’échange. » (in « L’ogre et les bulles »)

    Par la vision qu’elle a de cet échange, Ghyslaine Leloup, qui nourrit pour les correspondances des siècles passés une passion toujours vive, rejoint les préoccupations qui pouvaient être celles de la marquise de Sévigné, par exemple. Ouverte sur le monde et à l’écoute de son bruissement incessant, la grande épistolière était capable, jusque dans l’éloignement qui la maintenait hors de Paris, de rendre compte par sa plume alerte de ce qui se passait dans la capitale. Ici, dans le cas d’une correspondance par courriel, le temps et l’espace prennent une tout autre dimension. Ils n’en sont pas moins présents. Ainsi, en se livrant à cet exercice d’un genre renouvelé, Ghyslaine Leloup renoue-t-elle avec cet art de l’échange qui tient les sens en éveil et aiguise le regard. Non sans se départir d’un certain humour.

    La peinture. Le regard. Dans cet ouvrage qui comporte des reproductions de toiles de Noël Roch, des photos et des poèmes de Ghyslaine Leloup, une toile et un poème de Coucke, deux portraits retiennent plus particulièrement mon attention. Celui de Noël Roch réalisé par Coucke. Un écho, en quelque sorte au portrait que Noël Roch a peint de Ghyslaine Leloup. Une symétrie parfaite. Au choc de Ghyslaine Leloup face à elle-même — « dépecée, jusqu’au noyau » — répond le « regard sagittal » dont elle qualifie le portrait de Roch réalisé par Coucke.

    Les deux portraits ne se rejoignent-ils pas, en effet, pour dire l’« Énigme froide » que chacun des épistoliers cherche à décrypter derrière les précautions dont il s’entoure ?

    Noël Roch, se regardant dans le portrait de Coucke, déclare :

    « L’œil de l’émotion, c’est mon œil gauche et l’œil mathématique, c’est mon œil droit. Peindre, c’est la balance continuelle de la décision qui oscille de l’œil droit à l’œil gauche. C’est cela qui immobilise au final le tableau, sans le tuer tout à fait, il faut qu’il gueule dans sa prison. »

    Regardant celui qu’il a fait de Ghyslaine Leloup, il rassure la poète en l’invitant à une lecture différente de celle qu’elle a faite d’elle-même — le visage d’« un avant-dernier souffle ».

    Y lire plutôt « l’épreuve de la Vie, comme un archet fait résonner un violoncelle. » Et le peintre de poursuivre :

    « Est-ce que le son est dur, énigmatique, parce qu’il meurt dans l’instant qu’il est produit ? C’est cette réalité que j’ai peinte. Mais la musique est globale. »

    J’emprunte à la belle préface d’Alain Vircondelet ces quelques mots avec lesquels je me sens, lectrice séduite par ce dialogue, en parfaite symbiose et adéquation :

    « Le mystère de ce récit, insolite et rare, est que jamais son lecteur ne se sent voyeur ou importun. Il est, lui aussi, partie prenante de cette aventure duelle, il s’y glisse sans fausse pudeur, ami et souriant, invité de ce que ses auteurs appellent « le colloque singulier ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Ghyslaine Leloup & Noël Roch  Bien à vous





    GHYSLAINE LELOUP


    Ghyslaine Leloup
    Image, G.AdC




    ■ Ghyslaine Leloup
    sur Terres de femmes


    La paix disent-elles (+ une notice bio-bibliographique sur Ghyslaine Leloup)
    Les heures froides (poème extrait de Nuit chorale, son soleil sous les paupières)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Ils ont tenté de broyer mon esprit



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Unicité)
    la page de l’éditeur sur Bien à vous de Ghyslaine Leloup & Noël Roch
    → (sur Ce Qui Reste)
    « La grande fugue » de Ghyslaine Leloup





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  • Laura Kasischke | Twenty-Ninth Birthday




    Wild Brides 2







    TWENTY-NINTH BIRTHDAY


    Suddenly I see that I
    have been wearing my mother’s body
    for a long time now.     It all
    belongs to her, here where the skin
    is softest and here
    where it puckers in disgust—each
    inch.     The very nails that pounded
    her body to pieces
    build me one just like it
    and I have been wearing it
    like a terrible house
    and never noticed all of it
    hers, except this mole on my arm—that
    belonged to my father’s mother
    and it was left to me
    to remind me that I
    am one of those
    witches, too, praying
    in the dry face of the moon
    while I walk around with death
    in my big breasts, like them, full
    already of my future scars
    and pain and hallucinations
    that shriek ahead like train tracks
    past this naked house
    across the self-pitying
    pleasureless decades left.
    I have turned my face to the wall to hide it
    while you slip my father’s
    angry face over yours.






    Laura Kasischke  Mariées rebelles






    VINGT-NEUVIÈME ANNIVERSAIRE


    Je m’aperçois soudain
    que je porte le corps de ma mère
    depuis longtemps déjà.     Il lui
    appartient tout entier, ici où la peau
    est la plus douce et là
    où elle affiche une moue dégoûtée — chaque
    centimètre.     Ces mêmes clous qui lui ont
    démoli le corps
    m’en ont fabriqué un à l’identique
    et je l’ai porté
    comme une maison terrible
    sans avoir jamais rien remarqué — tout est
    à elle, sauf ce grain de beauté sur mon bras — celui-ci
    appartenait à la mère de mon père
    et il m’a été transmis
    pour me rappeler que moi
    aussi je suis l’une
    de ces sorcières, priant
    à la face desséchée de la lune
    pendant que je me promène avec la mort
    logée dans mes gros seins, comme elles, déjà
    porteuse de mes futures cicatrices
    hallucinations et douleurs
    qui lancent des cris comme les rails d’un train
    devant cette maison nue
    vers les décennies qui restent
    d’apitoiement et de déplaisir.
    Je tourne le visage vers le mur pour le cacher
    pendant que tu glisses le visage en colère
    de mon père par-dessus le tien.



    Laura Kasischke, Mariées rebelles [Wild Brides, New York University Press, 1991], édition bilingue, Éditions Page à Page, 2016 ; éditions POINTS, collection Points Poésie, 2017, pp. 162-163-164-165. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy. Préface de Marie Desplechin.






    Laura Kasischke  Mariées rebelles  édions Points






    _____________________________________________________
    D’APRÈS UNE NOTE DE LA MAISON DE LA POÉSIE (PARIS)

    Premier recueil de poésie de Laura Kasischke traduit en français (éditions Page à Page, 2016), Mariées rebelles est également son premier recueil de poésie paru aux États-Unis (New York University Press, décembre 1991). On y retrouve les thèmes qui hantent son écriture — le secret, le sexe, la menace sourde et grandissante, la disparition et la mort omniprésente. Emplies de brutale délicatesse, ces polyphonies parfois étranges mêlent tragédies mythiques et préoccupations contemporaines.

    Laura Kasischke vit aujourd’hui à Ann Arbor, où elle enseigne l’écriture romanesque au Residential College de l’université du Michigan. Ses romans sont publiés chez Christian Bourgois. Parmi eux, À moi pour toujours et Esprit d’hiver (Grand Prix des Lectrices de Elle, 2014) sont des best-sellers tandis que La Vie devant ses yeux et A Suspicious River ont été adaptés au cinéma. Elle a également reçu de nombreux prix pour ses ouvrages de poésie.

    [Source]






    LAURA KASISCHKE


    Laura-Kasischke-©D.R
    Source



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Babelio)
    une notice bio-bibliographique sur Laura Kasischke
    → (sur Diacritik)
    Laura Kasischke, american poet (Mariées rebelles) par Christine Marcandier
    le site personnel de Laura Kasischke
    → (sur le cercle POINTS)
    la fiche de l’éditeur sur Mariées rebelles
    → (sur YouTube)
    Laura Kasischke American Poet (table ronde American Poets du Festival America 2016 [salle Jim Harrison de l’Auditorium Cœur de Ville, Vincennes, septembre 2016], pour Mariées rebelles. Table ronde animée par Christine Marcandier [Diacritik])
    → (sur le site de France Culture)
    Laura Kasischke, sorcière et poétesse (« Poésie et ainsi de suite » par Manou Farine, 29 septembre 2017)





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  • Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite

    par Isabelle Lévesque

    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite,
    Éditions Les Carnets du Dessert de Lune, 2017.
    Préface de Luce Guilbaud.



    Lecture d’Isabelle Lévesque



    Nous sommes d’ici et d’ailleurs mais on nous fixe quelque part.
    C.G.



    Cécile Guivarch travaille la terre de mémoire : elle laisse ses mots simples la féconder pour transmettre les souvenirs de la lignée. Quelque chose est semé, qu’on laisse devenir, comme la tige de graminée de Jérôme Pergolesi qui court sur la couverture. Alors il faut plonger dans le récit éclaté et lacunaire de l’histoire d’Abuelo, ou plutôt des bribes que la narratrice/poète a pu retrouver ou deviner. Ce récit est celui d’un secret de famille longtemps bien gardé. Cécile Guivarch « chante dans son arbre généalogique », comme le recommande Cocteau en épigraphe. Il s’agit ici de la lignée matrilinéaire et le secret est d’abord celui de la grand-mère espagnole, dont le compagnon la laissa, enceinte, pour fuir l’Espagne de Franco et les « grands cimetières sous la lune » si bien dénoncés par Georges Bernanos, et se réfugier à Cuba. « Abuelo » (« grand-père » en espagnol), c’est le père devenu secret de la mère. « Grand-père », c’est l’homme épousé par la grand-mère, celui qui prenait la main de la narratrice enfant et que la révélation fait tomber de l’arbre généalogique. Quant au héros absent, on ne saura presque rien de lui : homme coupé des siens par un passé composé qui scelle son destin,

    « [t]u es parti avec la malle faite à la hâte. »

    Déjà, l’adresse, l’appel, pour que le texte soit celui de sa présence restituée.

    La suite, au présent, instaure un dialogue avec l’enfant, un monologue plutôt : une voix le cherche avec les mots simples de celle qui prend précaution pour protéger à rebours celui qui est parti : « Les lunettes tombent sur ton nez. Où est ton chapeau ? » Inversées, les relations se tissent autour de ce que l’on suppose, ce que l’on aurait voulu. Les « centaines de lettres » envoyées à la grand-mère, que sont-elles devenues ?

    Un secret révélé, ce départ, se double d’interventions en italique, une petite voix murmurée, en haut de page, la langue espagnole s’y glisse naturellement comme on retrouve un refrain d’enfance, la mélodie d’une langue, celle du grand-père qu’on n’a pas oublié. La narratrice imagine les gestes lors du départ (les regrets), elle épouse la conscience de ce passé qu’elle invente grâce à des bribes auxquelles elles donnent une forme. Elles auront visage de poèmes courts, six ou sept vers le plus souvent, précédés de trois autres, en haut à droite, en italique. Oscillation entre les mots, groupes nominaux juxtaposés, et les phrases qui développent l’histoire d’une petite fille qui (sans le savoir) a grandi sans, avec un trou dans son histoire.

    Des phrases s’achèvent sans que l’on sache le fin mot. Grand-père, ombre, trop loin, il faut bien supposer puisqu’en s’éloignant la voix qui portait les mots s’est tue. Redevenue enfant, la narratrice se souvient dans sa langue d’enfant des détails du passé :

    « J’ai neuf ans. Dix peut-être. Devant le petit-déjeuner.

    Tartines-pain-beurre-confiture. Fraise et moi petite. »

    Le lexique simple, la juxtaposition nominale, met sur le devant les sensations ou les images fortes qui posent un décor pour la parole : celle-ci vient au quotidien dans les jours de l’enfant, par les récits de la mère, « les histoires de son enfance », par ceux de la grand-mère. L’enfant les place dans sa mémoire. Enfant qui « écoute », en attendant de transmettre à son tour :

    « N’en perds pas une miette de petite fille. »

    Cette conscience qu’il faut engranger s’accompagne de notations concrètes, comme s’il fallait pour se souvenir l’odeur, la présence, une matérialité. Pour garder trace, tout a une place, le goût de la fraise et son souvenir assureront un ancrage solide. La page narrative en prose le porte et le déporte vers l’avenir. Cela se mêle aux jeux d’enfant, à l’innocence du présent des jeux, « [p]oupées en épis. Colliers de fleurs. ». On pressent que celle qui joue si bien n’oubliera pas : elle fut petite, sa mère le fut comme sa grand-mère, entre ces femmes la parole dite courra comme « [c]ourses d’escargots ou de libellules ».

    Pages de gauche, en vers, les menus riens défaits de l’histoire partielle du grand-père, à droite les lignes s’allongent en prose et la parole des femmes (de l’enfant même) livrent les paroles, avec l’accent parfois qui allonge les syllabes leur donnant un autre goût en bouche :

    « Ma mère ne prononce pas tous les mots comme les autres mamans. »

    Cela aussi entre dans le puzzle, dans l’histoire que la narratrice capte enfant comme elle la dit, adulte. Espagnol ou galicien (« castellano » ou « gallego », les deux déjà se mêlent), français, les langues se chevauchent, se parlent avec un accent toujours étranger qui étonne les autres enfants de la petite école normande.

    Les pages de gauche, plus allusives, se font parfois oniriques : « [t]u es un oiseau sur une île ». Celui qui est parti devient un être à part que le quotidien n’ancre pas, on le rêve, on l’éloigne ou on le rapproche avec les mots. La langue au cœur des livres de Cécile est l’île contenue dans son prénom, on ne l’utilise pas, on l’observe. On sait que la langue « maternelle » de l’enfant, le français, est en réalité la langue paternelle. On reste sur un fil tendu entre deux terres également constitutives de soi. Entre ces langues s’est glissé le secret du grand-père parti, qu’a-t-il emporté (une langue tue ?) ? La frontière entre Espagne et France éloigne les cousins, la lignée les rapproche et la langue balance entre les deux :

    « Nous les avons toutes en nous mais n’en parlons qu’une seule. »

    Ce sont les adverbes qui portent la déchirure et la trace de ce qui est divisé : ici / là-bas. Ces adverbes peuvent désigner des lieux différents, là-bas : en Espagne ? Mais quand la mère voudrait fuir le ciel gris de Normandie, « là-bas », le « sud», c’est le sud de la France. La petite fille apprend à réévaluer les distances, l’extérieur qui est dedans (les frontières) autant qu’ailleurs. L’enfant revenue dans le texte l’exprime par l’interrogation constante (« Je suis ta petite fille aux questions. ») Une petite voix intérieure éprouve, apprécie les distances pour montrer que le temps comme les lieux n’ont de référents qu’affectifs et qu’ils peuvent nous encombrer puisque nous sommes de plusieurs lieux comme de plusieurs langues.

    Tout cela trace un destin qui puise dans un lieu multiple l’unique appartenance familiale. Or le grand-père, dans l’exil, occupe un lieu autre qu’on ne peut décrire, l’absent vit sur une terre inconnue mais nommée, Cuba, en même temps que le secret est dévoilé : « Mon abuelo n’est pas mon grand-père. C’est un autre. » Alors déferlent les hypothèses sur sa manière de vivre : « il vit tout nu. En peau de bête. En maillot de bain. » L’île qu’il ne peut quitter, puisqu’il ne revient pas, c’est une île-prison, c’est la plus fameuse des îles, celle de Robinson Crusoé. Les groupes nominaux défilent au rythme de l’imagination de l’enfant qui réinvente l’histoire, comble les failles.

    Face à face, deux personnes, sur la page paire, le grand-père, l’enfant sur la page impaire et tout le peuple du passé qui a fait le présent. Ce sont des racines, un arbre, l’affirmation d’une identité par l’exploration légère du secret levé. « [T]oujours neuf ans », la narratrice, car elle tient des bribes qu’elle assemble, « [u]n détail après l’autre ». Le retour n’aura pas lieu, il manque une branche à l’arbre porté par l’enfant.



    Isabelle Lévesque
    D.R. Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes







    Sans Abuelo Petite __ Cécile Guivarch.html jpg



    CÉCILE GUIVARCH


    Cécile Guivarch portrait
    Ph. : Michel Durigneux
    Source





    ■ Cécile Guivarch
    sur Terres de femmes


    Cent ans au printemps (lecture d’AP)
    Cent ans au printemps (lecture de Philippe Leuckx)
    [Écrire ses yeux] (extrait de Cent ans au printemps)
    [c’est tout pour aujourd’hui] (extrait de c’est tout pour aujourd’hui)
    Cécile Guivarch, mots et mémoire en double (chronique de Marie-Hélène Prouteau)
    [Je ne sais pas si tu es encore jeune](extrait de Sans Abuelo Petite)
    [J’ai marché sur les morts]
    Renée, en elle (lecture d’AP)
    [des hommes tressaillent](extrait de S’il existe des fleurs)
    Vous êtes mes aïeux (lecture de Gérard Cartier)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    [ma grand-mère avait beaucoup de clés]



    ■ Voir aussi ▼

    J’écriture(s)[le blog de Cécile Guivarch]
    le site terre à ciel | poésie d’aujourd’hui
    → (sur Recours au Poème)
    deux lectures de Sans Abuelo Petite, par Olivia Elias et Simone Molina
    → (sur le site des éditions Les Carnets du Dessert de Lune)
    la page de l’éditeur sur Sans Abuelo Petite




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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